CA Nîmes, 1re ch. B, 9 juillet 2002, n° 2000-3487
NÎMES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Gayde (Consorts)
Défendeur :
Gueydan (Epoux)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bruzy
Conseillers :
MM. Favre, Filhouse
Avoués :
Me d'Everlange, SCP Guizard Servais
Avocats :
SCP Tournier, Associés, Selafa Fidal Nîmes
FAITS - PROCÉDURE - PRÉTENTIONS DES PARTIES
Messieurs Gayde agriculteurs avaient acheté aux époux Gueydan le 29 juin 1998 un camion d'occasion qui présentait la particularité d'être équipé d'une benne.
Les vendeurs, en l'occurrence Monsieur Gueydan, avaient fourré à Messieurs Gayde une fiche de contrôle technique du service des mines en date du 28 juin 1998 montrant l'acceptation sans réserve du véhicule.
Le 29 juin 1998 Monsieur Gayde prenait place dans le camion pour un essai mais Monsieur Gueydan conduisait le véhicule sans laisser son acheteur essayer lui-même le camion.
Dès le lendemain Monsieur Gayde faisait observer au vendeur qu'il s'était rendu compte que la troisième et la septième vitesse sautaient mais Monsieur Gueydan refusait toute réduction du prix.
Le 30 juin 1998 c'est-à-dire le lendemain de la vente Monsieur Gayde, présentait le véhicule à un technicien, Monsieur Pluton, qui constatait que les troisième et septième rapport de la boîte de vitesse craquent dans leur enclenchement et sautent dès que le conducteur enlève sa main du levier. Ce technicien ayant examiné la tringlerie de commande de la boîte de vitesse constatait que les rotules de renvoi étaient excessivement usées et étaient maintenues en place par du fil de fer.
Il estimait que le remplacement de la boite de vitesse coûterait la somme de 40 063,34 F. Les acheteurs transmettaient cette expertise amiable au vendeur qui refusait toute transaction en sorte qu'ils obtenaient par une ordonnance de référé la désignation d'un expert judiciaire en la personne de Monsieur Casseville, lequel estimait que les travaux de remise en état de la boîte de vitesse s'élevaient à la somme de 38 612,85 F TIC et qu'au demeurant, compte tenu de la vétusté du véhicule, seule la proportion de 30 % devrait être mise à la charge du vendeur. Il estimait en outre que le véhicule n'avait pas été immobilisé depuis son achat qui était conclu pour les besoins liés à une exploitation agricole et que si l'acheteur avait conduit le véhicule il se serait rendu compte de la défectuosité de la boîte de vitesse.
Au vu de cette expertise par un jugement en date du 7 juin 2000 auquel il est expressément référé pour plus exposé des faits, de la procédure antérieure et des prétentions des parties, le Tribunal de grande Instance d'Alès a débouté Messieurs Gayde de leur demande et les a condamnés à payer aux époux Gueydan la somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Le tribunal a reproché aux acheteurs de n'avoir pas procédé à des vérifications normales qui consistent au minimum à la prise en main du véhicule pour procéder par soi-même aux essais habituels qui auraient dû leur faire prendre conscience du vice apparent résultant de l'usure de la boîte de vitesse.
Messieurs Gayde ont relevé appel de cette décision et demandent sa réformation et la condamnation des époux Gueydan à leur verser:
- la somme de 38 612,85 F au titre du remplacement de la boîte de vitesse,
- la somme de 21 107,39 F au titre de la remise en état du véhicule pour conformité selon les prescriptions du service des mines,
- la somme de 87 500 F au titre du préjudice économique subi,
- la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, outre les dépens de première instance y compris ceux de référé et d'expertise.
Subsidiairement ils sollicitent une nouvelle expertise. Les acheteurs soutiennent que n'étant pas des professionnels ils n'ont pas pu se convaincre de l'existence d'un vice résultant du mauvais état de la boîte de vitesse et qu'il ne peut pas leur être imposé de pratiquer un essai du véhicule préalablement à la vente.
Ils rappellent qu'en fait le véhicule avait été présenté au service des mines le 23 juin 1993 et qu'ils en ont conclu que le camion était dans un bon état mécanique.
Ils ajoutent qu'ils auraient donné à moindre prix du véhicule s'ils avaient su qu'il fallait remplacer la boîte de vitesse pour un total de 38 612,85 F et qu'ils auraient dû payer une somme de 22 107,39 F pour obtenir l'agrément du service des mines lorsqu'ils ont présenté le véhicule à ce service qui leur s fait des remarques plus importantes que celui d'Alès qui n'avait rien observé.
En outre ils estiment qu'ils n'ont pas pu utiliser ce véhicule d'une façon normale et qu'ils ont perdu un contrat de transport qui leur aurait permis de percevoir des sommes de l'ordre de 87 500 F,
En réplique les époux Gueydan demandent à la cour de:
- dire que les acheteurs n'établissent nullement l'existence d'un vice caché,
- dire qu'ils ne justifient pas du préjudice revendiqué au titre des travaux effectués pour remettre en conformité le véhicule vendu,
- dire qu'ils ne justifient pas d'un préjudice économique.
Ils demandent la condamnation de Messieurs Gayde à leur verser une somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et subsidiairement ils offrent la somme de 9 605,19 F hors taxes.
Les époux Gueydan soutiennent que Messieurs Gayde doivent être déboutés parce qu'il apparaît qu'eu égard à leur compétence ils pouvaient et devaient découvrir les vices du véhicule. Messieurs Gayde auraient dû selon les vendeurs déceler le dysfonctionnement de la boîte de vitesse s'ils avaient exprimé clairement leur volonté de prendre le volant.
Enfin subsidiairement les vendeurs font valoir que s'agissant d'un véhicule d'occasion les acheteurs devraient supporter une part de la réparation de la boîte de vitesse.
En outre les vendeurs font valoir que Messieurs Gayde ne rapportent pas la preuve qu'ils ont vraiment dépensé la somme de 27 107,39 F pour obtenir le certificat de conformité du service des mines, en sorte qu'ils devront être déboutés de ce chef, les seuls documents produits étant des devis du 22 luilet 1998 qui ne peuvent valoir preuve d'une dépense engagée.
En dernier lieu ils rappellent que Messieurs Gayde ne sont pas des transporteurs professionnels en sorte qu'ils ne peuvent prétendre avoir perdu des marchés de transport qui auraient été commandés par un Monsieur Ottaviani qui exerce la profession de transporteur.
Les époux Gueydan demandent donc le débouté de Messieurs Gayde.
DISCUSSION
Attendu que les vendeurs, les époux Gueydan, ne discutent pas avoir exhibé aux futurs acheteurs un certificat de conformité délivré par la Direction Régionale de l'Industrie pour une visite technique effectuée le 23 juin 1998 montrant qu'il n'existait aucune difficulté pour l'acceptation du véhicule
Attendu qu'en réalité il résulte de l'examen pratiqué par le technicien Pluton, à la demande des acheteurs, dès le lendemain de la vente, que la boîte de vitesse était défectueuse et que l'examen de la tringlerie de cette boîte de vitesse démontrait à la fois son usure et une réparation de fortune effectuée à l'aide d'un fil de fer;
Attendu qu'il est reproché aux acheteurs de n'avoir pas procédé eux-mêmes à l'essai du camion avant la vente
Attendu qu'à cet égard il ne peut être reproché à un acheteur de ne pas avoir procédé à un essai et à un examen visuel minutieux d'un véhicule automobile qui vient d'être accepté par le service des mines cinq jours avant la vente
Attendu que les acheteurs exerçaient la profession d'agriculteur et qu'ils n'étaient pas des professionnels en sorte que l'aspect extérieur du camion qui était convenable selon l'expert judiciaire pouvait leur faire penser que la mécanique du camion était en bon état;
Attendu que les conventions, telle la vente, doivent s'exécuter de bonne foi, et qu'il ne peut pas être exigé d'un acheteur novice un essai préalable à l'achat;
Attendu que la réparation de la boîte de vitesse à l'aide d'un fil de fer était au dire de l'expert judiciaire visible pour un acheteur normalement diligent alors qu'il est démontré par la production d'un certificat de visite technique que les techniciens des mines n'ont pas observé cette réparation de fortune qui rendait le véhicule dangereux dans le cas où une vitesse sautait, notamment si le camion avait pris de la vitesse dans une descente
Attendu qu'on ne peut exiger d'un acheteur profane la vigilance d'un professionnel de la mécanique qui a été mis en alerte par les acheteurs qui ont constaté à l'usage que deux des vitesses sautaient
Attendu qu'il s'ensuit, que contrairement à l'avis des premiers juges, le vice qui pouvait être décelé par des experts, n'était pas de la nature de ceux dont il peut être prétendu qu'ils sont apparents si l'acheteur s'était livré à un examen visuel minutieux du moteur et à un essai personnel de conduite du véhicule
Attendu qu'il y a lieu de rechercher si les vendeurs connaissaient l'existence du vice et qu'à cet égard les acheteurs se sont aperçus que le véhicule litigieux avait été vendu le 12 mars 1996 par la société Trans Cevennes Bois au garage Renault Poids Lourds et que ce professionnel ayant découvert que la boîte de vitesse présentait un défaut, le véhicule a été revendu à nouveau à la société Trans Cevennes Bois le 18 avril 1996
Attendu que Monsieur Gueydan à cet égard a indiqué à l'expert judiciaire qu'il détenait ce véhicule depuis le mois de septembre 1994 pour effectuer à titre professionnel des transports de marchandises et qu'ayant cessé cette activité il avait décidé de vendre le camion et qu'il n'avait jamais constaté de problème de fonctionnement de la boîte de vitesse lors de l'utilisation du véhicule
Attendu que le rapprochement entre la lettre de la SA Cevennes Poids Lourds et les déclarations de Monsieur Gayde démontre que ce dernier connaissait parfaitement le vice qui affectait la boîte de vitesse du camion à telle enseigne que le garage Renault Cevennes Poids Lourds lui avait revendu le véhicule qu'il venait d'acheter au motif que la boîte de vitesse ne fonctionnait pas correctement
Attendu qu'il s'ensuit que c'est à bon droit que les acheteurs prétendent qu'ils auraient donné à moindre prix du véhicule s'ils avaient su qu'ils devaient régler une somme évaluée à 38 612,85 F pour échanger la boîte de vitesse et une somme de 22 107,39 F pour remettre en état le véhicule
Attendu qu'en ce qui concerne la remise cii état du véhicule pour conformité de la visite technique des mines les acheteurs produisent une facture acquittée du 23 juin 1999 formant la pièce n° 9 communiquée par leur conseil
Attendu sur ce point que l'expert judiciaire a indiqué que les anomalies électriques ne devaient pas être prises en considération et qu'il y a donc lieu de limiter la diminution du prix à la somme de 20 000 F de ce chef;
Attendu qu'en ce qui concerne l'échange standard de la boîte de vitesse les acheteurs ne produisent que des devis mais qu'ils résultent de l'examen de ces devis dont l'un a été contrôlé par l'expert judiciaire que le coût du changement de boîte de vitesse s'élèverait à la somme de 38 612,85 F
Attendu qu'ainsi l'acheteur s'il avait connu les vices cachés du véhicule démontre qu'il en aurait donné un prix diminué du montant des réparations indispensables soit la somme de 38 612,85 F TTC
Attendu en revanche que les acheteurs ne démontrent pas qu'ils exerçaient le commerce du transport outre leur activité agricole en sorte qu'ils seront déboutés de leur demande de dommages-intérêts au titre d'un préjudice économique de 87 500 F
Attendu en revanche qu'il résulte clairement de l'expertise que l'usage du véhicule est malaisé et qu'en outre il sera immobilisé pour procéder aux réparations indispensables, qu'il convient d'allouer de ce chef des dommages-intérêts à hauteur de 1 500 euros la démonstration étant faite que les vendeurs connaissaient le vice affectant la boîte de vitesse
Attendu que les acheteurs ont dû faire valoir leur droit tant en première instance qu'en cause d'appel, qu'ils devront être indemnisés des frais non compris dans les dépens à hauteur de 800 euros, les époux Gueydan étant condamnés à payer les frais de référé et d'expertise en sus des dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Maître d'Everlange, avoué, s'il en a fait l'avance
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort, Reçoit l'appel en la forme, Au fond le dit bien fondé; Dit que les époux Gueydan ont vendu un camion Renault G260 à Messieurs Gayde affecté de vices cachés notamment celui relatif à la boîte de vitesse, Dit bien fondé l'action estimatoire intentée par Messieurs Gayde contre les époux Gueydan ; Condamne en conséquence les époux Gueydan à payer à Messieurs Gayde la somme de 8 935,47 euros correspondant à la diminution du prix qu'aurait donné Messieurs Gayde s'ils avaient su que le camion était affecté des défauts révélés lors de l'expertise; Dit qu'en l'état de la réparation de fortune de la tringlerie de la boîte de vitesse et de la lettre de la SA Cevennes Poids Lourds relative à l'état du véhicule en 1996 que les époux Gueydan connaissaient l'existence du vice affectant la boîte de vitesse ; Condamne en conséquence les époux Gueydan à payer à Messieurs Gayde la somme de 1 500 euros au titre des dommages-intérêts résultant de l'immobilisation et de la difficulté d'utilisation du véhicule vendu; Condamne les époux Gueydan à payer à Messieurs Gayde la somme de 800 euros au titre des frais non compris dans les dépens ; Condamne les époux Gueydan aux entiers dépens de première instance y compris ceux de référé et d'expertise ainsi que les dépens d'appel dont distraction au profit de Maître d'Everlange, avoué, s'il en a fait l'avance.