CA Toulouse, 2e ch., 17 février 2016, n° 14-00702
TOULOUSE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Fabryka Mebli Spin-Roman Lazny I Jerzy Lazny, Spolk A Jawna (Sté)
Défendeur :
Tort Jean-Louis (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cousteaux
Conseillers :
M. Maguin, Mme Pellarin
Avocats :
Mes Khouini-Vie, Mailliet-Wozniak, Morata
EXPOSÉ DU LITIGE
Suivant contrat du 2 novembre 2007, la société de droit polonais Fabrika Mebli Spin-Roman Lazny I Jerzy Lazny, dénommée ci-après Spin, a confié à la SARL Tort Jean-Louis la représentation de ses produits sur 15 départements du sud de la France moyennant une commission de 6 %, le droit à commission de la SARL Tort Jean-Louis portant sur toutes commandes prises ou émanant du secteur concédé.
Suivant lettre recommandée avec accusé de réception du 10 avril 2013, la société Spin a notifié à la SARL Tort Jean-Louis la résiliation du contrat avec effet immédiat en faisant état de plusieurs motifs.
La SARL Tort Jean-Louis a contesté le bien-fondé de cette résiliation et après avoir obtenu l'autorisation de procéder à une saisie-conservatoire, a par acte du 20 septembre 2013, fait assigner la société Spin devant le Tribunal de commerce de Foix en paiement d'une indemnité compensatrice, d'une indemnité de préavis et d'un solde de factures.
Faisant intégralement droit à ses demandes, le tribunal a par jugement du 20 janvier 2014 assorti de l'exécution provisoire :
- constaté que le contrat est un contrat d'agent commercial,
- constaté l'absence de faute grave,
- condamné la société Spin à payer à la SARL Tort Jean-Louis les sommes de :
3 561,74 euro au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
35 617,35 euro au titre de l'indemnité de clientèle,
930,48 euro au titre du solde de factures,
2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Spin a interjeté appel de cette décision le 7 février 2014.
L'appelante et l'intimée ont respectivement notifié leurs dernières écritures par RPVA les 2 mai et 3 juillet 2014. L'ordonnance de clôture est intervenue le 17 novembre 2015.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Il est fait expressément référence, pour plus ample exposé des moyens, aux conclusions visées.
La société Spin conclut à l'infirmation du jugement, demande à titre principal qu'il soit jugé que le contrat n'est pas un contrat d'agent commercial, et que la résiliation est intervenue aux torts de la SARL Tort Jean-Louis, à titre subsidiaire qu'il soit jugé que la SARL Tort Jean-Louis a commis une faute grave exclusive de tout versement d'une indemnité de clientèle, et qu'en tout état de cause, la SARL Tort Jean-Louis soit condamnée à lui payer la somme de 2 550 000 euro à titre de dommages-intérêts pour le préjudice causé par les carences de la SARL Tort Jean-Louis, qui l'ont privée des résultats attendus soit 100 000 euro par mois. Elle réclame une indemnité de 5 000 euro en remboursement de ses frais de défense.
L'appelante fait essentiellement valoir :
- qu'il ne peut s'agir d'un contrat d'agent commercial, la SARL Tort Jean-Louis bénéficiant d'une clientèle propre, d'un fonds de commerce propre, et les termes du contrat ainsi que les formes des factures n'étant pas compatibles avec le contrat d'agent commercial, et que l'absence de prospection par la SARL Tort Jean-Louis a abouti à un chiffre d'affaires de 15 000 euro par mois au lieu des 100 000 euro contractuellement prévus,
- subsidiairement, que le non-respect des objectifs commerciaux, la violation de l'obligation de loyauté consistant à proposer aux clients de l'appelante des produits de concurrents, l'absence de suivi des recettes, nécessitant pour la société Spin d'avoir recours à une agence de recouvrement, constituent une faute grave privative de toute indemnité,
- très subsidiairement, que la SARL Tort Jean-Louis n'a subi aucun préjudice, ayant gardé la propriété de sa clientèle et de son réseau.
La SARL Tort Jean-Louis demande la confirmation du jugement et réclame une indemnité de 5 000 euro en remboursement de ses frais de défense.
L'intimée développe principalement les observations suivantes :
- l'analyse de la relation correspond à celle d'agent commercial, la SARL Tort Jean-Louis ayant modifié son extrait KBis pour apparaître à compter de janvier 2008 comme agent commercial, et ayant d'abord travaillé comme sous agent, la société Meublinter étant l'agent commercial, avant d'avoir des relations directes avec la société Spin à compter de 2009,
- la société Spin était parfaitement au courant de l'activité multicartes de la SARL Tort Jean-Louis, de sorte qu'aucune déloyauté ne peut lui être reprochée, et aucun reproche ou réclamation ne lui a jamais été fait sur le chiffre d'affaires, celui qui est mentionné sur le contrat étant au surplus irréaliste.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- Sur la qualification du contrat
Le contrat objet du litige est en date du 2 novembre 2007 et concerne la SARL Tort Jean-Louis. La SARL Tort Jean-Louis produit en pièce n° 1 un contrat totalement différent, en date du 15 octobre 2009, liant l'appelante à M. Jean-Louis Tort personne physique, qui est hors litige.
L'application du statut d'agent commercial ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties dans le contrat ni de la dénomination qu'elles ont données à leurs conventions mais des conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée.
Aux termes de l'article L. 134-1, alinéa 1er du Code de commerce " l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale ".
Selon le contrat, la SARL Tort Jean-Louis, qualifiée " d'agent ", se voit confier par la société Spin, " mandant ", la représentation et la distribution à toute la clientèle sur son secteur des produits du mandant, et perçoit une commission de 6 %. Le contrat prévoit également que le double des factures ainsi que les correspondances avec le client, sont adressés par le mandant à l'agent pour lui permettre de suivre la clientèle.
La SARL Tort Jean-Louis intervient donc bien à titre indépendant en qualité de mandataire chargé de prendre des commandes au nom et pour le compte de cette dernière. Il s'agit d'un mandat d'intérêt commun caractéristique du contrat d'agent commercial. Les pièces produites par la société Spin relatives à l'exécution du contrat ne sont pas contraires à cette qualification. En premier lieu, l'agent commercial peut fort bien, dans le cadre d'une activité distincte, disposer d'une clientèle distincte de celle de son mandant, voire d'un fonds de commerce. Dès lors, les e-mails dans lesquels M. Jean-Louis Tort fait état d'un de ses clients (qui n'a pas passé de commandes auprès de la société Spin) sont sans incidence ; on doit observer au surplus que l'on ignore si M. Jean-Louis Tort intervient à titre personnel ou au nom de la SARL Tort Jean-Louis.
De plus, l'extrait KBis produit par la société Spin pour attester de la détention par la SARL Tort Jean-Louis d'un fonds de commerce est inopérant, puisqu'il concerne M. Jean-Louis Tort à titre personnel. En dernier lieu, la SARL Tort Jean-Louis a pu valablement émettre des factures de commissions et il n'est nullement démontré que la SARL Tort Jean-Louis aurait passé en son nom propre et pour sa clientèle propre des commandes auprès de la société Spin qu'elle aurait facturées en son nom à cette clientèle. Au contraire, on relève que la société Spin facturait directement ses prestations aux clients démarchés par la SARL Tort Jean-Louis, ainsi qu'en témoignent les rappels pour impayés versés aux débats et adressés en copie à la SARL Tort Jean-Louis.
En conséquence, le tribunal a exactement retenu que le contrat liant les parties est un contrat d'agent commercial permettant à la SARL Tort Jean-Louis de revendiquer l'application du statut d'agent commercial, même si celle-ci ne s'est pas inscrite au registre spécial des agents commerciaux, cette immatriculation n'étant pas une condition d'application du statut.
- Sur la rupture du contrat
La société Spin qui a pris l'initiative de la rupture du contrat d'agent commercial la liant à la SARL Tort Jean-Louis, lui doit le paiement de l'indemnité prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce destinée à réparer le préjudice subi, sauf si la cessation du contrat est, selon l'article L. 134-13 1°, " provoquée par la faute grave de l'agent commercial. "
Elle est également débitrice en application de l'article L. 134-11 d'un préavis de trois mois, sauf faute grave de l'une des parties ou survenance d'un cas de force majeure.
Pour les motifs déjà exposés, elle ne saurait s'exonérer du paiement en soutenant que la SARL Tort Jean-Louis a conservé sa clientèle ; en effet c'est la perte d'activité sur la clientèle auprès de laquelle elle représentait la société Spin qui justifie l'indemnisation.
La société Spin invoque trois motifs constitutifs selon elle d'une faute grave de la SARL Tort Jean-Louis, d'une part un non-respect des objectifs commerciaux, d'autre part une violation de l'obligation de loyauté, enfin un non-suivi des recettes.
Ainsi que le relève justement le tribunal, les objectifs commerciaux, fixés par le contrat à 100 000 euro minimum par mois, ne figurent pas dans le paragraphe relatif aux engagements réciproques des parties, mais dans un paragraphe relatif à la durée et à la résiliation du contrat.
Cela ne les prive pas pour autant de toute valeur. Cependant, ces objectifs n'ont jamais été atteints depuis 2007 et la société Spin ne justifie pas avoir formulé le moindre rappel à l'ordre, la moindre mise en demeure avant l'envoi de la lettre de rupture. De plus, alors que la SARL Tort Jean-Louis invoque le caractère totalement irréaliste de cet objectif, la société Spin ne produit aucun élément de nature à établir qu'il était réalisable et qu'il avait pu être atteint. Les attestations imprécises de deux de ses salariés ne peuvent pallier l'absence de justificatifs sur ce point. On relève, suivant les propres chiffres qu'elle rappelle dans ses écritures, qu'elle s'est contentée depuis 2010, sans réagir, de ventes réalisées en moyennes pour 15 000 euro mensuels par la SARL Tort Jean-Louis, le chiffre d'affaires étant bien moindre en 2008 et 2009. Le grief résultant du non-respect des objectifs invoqué pour la première fois comme motif grave de rupture est donc dépourvu de tout caractère sérieux, aucune baisse du chiffre d'affaires n'apparaissant début 2013 par rapport aux années précédentes, à la lecture des chiffres précités.
Le manquement à l'obligation de loyauté est relatif au démarchage par la SARL Tort Jean-Louis d'un client de la société Spin, en Espagne, pour le compte d'un autre fabricant de meubles.
Toutefois, la société Spin était informée de ce que son agent commercial était multicartes, et qu'il travaillait également avec d'autres usines de fabrication de meubles. Cela est en effet expressément mentionné dans le contrat du 2 novembre 2007. Il s'ensuit que dès lors qu'elle n'agissait pas dans le secteur pour lequel la société Spin lui avait confié l'exclusivité de la représentation, la SARL Tort Jean-Louis pouvait valablement représenter un autre fabricant. C'est le cas s'agissant de M. Poli, auquel la SARL Tort Jean-Louis s'adresse pour lui proposer des ventes sur l'Espagne.
Au soutien du grief tenant au non-suivi des recettes, la société Spin fait valoir qu'elle a dû avoir recours à une société de recouvrement de créances pour tenter de récupérer les paiements dont le suivi incombait à la SARL Tort Jean-Louis en application de l'article 5 du contrat. La cour relève qu'aucune observation ou critique n'a jamais été faite à la SARL Tort Jean-Louis avant l'envoi de la lettre de rupture. De plus, le simple recours à une société de recouvrement n'implique pas une défaillance de l'agent commercial, étant observé qu'il n'est pas justifié d'un nombre plus important d'impayés sur la clientèle suivie par la SARL Tort Jean-Louis que sur celle d'autres agents commerciaux.
Le jugement est en conséquence confirmé en ce qu'il retient l'absence de preuve d'une faute grave et dit que la société Spin est tenue de payer l'indemnité de fin de contrat à la SARL Tort Jean-Louis.
- Sur les sommes dues
L'indemnité compensatrice de préavis doit être fixée au montant qu'aurait perçu la SARL Tort Jean-Louis si elle avait travaillé. C'est dès lors en considération de la moyenne de commissions perçues sur les douze derniers mois précédant la rupture (d'avril 2012 à mars 2013) qu'il convient de la fixer soit 11 953,82/12 x 3 = 2 988,45 euro.
En considération de l'ancienneté acquise par la SARL Tort Jean-Louis, du chiffre d'affaires réalisé sur cette période, le montant alloué par les premiers juges apparaît surévalué, en ce qu'il inclut dans l'assiette de calcul des années trop anciennes et moins significatives du chiffre d'affaires réalisé à une période proche de la rupture. Il y a lieu en conséquence de se fonder sur la moyenne des trois dernières années précédant la rupture (2010-2012), et d'allouer à la SARL Tort Jean-Louis l'équivalent de deux années de commissions soit (14 250 x 2) = 28 500 euro.
Le solde de commissions alloué à la SARL Tort Jean-Louis par le tribunal ne donne lieu à aucune discussion de la part de la société Spin et est étayé par les factures produites. Il est en conséquence confirmé.
- Sur les demandes reconventionnelles de la société Spin
Le sort réservé aux demandes de la SARL Tort Jean-Louis implique le rejet des demandes de la société Spin fondées sur les prétendues carences de la SARL Tort Jean-Louis.
En application de l'article 700 du Code de procédure civile, il est alloué à la SARL Tort Jean-Louis l'indemnité fixée au dispositif de cette décision.
Par ces motifs LA COUR, Confirme le jugement déféré sauf en ce qui concerne les montants alloués à la SARL Tort Jean-Louis au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et de l'indemnité de rupture et statuant à nouveau sur ces points, Condamne la société Fabrika Mebli Spin-Roman Lazny I Jerzy Lazny à payer à la SARL Tort Jean-Louis la somme de 2 988,45 euro au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et celle de 28 500 euro au titre de l'indemnité de rupture, Y ajoutant, Condamne la société Fabrika Mebli Spin-Roman Lazny I Jerzy Lazny à payer à la SARL Tort Jean-Louis une indemnité de 2 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Fabrika Mebli Spin-Roman Lazny I Jerzy Lazny au paiement des dépens dont distraction par application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.