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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 17 février 2016, n° 13-16612

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

SCD (SAS)

Défendeur :

Hygena Cuisines (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cocchiello

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Luc

Avocats :

Mes Simon, Misserey, Peytavi, Dupont

T. com. Rennes, du 20 juin 2013

20 juin 2013

Faits et procédure

La société SCD a pour activité la distribution essentiellement sur le territoire français d'équipement de salle de bain et de la cuisine sous la marque Luisina.

La société Hygena Cuisines a pour activité la distribution de meubles de cuisine ainsi que leurs accessoires tels que les éviers et leur robinetterie.

Les deux sociétés entretiennent des relations commerciales depuis de nombreuses années.

Un contrat de collaboration a été signé le 31 décembre 2008 d'une durée d'une année sauf dénonciation au moins trois mois à l'avance. Un nouveau contrat était signé le premier mars 2010 avec effet rétroactif au premier janvier, pour une durée d'une année avec tacite reconduction sauf dénonciation trois mois avant la fin de la période.

La société Hygena Cuisines a décidé de revoir sa gamme de produits. Elle lançait un appel d'offres en novembre 2009 pour la gamme éviers et en mai 2010 pour la gamme robinetteries.

Le 9 juillet 2010, la société Hygena informait la société SCD de sa décision de réduire le nombre de références dès le mois d'octobre, puis le 29 juillet, elle l'informait de la mise en place d'une nouvelle gamme en octobre 2010.

La société SCD protestait par courrier du 27 septembre, demandait un préavis plus long, qu'elle aurait accepté de dix-huit mois. A la suite d'échanges de courriers et discussions, le 19 novembre 2010, la société Hygena proposait dans le cadre d'un accord transactionnel d'étendre le préavis jusqu'au 31 décembre 2011. La société SCD refusait.

Estimant que le préavis était insuffisant et qu'il n'était pas respecté dans la mesure où les volumes de commandes auraient baissé spectaculairement dès le mois d'octobre 2010, la société SCD assignait la société Hygena le 14 février 2011 devant le Tribunal de commerce de Rennes. La procédure engagée à bref délai a fait l'objet d'une radiation administrative à la demande de la société SCD. La société Hygena continuant à passer commandes, la société SCD souhaitait déterminer s'il s'agissait d'une rupture partielle ou non. La société SCD a, par la suite réintroduit son instance.

Par jugement en date du 20 juin 2013, le Tribunal de commerce de Rennes a :

Constaté la rupture partielle des relations commerciales établies entre les sociétés SCD et Hygena en date du 9 juillet 2010,

Dit que la rupture partielle des relations commerciales intervenue le 9 juillet 2010 ne revêt pas un caractère de brutalité,

Dit que le préavis de 18 mois accordé suite à cette rupture partielle approprié et justifié dans sa durée,

Dit l'attitude de la société Hygena durant la durée du préavis loyale et dépourvue de toute faute à l'égard de la société SCD,

En conséquence, débouté la société SCD de toutes des demandes formées sur les dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce,

Condamné la société SCD à verser à la société Hygena la somme de 20 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et débouté la société SCD de sa demande à ce titre,

Débouté les parties de toutes leurs autres demandes, fins et conclusions,

Dit qu'il n'y a pas lieu à prononcer l'exécution provisoire,

Condamné la société SCD aux entiers dépens de l'instance

Vu l'appel interjeté par la SAS SCD le 8 août 2013,

Vu les dernières conclusions de la SAS SCD signifiées le 7 mars 2014 par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu l'article L. 442-6 du Code de commerce,

Réformer purement et simplement le jugement du 20 juin 2013 du Tribunal de commerce de Rennes,

Dire et juger que la société Hygena Cuisines a engagé sa responsabilité délictuelle en ne respectant pas un délai de préavis raisonnable dans la rupture de ses relations commerciales avec SCD,

Condamner la société Hygena Cuisines à payer à la société SCD une somme de 1 296 968 euro à titre de dommages et intérêts, avec intérêts légaux à compter de l'assignation d'origine valant mise en demeure et capitalisation de ceux-ci dans les conditions légales,

Condamner la société Hygena Cuisines à payer à la société SCD une somme de 20 000 euro à titre d'indemnité en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que les dépens de première instance et d'appel.

Vu les dernières conclusions de la SAS Hygena Cuisines signifiées le 14 novembre 2014 par lesquelles il est demandé à la cour de :

Dire et juger la société SCD mal fondée en son appel du jugement du Tribunal de commerce de Rennes du 20 juin 2013,

En conséquence, confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Rennes en toutes ses dispositions,

Subsidiairement, en cas de réformation du jugement du Tribunal de commerce de Rennes du du 20 juin 2013, fixer la durée du préavis complémentaire dû par la société Hygena Cuisines à la société SCD à 6 mois et fixer l'indemnité compensatrice due au titre de ce préavis complémentaire à la somme maximum de 32 805 euro,

Infiniment subsidiairement, en cas de réformation du jugement du Tribunal de commerce de Rennes du 20 juin 2013, fixer l'indemnité compensatrice due au titre du préavis, partiellement exécuté sur 12 mois à 200 214 euro et au titre du préavis partiellement exécuté de 12 mois auquel s'ajoute un préavis complémentaire de 6 mois à la somme maximum de 300 321 euro,

Dire et juger que 1'éventue1le indemnité allouée à SCD ne portera intérêts au taux légal qu'à compter de l'arrêt à intervenir,

Condamner la société SCD, au titre de la procédure d'appel, à payer à la société Hygena Cuisines par application de l'article 700 du Code de Procédure Civile une somme de 20 000 euro,

Condamner la société SCD aux entiers frais et dépens tant de première instance que d'appel.

Motifs :

Sur le préavis :

Considérant que la société SCD fait valoir que les parties entretiennent des relations commerciales depuis vingt ans et que le préavis, fixé à dix-huit mois, devait être porté à vingt-quatre mois, qu'elle ajoute que le préavis accordé n'a pas été effectif, dès lors que les commandes sur la durée du préavis ont baissé de 75 % et que la société Hygena ne peut sérieusement expliquer un tel chiffre par la crise financière (absence de compétitivité des produits SCD, prix pratiqués, durée de garantie) ou encore par un refus qu'elle aurait opposé d'assurer la formation des revendeurs Hygena à ses produits,

Considérant que la société Hygena Cuisines soutient quant à elle avoir accordé un préavis raisonnable de dix-huit mois avant que soit effectif le déréférencement des produits Luisina, et que cette durée était conforme à la demande formulée par SCD dans un courrier du 27 septembre 2010 ; qu'elle estime que rien ne justifie un préavis d'une durée supérieure ; qu'elle conteste toute diminution du volume des commandes qui lui soit imputable, ayant maintenu les produits SDC dans son catalogue, en exposition dans ses magasins, et expliquant l'origine de la baisse d'activité par des circonstances extérieures liées à la société SDC elle-même (absence de compétitivité de ses produits, formation de ses représentants par SCD) et de ses propres difficultés économiques,

Mais considérant qu'il résulte des écritures et pièces versées aux débats que les deux sociétés sont en relation d'affaires depuis vingt ans, durée non contestée par Hygena ; que les parties étaient liées dans les deux dernières années de leurs relations par un contrat à durée déterminée d'une année, que le dernier contrat précisait en page 4 que le vendeur (SCD) était informé que l'acheteur (Hygena) serait amené à changer de fournisseur pour certains articles de la gamme pendant la période de l'accord, ce pour l'année 2010 et 2011 ; que les parties n'étaient pas liées par une exclusivité quelconque, et d'ailleurs, le chiffre des affaires réalisé avec Hygena représentait dans le chiffre d'affaires global de SCD une part moyenne de 6,6 % ;

Considérant que la société Hygena a, après des discussions et sur la suggestion qu'en faisait SDC dans le courrier du 27 septembre 2010 proposé à SDC un préavis de 18 mois, prenant fin le 31 décembre 2011,

Considérant que compte tenu de ces éléments, la durée de préavis de dix-huit mois apparaît raisonnable et suffisante,

Sur l'exécution du préavis :

Considérant qu'il est soutenu que le préavis n'a pas été exécuté convenablement par Hygena, puisqu'une baisse du chiffre d'affaires réalisée avec la société Hygena de 70 % a pu être constatée en 2011 par rapport à 2010 ; qu'une telle baisse n'est pas contestée par la société Hygena ; que les parties s'opposent sur les raisons de celle-ci ;

Considérant que contrairement à ce qui est soutenu par SCD, la société Hygena n'a pas eu une attitude déloyale à son égard, en "boycottant" ses produits : qu'elle a maintenu les produits SCD dans son catalogue, ainsi qu'il résulte de leur consultation et des rapports de visites établis par SDC en 2011 (le fait qu'un certain Squanazi, chef des ventes de Hygena, aurait fait jeter les catalogues n'est pas établi et est manifestement contredit par la présence des catalogues sur place et le très bon chiffre d'affaires réalisé par les produits SCD) ; qu'elle a également maintenu les produits SCD en magasin, qu'il était possible de passer commandes des produits SCD sans aucune difficulté dans plusieurs magasins, ce qu'un huissier a décrit dans un procès-verbal dressé le 4 mars 2011,

Considérant que la société Hygena fait état du comportement de SCD durant le préavis ; que sans prendre en compte les attestations de Monsieur Settah et Madame Poucet, la cour constate que les rapports de visite établis par les commerciaux de la société SCD démontrent, comme le souligne Hygena, le désintérêt des commerciaux de SCD pour une formation, compte tenu de la fin prochaine des relations commerciales entre les deux sociétés ; que la société Hygena justifie également sans être sérieusement contredite par la société SCD qui se borne à critiquer sans pertinence la méthode, que certains produits SCD de même nature que ceux de la concurrence (éviers en résine, éviers en inox) étaient plus chers et garantis sur une durée plus courte, ce qui les rendaient moins compétitifs ;

Considérant par ailleurs qu'il est établi que le chiffre d'affaires réalisé par SCD avec Hygena était en baisse quasi-constante depuis l'année 2006 ; que la société Hygena avait rencontré des difficultés financières sérieuses depuis plusieurs années, ce que SCD savait pour l'indiquer dans son courrier du 9 juillet 2010 ; que ces difficultés expliquées par la crise, la diminution de la consommation des ménages, la forte montée en concurrence (Ikea, Alinea, Aviva, Ixina, Socooc et Cuisinella) étaient évoquées au cours de plusieurs réunions extraordinaires du comité d'entreprise en 2010 et 2011 et que la société SCD ne peut contester ces difficultés dans ses écritures en se bornant à dire, sans le justifier d'ailleurs, que son chiffre d'affaires est resté stable sur les exercices 2010, 2011, 2012 et 2013,

Considérant qu'il peut être ainsi constaté que le préavis de dix-huit mois a été exécuté loyalement, et que s'il y a eu une baisse du chiffre d'affaires réalisé par SCD, elle est le fait d'éléments extérieurs à la société Hygena qui ne peut en porter la responsabilité,

Considérant que les demandes indemnitaires qui sont formées par SCD doivent être rejetées,

Par ces motifs, LA COUR, confirme le jugement, condamne la société SCD à payer à la société Hygena Cuisines la somme de 10 000 euro à titre d'indemnité pour frais irrépétibles, condamne la société SCD aux entiers dépens.