CA Bordeaux, 1re ch. A, 1 décembre 2003, n° 02-03140
BORDEAUX
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Youbi (Epoux)
Défendeur :
Chivert (Consorts), SCP Caizallet Coutant, Cabinet Bugnet " Alizé "
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Costant
Conseillers :
MM. Cheminade, Sabron
Avoués :
SCP Puybaraud, SCP Casteja-Clermontel, Jaubert, SCP Claverie Taillard
Avocats :
Mes Puybaraud-Paradivin, Sammarcelli, Laydeker
Par jugement du 22 mai 2002, auquel la cour se réfère expressément pour l'exposé des faits, de la procédure et des prétentions initiales des parties, le Tribunal de grande instance de Bergerac a débouté Albran Youbi et son épouse née Florence Santifoller de leur demandes tendant à voir prononcer l'annulation de l'adjudication d'un bien immobilier prononcée à leur profit le 19 juillet 2000 et tendant à retenir la responsabilité in solidum de Marie Claude Chivert, Michèle Chivert (épouse Cerdan), Renée Chivert, Marie Pierre Chivert (épouse Moucheraud), colicitants, de la SCP Caizallet Coutant notaire rédacteur du cahier des charges, et de Claude Bugnet, du Cabinet Alizé, en sa qualité de rédacteur de l'attestation parasitaire, tout en disant n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et en laissant les dépens à la charge des demandeurs.
Les époux Youbi ont relevé appel de cette décision le 18 juin 2002.
Ils ont assigné Marie Claude Chivert et Marie Pierre Chivert par actes des 6 janvier et 12 mars 2003 remis à personne, assigné puis réassigné Michèle Chivert épouse Cerdan par acte du 7 mars 2003 remis à son mari et enfin assigné Dominique Chivert par acte du 28 mai 2003 converti en procès-verbal de recherches infructueuses.
Les consorts Chivert n'ont pas constitué avoué.
Dans leurs dernières conclusions signifiées et déposées le 9 septembre 2003, les époux Youbi demandent à la cour à titre principal, au visa des articles 1641 et suivants du Code civil et 1383 du même Code, d'une part, de réformer le jugement déféré, d'annuler l'adjudication prononcée à leur profit, d'ordonner la publication de l'arrêt à venir, et de retenir la responsabilité in solidum des consorts Chivert, de la SCP Caizallet Coutant et du Cabinet Alizé ayant effectué une attestation parasitaire incluse dans le cahier des charges relatif à la vente n'ayant pas permis de déceler que l'immeuble nécessitait un traitement antitermites pour 74 651,80 F et une reprise des planchers pour 68 573 F ce qu'a confirmé le rapport de l'expert Pauillac, et, d'autre part, de condamner les mêmes solidairement à les dédommager des frais, tracas et pertes financières occasionnés par cette adjudication, à leur rembourser les sommes qu'ils ont indûment payées tant au titre des frais de licitation que des droits de mutation ou autres, soit globalement la somme de 38 112,25 et enfin de les condamner à 2 500 au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux entiers dépens qui incluront les frais d'expertise.
A l'appui de leurs demandes les époux Youbi font valoir d'une part, que l'action résultant des vices rédhibitoires des articles 1641 et suivants du Code civil leur était ouverte, s'agissant d'une vente sur licitation avec des colicitants tous majeurs.
D'autre part, ils font valoir, au vu de l'article 1383 du Code civil que la responsabilité des intimés est engagée du fait du caractère mensonger de l'attestation parasitaire établie préalablement à la vente et qui justifie leurs demandes d'annulation et d'indemnisation. Ils ajoutent que toute clause de style insérée dans le cahier des charges excluant la responsabilité des intimés ne saurait recevoir application eu égard au contenu mensonger de l'attestation parasitaire. En second lieu, ils soutiennent que la responsabilité de la SCP de notaires doit être retenue sur le fondement de l'article 1383 du Code civil. Le cahier des charges litigieux sur lequel elle a procédé à la licitation étant un acte authentique dont le contenu est authentifié par la présence et la signature de l'officier public.
Les époux Youbi demandent à la cour de retenir la responsabilité de Claude Bugnet pour la légèreté blâmable dont il a fait preuve en établissant un état parasitaire non conforme à la réalité alors que selon l'article 6 du décret d'application de la loi du 3 juillet 2000, l'expert à l'obligation de décrire les éléments "ayant été infestés par la présence de termites" ou comportant de simples traces de passage, ce qu'en l'occurrence Claude Bugnet n'a pas fait, son état parasitaire ne concluant à "aucune trace visible".
