CA Fort-de-France, ch. civ., 16 février 2016, n° 14-00464
FORT-DE-FRANCE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Bar'ok (SARL)
Défendeur :
Vivre en Bois (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lallement
Conseillers :
Mmes Deryckere, Triol
Avocats :
Mes Lodeon, Basselier-Dubois
Exposé du litige - Rappel de la procédure - Prétentions des parties
La SARL Bar'Ok, qui exploite un bar restaurant, a acheté en novembre 2010 à la SAS Vivre en Bois pour un prix total de 7 882,44 euro les matériaux devant servir à constituer le plancher de la plate-forme dont elle avait commandé la réalisation à M. Jean-Luc Com, artisan, en vue d'agrandir la surface d'exploitation de son établissement.
Ces matériaux, composés de lames de bois composite dénommé Wex, et des éléments accessoires nécessaires à leur pose (solives, vis et clips), ont été mis en œuvre par M. Jean-Luc Com.
La terrasse ainsi réalisée présentant des désordres, la SARL Bar'Ok a fait assigner M. Jean-Luc Com en expertise in futurum devant le juge des référés du Tribunal mixte de commerce de Fort-de-France, lequel, par ordonnance du 3 février 2012, a désigné M. Philippe Piget, expert, aux fins notamment d'examiner les désordres allégués et d'en indiquer l'origine. L'expert commis a déposé son rapport le 2 mai 2013.
Par exploit d'huissier du 18 novembre 2013, la SARL Bar'Ok a fait assigner la SAS Vivre en Bois devant le Tribunal mixte de commerce de Fort-de-France afin principalement d'obtenir paiement de la somme de 20 040 euro représentant le coût des travaux de reprise déterminés par l'expert ainsi que de la somme de 20 974 euro représentant la perte de son chiffre d'affaires outre 10 000 euro en réparation de son trouble de jouissance.
Le Tribunal mixte de commerce de Fort-de-France, par jugement contradictoire du 1er juillet 2014, a :
- Débouté la SARL Bar'Ok sur tous les chefs de sa demande ;
- Condamné la SARL Bar'Ok à verser à la SAS Vivre en Bois une somme de 3 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Débouté la SAS Vivre en Bois du surplus de ses demandes
- Condamné la SARL Bar'Ok aux entiers dépens incluant ceux de l'expertise.
La SARL Bar'Ok a interjeté appel de cette décision par déclaration remise par voie électronique au greffe de la cour par son avocat le 15 juillet 2014.
Par dernières écritures déposées et notifiées par voie électronique le 25 février 2015, la SARL Bar'Ok demande à la cour, au visa de l'article 1641 du Code civil :
- de débouter la SAS Vivre en Bois de ses demandes, fins et moyens ;
- d'homologuer le rapport d'expertise judiciaire ;
- de dire et juger que la SAS Vivre en Bois a vendu un produit impropre à l'usage normal auquel il était destiné ;
- de constater que la SAS Vivre en Bois qui déclare comme étant " faux " que la couleur noire du matériau vendu soit la cause de la variation dimensionnelle décrite par l'expert comme cause des désordres, n'a ainsi jamais pu informer l'acheteur de cette inadéquation avec les surfaces ensoleillées, alors même que le guide du fabricant PiveteauBois déconseille la couleur noire pour les surfaces ensoleillées ;
- de dire et juger que l'existence du guide technique est porté à la connaissance de l'acheteur sur la facture et ainsi après l'achat du matériau et qu'en conséquence la couleur noire qui y est déconseillée pour les surfaces ensoleillées, constitue la preuve parfaite de ce que la SAS Vivre en Bois vendait un matériau constitutif d'un vice caché préexistant à la vente, ainsi que l'expert judiciaire l'a confirmé absolument ;
- de dire et juger que ce vice caché qui existait antérieurement à la vente, ne nécessitait aucun contrôle par l'expert puisque le fabricant de ce produit lui-même confirme l'inadéquation de la couleur noire pour les surfaces ensoleillées ;
- de dire et juger en conséquence la SAS Vivre en Bois, venderesse du matériau dont s'agit, responsable du préjudice souffert par la SARL Bar'Ok ;
- de condamner en conséquence la SAS Vivre en Bois à payer à la SARL Bar'Ok les sommes suivantes : 26 040 euro TTC représentant les travaux de reprise avec intérêts légaux à compter de l'assignation ; 20 974 euro représentant la perte du chiffre d'affaires correspondant à deux semaines d'activité, temps nécessaire au démontage puis à la reconstruction avec intérêts légaux à compter de l'assignation ; 30 000 euro en réparation de son trouble de jouissance, les désordres datant de trois années et demi avec intérêts légaux à compter de l'assignation ; 6 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- de condamner la SARL Bar'Ok aux entiers dépens qui comprendront notamment les frais d'expertise et les frais relatifs aux constats d'huissier.
