CA Bordeaux, 2e ch. civ., 17 février 2016, n° 13-07018
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Energie Afrique Services Consulting (SARL)
Défendeur :
Sullitron (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chelle
Conseillers :
Mme Wagenaar, M. Pettoello
Avocats :
Mes Le Barazer, Vacarie, Llamas, de Sermet
Faits et procédure :
La SARL Energie Afrique Services Consulting, en invoquant une rupture d'un contrat d'agent commercial, a fait assigner la SAS Sullitron devant le Tribunal de commerce de Bordeaux en paiement de la somme de 360 000 euro à titre principal au titre de la réparation du préjudice subi du fait de la rupture de ce contrat.
Par jugement du 19 novembre 2013, le Tribunal a déclaré l'action recevable mais débouté la SARL Energie Afrique Services Consulting de toutes ses demandes. Il l'a condamnée au paiement de la somme de 1 500 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et rejeté la demande de la défenderesse au titre d'une procédure abusive.
La SARL Energie Afrique Services Consulting a relevé appel de la décision le 3 décembre 2013.
Dans ses dernières écritures en date du 3 mars 2014, elle conclut à la réformation du jugement et à la condamnation de la SAS Sullitron au paiement de la somme de 360 000 euro en réparation du préjudice subi du fait de la rupture du contrat outre celle de 3 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle soutient que les relations d'affaires qui ont existé entre les parties correspondent très exactement à la définition de l'article L. 134-1 du Code de commerce sur les agents commerciaux indépendamment de son absence d'inscription au registre des agents commerciaux et d'un taux de commission qui n'était pas fixe. À minima elle considère que les relations contractuelles constitueraient un mandat d'intérêt commun qui ouvre droit, en cas de rupture, à une indemnisation dans des conditions similaires. Elle ajoute que c'est bien l'intimée qui est à l'origine de la rupture des relations contractuelles. Elle s'explique sur le quantum de sa demande en tenant compte du montant moyen de ses commissions et des usages sur la durée à prendre en compte.
Dans ses dernières écritures en date du 18 avril 2014, la SAS Sullitron conclut à la confirmation du jugement et à la condamnation de l'appelante au paiement de la somme de 3 500 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle fait valoir qu'il n'existait que des relations d'affaires ponctuelles entre les parties et que l'appelante ne démontre en aucun cas l'existence d'un contrat d'agent commercial de sorte qu'elle n'aurait pas qualité à agir sur le fondement des dispositions des articles L. 134-1 du Code de commerce. Elle estime qu'en toute hypothèse les demandes sont irrecevables comme tardives puisque l'assignation a été délivrée le 21 décembre 2012 alors que les relations avaient cessé en septembre 2011. Elle soutient que la cessation des relations d'affaires est imputable à l'appelante et que c'est parce que son dirigeant ne souhaitait plus que la SAS Sullitron prenne une participation à son capital que toute relation a cessé entre les parties. Subsidiairement, elle s'explique sur les montants en faisant valoir qu'il n'existait pas de montant fixe de commission et que le montant mensuel moyen des factures ne peut être celui revendiqué par l'appelante. Elle considère que l'indemnité calculée sur 25 mois serait excessive et ne pourrait au regard des circonstances excéder 12 mois.
Motifs de la décision
Le jugement dont appel avait débouté Sullitron de ses fins de non-recevoir. Or dans ses dernières écritures l'intimée conclut expressément à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et à la fois reprend ses fins de non-recevoir ce qui est quelque peu contradictoire.
S'agissant de la fin de non-recevoir tirée de l'article L. 134-12 du Code de commerce, Sullitron considère que l'action est tardive faute pour Energie Afrique Services Consulting de lui avoir notifié dans le délai d'un an à compter de la cessation du contrat qu'elle entendait faire valoir ses droits à indemnité de rupture.
Cependant, si Sullitron soutient que le contrat a cessé en fait de s'exécuter à compter du mois de septembre 2011 et que le désaccord entre les parties était définitivement consommé en novembre 2011, elle procède à ce titre par affirmations et ne produit pas d'éléments de preuve. Le seul élément produit quant à la rupture des relations d'affaires des parties, l'est par l'appelante. Il s'agit d'un courrier électronique du 30 décembre 2011 où le dirigeant d'Energie Afrique Services Consulting relate un entretien du 27 décembre qui aurait matérialisé cette rupture. Ce courrier électronique n'a pas fait l'objet d'une réponse spécifique, ou en tout cas elle n'est pas produite, et les éléments de fait qui y sont inclus n'ont pas été contestés.
C'est donc à bon droit que le premier juge a retenu que l'action introduite par l'assignation du 21 décembre 2012 n'était pas tardive.
Sullitron reprend également une fin de non-recevoir tirée d'un défaut de qualité à agir. Cependant par ce moyen il ne conteste pas la qualité à agir au sens du Code de procédure civile de l'appelante mais l'existence même du contrat d'agent commercial ce qui constitue non une fin de non-recevoir mais un moyen de fond.
C'est ainsi à bon droit que le premier juge a déclaré l'action recevable et le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur le fond, le débat est celui de la nature du contrat ayant lié les parties puisque Energie Afrique Services Consulting revendique un contrat d'agent commercial alors que Sullitron conteste cette qualification sans toutefois préciser la nature juridique des relations d'affaires dont elle admet l'existence. L'absence d'écrit ne saurait être opposée à l'appelante puisqu'il ne s'agit pas d'une condition de validité.
