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Décisions

CA Dijon, 2e ch. civ., 18 juin 2015, n° 14-01891

DIJON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Claas France (SAS), Claas Réseau Agricole Dombasle (SAS)

Défendeur :

Compagnie Groupama Grand Est (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Ott

Conseillers :

M. Wachter, Mme Dumurgier

Avocats :

Mes Soulard, Runge, Bernard

TGI Chaumont, du 30 sept. 2014

30 septembre 2014

L'EARL des Aulnes a acquis, le 6 décembre 2004, auprès de la SAS Claas Réseau Agricole de Dombasle un tracteur agricole de marque Renault modèle Celtis 446RX immatriculé 1520 NG 52, numéro de série M3632DA3631768, qui a été détruit par incendie le 6 septembre 2012.

Une réunion d'expertise amiable a eu lieu contradictoirement le 16 novembre 2012. M. Sofys, l'expert de la société Claas, a écarté un dysfonctionnement électrique et a relié l'incendie à la combustion de l'huile de transmission pulvérisée sous pression dans le compartiment moteur, ce jet d'huile sous pression résultant d'une fuite accidentelle sur l'un des flexibles d'alimentation du radiateur de refroidissement d'huile de la transmission.

L'expert de la compagnie Groupama Grand Est, assureur de EARL des Aulnes, M. Beuvain, ayant participé à ces opérations a dans un rapport du 3 décembre 2012 conclu que le sinistre avait pour origine " une fuite hydraulique sur un des deux flexibles positionnés au-dessus du radiateur d'eau et du système de refroidissement moteur " et s'est interrogé sur les précautions pouvant être prises dans la conception du tracteur dans le cadre d'une prévention des risques en critiquant le positionnement et la protection des flexibles.

S'appuyant sur les conclusions de son expert, la compagnie Groupama Grand Est, après avoir indemnisé son assuré à hauteur de 27 300 euro et se prévalant de la subrogation dans les droits et actions de celui-ci, a, par acte du 18 août 2014, fait assigner la SAS Claas France et la SAS Claas Réseau Agricole Dombasle aux fins d'expertise judiciaire sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile.

Les sociétés défenderesses ne se sont pas opposées au principe de l'expertise mais ont demandé de limiter la mission de l'expert en écartant la recherche du caractère sériel du sinistre.

Par ordonnance en date du 30 septembre 2014, le juge de référés du Tribunal de grande instance de Chaumont a ordonné une expertise, confiée à M. Sellakh " ultérieurement remplacé par M. Blary ", avec mission de reconstituer l'historique du tracteur Renault type Celtis 446 RX immatriculé 1520 NG 52 depuis sa première mise en circulation, de décrire l'état du véhicule, de dire si l'incendie qui l'a affecté est consécutif à une usure anormale du véhicule, à un mauvais entretien, un usage inapproprié, à un défaut de conception ou à un défaut de fabrication et de dire si le sinistre peut être rattaché à d'autres sinistres mettant en cause les mêmes pièces et être considéré avec ceux-ci comme un seul sinistre au regard des faits générateurs pouvant être retenus.

Par déclaration formée le 27 octobre 2014, la SAS Claas France et la SAS Claas Réseau Agricole Dombasle ont régulièrement interjeté appel de ladite ordonnance.

Par leurs dernières écritures en date du 2 avril 2015, la SAS Claas France et la SAS Claas Réseau Agricole Dombasle demandent à la cour de :

A titre principal,

dire que la demande d'expertise formée par Groupama est dénuée d'intérêt légitime ;

Par conséquent,

débouter Groupama de sa demande d'expertise ;

condamner Groupama au paiement de la somme de 1 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

condamner Groupama aux entiers dépens, lesquels seront recouvrés par Maître Florent Soulard, Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Très subsidiairement,

supprimer le chef de mission demandant à l'expert judiciaire "de dire si le sinistre peut être rattaché à d'autre sinistres mettant en cause les mêmes pièces et être considéré avec ceux-ci comme un seul sinistre au regard des faits générateurs qui pourraient être retenus" ;

confier la mission d'expertise suivante à Monsieur Blary :

- entendre les parties, leurs conseils présents ou appelés,

- se faire remettre tous documents utiles,

- consigner l'historique du tracteur Renault type Celtis 446 RX immatriculé 1520 NG 52 depuis sa première mise en circulation,

- décrire l'état du véhicule,

- dire si l'incendie qui l'a affecté est consécutif à un défaut, à un défaut d'entretien, à une usure, normale ou anormale, à un usage inapproprié et/ou à toutes autres courses,

- fournir tous éléments concernant les préjudices éventuellement subis,

- communiquer ses conclusions aux parties dans un pré-rapport, leur impartir un délai pour présenter leurs observations, y répondre point par point dans un rapport définitif et remettre son rapport au greffe et aux parties avant le 29 mai 2015 ;

condamner Groupama aux dépens.

Par ses dernières écritures en date du 1er avril 2015, la compagnie Groupama Grand Est demande à la cour de :

débouter les sociétés Claas France et Claas Réseau Agricole de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

confirmer l'ordonnance déférée ;

condamner solidairement les sociétés Claas France et Claas Réseau Agricole à lui verser une somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

les condamner solidairement aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 avril 2015.

Sur ce :

Vu les dernières écritures des parties auxquelles la cour se réfère ; vu les pièces ;

Attendu que pour critiquer l'ordonnance entreprise, l'appelant fait valoir l'absence d'intérêt légitime à demander une expertise in futurum sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile alors que l'éventuelle action au fond en garantie des vices cachés est prescrite au jour de l'assignation eu égard à la date de la vente du tracteur le 6 décembre 2004, constituant le point de départ de la prescription dont le délai s'achevait au 19 juin 2013 compte-tenu des dispositions transitoires de la loi du 17 juin 2008 modifiant les règles de prescription ; qu'elle critique la confusion qu'opère l'assureur entre le point du départ du délai de forclusion de l'action en garantie des vices cachés prévue par l'article 1648 du Code civil, et ici le bref délai processuel exigé antérieurement à l'ordonnance du 17 février 2005, avec le point de départ du délai de prescription de droit commun à l'intérieur duquel doit être exercée l'action contractuelle en garantie des vices cachés ; qu'elle ajoute que tout autre fondement qu'invoquerait l'assureur pour une éventuelle action au fond ne serait pas davantage efficace, l'action en responsabilité contractuelle au titre de l'obligation de délivrance se trouvant de même prescrite, la responsabilité délictuelle ne pouvant être utilement invoquée compte-tenu de la règle du non-cumul des responsabilités et l'action en responsabilité pour produit défectueux étant également prescrite ;

que l'intimé réplique qu'aucune prescription n'atteint l'action au fond qu'elle peut engager sur le fondement des vices cachés, puisque le point de départ du délai de prescription est habituellement le dépôt du rapport d'expertise qui seul permet d'éclairer les parties sur l'existence et l'étendue du vice ; que si elle ne nie pas que le délai biennal de l'action en garantie des vices cachés s'inscrit bien dans le délai de prescription de droit commun qui est aujourd'hui de 5 ans, elle soutient que cette prescription n'a pas commencé à courir à compter de la livraison de la chose le 6 décembre 2004 comme l'entendent les appelantes, mais à compter de la réalisation du dommage ou de sa révélation à la victime ; qu'il ajoute que son action pourrait être exercée sur d'autres fondements, tels que la responsabilité du fait des produits défectueux qui se prescrit par dix ans ;

Mais attendu que conformément à l'article 145 du Code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé en référé ;

que certes le demandeur à une expertise sur ce fondement n'aurait pas d'intérêt légitime pour le cas où son action au fond serait immanquablement prescrite ;

Attendu que les appelantes font avec pertinence observer que toute action en garantie des vices cachés se heurterait à la prescription, ayant commencé à courir à compter de la vente du 6 décembre 2004 et donc acquise au 19 juin 2013 eu égard aux dispositions transitoires de la loi du 17 juin 2008 modifiant les règles de prescription ;

qu'en effet le bref délai de l'action en garantie des vices cachés, fixé par l'article 1648 dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 17 février 2005 "ordonnance qui s'applique aux contrats conclus postérieurement à son entrée en vigueur" ne peut être utilement invoqué qu'à l'intérieur du délai de prescription de droit de commun de dix ans de l'article L. 110-4 du Code de commerce, eu égard à la qualité de commerçantes des appelantes, et ramené à 5 ans par la loi du 17 juin 2008 ; qu'or la prescription en résolution de la vente court à compter de la date de vente, l'intimé ne pouvant pas se prévaloir de la solution jurisprudentielle spécifique au cas d'annulation d'une vente pour vice du consentement ;

Attendu que pour autant l'intimé conserve un intérêt légitime à solliciter une mesure d'instruction, dès lors qu'il pourrait éventuellement invoquer le fondement de la responsabilité des produits défectueux, même si s'agissant d'un dommage matériel, sa demande ne pourrait que se fonder sur une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même conformément à l'article 1386-2 du Code civil, puisque la prescription de 10 ans à compter de la mise en circulation du produit ayant causé le dommage ne semble pas acquise au jour de l'assignation, le 18 août 2014, à défaut d'éléments produits par les parties permettant de retenir pour la mise en circulation une date antérieure à la vente du 6 décembre 2004 ;

qu'il s'ensuit que l'intimé a un intérêt légitime à solliciter une expertise judiciaire afin de déterminer les causes du sinistre survenu sur le tracteur acheté par son assuré et de ne pas fonder son éventuelLE action au fond sur un rapport unique d'expertise amiable ;

Attendu, dès lors que l'expertise n'est susceptible de présenter d'utilité que pour une action fondée sur la responsabilité des produits défectueux, que la limitation de la mission donnée à l'expert, telle que sollicitée à titre subsidiaire par les appelantes, n'est pas justifiée ;

Attendu qu'il convient en conséquence de débouter les appelantes de leur appel, mal fondé, et de confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ;

Attendu que les appelants qui succombent sur leur appel doivent être condamnés aux entiers dépens d'appel ;

Attendu que l'équité n'exige pas la mise en œuvre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort : Déclare la SAS Claas France et la SAS Claas Réseau Agricole Dombasle recevables, mais mal fondées en leur appel ; les en déboute ; Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 30 septembre 2014 par le juge des référés du tribunal de grande instance de Chaumont ; Y ajoutant : Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la SAS Claas France et la SAS Claas Réseau Agricole Dombasle aux entiers frais et dépens d'appel.