Par le dispositif de ses dernières écritures remises et notifiées par voie électronique le 6 mars 2015, la SAS Vivre en Bois demande à la cour, au visa de l'article 1641 du Code civil :
- de dire et juger que la preuve n'est pas rapportée de l'existence d'un vice caché affectant le matériau vendu avant la vente à la société Bar'Ok ;
- de constater que le rapport de l'expert mentionne bien comme cause des désordres, la mauvaise mise en œuvre des matériaux ;
- de confirmer la décision entreprise dans toutes ses dispositions et de débouter la SARL Bar'Ok de toutes ses demandes ;
- de condamner la SARL Bar'Ok au paiement de la somme de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens avec distraction au profit de la SCP Dubois et Associés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 26 mai 2015 et l'affaire a été fixée à l'audience de plaidoirie du 25 septembre 2015.
Motifs de la décision
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs écritures ci-dessus rappelées ainsi qu'à la décision déférée.
L'appelante poursuit la totale infirmation du jugement déféré et renouvelle ses demandes indemnitaires en cause d'appel sur le fondement de la garantie des vices cachés des articles 1641 et suivants du Code civil en faisant valoir que les défauts du matériau vendu par la SAS Vivre en Bois le rendaient impropre à sa destination normale.
La SARL Bar'Ok expose ainsi que l'expert a conclu que ce ne sont pas les défauts constatés dans la pose du deck réalisée par M. Jean-Luc Com qui sont à l'origine des désordres mais les variations dimensionnelles de ce produit, supérieures en pays tropicaux, par rapport à celles pour lesquelles le fabricant s'engage en pays tempéré.
La SARL Bar'Ok fait valoir que le guide technique édité par la société Piveteaubois spécifie en page deux que les lames colorées en " Vert Fougère ", en " rouge terre " ou en " noir graphite " sont à éviter pour les surfaces ensoleillées mais qu'ayant acheté des lames de la couleur noire graphite, cette information dans le choix des couleurs ne lui a jamais été donnée par la SAS Vivre en Bois alors pourtant que deux autres couleurs sont offertes à la vente à savoir le " brun exotique " et le " gris anthracite ".
La SARL Bar'Ok soutient que dès lors que le guide technique du fabricant déconseille la couleur noire pour les surfaces ensoleillées, les lames de couleur noire achetées, étaient affectées d'un vice caché existant antérieurement à la vente sans qu'il soit besoin d'un contrôle par l'expert.
Elle prétend que le guide technique mentionné sur la facture de la SAS Vivre en Bois pour s'y référer quant à la mise en œuvre avant la pose des lames est un document dont l'existence est portée à la connaissance de l'acheteur après son achat puisqu'aussi bien cette mention est apposée sur la facture après le paiement du matériau. Elle estime également que la SAS Vivre en Bois ne peut s'expliquer sur sa faute de vendre en Martinique un matériau d'une couleur noire déconseillée pour les surfaces ensoleillées.
L'appelante fait donc valoir que le matériau qui lui a été vendu par la SAS Vivre en Bois s'est déformé parce que la couleur noire est déconseillée sur des surfaces ensoleillées telles qu'elles existent en Martinique comme le précisent l'expert et le guide technique du fabricant et non pas parce qu'il avait été mal posé et que ce vice caché préexistant à la vente par la SAS Vivre en Bois de ce matériau qui n'en a jamais informé l'acheteur a pour conséquence qu'elle doit supporter les réparations du préjudice subi par la SARL Bar'Ok.
La société intimée fait valoir quant à elle que l'expert n'a pas recherché le vice caché qui pourrait affecter les matériaux qu'il n'a soumis à aucun test ni contrôle mais qu'il a seulement analysé les conditions dans lesquelles ce matériau avait été utilisé.
À aucun moment, selon elle, l'expert n'a conclu que le matériau était affecté d'un vice caché, émettant simplement des hypothèses quant à sa déformation et à la couleur noire qui serait plus sensible à la chaleur mais mettant en exergue toutes les malfaçons qui en ont affecté la pose. Elle conclut qu'il est paradoxal de décrire un vice caché révélé par un guide technique. Selon elle, l'expert a fait des déductions plus que hâtives en affirmant sans démonstration technique pertinente que le matériau présentait des variations dimensionnelles en pays tropicaux.
La SAS Vivre en Bois expose encore que la SARL Bar'Ok a voulu faire des économies en passant par une entreprise non déclarée pour faire les travaux de terrassement et en confiant lesdits travaux à M. Jean-Luc Com sans vérifier sa couverture d'assurance, raison pour laquelle elle croit pouvoir se retourner contre le vendeur des matériaux mis en œuvre de manière inadaptée alors qu'elle doit d'autant plus assumer les conséquences de ses choix que le rapport d'expertise ne permet en rien de dire que le matériau vendu était vicié.
Sur ce, la Cour relève que la SARL Bar'Ok a fait choix d'agir sur le fondement des articles 1641 et suivants du Code civil relatifs à la garantie des vices cachés.
Selon l'article 1641 du Code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine ou qui en diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise ou on aurait donné un moindre prix s'il les avait connus. Selon l'article 1642 du Code civil, le vendeur n'est pas tenu des vices apparents et dont l'acheteur a pu se convaincre lui-même.
Selon l'article 1644 du Code civil, l'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix arbitré par expert. En outre, si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur. Il doit cependant être rappelé que la recevabilité de l'action en réparation du préjudice éventuellement subi du fait d'un vice caché n'est pas subordonnée à l'exercice d'une action rédhibitoire ou estimatoire, de sorte que cette action peut être engagée de manière autonome.
Il incombe donc à celui qui invoque la garantie des vices cachés, de rapporter la preuve que la chose vendue est atteinte d'un vice qui lui est inhérent, existant antérieurement à la vente, non apparent et inconnu de lui. Preuve doit aussi être rapportée que ce vice constitue la cause des désordres et fait que la chose vendue est impropre à l'usage qui en était attendu.
Ainsi, l'acheteur qui agit en garantie d'un vice caché sur le fondement des articles 1641 et suivants du Code civil n'est pas fondé à invoquer l'action en responsabilité contractuelle résultant du contrat de vente.
En conséquence, sont inopérants les moyens soulevés par la SARL Bar'Ok au sujet de l'obligation de conseil que n'aurait pas respecté son vendeur ou de la faute qu'elle impute à la SAS Vivre en Bois pour avoir mis en vente et lui avoir vendu un matériau connu pour être inadapté aux conditions climatiques de la Martinique.
La facture du 28 septembre 2010 délivrée par la SAS Vivre en Bois à la SARL Bar'Ok est relative à des planches Wex de couleur " noire graphite " à enlever par le client et mentionne " se référer au guide de mise en œuvre avant la pose des lames ". Il n'est pas contesté que ces lames et leurs accessoires de pose, commandées par la SARL Bar'Ok le 28 septembre 2010, ont été ultérieurement emportées par l'acheteur qui a reçu le guide de mise en œuvre.
Sur le vice caché dont l'existence doit être démontrée, la cour relève que l'expert a conclu principalement que les désordres affectant le deck litigieux " consistent en une déformation des planches du deck construit par M. Jean-Luc Com, les lames du deck de marque Wex fabriquées par Piveteaubois présentant au jour de l'expertise de fortes ondulations verticales ". Il a relevé que les zones du deck présentant peu de déformation étaient celles placées, d'une part, sous le carbet du bar et, d'autre part, sous l'arbre, remarquant ainsi qu'il s'agissait des deux zones à l'abri du soleil. L'expert a par ailleurs conclu que la pose avait été faite sans respecter en tous points le guide technique de pose édité par Piveteaubois et qu'il existait ainsi des non-conformités sur la pose. Il a conclu, quand à l'origine des désordres, que ces derniers provenaient de la mise en compression des lames du deck bloquées par le béton de la terrasse d'un côté et le muret béton ou le mur de clôture de l'autre côté, la mise en compression provoquant les ondulations et un enfoncement des lambourdes dans le sol.
L'expert a aussi noté que le matériau utilisé présentait des variations dimensionnelles supérieures en pays tropicaux humides à celles pour lesquelles le fabricant s'engageait en pays tempéré. Il a signalé que, notamment, la couleur noire utilisée pour ce deck, subissait une montée en température très importante lors de l'exposition au soleil " ce qui expliquerait que les zones abritées du soleil sont moins déformées". Il a conclu que les désordres observés ne compromettaient pas la solidité de l'ouvrage mais le rendaient impropre à sa destination.