Enfin, les époux Youbi font valoir qu'ils ont subi un préjudice considérable du fait de l'ensemble des comportements fautifs des défendeurs. Ils soulignent tout d'abord, qu'ayant acquis l'immeuble aux fins de l'aménager et de l'exploiter en gite rural, ils ont sollicité à cet effet un emprunt bancaire au titre duquel ils ont dû assumer divers frais; qu'ensuite ils ont subi les tracas et frais afférents aux multiples procédures et expertises et qu'au cours de la procédure ils se sont vus à plusieurs reprises menacés de la saisie de leurs biens à la requête des consorts Chivert.
A titre subsidiaire, les appelants demandent à la cour de condamner les intimés solidairement à leur payer la somme de 38 112 euro à titre de dommages et intérêts pour l'ensemble des préjudices subis, ainsi qu'à la somme de 2 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux entiers dépens qui incluront les frais d'expertise.
Dans ses dernières conclusions déposées et signifiées le 2 mai 2003, 1a SCP Caizallet Coutant demande à la cour de débouter les époux Youbi de leur action à son encontre, de les condamner à lui payer une Indemnité de 1 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens. Elle soutient que sa responsabilité en qualité de notaire ne peut pas être engagée alors qu'elle a simplement reproduit - fidèlement et intégralement les conclusions du rapport de Claude Bugnet selon lequel "à la date de l'inspection, le contrôleur n'a décelé aucune trace apparente d'infestation de type termite sur l'ensemble des éléments décrits dans cette attestation" et que l'insertion de cette attestation ne saurait la rendre responsable des éventuelles erreurs de son auteur qui ne peuvent engager que celui-ci, elle-même n'étant pas spécialiste en la matière.
Elle demande par ailleurs la condamnation des époux Youbi au paiement d'une somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, outre tous les dépens.
Dans ses dernières conclusions déposées et signifiées le 4 juin 2003, Claude Bugnet demande à la cour, à titre principal, de confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré, de constater qu'il a rempli l'obligation mise à sa charge en établissant l'état parasitaire, de constater qu'à défaut de preuve de la présence de termites dans l'immeuble des demandeurs sa responsabilité ne peut être engagée, enfin, de condamner les demandeurs à lui payer la somme de 1 000 sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'à tous les dépens. Il souligne qu'il a pris soin d'indiquer sur chacune des pages de son rapport que celui-ci "n'a qu'une valeur indicative de l'état parasitaire à la date de l'inspection, pour les parties accessibles et visibles directement, en dehors de toute autre constatation, et notamment de détérioration pouvant exister dans les structures nécessitant l'intervention d'un expert en la matière" ce qui lui permet de s'exonérer de sa responsabilité alors de surcroît que l'état parasitaire qu'il a établi n'a pas été contredit par le rapport de l'expert judiciaire qui n'a pas noté la présence d'insectes en activité ce qui permet d'exclure un vice caché au sens de l'article 8 de la loi du 8 juin 1999.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 6 octobre 2003.
MOTIFS DE LA DECISION:
Attendu qu'il est constant que sur le cahier des charges établi par Maître Caizallet, notaire associé à Saint Emilion, et sur le procès-verbal d'adjudication dressé par ce même notaire le 19 juillet 2000, Florence Santifoller épouse YOUB1 a été déclarée adjudicataire d'un immeuble sis "aux Illarets", commune de Saint Michel de Montaigne, faisant l'objet d'une licitation dans le cadre des opérations de liquidation des successions de Pierre Chivert et Suzanne Hosch son épouse, sur la mise à prix de 200 000 F;
Attendu que si aux termes de l'article 1649 du Code civil l'action résultant des vices rédhibitoires n'a pas lieu dans les ventes faites par autorité de justice, les époux Youbi soutiennent justement que par vente sous autorité de justice il convient d'entendre celle qu'une disposition légale impose de réaliser sous cette forme et non à une vente que les parties ont librement choisi de réaliser sous la forme judiciaire ; qu'il importe peu que la licitation ait été ordonnée par un jugement du Tribunal de grande instance de Bergerac du 28 septembre 1999 saisi par Dominique Chivert épouse Bard afin qu'il soit mis fin à l'indivision consécutive au décès de ses parents dès lors que les colicitants, tous majeurs, ont librement fait choix de réaliser la vente de l'immeuble dépendant de la succession de leurs parents sous la forme judiciaire afin de parvenir à la liquidation de ladite succession ; que le jugement déféré ayant débouté les époux Youbi de leurs demandes après avoir dit que l'article 1649 du Code civil trouvait à s'appliquer sera dès lors réformé;
Attendu qu'il convient de déterminer si l'immeuble objet de l'adjudication est comme le soutiennent les époux Youbi, atteint d'un vice caché;
Attendu qu'à cet égard si l'état parasitaire établi par le Cabinet Claude Bugnet et joint au cahier des charges faisant état pour toutes les pièces de l'immeuble en cause " il n'a été trouvé aucune trace apparente sur tous les éléments cités en page 1 (pour le rez de chaussée) et en page 2 (pour l'étage et les combles) " (lesdits éléments étant portes, encadrements, plinthes, sols, plafonds bois et poutres) cet état s'est avéré erroné, le rapport de l'expert Pauillac commis par ordonnance de référé du 18 octobre 2000 ayant clairement mis en évidence en page 9, 10 et 11 des attaques anciennes de termites dans toutes les pièces ; que si comme le souligne Claude Bugnet l'expert judiciaire n'a pas noté la présence d'insectes en activité, les attaques anciennes et très importantes n'en constituent pas moins un vice caché dès lors qu'elles nécessitent des travaux de réfection des planchers et des poutres et solives et un traitement antiparasitaire pour un coût de 94 150 F représentant pratiquement la moitié du prix d'acquisition de l'immeuble pour lequel les époux Youbi ne se seraient pas portés adjudicataires s'ils avaient eu connaissance des frais qu'ils devraient engager pour parvenir à la réfection de celui-ci dont ils voulaient luire un gîte rural;
Attendu qu'il sera dès lors fuit droit à leur demande en annulation de l'adjudication dans les termes du dispositif ci-après;
Attendu que les époux Youbi ont par ailleurs subi un incontestable préjudice du fait de la non-réalisation de leur projet et des tracas occasionnés par les procédures aux fins de saisie engagées par les consorts Chivert qui sera réparé par l'allocation d'une somme de 3 000 à titre de dommages intérêts que ces derniers seront condamnés à lui payer avec Claude Bugnet en raison de la faute commise par ce dernier eu dressant un état parasitaire erroné ; qu'en effet ledit état mentionnait "aucune trace apparente" alors que l'expert Pauillac a clairement relevé la présence de traces apparentes sur le plancher bois de la chambre à l'étage, sur une poutre du solivage du plafond du couloir à l'étage et sur le mur de ce même couloir, sur le plancher bois de la troisième chambre d'étage et sur le solivage bois du plafond ayant provoqué une boursouflure visible et enfin sur le solivage bois du plafond de la cuisine, de la salle à manger et du placard, sans avoir eu à mener d'investigations poussées, ce qui fait que Claude Bugnet ne saurait invoquer la disposition de son rapport selon laquelle "le présent rapport n'a qu'une valeur indicative de l'état parasitaire à la date de l'inspection pour les parties accessibles et visibles directement, en dehors de toute autre constatation, et notamment des détériorations pouvant exister dans les structures, nécessitant l'intervention d'un expert en la matière";
Attendu par contre que la demande des époux Youbi ne saurait prospérer à l'encontre de la SCP de notaires Caizallet Coutant qui n'a commis aucune faute ayant pris soin d'annexer au cahier des charges qu'elle a dressé l'intégralité du rapport de Claude Bugnet sur l'état parasitaire, ne pouvant lui être fait grief de n'avoir pas vérifié l'exactitude des mentions portées dans le dit rapport établi par un professionnel dont les éléments ne pouvaient dès lors engager que la responsabilité de son auteur;
Attendu que succombant sur l'annulation de l'adjudication les consorts Chivert supporteront les dépens et seront condamnés à payer aux époux Youbi la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, sans que l'équité commande qu'il soit fait application de ce texte au profit de l'une des autres parties en la cause.
Par ces motifs : LA COUR, Reçoit les époux Youbi en leur appel régulier en la forme et le dit bien fondé. Réformant le jugement déféré et statuant à nouveau: Annule l'adjudication prononcée le 19 juillet 2000 au profit de Florence Santifoller, épouse Youbi, née le 30 janvier 1973 à Bordeaux (Gironde), urbaniste, de nationalité française, demeurant 2 rue du Commandant Charcot à Ambes (Gironde) d'un immeuble situé au lieu-dit "Les marets" commune de Saint Michel de Montaigne (Dordogne), cadastré section AL n° 823 et AL N 856, moyennant le prix de 30 489,80 (200 000 F) publiée à la Conservation des Hypothèques de Bergerac le 8 novembre 2000, volume 2000 P n° 5163. Ordonne la publication du présent arrêt à la Conservation des Hypothèques de Bergerac. Condamne les consorts Chivert à restituer aux époux Youbi le prix de vente de l'immeuble soit la somme de 30 489,80 (200 000 F). Condamne par ailleurs in solidum les consorts Chivert et Claude Bugnet à payer aux époux Youbi la somme de 3 000 euro à titre de dommages et intérêts. Condamne les consorts Chivert à payer aux époux Youbi la somme de 1 500 au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Déboute les parties de toutes demandes plus amples ou contraires. Condamne les consorts Chivert aux entiers dépens de première instance et d'appel et, en ce qui concerne ces derniers, autorise les avoués de la cause à recouvrer directement ceux dont ils ont pu faire l'avance sans avoir reçu provision.