Cass. com., 16 février 2016, n° 14-25.340
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Trevillers cartonnages (SAS), Achat audit conseil (SARL)
Défendeur :
Abzac gestion (SA), Abzac (SA), Abzac packaging (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Darbois
Avocat général :
M. Debacq
Avocats :
SCP Lyon-Caen, Thiriez, SCP Waquet, Farge, Hazan
LA COUR : - Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ; Vu la communication faite au procureur général ; Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 18 juin 2014), rendu en matière de référé, que, faisant valoir qu'elles étaient victimes d'actes de concurrence déloyale du fait du développement et de la commercialisation d'un produit similaire à celui sur lequel elles détiennent un brevet, les sociétés Abzac packaging, Abzac gestion et Abzac (les sociétés Abzac) ont obtenu du président du tribunal de commerce de Bordeaux, statuant sur requête, des ordonnances désignant des huissiers de justice afin qu'ils se rendent dans les locaux occupés par la société de Trevillers cartonnages (la société de Trevillers) et la société Achat audit conseil (la société AAC) pour extraire des ordinateurs divers fichiers et l'ensemble des caractéristiques techniques du fût développé et commercialisé par ces sociétés sous la dénomination GFD ;
Sur le premier moyen : - Attendu que les sociétés de Trevillers et AAC font grief à l'arrêt de rejeter leur demande de rétractation des ordonnances et ainsi de rejeter l'exception d'incompétence soulevée alors, selon le moyen : 1°) que le président d'un tribunal de commerce saisi, sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile, de requêtes tendant à ce que soit ordonnées des mesures d'instruction in futurum n'est compétent pour ordonner les mesures sollicitées qu'à la condition d'être également compétent pour connaître de l'éventuelle instance au fond ; que les actions civiles et les demandes relatives aux brevets d'invention, y compris lorsqu'elles portent également sur une question connexe de concurrence déloyale, sont exclusivement portées devant des tribunaux de grande instance ; qu'en l'espèce, pour rejeter la demande de rétractation des sociétés AAC et de Trevillers, la cour d'appel a considéré que " si, dans la requête déposée, les sociétés composant le groupe Abzac font état régulièrement de l'existence d'un brevet portant sur le fût qu'elles produisent, elles ne font jamais état d'une contrefaçon concernant l'objet titulaire d'un brevet " ; qu'en se prononçant ainsi, tandis que, dans leur requête, les sociétés du groupe Abzac soutenaient expressément que le modèle de fût développé par la société de Trevillers était " une copie qui fait la synthèse de différents modèles de fût avec un corps type RFD ", et que " la société de Trevillers a développé et commercialisé un produit similaire à celui breveté par la société Abzac packaging ", se prévalant ainsi de la méconnaissance d'un brevet, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de cette requête et a violé l'article 1134 (sic), ensemble le principe interdisant au juge de dénaturer les éléments de la cause ; 2°) que le président d'un tribunal de commerce saisi, sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile, de requêtes tendant à ce que soit ordonnées des mesures d'instruction in futurum n'est compétent pour ordonner les mesures sollicitées qu'à la condition d'être également compétent pour connaître de l'éventuelle instance au fond ; que les actions civiles et les demandes relatives aux brevets d'invention, y compris lorsqu'elles portent également sur une question connexe de concurrence déloyale, sont exclusivement portées devant des tribunaux de grande instance ; qu'en l'espèce, les sociétés AAC et de Trevillers soulevaient une exception d'incompétence au profit du Tribunal de grande instance de Paris, en faisant valoir que les sociétés du groupe Abzac, dans leur requête à fin de constat, avaient demandé la communication des caractéristiques du fût conçu par la société de Trevillers, ce qui était en lien avec le brevet dont ces sociétés se prévalaient sur le fût conçu par la société Abzac packaging ; qu'en rejetant la demande de rétractation des sociétés AAC et de Trevillers, au motif que " le fait d'indiquer que les fûts qu'elles produisent font l'objet de brevets tant français qu'européens ne constitue qu'un élément objectif, élément qui n'est pas suffisant à lui seul pour établir que le litige se situe dans le contexte du droit de la propriété intellectuelle ", sans rechercher, comme elle y était invitée, si le fait, pour les société du groupe Abzac, de demander l'extraction des différents ordinateurs de la société de Trevillers et de la société AAC de " l'ensemble des caractéristiques techniques du fût développé et commercialisé par la société de Trevillers sous la dénomination GFD " était nécessairement une demande relative à un brevet, ce qui désignait le tribunal de grande instance comme seul compétent, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 145 du Code de procédure civile et L. 615-17 et L. 615-19 du Code de la propriété intellectuelle, dans leur rédaction applicable en la cause ;
Mais attendu que l'arrêt relève que si, dans la requête, les sociétés Abzac font état, à plusieurs reprises, de l'existence d'un brevet portant sur le fût qu'elles produisent, elles n'invoquent que des actes de concurrence déloyale auxquels elles seraient exposées, sans prétendre à la contrefaçon de ce brevet ; que de ces constatations, faisant ressortir que l'action au fond envisagée n'était pas relative à des droits de brevet, la cour d'appel, qui n'a pas méconnu les termes de la requête et qui a répondu, en les écartant, aux conclusions prétendument délaissées, a exactement déduit que le président du tribunal de commerce était compétent pour ordonner la mesure d'instruction sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen : - Attendu que les sociétés de Trevillers et AAC font grief à l'arrêt de rejeter leur demande de rétractation des ordonnances et ainsi de rejeter l'exception d'incompétence soulevée par la société AAC alors, selon le moyen, que le principe du non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle interdit au créancier d'une obligation contractuelle de se prévaloir, contre le débiteur de cette obligation, des règles de la responsabilité délictuelle ; que, lorsque le créancier se prévaut d'une méconnaissance par le débiteur de ses obligations contractuelles pour demander une mesure d'instruction in futurum, il doit respecter la clause attributive de compétence prévue dans le contrat qui les lie ; qu'en l'espèce, la société AAC faisait valoir à titre subsidiaire qu'elle était liée à la société Abzac gestion par un contrat d'assistance technique au transfert des achats stratégiques conclu le 13 juillet 2012 et que ce contrat comportait une clause attributive de juridiction désignant comme seul compétent, en cas de litige, le Tribunal de commerce de Libourne ; qu'elle soutenait que le présent litige trouvait sa source dans des manquements contractuels à son obligation de loyauté et de confidentialité, en sorte que seul le tribunal de commerce de Libourne pouvait connaître de demandes formées à son encontre ; qu'en se bornant à énoncer que les demandes des sociétés du groupe Abzac avaient un fondement délictuel, sans rechercher, comme elle y était invitée, si ces demandes, s'agissant de la société AAC, étaient fondées sur une méconnaissance par cette dernière de son obligation de loyauté et de confidentialité au titre du contrat conclu le 13 juillet 2012 et si, dès lors, seul ce contrat pouvait s'appliquer, y compris la clause attributive de compétence qui y était stipulée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1382 du Code civil, ensemble le principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle ;
Mais attendu que le président d'un tribunal de commerce saisi, sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile, de requêtes tendant à ce que soient ordonnées des mesures devant être exécutées dans le ressort de plusieurs tribunaux, est compétent pour ordonner les mesures demandées, à la condition que l'une d'entre elles doive être exécutée dans son ressort, sans qu'une clause attributive de compétence territoriale puisse être opposée à la partie requérante ; que l'arrêt relève que l'une des mesures ordonnées par les ordonnances susvisées devait être exécutée au siège de la société AAC, soit à Pessac, dans le ressort du Tribunal de commerce de Bordeaux ; que par ce motif de pur droit, substitué, après avertissement délivré aux parties, à ceux critiqués, la décision se trouve légalement justifiée ; que le moyen ne peut être accueilli ;
Et sur le troisième moyen :
Attendu que les sociétés de Trevillers et AAC font grief à l'arrêt de rejeter la demande de rétractation des ordonnances alors, selon le moyen, que le juge ne peut ordonner une mesure d'instruction sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile qu'à la condition que cette mesure constitue une " mesure d'instruction légalement admissible " au sens de ce texte ; que tel n'est pas le cas d'une demande visant en réalité à pratiquer une saisie-contrefaçon ; qu'en l'espèce, les sociétés AAC et de Trevillers faisaient valoir que la mesure de constat s'apparentait en réalité à une saisie-contrefaçon déguisée, puisqu'elle avait notamment pour objet d'obtenir les caractéristiques du fût développé par la société de Trevillers ; qu'en déboutant les sociétés AAC et de Trevillers de leur demande de rétractation, au seul motif que les fûts brevetés par les sociétés du groupeAbzac ne constituaient qu'un élément objectif insuffisant à établir que le litige se situait dans le contexte du droit de la propriété intellectuelle, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la requête à fin de constat, en ce qu'elle visait l'obtention de " l'ensemble des caractéristiques techniques du fût développé et commercialisé par la société de Trevillers sous la dénomination GFD ", ne pouvait avoir pour objet que de réaliser une saisie-contrefaçon, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 145 du Code de procédure civile et de l'article L. 615-5 du Code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu qu'ayant relevé que la requête invoquait des actes de concurrence déloyale, la cour d'appel n'était pas tenue de répondre aux conclusions inopérantes faisant état d'une saisie-contrefaçon déguisée, au seul motif que la mesure ordonnée visait à recueillir les caractéristiques techniques du fût litigieux ; que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi ;