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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 24 février 2016, n° 13-19611

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Vaneste (SAS)

Défendeur :

Dinh Van (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cocchiello

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Luc

Avocats :

Mes Baechlin, Letartre, Gary

T. com. Paris, du 11 sept. 2013

11 septembre 2013

Faits et procédure

La SAS Dinh Van exerce une activité de conception, fabrication et commercialisation de bijoux de luxe distribués sous la marque et le logo Dinh Van soit dans ses propres magasins soit par des revendeurs sélectionnés.

La SAS Vaneste exploite un fonds de commerce de bijouterie et joaillerie à Lille dans lequel elle vend ses propres bijoux et des pièces de différentes marques de luxe.

Le 10 mai 2005, les parties ont conclu un contrat de franchise de boutique Dinh Van pour une durée de 5 ans. Le contrat prévoyait notamment une obligation d'approvisionnement en produits exclusivement Dinh Van, la SAS Vaneste s'engageant à respecter un minimum de 150 000 euro de commandes la première année et pour les années suivantes d'un montant à négocier chaque année à la date d'anniversaire du contrat.

Le 9 avril 2009, les parties ont signé un avenant au contrat par lequel elles l'ont reconduit dans les mêmes conditions sauf en ce qui concerne le montant minimum de commandes annuelles qui a été porté à 180 000 euro HT.

A la suite d'un rendez-vous intervenu le 19 janvier 2010, la société Dinh Van a, par courrier du 9 février 2010, rappelé à la SAS Vaneste avoir noté une baisse significative du sell in (170 774 euro soit une baisse de 16 %) et du sell out sur l'année 2009 et a proposé la mise en place d'actions afin d'aider à redynamiser le chiffre d'affaires.

Par courrier du 24 juin 2010, en adressant à son franchisé des informations sur un challenge devant avoir lieu entre le 1er juin 2010 et le 31 décembre 2010, la société Dinh Van lui a rappelé que son chiffre d'affaires était en baisse depuis le début de l'année 2009 et qu'elle souhaitait vraiment l'aider à développer son chiffre d'affaires pour l'année 2010.

Le 14 février 2011, en vue d'un rendez-vous devant se tenir le vendredi 25 février 2011, la SAS Dinh Van a écrit à la SAS Vaneste que les termes du contrat prévoyant un minimum d'achat de 180 000 euro HT par an n'avaient pas été respectés puisqu'il est de 158 223 euro pour l'année 2010, " qu'il est urgent que nous parlions de ce point qui, pour nous, est essentiel. ", que de plus, elle avait noté une baisse significative du sell in (2009 : 170 774 euro - baisse de 16 %, 2010 : 158 223 euro - baisse de 7 % vs 2009 et de 23 % vs 2008) et du sell out sur les deux dernières années, ce qu'elle a qualifiée de " chute (qui) devient particulièrement inquiétante " et qu'elle souhaitait connaître les raisons de la baisse significative du chiffre d'affaires afin que " nous trouvions ensemble des solutions pour repartir sur un trend positif ".

Par courrier du 24 mars 2011, la SAS Dinh Van lui a adressé un compte rendu du rendez-vous de février 2011, lui rappelant de nouveau la baisse significative du sell in et du sell out depuis 2009.

Par courrier recommandé avec AR du 26 mai 2011, la société Dinh Van a informé la SAS Vaneste qu'en raison du non-respect de ses obligations d'achat minimum en 2010 qui constitue un manquement grave au contrat de franchise, celui-ci était résilié en application de la clause 9.2 et remplacé par un contrat de distribution multimarque régi par les conditions générales de vente de distribution sélective Dinh Van.

Par exploit du 21 novembre 2011, la société Vaneste a assigné Dinh Van devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins de voir constater la résiliation abusive du contrat et condamner la société Dinh Van à l'indemniser.

Par jugement du 11 septembre 2013, le Tribunal de commerce de Paris a :

- dit que la société Vaneste a manqué à son obligation contractuelle déterminante d'achat minimum ;

- dit que ce manquement a justifié l'acquisition de la clause résolutoire du contrat de franchise au bénéfice de la société Dinh Van ;

- dit que le courrier du 14 février 2011 adressé par la société Dinh Van à la société Vaneste vaut mise en demeure régulière ;

- dit que la société Vaneste est mal fondée en son action contre la société Dinh Van et la déboute de toutes ses demandes ;

- condamné la société Vaneste à verser à la société Dinh Van la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamné la société Vaneste aux entiers dépens dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,10 euro dont 13,25 euro de TVA.

La société Vaneste a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 11 octobre 2013.

Vu les dernières conclusions signifiées le 20 novembre 2015 par lesquelles la SAS Vaneste demande à la cour de :

Vu les dispositions de l'article 564 du Code de procédure civile,

- déclarer irrecevable la demande subsidiaire de la société Dinh Van tendant à voir prononcer la résolution judiciaire du contrat de franchise aux torts de la société Vaneste

Vu le Jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris

Vu les articles 1134 et 1147 et suivants du Code civil,

- infirmer le Jugement en toutes ses dispositions ;

En conséquence,

- constater que la société Dinh Van a résilié abusivement avant le terme le contrat de franchise à durée déterminée et dont bénéficiait la société Vaneste, et ainsi engagé sa responsabilité contractuelle,

- la condamner à verser à la société Vaneste la somme de 498 666 euro à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice lié à sa perte de marge brute ;

- la condamner à verser à la société Vaneste la somme de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,

- la condamner à verser à la société Vaneste la somme de 15 000 euro au titre de l'indemnité de l'article 700 du Code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles de l'instance et d'appel;

- la condamner aux entiers frais et dépens d'instance, en ce compris ceux de première instance ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 1er décembre 2015 par lesquelles la SAS Dinh Van demande à la cour de :

A titre principal,

- dire que les conditions de mise en œuvre de la clause résolutoire étaient parfaitement réunies ;

par conséquent,

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

- débouter la société Vaneste de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

A titre subsidiaire,

- dire que la société Dinh Van était fondée à procéder à la résiliation du contrat de franchise sur le fondement de l'article 1184 du Code civil ;

par conséquent,

- débouter la société Vaneste de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

A titre encore plus subsidiaire,

- dire que la société Vaneste ne justifie pas avoir subi un préjudice suite à la résiliation du contrat de franchise, ni en termes de perte de marge brute, ni en termes de perte de notoriété ;

par conséquent,

- débouter la société Vaneste de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

En tous les cas,

- condamner la société Vaneste à verser à la société Dinh Van une indemnité de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, en sus de l'indemnité qui lui a été allouée à ce titre par le jugement entrepris,

- condamner la société Vaneste aux entiers dépens de l'instance ;

L'ordonnance de clôture est intervenue le 1er décembre 2015. L'affaire a été plaidée le 15 décembre 2015 et les parties ont été avisées qu'elle était mise en délibéré au 24 février 2016, date à laquelle la présente décision a été rendue par mise à disposition au greffe.

Sur ce

Sur la mise en œuvre de la clause résolutoire :

Considérant que l'article 9.2 du contrat précise que " Dinh Van pourra sans préjudice de l'exercice d'autres droits, résilier le présent contrat avec effet immédiat par lettre recommandée adressée au Franchisé en cas de manquements graves aux obligations prévues dans le présent contrat et si le Franchisé n'y porte pas remède dans le délai de trente jours suivant la réception de la mise en demeure écrite de Dinh Van, précisant la nature de l'inexécution constatée " ;

Considérant qu'aux termes du jugement entrepris, le tribunal de commerce a dit que la lettre recommandée avec accusé réception du 26 mai 2011 notifiant la résiliation du contrat de franchise, respectait cette disposition contractuelle, la SAS Vaneste ayant été mise en demeure par un courrier précédent du 14 février 2011 comportant une interpellation suffisante au sens des dispositions de l'article 1139 du Code civil ;

Considérant que pour solliciter l'infirmation du jugement entrepris, la SAS Vaneste fait valoir qu'en application de la clause 9.2 du contrat de franchise qui est parfaitement claire, la lettre de résiliation du 26 mai 2011 aurait dû être précédée d'une mise en demeure précisant plusieurs manquements graves reprochés et la nécessité d'y remédier dans un délai de 30 jours ; qu'elle considère que la lettre du 14 février 2011 ne constitue pas une mise en demeure régulière, ce courrier manifestant incontestablement la volonté de la société Dinh Van de continuer sa collaboration ;

Considérant que la société Dinh Van réplique qu'il convient de se reporter aux dispositions de l'article 1146 du Code civil dont il résulte que lorsque l'obligation souscrite est une obligation de faire et qu'elle est circonscrite dans un certain temps qui est passé, il n'y a pas lieu de mettre le débiteur en demeure ; qu'elle ajoute que la société Vaneste n'ayant pas procédé à un minimum d'achats dans un temps déterminé qu'elle a laissé passer, celle-ci était automatiquement mise en demeure par l'arrivée du terme sans qu'il y ait besoin de lui adresser formellement une mise en demeure de remplir son obligation ;

Considérant qu'en application des dispositions de l'article 1134 du Code civil, le contrat fait la loi des parties ; qu'il ressort des termes clairs et précis de la clause 9.2 que les parties ont convenu de la résiliation de plein droit du contrat de franchise passé un délai de 30 jours après l'envoi par le franchiseur d'une mise en demeure portant dénonciation des manquements reprochés et demeurée infructueuse ;

Considérant qu'en l'absence de dispense expresse et non équivoque, une telle clause de résiliation de plein droit ne pouvait être acquise au créancier sans la délivrance préalable, et non intervenue en l'espèce, d'une mise en demeure restée sans effet pendant un délai de 30 jours ;

Considérant qu'en effet, la lettre du 14 février 2011 qui, si elle fait état des griefs reprochés, à savoir l'absence de respect du minimum annuel d'achats convenu contractuellement, n'évoque ni la clause résolutoire ni même le délai contractuel de 30 jours ; que loin de constituer une interpellation suffisante, elle n'est pas de nature à faire produire effet à la clause résolutoire ; que c'est vainement que la SAS Dinh Van fait référence à l'article 1146 du Code civil lequel a trait à la mise en demeure préalable à l'allocation de dommages et intérêts et non pas à l'acquisition d'une clause résolutoire ;

Considérant dès lors que l'exigence formelle pour la notification de la résiliation de plein droit du contrat n'a pas été respectée ;

Sur la résiliation unilatérale du contrat :

Sur l'exception d'irrecevabilité

Considérant que la SAS Dinh Van fait valoir, à titre subsidiaire, la validité de la résiliation unilatérale du contrat par courrier du 26 mai 2011 sur le fondement de l'article 1184 du Code civil ;

Considérant que la SAS Vaneste soutient qu'il s'agit d'une demande nouvelle en appel et qu'elle est irrecevable sur le fondement de l'article 564 du Code de procédure civile ; que la société Dinh Van réplique qu'il s'agit d'un moyen de défense au fond qui tend à écarter les prétentions du demandeur à l'instance ; qu'elle souligne, à juste titre, qu'elle ne forme aucune demande reconventionnelle et se borne à demander le rejet des prétentions de la société Vaneste ;

Considérant que l'action initiée par la SAS Vaneste a pour unique objet l'indemnisation du préjudice qu'elle aurait subi du fait d'une résiliation abusive du contrat ; qu'elle ne conteste pas que le contrat a été résilié unilatéralement par le franchiseur par lettre du 26 mai 2011 mais estime qu'il l'a été de manière abusive ; que la société Dinh Van s'est opposée à cette demande en première instance en faisant valoir que la clause résolutoire avait été régulièrement mise en œuvre ; qu'en appel, elle soutient, à titre subsidiaire, que la résiliation unilatérale n'est pas abusive dès lors qu'elle est régulière sur le fondement de l'article 1184 du Code civil ;

Considérant qu'il ne s'agit pas d'une demande nouvelle mais d'un moyen nouveau tendant à faire écarter la demande en indemnisation du fait d'une résiliation abusive ; que comme le tribunal, la cour n'est pas saisie d'une demande de résiliation judiciaire et doit seulement apprécier le caractère abusif ou non de la résiliation qui est intervenue le 26 mai 2011 ; qu'en conséquence, l'exception d'irrecevabilité sera rejetée ;

Sur la résiliation unilatérale intervenue le 26 mai 2011

Considérant que la SAS Vaneste affirme que la pluralité de manquements était une condition essentielle pour la rupture du contrat alors qu'un seul manquement lui est imputé ; qu'elle se prévaut à cet égard de dispositions contractuelles qui font état d'une pluralité de manquements ; que toutefois ces dispositions sont afférentes soit à l'acquisition de la clause résolutoire soit au refus de renouvellement du contrat de sorte qu'il n'y a pas lieu de s'y référer ;

Considérant qu'en application des dispositions de l'article 1184 du Code civil, dans les contrats synallagmatiques, comme tel est le cas en l'espèce, la condition résolutoire est toujours sous-entendue de sorte que la gravité du comportement d'une partie à un contrat peut justifier que l'autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls ; qu'il convient donc de rechercher si le comportement de la société Vaneste a revêtu une gravité suffisante pour justifier la rupture unilatérale du contrat par la société Dinh Van ;

Considérant que l'obligation d'achat minimum annuel par la SAS Vaneste était la contrepartie du fait qu'elle ne s'était acquittée d'aucun droit d'entrée, qu'elle n'était tenue d'aucune redevance ni d'aucune obligation d'exclusivité alors qu'elle bénéficiait de la notoriété, de l'enseigne, de la marque, de l'assistance commerciale et des moyens de communication de la société Dinh Van qui avait, en outre, pris en charge les investissements nécessaires à la mise en place du corner Dinh Van ; qu'elle constituait donc une obligation essentielle du contrat de franchise ; que du reste, lors du renouvellement du contrat le 9 avril 2009, les conditions initiales sont demeurées inchangées à l'exception du minimum d'achat annuel qui a été porté de 150 000 euro à 180 000 euro HT, ce qui démontre, comme les premiers juges l'ont souligné, le caractère substantiel de cette obligation contractuelle ;

Considérant dès lors que le non-respect de cette obligation constituait un manquement grave justifiant la résiliation unilatérale par le franchiseur ;

Considérant que la SAS Vaneste soutient qu'elle a respecté son obligation d'objectif de minimum d'achats qui doit être constatée non pas sur une année calendaire mais à compter de la date d'anniversaire du contrat, soit à partir du 10 mai de chaque année ; qu'elle estime que ce moyen n'a pas été examiné par les premiers juges ; qu'elle affirme que son sell in de mai 2009 à avril 2010 est de 193 788,82 euro HT tout frais compris et hors frais, de 186 001 euro HT ; qu'elle ajoute qu'il en est de même pour la période de mai 2008 à avril 2009, soit 181 545 euro ;

Considérant que la SAS Dinh Van réplique que la SAS Vaneste effectuait elle-même la gestion de ses ventes par année calendaire et relève, à juste titre, que celle-ci s'abstient d'appliquer la date anniversaire du contrat pour la période précédant la cessation de la franchise, soit de mai 2010 à avril 2011 ;

Considérant que même en retenant la date anniversaire du contrat, la SAS Dinh Van établit que la SAS Vaneste n'a pas respecté son obligation d'achats minimum pour l'année 2010/2011 par la production d'un tableau (pièce n° 61 de l'intimée et non n° 67 comme indiqué par erreur) dont le contenu n'est pas contesté par l'appelante et duquel il ressort que pour la période du 1er mai 2010 au 30 avril 2011 précédant la résiliation, le montant de ses achats s'est élevé à la somme totale de 168 402 euro HT, soit en dessous du minimum annuel de 180 000 euro HT prévu contractuellement ;

Considérant dès lors que ce manquement à une obligation essentielle du contrat justifiait sa résiliation par la société Dinh Van de sorte que sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs invoqués par le franchiseur, il y a lieu de dire que la résiliation unilatérale par courrier du 26 mai 2011 n'est pas abusive ; que le jugement entrepris sera confirmé et la SAS Vaneste sera déboutée de l'ensemble de ses demandes ;

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et y ajoutant, Condamne la société Vaneste aux dépens de l'appel, Condamne la société Vaneste à verser à la société Dinh Van la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.