La cour relève que le guide technique de pose des lames Wex, décrit en sa première page les principales caractéristiques des lames de terrasse de bois composite des diverses gammes fabriquées et vendues par Piveteaubois.
Il doit être ainsi constaté que la gamme Atlantique comprend cinq coloris possibles. À côté du coloris noir graphite, figure une icône représentant un panneau de signalisation " attention " composé d'un point d'exclamation de couleur noire sur fond jaune aux côtés de laquelle est imprimée la mention " à éviter pour les surfaces ensoleillées ".
Ce guide technique de pose dont il n'est pas contesté qu'il a été remis à la SARL Bar'Ok qui verse du reste au débat une copie de l'exemplaire qui lui a été délivré et qui a été consulté par l'expert, signale, en sa page 8, qu'il est nécessaire de laisser un " joint en rive " de 10 mm minimum pour la jonction avec un mur, un seuil de porte ou d'autres éléments statiques. L'expert a relevé, en page 7 de son rapport, que les joints en rive de l'ouvrage litigieux étaient au nombre de 3 (rive n° 1 du côté de la terrasse couverte de l'établissement, rive n° 2 du côté du muret délimitant le jardin et rive n° 3 du côté du mur de clôture côté rue). Or, l'expert a indiqué qu'il ne lui était pas possible de donner son avis sur les joints en rive parce que, pour les rives n° 1 et n° 3, 10 mm de joint auraient été respectés par M Jean-Luc Com cependant que lors de l'accedit, le jeu en rive variait de 0 à 5 mm du côté de la villa et de 0 à 8 mm du côté du mur de clôture tandis que pour la rive n° 1, un joint variant de 0 à 10 mm avait été mesuré lors de l'expertise. La cour retient donc qu'il est possible de déduire de ces considérations de l'expert que la largeur minimum de 10 mm du joint en rive préconisé par le guide technique n'a pas été respectée sur toute la longueur de ce type de joints lors de la pose.
Dès lors, il est suffisamment établi que les ondulations des lames de Wex qui rendent incontestablement le deck impropre à sa destination, sont consécutives à " la mise en compression des lames bloquées par le béton de la terrasse d'un côté et le muret béton ou le mur de clôture de l'autre côté ", ce blocage étant lui-même principalement dû à la largeur insuffisante des joints en rive laissés par l'artisan installateur de ce deck qui ne s'est pas exactement conformé aux préconisations du guide de pose remis par le fabricant et le vendeur des lames. En tout cas, il n'est pas suffisamment démontré que ces ondulations sont dues à un défaut caché des lames vendues. En toute hypothèse, si la compression à l'origine de la déformation des lames s'est accrue, ce qui resterait à établir, à raison du caractère impropre de ces lames de coloris " noir graphite " à être installées sur une terrasse ensoleillée, cette impropriété des lames à être utilisées de la sorte était apparente puisque signalée par le fabricant dans les documents commerciaux et les documents techniques consultables par l'acheteur qui les a choisies en toute connaissance de ce qu'elles seraient utilisées sur une surface soumise aux rayons du soleil.
Dès lors, en l'absence de démonstration de ce que les désordres ayant affecté les lames de bois composite achetées par la SARL Bar'Ok à la SAS Vivre en Bois sont dus à un vice caché inhérent à ces lames ayant existé au moment de la vente, l'action en garantie des vices cachés initiée par la SARL Bar'Ok ne peut prospérer.
La cour confirme en conséquence le jugement déféré en toutes ses dispositions, y compris celles concernant l'application de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens en première instance.
Partie succombant en son recours la SARL Bar'Ok est condamnée aux dépens de l'instance d'appel avec distraction au profit de la SCP Dubois et associés.
En équité elle est par ailleurs condamnée à verser à la SAS Vivre en Bois la somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, - Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ; - Condamne la SARL Bar'Ok aux dépens de l'instance d'appel, cette condamnation étant assortie du droit de recouvrement direct dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile au profit de la SCP Dubois et Associés, Avocat ; - Vu l'article 700 du Code de procédure civile, condamne la SARL Bar'Ok à verser de ce chef à la SAS Vivre en Bois la somme de 2 000 euro ; - Rejette toutes les autres demandes formées en cause d'appel.