CA Montpellier, 2e ch., 13 octobre 2015, n° 14-02534
MONTPELLIER
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Bernard Ker (SARL)
Défendeur :
Estrabols (SARL), Schneider Electric France (SAS), Midi Soft (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Olive
Conseillers :
M. Bertrand, Mme Ferranet
Avocats :
Mes Garrigue, Gasq, Vergnolle, Jegou, Pepratx Nègre, Chelkovski, Lasry
La SARL Estrabols exploite une imprimerie à Villeneuve-les-Béziers (34420). Suivant devis accepté de la SARL Bernard Ker, société d'informatique installée dans la même commune, qui a fait l'objet d'une facturation de 7 683,88 euro HT le 17 mars 2008, elle a commandé des travaux d'extension de son réseau informatique dans de nouveaux locaux. Ces travaux avaient été réceptionnés sans réserve le 19 février 2008.
Toutefois, quelques semaines après le début de l'exploitation, des déconnexions intempestives du réseau informatique ont été constatées, entraînant des pertes de temps pour le personnel de l'imprimerie. Malgré l'intervention de la SARL Bernard Ker, puis d'un autre prestataire informatique choisi par la société Estrabols, la SARL Midi Soft, il n'a pu être remédié à ce problème.
Un audit de toute l'infrastructure informatique a alors été réalisé par le société SNEF le 25 octobre 2010, préconisant notamment la mise à la terre de certains éléments, ce que fera la SARL Bernard Ker, sans qu'il soit mis fin aux déconnexions intempestives. L'intervention ultérieure de la SARL Prestasys, également choisie par la SARL Estrabols, n'a pu non plus résoudre ce problème technique jusqu'au 23 novembre 2011, date à laquelle il a été décidé de remplacer les noyaux de deux postes informatiques, retournés au fabricant, la SAS Schneider Electric.
Cette société a constaté, le 2 décembre 2011 que " des défauts de parallélisme des contacts peuvent provoquer des microcoupures " et elle a procédé, à ses frais, au remplacement de 196 noyaux, avec prise en charge de la main d'œuvre pour leur installation par la société Bernard Ker mais a refusé de prendre en charge le préjudice invoqué par la société Estrabols, invoquant l'incurie des autres prestataires de service.
La société Estrabols, avec les entreprises concernées, a alors sollicité une expertise amiable auprès de M. Marc Lafage, ingénieur électronicien, expert judiciaire, dont le rapport a été déposé le 12 juin 2013.
En lecture de ce rapport, la SARL Estrabols a assigné, par actes d'huissier délivrés le 18 juin 2013, la SARL Bernard Ker et la SASU Schneider Electric devant le Tribunal de commerce de Béziers, sollicitant leurs condamnations solidaires, au visa respectivement des articles 1134 du Code civil pour la première et 1641 et 1645 du Code civil pour la seconde, à lui payer les sommes suivantes :
45 900 euro au titre de la perte du chiffre d'affaires,
2 779,08 euro HT au titre des frais de dépannage exposés,
3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre le coût de l'expertise de M. Lafage et les dépens.
Par acte d'huissier délivré le 25 octobre 2013, la SARL Bernard Ker a assigné en intervention la SARL Midi Soft, sollicitant d'être relevée et garantie par celle-ci des condamnations pouvant être prononcées à son encontre dans cette instance.
Le 30 décembre 2013 elle a fait assigner la SAS Schneider Electric France (ci-après dénommée SEF) pour la voir condamner à la relever et garantir des condamnations pouvant être prononcées contre elle au profit de la SARL Estrabols.
Par jugement contradictoire prononcé le 17 mars 2014, le Tribunal de commerce de Béziers a notamment :
débouté la SARL Estrabols de ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de la société Schneider Electric Manufacturing Bourguebus, assignée bien qu'elle n'ait été ni le vendeur, le fabricant ou le fournisseur des connecteurs litigieux,
condamné la SARL Estrabols à payer à la société Schneider Electric Manufacturing Bourguebus la somme de 2 500 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile,
débouté la SARL Bernard Ker de toutes ses demandes à l'encontre de la SARL Midi Soft et l'a condamnée à payer à cette dernière une somme de 2 500 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile,
dit et jugé l'action de la SARL Bernard Ker à l'encontre de la SAS Schneider Electric France prescrite, en application de l'article 1648 du Code civil, et l'a condamnée à payer à cette dernière une somme de 2 500 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile,
dit et jugé que la SARL Bernard Ker devait garantir la SARL Estrabols et condamné en conséquence la société Bernard Ker à payer à la société Estrabols une somme de 37 204,08 euro en réparation de son préjudice économique, constitué par la perte de marge commerciale (75 %) sur le chiffre d'affaires perdu, outre une somme de 2 500 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise de M. Lafage,
rejeté les autres demandes des parties.
Par déclaration au greffe de la Cour d'appel de Montpellier parvenue le 3 avril 2014, la SARL Bernard Ker a interjeté appel de ce jugement, intimant la SARL Estrabols, la SARL Midi Soft, la SAS Schneider Electric France.
Dans ses dernières conclusions transmises au greffe le 19 août 2015, la SARL Bernard Ker soutient notamment que :
elle a exécuté un contrat d'entreprise avec fourniture, dans le cadre du lot électricité courant faible des travaux d'extension du réseau informatique de la SARL Estrabols et non un contrat de vente, ce qui exclut qu'elle soit tenue à la garantie des vices cachés pouvant avoir affecté la chose fournie accessoirement à sa prestation de service, s'agissant en outre de réseaux informatiques immatériels,
elle ne peut donc être recherchée qu'au titre de sa responsabilité contractuelle, en cas de faute prouvée à son égard, ayant causé le dommage dont la réparation est poursuivie,
aucune faute ne peut lui être reprochée, le vice caché qui affectait le matériel fabriqué par la société Schneider était indécelable lors de la mise en œuvre de celui-ci et aucune erreur d'installation des câblages informatiques ne lui est imputée, pas plus qu'il ne peut lui être reproché de n'avoir pu identifier la cause des problèmes techniques, que plusieurs professionnels de l'informatique n'ont pas non plus découverte,
le remplacement des noyaux défectueux et la prise en charge du coût de ces travaux par la société SEF constituent une reconnaissance de responsabilité de la part de ce fournisseur, excluant la responsabilité contractuelle de la SARL Bernard Ker,
subsidiairement, l'entrepreneur assigné par le maître de l'ouvrage en garantie des vices cachés affectant la chose vendue, voit son délai d'action récursoire en garantie des vices cachés envers le vendeur ou le fabricant de cette chose, courir à compter de l'assignation et non de la livraison ou de la connaissance du vice, soit en l'espèce à compter du 18 juin 2013, ce qui exclut la prescription biennale appliquée à son assignation en garantie délivrée le 30 décembre 2013,
la reconnaissance de responsabilité par la société SEF, le 2 décembre 2011, a interrompu le délai d'action en garantie des vices cachés, conformément aux dispositions de l'article 2240 du Code civil,
le délai de forclusion de deux ans est interrompu par des pourparlers, en application de l'article L. 212-6 du Code de la consommation et, en toute hypothèse le délai de prescription est suspendu à compter du jour où les parties conviennent de recourir à la médiation ou à la conciliation,
plus subsidiairement, elle est recevable à exercer une action en responsabilité contractuelle de droit commun envers la société SEF, qui ne lui a pas délivré une chose conforme à l'usage auquel elle était destinée, action qui peut être exercée dans un délai de 5 ans à compter de sa mise en cause, par application de l'article 2224 du Code civil ou L. 110-4 du Code de commerce,
en outre la prescription ne court pas à l'encontre d'une partie qui se trouvait dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure, en application de l'article 2234 du Code civil,
enfin, à titre plus subsidiaire, la société SEF a engagé sa responsabilité contractuelle sur le fondement de l'article 1147 du Code civil en livrant un matériel non conforme,
elle est fondée à appeler en garantie la SARL Midi Soft, qui n'a pas permis de découvrir le vice caché dans le délai permettant d'agir contre le fabricant, caractérisant une faute délictuelle à son égard (150 semaines de recherches vaines alors que la société Prestasys l'a découvert en 4 semaines), même si l'expert considère que sa faute n'a pas été prépondérante dans la réalisation du dommage du fait de la durée des désordres,
le montant des dommages est exagéré, en l'absence d'expertise comptable du préjudice commercial et le coût du dépannage (2 779,08 euro HT) doit être supporté par les prestataires informatiques défaillants, qui doivent la relever et garantir, le cas échéant.
Elle sollicite en conséquence l'infirmation du jugement déféré et :
le rejet des prétentions de la SARL Estrabols à son égard,
subsidiairement la réduction du montant de ses demandes,
plus subsidiairement, dans l'hypothèse extraordinaire où elle serait condamnée, la condamnation de la société Schneider Electric France à la relever et garantir des condamnations prononcées contre elle, au visa de l'article 1641 du Code civil ou de l'article 1147 du Code civil,
la condamnation de la SARL Midi Soft à la relever et garantir des condamnations prononcées contre elle, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil,
la condamnation " in solidum " des sociétés Schneider Electric France et Midi Soft à la relever et garantir des condamnations prononcées contre elle,
très subsidiairement, la confirmation du jugement déféré sur le montant des demandes de dommages et intérêts,
la condamnation de la partie succombante à lui payer une somme de 3 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
Dans ses conclusions n°2 transmises au greffe de la cour le 29 juillet 2015, la SARL Estrabols sollicite notamment :
la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a dit que la société Bernard Ker devait la garantir et lui payer une somme de 2.500 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que les dépens et frais d'expertise,
son infirmation pour le surplus et par voie d'appel incident :
* la condamnation solidaire de la SARL Bernard Ker et de la société Schneider Electric France à lui payer une somme de 45 900 euro à titre de réparation de son préjudice commercial et celle de 2 779,08 euro HT pour les frais de dépannage, sur le fondement de l'article 1641 du Code civil ou subsidiairement sur celui de l'article 1147 du Code civil, considérant que la SARL Bernard Ker était tenue par une obligation de résultat, dès lors qu'elle avait la maîtrise totale du matériel installé et de l'opération réalisée, et que la société SEF avait manqué à son devoir d'information et de conseil alors qu'elle savait que certains de ses connecteurs étaient défectueux,
* la condamnation de la partie succombante aux dépens d'appel et à lui payer une somme de 3 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Dans ses conclusions transmises au greffe le 14 octobre 2014 la SAS Schneider Electric France (SEF) sollicite :
à titre principal, la confirmation du jugement déféré, ayant retenu la prescription des demandes dirigées contre elle, acquise le 2 décembre 2013 vis-à-vis de la SARL Bernard Ker, 2 ans après la réception du mail du 2 décembre 2011 et le 12 décembre 2013 vis-à-vis de la SARL Estrabols, 2 ans après la transmission de ce mail qui lui a été faite,
à titre subsidiaire, le rejet de ces demandes, mal fondées en l'absence de preuve de sa responsabilité contractuelle,
plus subsidiairement, la limitation de sa part de responsabilité à 10 % maximum et le rejet des préjudices de la SARL Estrabols, qui ne sont pas justifiés,
la condamnation de toute partie succombante à lui payer une somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
Dans ses dernières conclusions transmises au greffe le 18 août 2014, la SARL Midi Soft conclut à la confirmation du jugement déféré, ayant débouté la société Bernard Ker de son action en responsabilité dirigée contre elle et subsidiairement, elle sollicite d'être relevée et garantie des condamnations susceptibles d'être prononcées contre elle par la société Schneider Electric France, responsable du vice caché ayant affecté les noyaux des connecteurs, à l'origine du dommage.
Elle sollicite la condamnation de tout succombant à lui payer une somme de 3 500 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 août 2015.
Motifs :
Sur la procédure :
La cour n'est pas saisie d'un recours contre la décision de mise hors de cause de la SASU Schneider Electric Manufacturing Bourguebus, assignée à tort devant le Tribunal de commerce de Béziers le 18 juin 2013, qui est donc définitive.
Sur la prescription :
A titre principal la SARL Estrabols sollicite la condamnation solidaire, pour vice caché ayant affecté l'extension de son réseau informatique, de la SARL Bernard Ker, vendeur et installateur du câblage informatique et de la SAS Schneider Electric France, qui a fabriqué et vendu le matériel défectueux, du fait d'un défaut d'alignement des contacteurs des noyaux, à l'origine des pannes selon l'expert.
Ces parties lui opposent la prescription biennale de ses actions, en application des dispositions de l'article 1648 du Code civil, selon lequel l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice.
En l'espèce la découverte du vice caché a eu lieu, pour la SARL Estrabols, le 12 décembre 2011, lorsque la SARL Bernard Ker l'a informée par écrit de la teneur d'un mail que lui avait adressé la société Schneider Electric le 2 décembre 2011, où le fabricant reconnaissait avoir constaté " des défauts de parallélisme des contacts pouvant provoquer des microcoupures " et offrait de remplacer gracieusement les 196 noyaux existants sur le système, ainsi que de payer le coût de cette réparation, devant être effectuée par la SARL Bernard Ker (pièce n° 11).
Le fait que la SARL Prestasys ait soupçonné l'existence d'un vice caché affectant les noyaux dès le 23 novembre 2011, lorsqu'elle a adressé ce matériel à la société Schneider Electric France pour qu'elle le vérifie, ne caractérise pas en effet la découverte du vice caché.
Il s'ensuit que l'action en garantie des vices cachés de la SARL Estrabols devait être engagée tant vis-à-vis de son vendeur, la SARL Bernard Ker, que contre le fabricant, en sa qualité de sous-acquéreur des matériels informatiques comportant un vice caché, avant le 13 décembre 2013.
L'assignation introductive d'instance ayant été délivrée à la SARL Bernard Ker le 18 juin 2013, l'action n'est pas prescrite à son égard. Par contre l'assignation en garantie de la SAS Schneider Electric France n'ayant été délivrée par la SARL Bernard Ker, que le 30 décembre 2013, et seulement par conclusions ultérieures par la SARL Estrabols, au titre de son action directe, cette action directe est prescrite.
En effet il importe peu qu'une précédente assignation ait été délivrée dans le délai de deux ans, le 18 juin 2013, mais par erreur à une société distincte et indépendante de celle qui a fabriqué et vendu le matériel entaché de vice caché, à savoir la SASU Schneider Manufacturing Bourguibus, mise hors de cause dans le jugement déféré à la cour.
Concernant l'interruption alléguée par la SARL Estrabols du délai de la forclusion de l'action en garantie pour vice caché, du fait de la reconnaissance de responsabilité de la société SEF dans son mail du 2 décembre 2011, en application de l'article 2240 du Code civil, faisant courir un nouveau délai de 2 ans, ce moyen est dépourvu de pertinence puisque la découverte du vice, point de départ du délai de prescription coïncide en l'espèce avec la reconnaissance de responsabilité du fabricant. Il est par ailleurs inexact de soutenir que cette reconnaissance de responsabilité a entraîné une interversion des délais de prescription, au profit d'un délai de droit commun de 5 ans. L'article 2231 du Code civil dispose en effet que l'interruption efface le délai de prescription acquis et fait courir un nouveau délai de même durée que l'ancien.
Cela n'entraîne donc pas la recevabilité de l'action directe mise en œuvre après le 30 décembre 2013 par la SARL Estrabols contre le fabricant, le délai biennal étant écoulé depuis le 12 décembre 2013.
Concernant la suspension du délai de prescription, ou de forclusion, par application de l'article 2238 du Code civil, également invoquée, le Tribunal de commerce de Béziers a relevé exactement que la désignation d'un expert technicien, M. Lafage ingénieur et expert judiciaire, à titre amiable afin de rechercher les causes et conséquences des pannes informatiques, y compris pour évaluer les préjudices subis par la SARL Estrabols, ne constituait en l'occurrence ni une médiation ni une conciliation. En effet ce dernier n'avait notamment pas reçu mission de leur part de tenter de rapprocher les parties pour trouver une solution au litige et n'exerçait pas non plus les fonctions de médiateur ou conciliateur judiciaire.
Pour ce qui concerne la prescription de l'appel en garantie par la SARL Bernard Ker, vendeur intermédiaire, au titre de l'action en garantie des vices cachés exercée contre elle par la SARL Estrabols, acquéreur, et dirigée contre la SAS Schneider Electric France, il est de principe, ainsi que l'a rappelé la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans son arrêt du 22 mai 2012, que le délai de prescription de deux ans ne court à son égard qu'à compter de son assignation au fond par l'acquéreur. Il s'ensuit que la SARL Bernard Ker, assignée au fond par la SARL Estrabols le 18 juin 2013, est recevable dans son appel en garantie de la SAS Schneider Electric France assignée en intervention le 30 décembre 2013.
Sur la demande principale :
Sur l'action en garantie des vices cachés :
Pour contester devoir sa garantie au titre des vices cachés qui affectaient les noyaux des systèmes informatiques qu'elle avait vendus et installés à la SARL Estrabols, la SARL Bernard Ker soutient que son contrat portant sur le lot " électricité courants faibles " des travaux d'extension du réseau informatique était un contrat d'entreprise, la vente des matériels n'étant qu'accessoire à sa prestation et qu'elle ne relève pas des dispositions des articles 1641 et suivants du Code civil, en conséquence.
Mais pour ce qui concerne la nature du contrat conclu entre la SARL Estrabols et la SARL Bernard Ker, compte-tenu notamment du montant du matériel fourni (5 083,88 HT) en regard du coût, inférieur de près de la moitié, de la prestation de service d'installation de ce matériel (2 600 euro HT) dans la convention des parties, l'installation n'était que l'accessoire de la vente. Il convient donc de retenir en ce cas la qualification unique de contrat de vente, prestation essentielle dans l'accord des parties, ainsi que l'a rappelé la 3e Chambre civile de la Cour de cassation dans son arrêt du 8 juin 2010.
Contrairement aussi à ce que soutient la SARL Bernard Ker, l'installation de matériel de câblage d'un réseau informatique, même s'il comporte aussi des logiciels, ne peut être qualifié d'immatériel, insusceptible de faire l'objet d'un contrat de vente.
Ce moyen doit être rejeté et l'action en garantie des vices cachés accueillie à l'encontre de la SARL Bernard Ker.
L'existence d'un vice caché qui affectait le matériel informatique installé en réseau par la SARL Bernard Ker est établi tant par la reconnaissance de responsabilité de la SAS Schneider Electric France, son fabricant, dans le mail susvisé du 2 décembre 2011, dont la SARL Bernard Ker a toujours admis le bien-fondé, au point d'assurer elle-même les travaux de changement de ces matériels financés par la société Schneider, que par le rapport d'expertise amiable, contradictoire entre toutes les parties, de M. Lafage.
L'expert Lafage a conclu son expertise comme suit :
" Un défaut sur la première série de noyaux fournis par Schneider Electric et installés par Bernard Ker, est à l'origine des déconnexions intempestives observées par Estrabols sur son réseau informatique d'avril 2008 à décembre 2011.
Les désordres qui en ont résulté ont affecté plusieurs postes de l'installation, indifféremment dans les anciens locaux et dans l'extension.
Ces désordres " affectant le travail d'imprimerie et rendant de fait l'ouvrage impropre à sa destination " sont de nature décennale.
L'origine des désordres identifiée par Prestasys à partir du 23/11/2011 a été confirmée par Schneider Electric le 2/12/2011 comme provenant d'un défaut d'alignement des contacts de ces noyaux.
Ce défaut " qui existait dès l'origine " relève du vice caché.
Schneider a immédiatement fourni des noyaux d'une série plus récente et financé les frais de recâblage par Bernard Ker, remédiant ainsi aux désordres de manière définitive.
Les préjudices pour l'imprimerie Estrabols s'élèvent à :
* 45 900 euro d'estimation de perte de chiffre d'affaires, étalée sur 3 ans,
* 2 779,08 euro de frais de recherche de panne. "
Par ailleurs et quelles que soient les réserves de forme employées par le représentant de la SAS Schneider Electric France dans son mail du 2 décembre 2011 (" sans préjuger d'autres sources de dysfonctionnement, nous vous proposons de contribuer à l'élimination des risques liés aux connecteurs ") ou durant l'expertise amiable en réfutant la responsabilité des déconnexions, il est constant que les noyaux qu'elle a démontés comportaient bien un défaut d'écartement au niveau des contacteurs, provoquant des microcoupures du réseau informatique, comme celles constatées sur le réseau étendu de la SARL Estrabols. Il résulte aussi des pièces versées aux débats et des écritures des parties qu'aucune autre cause technique n'a été trouvée ni même proposée par quiconque. Il est par ailleurs constant aussi dans les écritures des parties que depuis le changement des 196 noyaux fournis par la SAS Schneider Electric France, les pannes ont disparu, ce qui établit clairement la cause des dysfonctionnements constatés sur ce réseau.
La cour relève aussi que les contestations tardives de la SAS Schneider Electric France quant à sa responsabilité pour vices cachés sont d'autant moins pertinentes qu'elle avait la possibilité, lors du changement des 196 noyaux qu'elle a financés, d'expertiser ceux-ci pour établir s'ils étaient ou non affectés d'un vice caché comme les trois premiers soumis à son examen, ce qu'elle n'a pas fait et qui ne peut plus être réalisé désormais, les noyaux n'ayant pas été conservés.
Cette malfaçon affectant les contacteurs des noyaux était cachée, seule l'intervention technique du fabricant pour les démonter l'ayant révélée et elle préexistait à la vente des matériels, aucune cause d'usure n'étant établie ni même invoquée pour expliquer son existence. D'autre part les pannes aléatoires sont survenues dès les premières semaines qui ont suivi l'installation de l'extension du réseau informatique, sans qu'aucune cause étrangère ne soit non plus justifiée, de nature à expliquer cette apparition soudaine.
Il convient donc, en application des articles 1641 et 1645 du Code civil de condamner la SARL Bernard Ker, vendeur professionnel, à payer à la SARL Estrabols des dommages et intérêts compensant son préjudice financier, étant relevé que l'intervention corrective financée par la SAS Schneider Electric France a réparé le réseau informatique et qu'il n'y a plus de préjudice matériel restant à indemniser de ce chef, hormis la somme de 2 779,08 euro HT, correspondant au coût des 8 factures d'interventions de recherche de panne et dépannage sollicitées inutilement auprès des sociétés Midi Soft, Prestasys et Bernard Kerr, vérifiées par l'expert. En effet la SARL Estrabols a choisi de ne réclamer que des dommages et intérêts, plutôt que la restitution ou la réfaction du prix de vente des matériels atteints de vice caché, comme elle en avait la faculté.
Le fait, allégué par la SAS Schneider Electric France, que ces interventions inutiles traduiraient l'incompétence technique des intervenants et devraient rester à leur charge n'est nullement établi par les observations de l'expert Lafage. D'autre part elle n'est pas fondée à invoquer sa propre faute, consistant à avoir fourni du matériel défaillant, atteint de vice caché, pour reprocher à ces sociétés de n'avoir pas su trouver l'origine des pannes ainsi provoquées par sa faute exclusive.
Il y a lieu également de condamner la SAS Schneider Electric France à relever et garantir la SARL Bernard Ker de cette condamnation, provenant de la garantie des vices cachés dont elle était tenue sur son matériel revendu à la SARL Estrabols.
En conséquence la SARL Bernard Kerr est condamnée à payer à la SARL Estrabols, en réparation de son préjudice matériel la somme de 2 779,08 euro HT et la SAS Schneider Electric France est condamnée à la relever et garantir de cette condamnation.
Sur le préjudice financier indemnisable :
La SARL Estrabols, imprimeur, a vu son activité perturbée par l'existence de nombreuses coupures du fonctionnement de son réseau informatique, interrompant le travail de ses salariés et perturbant les délais de réalisation des travaux commandés par ses clients, ainsi que l'a exposé l'expert Lafage dans son rapport. Ce trouble dans les conditions d'exploitation de l'entreprise a perduré entre le 3 avril 2008 et le 29 décembre 2011, date de facturation de la fin des travaux de réparation du réseau informatique par la SARL Bernard Ker, avec les matériels fournis par la SAS Schneider Electric France, soit durant 3 ans et 8 mois et trois semaines.
La SARL Estrabols sollicite l'indemnisation d'un préjudice commercial par l'allocation d'une somme correspondant au coût du travail exposé en vain, qu'elle évalue à 60 euro par heure, pour l'ensemble de ses 24 postes informatiques, sur la base de 5 heures perdues par jour x 51 semaines/an soit 255 heures annuelles x 3 ans = 45 900 euro HT.
Il s'agit d'un calcul théorique estimé, sur la base d'une perte évaluée à 5 heures d'activité de l'ensemble de l'entreprise par semaine ouvrée durant 36 mois, soit 9 minutes par jour, par salarié concerné, qui résulte des déclarations de la SARL Estrabols et des constats, occasionnels, des réparateurs intervenus ponctuellement. Il est en effet acquis qu'aucune panne prolongée n'a affecté le réseau, celui-ci redémarrant normalement entre les coupures accidentelles.
La comptabilité complète de la SARL Estrabols n'est toujours pas produite par cette société, malgré les observations critiques pertinentes sur ce point du Tribunal de commerce de Béziers dans son jugement déféré, qui a cependant pu indiquer notamment les chiffres d'affaires et achats des exercices 2010 et 2011. Elle n'a pas non plus été communiquée à l'expert. Il convient donc d'indemniser le préjudice économique subi par la SARL Estrabols, calculé en fonction de la perte de marge brute d'exploitation correspondant, seule, à la réparation intégrale de son préjudice. Ceci déduction faite sur le chiffre d'affaires des coûts non exposés du fait de la réduction alléguée des contrats exécutés durant cette période, par manque de productivité des salariés. Au vu des chiffres d'affaires réalisés, du total des achats et de la marge commerciale pour les années 2010 et 2011, relevés par le Tribunal de commerce de Béziers dans son jugement, chiffres exempts de critiques particulières des parties quant à leur exactitude, il est dû la somme de 34 425 euro correspondant à 75 % du chiffre d'affaires non réalisé évalué en fonction des pertes de productivité engendrées, sur la base de 60 euro de prix de vente horaire, évaluation qui n'est pas contredite par les éléments versés aux débats par les parties.
