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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 10 février 2016, n° 13-20058

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Entreprise Jan (SAS), Lehee Jan Maine Environnement (SAS)

Défendeur :

Herli France (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cocchiello

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Luc

Avocats :

Mes Boccon Gibod, Chereuil, Vallet Pamart, Ribeton

T. com. Rennes, du 27 juin 2013

27 juin 2013

FAITS ET PROCÉDURE

La société Jan et la société Lehee Jan Maine Environnement (LJME) sont spécialisées dans l'assainissement, la vidange, le curage, l'entretien et le nettoyage de canalisation des eaux potables et usées. Elles vendent des produits d'assainissement et assurent des prestations de nettoyage et désinfection.

La société Herli France vend divers produits de nettoyage, de désinfection des réservoirs et canalisation d'eau potable ainsi que des matériels spécifiquement conçus pour les utiliser. Elle les distribue elle-même sur le quart nord-est du territoire et utilise un réseau de distributeurs sur le reste du territoire.

Depuis 1992, la société Jan a distribué des produits Herli.

En 1999, la société Herli et la société Jan ont convenu de la distribution exclusive par la société Jan des produits de la société Herli sur un territoire représentant vingt-deux départements du Grand Ouest. L'accord a été étendu à la société LJME, contrôlée par la société Jan.

Les sociétés Jan et LJME ont été rachetées par le groupe Aeos en juin 2009.

La société Herli a envisagé de racheter les activités liées au traitement de l'eau potable des sociétés Jan et LJME ; des informations ont été données, des discussions ont eu lieu mais il n'y a pas eu de suite.

Dans le même temps, deux salariés de la société Jan et de la société LJME, MM. X et Y, quittaient leur employeur et créaient chacun une société, Pam et A3DN.

La société Herli a résilié l'accord de distribution le 12 septembre 2011 par lettre recommandée avec avis de réception ; la résiliation est devenue effective le 15 mars 2012.

Estimant que la société Herli a rompu les relations commerciales brutalement de façon déloyale pour travailler avec les sociétés Pam et A3DN, les sociétés Jan et LJME ont assigné par acte du 3 mai 2012 la société Herli devant le Tribunal de commerce de Laval qui, par jugement du 10 octobre 2012, s'est déclarée incompétent au profit du Tribunal de commerce de Rennes.

Par jugement du 27 juin 2013, le Tribunal de commerce de Rennes a :

Débouté les sociétés Jan et LJME de toutes leurs demandes,

Condamné les sociétés Jan et LJME à payer chacune la somme de 5 000 euro à la société Herli France par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

Débouté la société Herli France du surplus de ses demandes,

Condamné solidairement les sociétés Jan et LJME aux entiers dépens.

Les sociétés Entreprise Jan et Lehee Jan Maine Environnement (LJME) ont interjeté appel de ce jugement.

Vu les dernières conclusions du 24 novembre 2015 par lesquelles les sociétés Jan et LJME demandent à la cour au visa des articles 1134, 1147 et 1382 du Code civil, des articles L. 442-6 I 5° et D. 442-3 du Code de commerce, des articles 132, 135, 202, 699 et 700 du Code de procédure civile de :

Déclarer recevable et fondé l'appel interjeté par les sociétés Entreprise Jan et Lehee Jan Maine Environnement (LJME),

Y faisant droit,

Infirmer la décision entreprise, et statuant à nouveau,

Juger abusive la résiliation du contrat de distribution notifiée le 9 septembre 2011,

Dire insuffisante la durée du préavis, fixée unilatéralement à six mois,

Constater que la société Herli France s'est affranchie de ses obligations contractuelles, avant la résiliation et durant le préavis abrégé,

Dire qu'en ne respectant pas l'exclusivité consentie aux sociétés Jan et LJME, la société Herli France a commis une faute qui a préjudicié auxdites sociétés,

Dire et juger que les conséquences dommageables de cette résiliation abusive et des fautes qui l'ont précédée sont imputables à la société Herli France,

En conséquence,

Condamner la société Herli France à verser aux sociétés Jan et LJME, unies d'intérêts, une somme globale de 560 000 euro, à titre de dommages et intérêts, tous chefs de préjudices confondus,

Condamner la société Herli France à porter et payer aux concluantes la somme de 20 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamner la société Herli France aux entiers dépens,

Dire que les dépens d'appel pourront être recouvrés directement par la Selarl Lexavoué Paris-Versailles, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions du 16 novembre 2015 par lesquelles la société Herli demande à la cour de :

Déclarer les appelants aussi irrecevables que mal fondés en leur appel,

Confirmer la décision entreprise,

Constater le respect par la société Herli France SARL du préavis contractuel

Constater l'absence de faute de la société Herli France SARL

Débouter les sociétés Jan SAS et LJME SARL de leur demande de dommages et intérêts de 500 000 euro, et de toutes leurs demandes, fins et conclusions.

Condamner les sociétés Jan SAS et LJME SARL aux entiers dépens dont le recouvrement sera poursuivi par Maître Vallet-Pamart, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 24 novembre.

MOTIFS :

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies :

Considérant que les appelantes font valoir que la lettre du 30 novembre 1999 n'est pas une convention, qu'elles ne l'ont jamais acceptée, notamment la durée du préavis proposée par Herli laquelle est insuffisante tant en raison des circonstances de la rupture, notamment l'état de dépendance économique des entreprises évincées (l'activité provenant de l'accord de distribution représentait 37 % en 2010 et 39 % en 2011 du chiffre d'affaires de la société Jan) qu'en raison de la durée des relations commerciales ; que la brutalité de la rupture les a totalement désorganisées ; qu'en l'espèce, le préavis ne pouvait être inférieur à une année,

Qu'elles ajoutent que la société Herli s'était engagée à leur fournir exclusivement ses produits, qu'elle n'a pas respecté ses obligations de respecter l'exclusivité consentie en livrant en octobre 2011 des produits aux sociétés Pam et A3DN, alors que le contrat était en vigueur jusqu'au 15 mars 2012, que la société Herli a également organisé la reprise des territoires concédés pour exercer des activités de prestations grâce aux informations qu'elle avait obtenues grâce à l'offre de reprise qu'elle avait faite et par l'intermédiaire des anciens salariés des sociétés Jan et LJME, MM. X et Y,

Qu'elles exposent que l'activité réalisée postérieurement et l'analyse qu'en livre l'expert-comptable des sociétés révèlent les conséquences de cette rupture brutale qui devenait effective en pleine période d'activité des appelantes, les laissant sans stock pour achever les chantiers commandés, que deux années furent nécessaires pour trouver un palliatif aux produits Herli, ayant pu commencer à s'approvisionner auprès de la société Fabrinor au cours du premier trimestre 2013, sans que les difficultés accumulées entre temps ne soient pour autant résolues,

Considérant que la société Herli fait valoir qu'elle a envoyé à la société Jan un projet de convention en 1999 qui faisait suite à leurs accords de collaboration de 1992 et prévoyait que le contrat était à durée indéterminée et que le préavis pour y mettre fin était de six mois, que ce délai est suffisant et qu'elle l'a respecté, que la rupture des relations avec les appelantes n'a entraîné aucune conséquence puisque les sociétés Jan et LJME ont rapidement trouvé un autre fournisseur et ont pu écouler leur stock,

Qu'elle rappelle qu'elle avait fait part, un an auparavant, de son inquiétude quant à la poursuite de leurs relations, que la cession des sociétés Jan et LJME avait eu lieu au profit d'un groupe non spécialiste du traitement de l'eau, le groupe Aeos, qu'il y avait un désaccord sur la cession à la société Herli de l'activité " eau potable " que la société Jan ne voulait pas séparer de la prestation de services, que la société Jan n'avait plus de commerciaux stables et expérimentés,

Qu'elle conteste l'existence d'une collusion entre elle-même et les sociétés créées par les anciens salariés des appelantes qui n'exercent pas de prestations d'eau potable sinon à titre accessoire et auxquelles elle a vendu une quantité infime de produits tout en commissionnant les sociétés Jan et LJME sur ces ventes, qu'elle rappelle que les sociétés Jan et LJME n'avaient pas d'exclusivité pour ces prestations, qu'elle a repris pour son compte la zone concernée en embauchant un salarié, M. Z, à compter du premier mai 2012, que la modification de son Kbis est liée à la réalisation d'une prestation de services pour la désinfection des canalisations au Grand-Duché de Luxembourg,

Qu'elle rappelle enfin que les sociétés appelantes s'étaient constituées un stock en crédit fournisseur, qu'elles n'avaient plus payé la société Herli et ont été condamnées par la cour d'appel de Colmar selon arrêt du 12 février 2014 à lui payer les sommes de 60 070,06 euro (LJME) et 65 167,79 euro (Jan),

Mais considérant, selon les pièces versées que les parties entretenaient des relations depuis 1992 et qu'elles étaient liées depuis 1999 par un " projet " de contrat de distribution exclusive des produits Herli que la société Jan n'avait pas signé mais appliqué depuis lors ; que ce projet prévoyait un contrat à durée indéterminée, résiliable à tout moment moyennant un préavis d'une durée de six mois,

Que des interrogations avaient été suscitées après la vente des sociétés Jan et LJME au groupe Aeos, qui n'avait pas la même activité et que des difficultés dans la vente des produits (courrier STGS du 10 août 2010) ont été rencontrées, que la société Herli en faisait l'observation écrite à plusieurs reprises, le 4 mars 2010 et le 25 août 2010 aux deux sociétés et s'inquiétait du " turn-over " important des commerciaux, sans expérience en matière de traitement de l'eau,

Qu'après deux courriers d'interrogations et de demandes, le dernier du 25 août envisageant la fin des relations, la société Herli mettait fin par courrier du 9 septembre 2010 au contrat à l'issue d'un préavis de six mois,

Considérant que les courriers adressés par Herli pouvaient laisser douter de la pérennité des relations entre les parties ; que toutefois, il peut être recherché si, au regard des circonstances de l'espèce et de la durée des relations entretenues par les parties, la société Jan et la société LJME avaient un temps suffisant pour prendre les dispositions nécessaires dans les six mois de préavis dont elles disposaient ;

Considérant que la cour observe, comme l'a justement remarqué le tribunal de commerce, que l'activité dans laquelle les deux sociétés avaient une exclusivité était la vente de produits de nettoyage et de désinfection et non la prestation de services qui pouvait y être rattachée et que de nombreux autres produits de marque différente se trouvaient offerts sur le marché ; que par ailleurs, la part de chiffre d'affaires réalisée avec Herli ne traduisait pas leur état de dépendance à l'égard de celle-ci ; qu'il apparaît en l'espèce que la durée de six mois était suffisante pour pallier les inconvénients de la perte brutale de l'exclusivité de la vente des produits Herli ; que l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ne peut justifier une autre indemnisation que celle de la stricte brutalité et de ses conséquences immédiates sur l'activité de la société victime ; qu'en l'espèce, la durée de préavis exécutée était suffisante,

Considérant que le jugement doit être confirmé sur ce point,

Considérant encore que si les sociétés Jan et LJME ont fait valoir que la société Herli n'aurait pas respecté ses obligations durant le préavis en vendant aux sociétés Pam et A3DN des produits dont l'exclusivité était réservée aux deux sociétés appelantes, il n'est pas contesté que cela fut en quantité peu importante et surtout que la commission qui aurait été perçue par les appelantes sur ces ventes leur a été versée,

Considérant dès lors que le grief tiré du non-respect par la société Herli de ses obligations au cours du préavis ne peut être retenu, qu'il ne sera pas répondu aux développements sur le préjudice qui en résulterait,

Sur la concurrence déloyale :

Considérant que les appelantes exposent que les activités de concurrence déloyale auxquelles s'est livrée l'intimée notamment avec la complicité de Monsieur X ancien salarié de la société Jan et gérant de la société Pam, par la vente de produits à ce dernier, leur ont causé un préjudice, qu'en les privant de ces produits de nettoyage et désinfectant, la société Herli a porté atteinte à leur activité de négoce et à celle de prestations de services, que l'intimée se serait également livrée à des " captation d'informations " en faisant croire qu'elle voulait racheter l'activité " prestation " de la société Jan,

Mais considérant que, comme l'a remarqué le tribunal, si des manœuvres déloyales ont pu être constatées de la part de Monsieur X qui a été condamné par le tribunal correctionnel pour abus de confiance (il avait conservé le fichier des clients de la société Jan après son départ volontaire de la société), rien ne permet de juger que la société Herli en a été la complice ; qu'en lui vendant en octobre 2011 quelques produits dont elle a payé la commission aux appelantes, elle n'a pas commis d'actes de concurrence déloyale ; que de même, aucun élément, notamment la modification de son Kbis, ne démontre que la société Herli a, sous couvert d'un projet de rachat du service prestations de la société Jan, profité d'informations qu'elle a pu alors connaître et dont la pertinence lui aurait permis de développer des activités de prestations de services ; que dès lors, elles doivent être déboutées de leur demande fondée sur des faits de concurrence déloyale non établis ;

Considérant en définitive que le jugement sera confirmé dans son intégralité,

Par ces motifs LA COUR, Confirme le jugement, Condamne les sociétés Jan et LJME à payer à la société Herli la somme de 10 000 euro pour indemnité de frais irrépétibles engagés en appel, Condamne les sociétés Jan et LJME aux entiers dépens.