Cass. com., 16 février 2016, n° 13-28.448
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
BPA restauration (SAS)
Défendeur :
CND La Cantina (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Le Bras
Avocats :
SCP Piwnica, Molinié, SCP Gatineau, Fattaccini
LA COUR : - La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ; Vu la communication faite au procureur général ; Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 7 novembre 2013) et les productions, que la société CND, qui exploite un restaurant italien sous la forme d'un "bar à pizzas", à l'enseigne La Cantina, à Saint-Rémy-de-Provence, avait engagé, début 2010, des pourparlers portant sur la reprise de ce fonds avec la société BPA restauration (la société BPA), qui exploitait un fonds de commerce de restaurant-salon de thé à Avignon sous le nom commercial "La Compagnie des comptoirs", devenu, le 29 janvier 2010, "La Cantina" ; que, lui reprochant des actes de concurrence déloyale et de parasitisme, la société CND a assigné la société BPA en paiement de dommages-intérêts ;
Sur le premier moyen, pris en ses trois premières branches : - Attendu que la société BPA fait grief à l'arrêt de sa condamnation à des dommages-intérêts au titre des préjudices commercial, moral et d'image, ainsi que du fait d'actes de parasitisme alors, selon le moyen : - 1°) qu'une action en concurrence déloyale et en parasitisme a pour objet de sanctionner un commerçant qui inflige à un autre une concurrence contraire à la morale des affaires et cause un trouble commercial ; qu'en l'état de pourparlers engagés par deux commerçants, ayant pour objet la cession du fonds de commerce de l'un d'eux, et de la parfaite connaissance, par l'éventuel cédant, des caractéristiques de l'établissement de l'éventuel cessionnaire et de sa pratique commerciale, allant jusqu'au dépôt d'une marque semblable, la cour d'appel devait apprécier, dans ce contexte, la concurrence déloyale tardivement alléguée par le cédant et qu'il n'avait considérée comme générant un trouble commercial qu'après avoir rompu brutalement des pourparlers pourtant proches de la finalisation ; qu'en s'en abstenant, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du Code de procédure civile ; 2°) qu'une action en concurrence déloyale suppose que le commerçant qui l'exerce soit en situation de concurrence avec son concurrent, le risque de confusion entre des établissements supposant leur proximité et leur originalité propre ; que la cour d'appel a admis que le concept de restauration revendiqué par la société CND n'était pas innovant mais a retenu qu'il devait être protégé dans une même zone de chalandise, ce qu'elle a considéré comme établi, en dépit d'un éloignement de 20 km, pour des clients attentifs voire gourmets, tout en relevant que l'adjonction de l'appellation La Cantina à la proximité géographique démontrait la volonté de tromper le consommateur moyen ; qu'en se référant ainsi au client moyen pour retenir le risque de confusion et au client " gourmet " d'une pizzeria pour retenir la concurrence entre des établissements éloignés et dont le concept n'avait pas d'originalité distinctive, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du Code de procédure civile ; 3°) qu'en se bornant à affirmer que la société BPA avait entendu tirer profit du savoir-faire de la société CND, pour en déduire que celle-ci avait subi des atteintes à sa notoriété et à sa réputation, ce qui avait constitué des actes de parasitisme économique, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du Code de procédure civile ;
Mais attendu, d'une part, qu'ayant retenu, par motifs adoptés, que, dans le cadre des pourparlers engagés entre les parties en vue de l'acquisition par la société BPA du fonds de commerce exploité par la société CND, la confusion avait été volontairement recherchée par la société BPA, la cour d'appel a répondu aux conclusions prétendument délaissées ;
Attendu, d'autre part, que c'est sans se contredire que, pour déterminer l'appartenance des deux établissements, distants de vingt kilomètres, à une même zone d'attractivité, la cour d'appel s'est référée à des clients attentifs dans le domaine de la restauration, voire gourmets, et que, pour retenir que l'adjonction de l'appellation La Cantina au nom de la ville d'Avignon où est établi le restaurant caractérisait un risque de confusion, elle s'est référée au consommateur moyen ;
Et attendu, enfin, qu'ayant retenu, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, que le concept de restauration développé par la société CND était suffisamment distinctif pour être protégé dans une même zone de chalandise, qu'en reprenant ce concept, notamment le nom, l'agencement des tables, des sets de table, et les pizzas proposées, la société BPA avait cherché à profiter de manière illégitime de la réputation de la société CND et qu'en ajoutant à Avignon, nom de la ville où est situé le restaurant, l'appellation La Cantina, la société BPA avait voulu se présenter comme ayant un lien avec le restaurant La Cantina de Saint-Rémy-de-Provence et ainsi tromper le consommateur, la cour d'appel a caractérisé un savoir-faire propre à la société CND, ainsi que les atteintes à sa notoriété et à sa réputation, constitutifs d'actes de parasitisme ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le second moyen : - Attendu que la société BPA fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de dommages-intérêts pour rupture abusive des pourparlers alors, selon le moyen, qu'à défaut de motif légitime, et en l'état de pourparlers engagés entre deux parties et assez avancés pour que les documents relatifs à la situation juridique et comptable du cédant du fonds de commerce soient communiqués au notaire, leur rupture brutale est fautive, peu important que le prix de cession n'ait pas été définitivement arrêté, ce que la poursuite des pourparlers avait pour but de préciser ; qu'en relevant, pour rejeter la demande d'indemnisation formée par la société BPA, qu'il n'était pas établi qu'il y ait eu un accord entre les parties sur tous les éléments faisant partie de la cession, notamment le prix, la cour d'appel, qui s'est déterminée au regard d'un défaut d'accord qui aurait entraîné la perfection et, en conséquence, la formation de la cession, a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du Code civil, ensemble l'article 1101 du même Code ;
Mais attendu que seul l'abus dans l'exercice du droit de rompre les pourparlers peut donner lieu à indemnisation ; qu'il résulte des conclusions d'appel de la société BPA, qu'au soutien de la demande formée à ce titre, elle se bornait à reprocher à la société CND d'avoir rompu les pourparlers à un moment où les parties s'étaient mises d'accord sur la chose et sur le prix, des documents relatifs à la vente ayant même été transmis au notaire ; qu'en relevant que, si des documents avaient été adressés à un notaire chargé de l'éventuelle rédaction des actes, il n'y avait cependant pas encore d'accord sur l'ensemble des éléments de la cession, notamment sur le prix, ce dont elle a déduit qu'aucun abus n'était démontré, la cour d'appel, qui a ainsi fait ressortir que les pourparlers n'étaient pas aussi avancés que la société BPA le prétendait, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.