La SAS Schneider Electric France soutient que le préjudice financier ne peut être supérieur à 60 % du prix de vente horaire moyen, ce qui correspondrait au salaire horaire avec les charges, mais elle procède ainsi par simple affirmation, rien ne venant corroborer cette affirmation.
La SARL Bernard Ker est donc condamnée à payer à la SARL Estrabols la somme de 34 425 euro en réparation du préjudice financier subi, condamnation dont elle sera relevée et garantie par la SAS Schneider Electric France.
Sur l'action en responsabilité contractuelle de la SARL Estrabols :
A titre subsidiaire, la SARL Estrabols sollicite la condamnation directe et solidaire avec la SARL Bernard Ker de la SAS Schneider Electric France, au motif qu'elle aurait manqué à son obligation d'information et de conseil, engageant ainsi sa responsabilité contractuelle de vendeur professionnel.
Mais n'étant pas elle-même contractante avec la SAS Schneider Electric France, la SARL Estrabols n'est pas fondée à invoquer un manquement à son égard des obligations contractuelles de la SARL Schneider Electric France.
Bien qu'elle ne l'indique pas clairement dans ses conclusions, ambiguës à cet égard, elle apparaît invoquer aussi ce manquement contractuel à l'égard de la SARL Bernard Ker et prétendre que cette faute contractuelle lui cause son préjudice, ainsi réparable par application de l'article 1382 du Code civil, qu'elle vise aussi dans le dispositif de ses conclusions.
Mais ce moyen est aussi mal fondé, rien ne permettant de retenir que le vice caché affectant les noyaux vendus était connu par la SAS Schneider Electric France lors de cette vente, en avril 2008, date à laquelle elle était débitrice de son obligation d'information et de conseil à l'égard de la SARL Bernard Ker, sa cliente. Le fait qu'un responsable de la société Schneider Electric France ait déclaré le 12 décembre 2011 avoir eu connaissance de problèmes techniques similaires survenus à cette période sur un autre site (page 10 du rapport d'expertise) ne caractérise aucun manquement contractuel imputable à cette société, laquelle avait, dès le 2 décembre 2011, reconnu son obligation de garantie et pris en charge le coût des réparations du réseau informatique de la SARL Estrabols.
Il convient donc de rejeter également cette action de la SARL Estrabols dirigée contre la SAS Schneider Electric France, sur ce fondement.
Sur l'appel en garantie de la SARL Midi Soft :
La SARL Bernard Ker sollicite la condamnation de la SARL Midi Soft à la relever et garantir des condamnations encourues par elle envers la SARL Estrabols, en invoquant une faute délictuelle qu'elle aurait commise en étant incapable de déceler l'origine des pannes informatiques, ce qui a contribué à accroître la durée des troubles subis et donc l'importance du préjudice indemnisable, alors que la société Prestasys n'a mis que quatre semaines à trouver l'origine de cette panne.
Elle s'appuie sur une phrase de l'expert Lafage déclarant qu'à son avis il ne fallait pas " retenir à l'encontre de Midi Soft une part prépondérante de responsabilité dans la durée des désordres. "
Mais cet appel en garantie est mal fondé, la cour relevant que :
la SARL Midi Soft n'avait pas de contrat et donc aucune obligation contractuelle de moyen, et encore moins de résultat, envers la SARL Bernard Ker, quant à l'efficacité de ses interventions techniques de dépannage de la SARL Estrabols,
le fait de ne pas avoir trouvé l'origine des dysfonctionnements informatiques qui résidaient dans un vice caché du matériel fourni par la SAS Schneider Electric France que la SARL Bernard Ker qualifie elle-même dans ses conclusions d' " absolument indécelable au moment de la mise en œuvre " (page 6), difficulté de diagnostic confirmée part l'expert Lafage dans son rapport, ne caractérise pas une faute imputable à la SARL Midi Soft, alors même que la SARL Bernard Ker est aussi intervenue, tout aussi vainement, pour cette recherche, ainsi qu'en atteste sa facture du 1er juin 2011 adressée à la SARL Estrabols,
la SARL Midi Soft est par ailleurs bien fondée à relever que ses multiples interventions correctives antérieures à celle de la SAS Prestasys ont permis de résoudre des problèmes techniques annexes et aussi de procéder par élimination quant aux causes possibles des dysfonctionnements, facilitant ainsi la tâche de la société Prestasys, qui a pu trouver la panne en un mois d'intervention.
