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Décisions

CA Paris, Pôle 2 ch. 5, 23 février 2016, n° 14-15941

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Pluritec France (SARL)

Défendeur :

Aviva Assurances (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme le Francois

Conseillers :

M. Byk, Mme Lefevre

Avocats :

Mes Hue, Sissoko, Regnier, Ricouard

T. com, Bobigny, du 8 juill. 2014

8 juillet 2014

Le 15 septembre 2006, la société Pluritec a vendu à la société ERE une machine à étamer l'étain pour un montant de 44 000 euro HT.

Le 29 avril 2010, un incident est survenu sur cette machine, de l'étain en fusion s'étant écoulé de la cuve. Le 8 avril 2011, l'Institut de soudure, dans le cadre d'une expertise amiable consentie par les deux parties, a examiné la machine et relevé un défaut de conception des soudures de la cuve et des fissurations, qui ont généré le sinistre.

Par lettre du 11 avril 2012, la société Aviva, assureur de la société ERE, a sollicité de la société Pluritec le versement de la somme de 40 071,25 euro au titre de sa responsabilité.

Par courrier du 9 mai 2012, la société AXA, assureur responsabilité civile de cette société, a indiqué prendre en charge le sinistre à hauteur de 6 239,25 euro en ne couvrant pas le remplacement de la cuve. Le solde n'a pas été réglé par Pluritec.

Par acte du 5 août 2013, la société Aviva a assigné la société Pluritec devant le Tribunal de commerce de Bobigny qui, par jugement du 8 juillet 2014, l'a condamnée à payer à la société Aviva la somme de 32 353,25 euro, avec intérêts au taux légal à compter du 11 avril 2012, outre 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par déclaration du 24 juillet 2014, la SARL Pluritec France a interjeté appel. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 20 octobre 2014, elle sollicite l'infirmation du jugement sauf en ce qu'il a débouté la société Aviva de ses demandes fondées sur les articles 1386-1 et suivants du Code civil, demandant à la cour de dire cet assureur irrecevable à agir sur le fondement de l'article 1147 du Code civil, à titre subsidiaire de le débouter de ses demandes, à titre très subsidiaire de limiter l'indemnisation du préjudice matériel subi à la somme de 3 668,25 euro et de la condamner à lui payer la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 19 décembre 2014, la société Aviva Assurances sollicite la confirmation du jugement sauf en ce qui concerne le montant du recours et les dispositions afférentes au point de départ du délai de prescription, de juger que ledit délai court à compter du dépôt du rapport de l'Institut de soudure, soit à compter du 8 avril 2011, en conséquence de la déclarer tant recevable que bien fondée en l'ensemble de ses demandes et en son recours subrogatoire, de juger que la SARL Pluritec France a pleinement engagé sa responsabilité, de la condamner à lui payer la somme de 34 636,88 euro, avec intérêts au taux légal à compter de la date de chacun des règlements et au plus tard à compter de la date de la première lettre de mise en demeure, soit le 11 avril 2012, outre à la somme de 7 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 23 novembre 2015.

Ce sur quoi, la cour

Sur la responsabilité contractuelle:

Considérant que pour combattre ce fondement, la société Pluritec rappelle que l'application de la directive 85-374 du 25 juillet 1985 ne permet pas à la victime d'invoquer un régime de responsabilité, qui, comme en l'espèce, aurait le même fondement que celui résultant de la transposition de cette directive, ce qui conduit, selon elle, à écarter la jurisprudence relative à l'indemnisation des victimes de dommages causés par des produits défectueux qui, sur le fondement de l'article 1147 du Code civil, avait créé une obligation de sécurité-résultat ;

Considérant qu'à titre subsidiaire, la société Pluritec conteste avoir commis une faute et, très subsidiairement, elle demande que l'indemnisation soit limitée à la somme de 3 668,25 euro ;

Considérant que pour Aviva, le régime de responsabilité du fait des produits défectueux ne permettant pas d'indemniser le dommage subi par le produit lui-même mais uniquement les dommages qu'il a provoqués, il lui est possible d'invoquer l'article 1147 du Code civil;

Que, dans ce cadre, elle est dispensée de prouver la faute du contractant et doit uniquement démontrer l'inexécution de l'obligation contractuelle, qui résulte du rapport de l'Institut de soudure ;

Considérant que la Cour de justice de l'Union européenne a relevé que "la marge d'appréciation dont disposent les États membres pour réglementer la responsabilité du fait des produits défectueux est entièrement déterminée par la directive elle-même et doit être déduite du libellé, de l'objectif et de l'économie de celle-ci [qui] ne contient aucune disposition autorisant explicitement les États membres à adopter ou à maintenir, sur les questions qu'elle règle, des dispositions plus strictes pour assurer un niveau de protection plus élevé aux consommateurs" ;

Qu'elle en a déduit que l'article 13 de la directive du 25 juillet 1985 précitée "ne saurait être interprété comme laissant aux États membres la possibilité de maintenir un régime général de responsabilité du fait des produits défectueux différent de celui prévu par la directive ['] [mais] doit être interprété en ce sens que le régime mis en place par ladite directive ['] n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle reposant sur des fondements différents, tels que la garantie des vices cachés ou la faute" (CJCE, du 25 avril 2002, María Victoria González Sánchez c. Medicina Asturiana SA., affaire C-183/00) ;

Considérant qu'il s'en déduit que, pour pouvoir agir sur le fondement contractuel, la société Aviva doit démontrer que la société Pluritec a commis une faute la distinguant d'un régime de responsabilité, dont la mise en œuvre suppose la démonstration d'un défaut du produit à l'origine du dommage ;

Qu'en l'espèce, le rapport de l'Institut de soudure conclut au caractère non adapté aux conditions de service de la machine à étamer à chaud en raison de défauts dans la conception du piquage de purge et dans celle des soudures discontinues conduisant à l'endommagement de la machine par fatigue ;

Que le premier juge, en déduisant de ce constat qu'il établissait l'existence de l'inexécution du contrat sans qu'il soit nécessaire de prouver autrement la faute du contractant, a ainsi contrevenu aux conditions suivant lesquelles le droit européen permet au droit interne de prévoir un régime de responsabilité dont le fondement est distinct de celui que les articles 1386-1 et suivants du Code civil mettent en œuvre en application de la directive du 25 juillet 1985 ;

Qu'en conséquence, la société Aviva ne démontrant pas, en l'espèce, l'existence d'une faute distincte du défaut de sécurité du produit, il y a lieu de dire que l'action ne peut être fondée sur l'application de l'article 1147 du Code civil ;

Sur le fondement subsidiaire de l'action: la responsabilité du fait des produits défectueux:

- recevabilité

Considérant qu'au soutien de son appel, la société Pluritec, qui est vendeur du produit, avance que le producteur de la machine étant identifié, l'action de la société Aviva à son encontre est irrecevable ;

Qu'en outre, les dispositions des articles 1386-1 et suivants du Code civil ne couvrent que les atteintes à des intérêts privés (atteintes à la personne, atteintes aux biens à usage privé) et non, comme en l'espèce, les biens à usage professionnel, qui obéissent au régime de responsabilité de droit commun (vice caché, non-conformité) ;

Considérant qu'Aviva répond que la SARL Pluritec France est l'importateur, qui, en vertu de l'article 1386-6 du Code Civil, est assimilé au producteur ;

Que l'intimée fait encore valoir que la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 doit être interprétée en ce sens qu'elle ne s'oppose pas à l'interprétation d'un droit national ou à l'application d'une jurisprudence interne établie selon lesquelles la victime peut demander réparation du dommage causé à une chose destinée à l'usage professionnel et utilisée pour cet usage, dès lors que cette victime rapporte seulement la preuve du dommage, du défaut du produit et du lien de causalité entre ce défaut et le dommage ;

Considérant que, contrairement à ses dires, la société Pluritec France se contente d'affirmer que la machine est de marque Lantronic sans établir le nom et les éléments permettant d'identifier son producteur, qu'en effet, la facture de vente du 10 juin 2010 ne contient aucune information à cet égard ;

Qu'il en résulte que la responsabilité du vendeur ou du loueur assimilable au crédit-bailleur peut être recherchée, conformément aux dispositions de l'article 1386-7 du Code civil ;

Considérant, par ailleurs, sur le second point de droit, que, même si en application des articles 1 et 9 de la directive ainsi que de son 9ème considérant, la réparation des dommages causés à une chose destinée à l'usage professionnel et utilisée pour cet usage ne fait pas partie des points que la directive réglemente, le législateur communautaire n'a pas pour autant entendu priver les Etats membres de la faculté de prévoir, en ce qui concerne la réparation des dommages causés à une chose destinée à l'usage professionnel et utilisée pour cet usage, un régime de responsabilité qui correspond à celui instauré par ladite directive (CJUE 4 juin 2009 aff C-285/08, Moteurs Leroy Somer c Dalkia France et ACE Europe) ;

Qu'il convient donc de débouter Pluritec de ses exceptions d'irrecevabilité ;

- prescription

Considérant que l'appelante fait valoir que l'action en réparation fondée sur les dispositions de l'article 1386-17 du Code civil se prescrivant par un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur, l'action est prescrite depuis le 29 avril 2013, la société ERE ayant eu connaissance du dommage le 29 avril 2010 ;

Considérant qu'Aviva réplique que, pour que l'action soit prescrite, il faut établir cumulativement que la date d'apparition de l'ensemble du dommage et de sa connaissance, la date de connaissance du défaut du produit litigieux et la date de connaissance de l'identité du producteur sont antérieures de plus de trois ans à l'introduction de l'action en justice, ce que ne fait pas l'appelante ;

Qu'en l'espèce, elle précise que le point de départ du délai pourrait raisonnablement être fixé à la date de dépôt du rapport technique établi par l'Institut de Soudure le 8 avril 2011 et, qu'en conséquence, la prescription ne serait donc pas acquise à la date de l'assignation ;

Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article 1386-17 du Code civil ;

" L'action en réparation fondée sur les dispositions du présent titre se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur " ;

Qu'il résulte de cet énoncé que la connaissance doit être celle des trois éléments fixés par ce texte de sorte que le défaut n'ayant été connu que par les conclusions du rapport de l'Institut de soudure déposé le 8 avril 2011, l'action n'était pas prescrite lors de l'assignation, le 5 août 2013 ;

- au fond

Considérant qu'invoquant les dispositions de l'article 1386-2 du Code civil, qui énonce que

"les dispositions du présent titre s'appliquent à la réparation du dommage qui résulte d'une atteinte à la personne (et) à la réparation du dommage supérieur à un montant déterminé par décret, qui résulte d'une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même", l'appelante estime que la cour doit écarter l'indemnisation du bien défectueux lui-même et appliquer la franchise de 500 euro résultant de l'article, soit une indemnisation à hauteur de la somme de 3 668,25 euro ;

Considérant qu'Aviva réplique qu'en l'espèce existent des indices, constituant des présomptions simples, précises et concordantes, conduisant à présumer non seulement l'imputabilité, mais aussi le défaut du produit, comme l'atteste le rapport de l'Institut de soudure ;

Qu'elle ajoute, que pour répondre à l'argument de l'appelante, s'agissant des dommages au produit défectueux, elle invoque les dispositions de l'article 1147 du Code Civil, lesquelles sont, au demeurant, sous tendues par un régime de responsabilité de même nature que le régime de responsabilité de plein droit, résultant des dispositions des articles 1386-1 et suivants du Code civil ;

Considérant qu'aux termes du régime de responsabilité du fait des produits découlant des articles 1386-1 et suivants du Code civil, seul applicable en l'espèce, les dommages au produit défectueux lui-même ne sauraient être indemnisés ;

Sur les indemnités:

Considérant que l'appelante estime, à titre très subsidiaire, ne devoir au mieux que 3 668,25 euro ;

Considérant qu'Aviva fait valoir que, par les quittances et accord sur indemnité qu'elle verse aux débats auxquels s'ajoutent les copies d'écran informatique des règlements effectués, elle démontre avoir indemnisé son assuré des dommages subis à hauteur de 31 240,25 euro ainsi que des frais annexes, soit un total de 34 636,88 euro, avec intérêts au taux légal à compter de la date de chacun des règlements et, au plus tard, à compter de la date de la première lettre de mise en demeure, soit le 11 avril 2012 ;

Considérant qu'en application de l'article 1386-2 du Code civil, il sera fait droit à la demande d'indemnisation dans la limite de la somme de 3 668,25 euro, avec intérêts au taux légal à compter du 11 avril 2012 ;

Sur l'article 700 du Code de procédure civile:

Considérant que l'équité commande de ne pas faire droit aux demandes à ce titre ;

Par ces motifs, Statuant en dernier ressort, contradictoirement et publiquement par mise à disposition au greffe, Infirme le jugement déféré ; Statuant à nouveau et, y ajoutant ; Condamne la société Pluritec à payer à la société Aviva la somme de 3 668,25 euro, avec intérêts au taux légal à compter du 11 avril 2012 ; Déboute les parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles ; Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens.