Cass. crim., 2 février 2016, n° 15-84.356
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Adir, Biopharma, Biofarma, Laboratoires Servier, Laboratoires Servier industrie, Oril industrie, Servier
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guérin
Rapporteur :
Mme Harel-Dutirou
Avocat général :
M. Lemoine
Avocats :
SCP Piwnica, Molinié
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, 112-1, 112-2, 313-1 du Code pénal, L. 213-1 et L. 213-2 du Code de la consommation, L. 5122-6 et R. 5121-165 du Code de la santé publique, 8, 40, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré non prescrite l'action publique des chefs d'escroqueries et de tromperies ;
" aux motifs que les Laboratoires Servier ont sollicité l'AMM du benfluorex en faisant valoir ses effets sur le métabolisme des lipides et des glucides, sans mentionner des qualités anorexigènes, en excluant le caractère fenfluraminique, que ce positionnement, à l'origine, a définitivement exclu le médiator de toutes les décisions prises ensuite par l'administration à l'encontre des médicaments anorexigènes ; que le médiator n'a pas été inclus dans l'étude IPPHS, que les études A et B ont été axées sur le rapport bénéfice/ risque de cet anti diabétique et que le caractère anorexigène, la parenté avec les fenfluramines et les amphétamines n'ont pas été à nouveau examinés, que les visiteurs médicaux des laboratoires Servier devaient dénier tout effet anorexigène en cas d'interrogation par les médecins, que la négation des propriétés anorexigènes a perduré pendant toute la période de vie du médicament ; que les fenfluramines ont été interdites en raison de leur mise en cause dans les HTAP, que le médiator n'étant pas classé dans les fenfluramines est resté dans le commerce ; que seules les alertes sur les valvulopathies ont permis de maintenir la surveillance du benfluorex à partir de 1998, que des soupçons existaient sans permettre l'identification du benfluorex comme un anorexigène de la famille des fenfluramines, ceux-ci étant interdits, que cette surveillance à partir des notifications avait pour seule finalité de rechercher le rapport bénéfice/ risque et un lien de causalité avec les valvulopathies, sans classer le benfluorex comme un anorexigène apparenté aux fenfluramines, ce qui aurait permis de retirer l'AMM ; que le retrait de l'AMM a été prononcé après le constat d'un résultat bénéfice/ risque insuffisant sans se prononcer sur les propriétés du benfluorex ; que les faits de tromperie, à les supposer établis, ne sont apparus à la connaissance de l'autorité de poursuite qu'au cours de l'enquête préliminaire diligentée du 13 décembre 2010 au 17 février 2011 révélant que le dossier de demande d'AMM contenait des expertises du docteur D..., copies notamment des travaux du professeur E... et de M. Jacques F... expurgés de la mention anorexigène ; que ces faits n'étaient donc pas prescrits le 18 février 2011, date du réquisitoire introductif ; que la lettre de trois médecins informant en 1998 la CNAMTS de la structure amphétamine et le mésusage du benfluorex était contredite la même année par les conclusions du CTPV qui constatait l'absence de données sur le caractère anorexigène et sur le mésusage ; que les faits d'escroquerie au préjudice de la CNAMTS et des mutuelles, à les supposer établis, résultent selon la prévention d'une manœuvre initiale puis d'un positionnement constant frauduleux consistant à dissimuler le caractère anorexigène ayant permis la délivrance puis le renouvellement de l'AMM, que cette attitude de déni forme un tout indivisible ; que cet ensemble de manœuvres est à l'origine du processus ayant déclenché les paiements successifs effectués par la CNAM et les mutuelles, que les faits se prescrivent à la date de la dernière remise ; que l'AMM ayant été retirée le 20 juillet 2010, le dernier remboursement a eu lieu au plus tard à cette date et les faits n'étaient pas prescrits le 2 août 2011, date du réquisitoire supplétif du chef d'escroquerie ;
" 1°) alors que le point de départ de prescription de l'action publique du chef de tromperie se situe au jour où l'infraction est constituée ; qu'il ne peut être reporté ultérieurement qu'en présence de dissimulations empêchant de connaître les actes reprochés ; qu'ayant relevé qu'en mai 1995, le centre de pharmacovigilance de Besançon avait été chargé par l'Agence du médicament d'une enquête sur le médiator en raison de sa parenté structurale avec les anorexigènes, qu'en octobre 1995, les anorexigènes étaient interdits dans les préparations magistrales, que la métabolisation du benfluorex en norfenfluramine était connue depuis la demande d'AMM en 1974, information reprise dans les rapports du CRPV de Besançon en 1998 puis dans la réponse aux questions de l'Agence du médicament du 28 juin 1999, et qu'en 1998, trois médecins avaient informé la CNAM du mésusage du médiator en tant qu'anorexigène, la chambre de l'instruction ne pouvait pas en déduire la dissimulation du caractère anorexigène pour reporter le point de départ du délai de prescription ; qu'en l'état de ces énonciations contradictoires, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision ;
" 2°) alors qu'en outre, le point de départ du délai de prescription de l'action publique du chef de tromperie ne peut être reporté postérieurement au jour où ce délit a pu être constaté dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique ; que l'Agence du médicament étant, en vertu de l'article L. 5121-23 du Code de la santé publique, l'autorité de police sanitaire responsable de la pharmacovigilance et de la sécurité des médicaments, est tenue à dénonciation dans les termes de l'article 40 du Code de procédure pénale ; que, dès lors, la constatation d'une infraction à la législation sanitaire est possible, dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique, dès la connaissance par cette dernière des actes reprochés ; qu'en reportant le point de départ du délai de prescription de l'action publique au moment de l'enquête préliminaire diligentée entre le 13 décembre 2010 et le 17 février 2011, tandis qu'elle avait relevé la connaissance par l'Agence du médicament des actes reprochés au plus tard en 1998, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision ;
" 3°) alors que, de même, l'escroquerie qui consiste dans l'emploi de manœuvres frauduleuses déterminantes de la remise, est une infraction instantanée dont le point de départ ne peut pas être reporté à la date à laquelle la partie poursuivante en a eu connaissance ; qu'en reportant le point de départ du délai de prescription de cette infraction en se fondant sur les manœuvres " consistant à dissimuler le caractère anorexigène " du médiator tandis qu'il résulte des énonciations de l'arrêt l'absence de dissimulation de ce caractère, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision ;
" 4°) alors que les articles L. 5122-6 et R. 5121-165 du Code de la santé publique interdisent aux laboratoires pharmaceutiques de communiquer toute information relative aux médicaments soumis à prescription médicale, et seule l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé dispose d'un monopole sur l'information d'un médicament ; que la chambre de l'instruction ne pouvait, sans méconnaître les dispositions précitées, déduire la dissimulation de l'absence de mention par les laboratoires Servier du caractère prétendument anorexigène du médiator ; qu'en se prononçant ainsi pour décider du report du point de départ de la prescription, la chambre de l'instruction n'a pas davantage justifié sa décision ;
" 5°) alors que le principe de sécurité juridique, d'accessibilité et de prévisibilité du droit interdit que les règles de droit plus sévères puissent s'appliquer à des faits commis antérieurement ; que la Cour européenne des droits de l'homme considère que la loi englobe tant le droit écrit que la jurisprudence ; qu'en conséquence, les nouvelles règles résultant d'un revirement de jurisprudence ne peuvent pas rétroagir aux faits commis antérieurement ; que le caractère clandestin de l'infraction de tromperie, qui n'a été exprimé que par une décision du 7 juillet 2005, ne pouvait pas s'appliquer aux faits de tromperie reprochés aux exposants et d'ores et déjà prescrits à cette date ; qu'en estimant le contraire, la chambre de l'instruction n'a pas donné de base légale à sa décision " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'au terme d'une enquête ordonnée le 13 décembre 2010 à la suite de plaintes relatives à l'implication du médicament Médiator, mis sur le marché par le groupe Servier, dans la survenance de valvulopathies et d'hypertensions artérielles pulmonaires, une information a été ouverte par réquisitoire introductif du 18 février 2011, contre personne non dénommée, des chefs, notamment, d'obtention indue d'autorisation, tromperie sur les qualités substantielles du Médiator avec mise en danger de la vie de l'homme ; que le juge d'instruction a été saisi, par réquisitoire supplétif du 2 août 2011, de faits d'escroquerie ; que les sociétés Les Laboratoires Servier, Laboratoires Servier industries, Servier, Oril industrie, Biofarma, Biopharma ont été mises en examen, le 21 septembre 2011 et le 19 septembre 2013, pour obtention indue d'autorisation, tromperie sur les qualités substantielles et sur les risques inhérents à l'utilisation du Médiator avec mise en danger de la vie de l'homme et escroquerie ; que la société Adir a été mise en examen, le 24 octobre 2013, pour complicité de prise illégale d'intérêts et corruption ; que, le 26 avril 2013, M. Jean-Philippe X..., directeur opérationnel du groupe Servier, a été mis en examen pour obtention indue d'autorisation, tromperie sur les qualités substantielles et sur les risques inhérents à l'utilisation du Médiator avec mise en danger de la vie de l'homme, escroquerie et trafic d'influence ; que l'ensemble des mis en examen ont déposé une requête tendant à voir constater la prescription de l'action publique qui a été rejetée par les juges d'instruction ;
Attendu que, pour confirmer l'ordonnance, l'arrêt retient que les faits de tromperie ne sont apparus à la connaissance de l'autorité de poursuite qu'au cours de l'enquête préliminaire diligentée du 13 décembre 2010 au 17 février 2011 révélant que le dossier de demande d'autorisation de mise sur le marché du benfluorex, principe actif du médicament Médiator, contenait des expertises expurgées de la mention anorexigène, et n'étaient donc pas prescrits le 18 février 2011, date du réquisitoire introductif ; que les juges ajoutent que les faits d'escroquerie qui résultent d'un ensemble de manœuvres étant à l'origine du processus ayant déclenché les paiements successifs effectués par la caisse nationale d'assurance maladie et les mutuelles, se prescrivent à compter de la date du dernier remboursement effectué correspondant à celle du retrait de l'autorisation de commercialisation, le 20 juillet 2010, et n'étaient donc pas prescrits à la date du réquisitoire supplétif du 2 août 2011 ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où il résulte que, d'une part, la prescription de la tromperie a couru du jour où celle-ci a pu être constatée dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique, d'autre part, la prescription de l'escroquerie a couru du jour de la dernière remise, et dès lors que le principe de non-rétroactivité ne s'applique pas à une simple interprétation jurisprudentielle, la chambre de l'instruction a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen, inopérant en sa quatrième branche, ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme, rejette le pourvoi.