Il y a donc lieu, confirmant de ce chef le jugement déféré, de débouter la SARL Bernard Ker de son appel en garantie dirigé contre la SARL Midi Soft.
Sur les frais de procédure et les dépens :
Il y a lieu de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné :
la SARL Bernard Ker à payer à la SARL Midi Soft la somme de 2 500 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile, cet appel en cause étant mal fondé,
à la SARL Estrabols la somme de 2 500 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi que les dépens de première instance et les frais d'expertise amiable de M. Lafage.
Par contre le jugement doit être réformé en ce qu'il a condamné la SARL Bernard Ker à payer la somme de 2 500 euro à la SAS Schneider Electric en application de l'article 700 du Code de procédure civile et rejeté l'appel en garantie de la SARL Bernard Ker envers la SARL Schneider Electric France au titre des frais irrépétibles de la procédure alloués à la SARL Estrabols et des dépens de première instance.
Il convient donc, infirmant partiellement ce jugement, de condamner la SAS Schneider Electric France à relever et garantir la SARL Bernard Ker de sa condamnation à payer à la SARL Estrabols la somme de 2 500 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile et de sa condamnation aux dépens de première instance et à prendre en charge les frais de l'expertise amiable, qui a contribué à la solution du litige.
Les dépens d'appel sont mis à la charge de la SARL Bernard Ker, qui succombe, mais elle en sera relevée et garantie par la SAS Schneider Electric.
Au titre des frais de procédure exposés en appel il y a lieu d'allouer à :
la SARL Estrabols la somme supplémentaire de 1 000 euro,
la SARL Midi Soft la somme supplémentaire de 1 000 euro,
que devra leur payer la SARL Bernard Ker et dont elle sera relevée, uniquement en ce qui concerne la somme allouée à la SARL Estrabols, par la SAS Schneider Electric France.
Par ces motifs : LA COUR, Statuant, publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Vu les articles 6, 9 et 122 du Code de procédure civile, Vu les articles 1134, 1147, 1315, 1382, 1641 et 1648 du Code civil, Constate que les parties n'ont pas remis en cause les décisions du Tribunal de commerce de Béziers dans son jugement du 17 mars 2014 mettant hors de cause la société Schneider Electric Manufacturing Bouguibus et condamnant la SARL Estrabols à payer à celle-ci la somme de 2 500 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile, Infirme le jugement du Tribunal de commerce de Béziers prononcé le 17 mars 2014, mais seulement en ce qu'il a : dit et jugé l'action de la SARL Bernard Ker à l'encontre de la SAS Schneider Electric France prescrite, rejeté les demandes de garantie de la SARL Bernard Ker à l'encontre de la SAS Schneider Electric France au titre des dépens et de l'article 700 du Code de procédure civile, condamné la SAS Bernard Ker à payer à la SAS Schneider Electric France la somme de 2 500 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile, Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant : - Déclare irrecevable comme prescrite l'action en garantie des vices cachés exercée par la SARL Estrabols à l'encontre de la SAS Schneider Electric France, - Déboute la SARL Estrabols de son action en responsabilité contractuelle envers la SAS Schneider Electric France, ainsi que de son action en responsabilité délictuelle fondée sur une faute contractuelle envers la SARL Bernard Ker, - Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription alléguée de l'action en garantie des vices cachés exercée par la SARL Estrabols envers la SARL Bernard Ker, et celle invoquée par la SAS Schneider Electric France envers la SARL Bernard Ker, - Condamne la SAS Schneider Electric France à relever et garantir la SARL Bernard Ker de toutes les condamnations prononcées contre elle au profit de la SARL Estrabols, en première instance comme en appel, Confirme le jugement entrepris pour le surplus, Condamne la SARL Bernard Ker aux dépens de première instance, outre les frais d'expertise de M. Lafage, et d'appel et à payer à la SARL Estrabols, la somme supplémentaire de 1 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SAS Schneider Electric France à relever et garantir la SARL Bernard Ker de ces condamnations au titre des dépens, frais d'expertise et allocation de frais irrépétibles de la procédure à la SARL Estrabols, Condamne la SARL Bernard Ker à payer à la SARL Midi Soft la somme supplémentaire de 1 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette toutes autres demandes des parties, Autorise la SCP Avocaredhort, avocat, à recouvrer directement les dépens conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.