Commission, 28 mai 2014, n° M.6992
COMMISSION EUROPÉENNE
Résumé de la décision
Hutchison 3G UK/Telefónica Ireland
I. LES PARTIES
(1) Hutchison 3G UK Holdings Limited (Royaume-Uni), est une filiale indirecte à 100 % de Hutchison Whampoa Limited, un conglomérat de sociétés dont le siège social est à Hong Kong. Ce conglomérat est actif sur le marché irlandais des services de télécommunications mobiles au travers de sa filiale indirecte Hutchison 3G Ireland Limited (ci-après "Three"). Three est le dernier opérateur de réseau mobile (ci-après "ORM") arrivé sur le marché irlandais et celui, parmi les quatre que compte l'Irlande, qui connaît la plus forte croissance. Three est actif sous la marque "3". Outre Three, Hutchison Whampoa Limited possède aussi des ORM dans cinq autres pays européens, à savoir l'Autriche, le Danemark, l'Italie, la Suède et le Royaume-Uni.
(2) Telefónica Ireland Limited (ci-après "O2") est une filiale indirecte à 100 % de Telefónica SA, la société mère du groupe Telefónica, l'un des plus grands fournisseurs de téléphonie mobile du monde. O2 est le deuxième ORM d'Irlande en importance et offre ses services sous la marque "O2" et la sous-marque "48". Il possède aussi 50 % de Tesco Mobile Ireland, les 50 % restants étant détenus par Tesco Ireland.
II. L'OPÉRATION
(3) Le 1er octobre 2013, la Commission européenne a reçu notification, conformément à l'article 4 du règlement sur les concentrations, d'un projet de concentration par lequel l'entreprise Hutchison 3G UK Holdings Limited, contrôlée par Hutchison Whampoa Limited, acquerra, au sens de l'article 3, paragraphe 1, point b), du règlement sur les concentrations, le contrôle de l'ensemble de l'entreprise O2 par achat d'actions.
(4) La concentration se réalisera selon les termes de la convention d'achat-vente conclue le 22 juin 2013 entre les sociétés mères d'O2 et Hutchison 3G UK Holdings Limited. Conformément à cette convention, Hutchison 3G UK Holdings Limited acquerra l'ensemble des parts de la société O2 (ci-après la "concentration"). Si l'opération est menée à bien, H3G acquerra le contrôle exclusif d'O2, ce qui débouchera sur un transfert durable du contrôle. L'opération constitue donc une concentration au sens de l'article 3, paragraphe 1, point b), du règlement sur les concentrations. Hutchison 3G UK Holdings Limited, après avoir notifié la concentration, a ensuite désigné Hutchison 3G Ireland Finance Limited comme acquéreur des parts d'O2. Hutchison 3G Ireland Finance Limited est une filiale indirecte à 100 % de Hutchison Whampoa Limited. Ce changement d'entité acquéreuse d'O2 n'a donc aucune incidence sur le contrôle des sociétés en cause ni sur la compétence de la Commission à examiner la concentration.
III. RÉSUMÉ
A. LES MARCHÉS EN CAUSE
(5) Conformément aux précédentes décisions de la Commission concernant les marchés des services de télécommunications mobiles et aux observations de la partie notifiante, les marchés pertinents de produits ont été définis comme suit:
a) le marché des services de télécommunications mobiles aux clients finals (aussi appelé "marché de détail des services de télécommunications mobiles");
b) le marché de gros de l'accès et du départ d'appel sur les réseaux publics de téléphonie mobile (aussi appelé "marché de gros de l'accès et du départ d'appel");
c) le marché de gros de l'itinérance internationale; ainsi que
d) le marché de gros de la terminaison d'appel sur les réseaux mobiles.
(6) Les détails concernant la définition des deux premiers marchés, qui sont directement concernés en l'espèce, sont présentés ci-dessous.
1. Le marché de détail des services de télécommunications mobiles
(7) La Commission a conclu que le marché de détail des services de télécommunications mobiles est un marché pertinent de produits en l'espèce. Dans ses décisions précédentes, la Commission a considéré qu'il existe un marché global de détail des services de télécommunications mobiles. Il s'agit du marché sur lequel ORM et opérateurs de réseau mobile virtuel (ci-après "ORMV") offrent aux clients finals des services vocaux et de données par l'intermédiaire d'un réseau de téléphonie mobile. Dans ses décisions précédentes, la Commission n'a segmenté ce marché ni par type d'utilisateur (clients professionnels ou privés) ni par type de service (service prépayé ou réglé sur facturation) ni par type de technologie de réseau (2G/GSM ou 3G/UMTS). La Commission n'a pas non plus conclu précédemment qu'il existait un marché distinct limité aux seuls services de données.
(8) Dans la présente affaire, la Commission a étudié les différents segments du marché de détail des services de télécommunications mobiles afin de savoir s'ils pouvaient être considérés comme des marchés distincts. La Commission a ainsi examiné les segments suivants: services prépayés ou réglés sur facturation; services vocaux (y compris voix/données); services mobiles à haut débit (données uniquement); communication machine à machine (ci-après "M2M"); et clients privés/professionnels. Au vu des résultats de l'enquête menée dans cette affaire et conformément à ses précédentes décisions, la Commission a conclu que le marché global est constitué de divers segments mais que ceux-ci ne constituent pas des marchés de produits distincts.