De même, le fait qu'EAS ne soit pas inscrite sur le registre spécial tenu au greffe du tribunal de commerce ne saurait avoir d'incidence sur l'éventuelle application du statut des agents commerciaux, s'agissant d'une mesure de police professionnelle et non d'une condition de validité.
La question est donc uniquement celle de déterminer si les relations d'affaires qui ont existé doivent être qualifiées ou non de contrat d'agent commercial, étant relevé qu'aucune pièce spécifique n'est transmise par les parties.
La nature de la relation telle que décrite par Sullitron elle-même correspond bien à la notion d'agent commercial puisqu'elle décrit des négociations de contrat par Energie Afrique Services Consulting correspondant à l'exécution d'un contrat d'agent commercial. C'est en réalité le seul caractère permanent de l'action de Energie Afrique Services Consulting qui fait débat puisque l'intimée soutient que l'appelante n'a réalisé que des missions ponctuelles pour son compte.
Cependant, il apparaît que l'activité d'Energie Afrique Services Consulting portait à la fois sur des prestations de commercialisation mais également sur le suivi commercial et la promotion de Sullitron ce qui ne relève pas d'une intervention simplement ponctuelle.
En outre, les contrats repris aux premières factures produites devant la cour n'ont pas fait l'objet d'une contestation. Ils font apparaître des commandes enregistrées par Energie Afrique Services Consulting pour Sullitron au moins depuis le 18 novembre 2010 et, à compter de cette date une régularité certaine dans les commandes.
Il ne s'agissait donc pas d'une simple représentation ponctuelle alors que le fait que la notion de permanence visée à l'article L. 134-1 du Code de commerce n'impose en rien l'exclusivité laquelle est d'ailleurs exclue par les dispositions de l'article L. 134-3 du même Code.
La relation ayant existé entre les parties relève donc bien de la qualification d'agent commercial.
Quant à l'origine de la rupture des relations d'affaires, il est admis que des discussions ont eu lieu entre les parties quant à une prise de participation de Sullitron dans le capital d'Energie Afrique Services Consulting. Cependant, juridiquement l'exécution du contrat d'agent commercial n'était pas liée à la finalisation de ces discussions. Il est exact qu'on dispose de peu d'éléments sur l'origine de la rupture. Toutefois, dans son argumentation Sullitron opère une certaine confusion entre l'échec des négociations sur la prise de participation et la rupture des relations d'affaires en liant les deux aspects ce qui peut être compréhensible sur un plan factuel mais ne peut être admis juridiquement. En outre si Sullitron soutient que c'est Energie Afrique Services Consulting qui a cessé de faire appel à elle, elle ne s'explique aucunement sur le courrier électronique du 30 décembre 2011 où Monsieur Brisset dirigeant d'Energie Afrique Services Consulting indique exactement le contraire. C'est également à compter de cette période que Sullitron a brusquement refusé de régler les factures émises par Energie Afrique Services Consulting et auparavant réglées avec régularité, ce qui a donné lieu à un litige distinct. L'ensemble de ces éléments, qui pris isolément seraient insuffisants mais deviennent démonstratifs une fois réunis, permet de caractériser que c'est bien Sullitron qui a pris l'initiative de la rupture des relations d'affaires.
Dès lors qu'il n'est pas justifié d'une faute d'Energie Afrique Services Consulting qui aurait permis cette brusque rupture des relations commerciales, elle peut prétendre à l'indemnisation du préjudice subi par application des dispositions de l'article L. 134-12 du Code de commerce, indemnisation dont il convient d'apprécier le montant.
Or sur ce point, si Energie Afrique Services Consulting invoque un usage impliquant la fixation de cette indemnité à deux ans de commissions, il convient toutefois de tenir compte de la durée des relations d'affaires laquelle a été d'environ une année.
Sullitron limite cette durée à 6 mois mais ne semble pas prendre en compte les premières factures qu'elle a réglées qui concernent des contrats de novembre 2010 et non mars 2011. Energie Afrique Services Consulting ne saurait toutefois prétendre à une indemnité de deux ans, dont le calcul serait d'ailleurs difficile en présence de contrats qui n'étaient pas conclus avec une périodicité régulière, pour une relation d'un an.
C'est bien une moyenne mensuelle de 13 331 euro de commissions qui doit être retenue. Ce montant est d'ailleurs proposé par Sullitron à titre subsidiaire. Son argumentation à titre principal consistant à rejeter de l'assiette des commissions les factures contestées ne peut en effet être admise dans la mesure où, si elle justifie de son appel de l'ordonnance de référé du 9 octobre 2012 l'ayant condamnée au paiement, elle ne produit pas même son argumentation devant la cour à ce titre. Sur cette base, et compte tenu de la durée réduite des relations commerciales, il ne peut être envisagé une indemnisation sur la base de deux années. En revanche, une période de 12 mois incluant le délai de préavis, période d'ailleurs évoquée par l'intimée elle-même, constituerait la juste mesure de l'appréciation du préjudice subi.
Il s'en déduit que l'indemnité à laquelle peut prétendre Energie Afrique Services Consulting s'élève à la somme de 159 972 euro.
Le jugement sera en conséquence réformé et Sullitron condamné au paiement de cette somme à Energie Afrique Services Consulting.
L'appel étant bien fondé, Sullitron sera condamné au paiement de la somme de 2 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré l'action recevable, L'infirme pour le surplus, et, statuant à nouveau, Condamne la SAS Sullitron à payer à la SARL Energie Afrique Services Consulting la somme de 159 972 euro en réparation du préjudice subi, outre celle de 2 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SAS Sullitron aux entiers dépens et dit qu'il pourra être fait application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile par la SCP Le Barazer & d'Amiens.