(9) Conformément aux précédentes décisions de la Commission et aux observations de la partie notifiante, la Commission a conclu que le marché géographique en cause correspond au territoire de l'Irlande.
2. Le marché de gros de l'accès et du départ d'appel sur les réseaux publics de téléphonie mobile
(10) Sur ce marché, les ORM proposent aux ORMV l'accès à leur réseau et la possibilité d'émettre des appels (ci-après le "départ d'appel"). Les ORM sont propriétaires de leur réseau mobile et se situent du côté de l'offre sur ce marché, alors que les ORMV qui souhaitent y avoir accès se situent du côté de la demande. Conformément aux décisions précédentes de la Commission, à sa recommandation concernant les marchés pertinents de produits et de services du 11 février 2003 et aux observations de la partie notifiante, la Commission a conclu que le marché de gros de l'accès et du départ d'appel sur les réseaux publics de téléphonie mobile est un marché pertinent de produits en l'espèce.
(11) Les réseaux mobiles auxquels les ORMV peuvent accéder grâce aux ORM revêtent une dimension nationale car les licences d'exploitation du spectre sont octroyées pour le territoire de l'Irlande. La Commission a donc conclu que le marché géographique en cause pour le marché de gros de l'accès et du départ d'appel sur les réseaux publics de téléphonie mobile était le territoire de l'Irlande.
B. APPRÉCIATION SOUS L'ANGLE DE LA CONCURRENCE
(12) Three et O2 sont deux des quatre ORM présents sur le marché de détail des services de télécommunications mobiles et sur le marché de gros de l'accès et du départ d'appel sur les réseaux publics de téléphonie mobile en Irlande. Il s'agit de marchés oligopolistiques caractérisés par un degré élevé de concentration et d'importantes barrières à l'entrée.
(13) La concentration envisagée fera passer de quatre à trois le nombre d'ORM présents en Irlande. À l'issue de l'opération, le marché comptera deux ORM aussi solidement implantés l'un que l'autre - Vodafone et l'entité issue de la concentration, avec chacun une part de marché d'environ 40 % - suivis, plus loin derrière, par un troisième acteur, Eircom, dont la part de marché approche les 20 %. Alors que la concentration envisagée n'entraînera pas la création ou le renforcement d'une position dominante (individuelle) pour la nouvelle entité, la Commission conclut que l'opération entravera de manière significative une concurrence effective sur le marché de détail des services de télécommunications mobiles et, potentiellement, sur le marché de gros de l'accès et du départ d'appel en Irlande.
1. Critère juridique
(14) Le règlement sur les concentrations reconnaît que sur les marchés oligopolistiques, il est d'autant plus nécessaire de maintenir une concurrence effective. Ceci s'explique par les conséquences plus importantes que les opérations de concentration peuvent avoir sur de tels marchés. C'est pourquoi le règlement sur les concentrations prévoit que dans certaines circonstances, les concentrations impliquant, premièrement, l'élimination des fortes contraintes concurrentielles que les parties à la concentration exerçaient l'une sur l'autre, et deuxièmement, une réduction des pressions concurrentielles sur les autres concurrents, peuvent, même en l'absence de probabilité de coordination entre les membres de l'oligopole, avoir pour conséquence une entrave significative à une concurrence effective (2).
(15) Selon les lignes directrices de la Commission sur l'appréciation des concentrations horizontales (les "lignes directrices sur les concentrations horizontales") (3), les concentrations entre des concurrents existants ou potentiels sur le même marché en cause peuvent entraver de manière significative une concurrence effective de deux grandes manières, à savoir en ayant des effets non coordonnés et en ayant des effets coordonnés. Les effets non coordonnés peuvent entraver de manière significative une concurrence effective en supprimant d'importantes pressions concurrentielles qui pèsent sur une ou plusieurs entreprises, lesquelles auraient alors un pouvoir de marché accru, sans recourir à une coordination des comportements. En ce sens, les lignes directrices sur les concentrations horizontales renvoient non seulement à l'élimination directe de la concurrence entre les parties à la concentration mais aussi à l'affaiblissement, provoqué par l'opération, de la pression concurrentielle exercée sur les entreprises présentes sur le même marché qui ne sont pas parties à la concentration (4).
(16) En appliquant à la concentration envisagée le critère juridique arrêté dans le règlement sur les concentrations, la Commission a examiné si l'opération pouvait ou non entraver de manière significative une concurrence effective en éliminant une forte contrainte concurrentielle entre Three et O2 et en réduisant la pression concurrentielle sur les autres concurrents présents sur les marchés en cause.
2. Parts de marché
(17) L'Irlande compte environ 5,6 millions d'abonnés aux services mobiles, répartis entre les quatre ORM présents sur le territoire, à savoir Vodafone, O2, Eircom et Three. En 2013, Vodafone était leader avec 38 % de parts de marché en termes d'abonnés et 44 % en termes de chiffre d'affaires. O2, en tenant compte de sa filiale Tesco Mobile, se plaçait au deuxième rang avec respectivement 31 % et 28 % de parts de marché. Eircom arrivait en troisième place avec respectivement 19 % et 18 % de parts de marché alors que Three venait en dernière position, avec 10 % de parts de marché tant en termes d'abonnés que de chiffre d'affaires.
(18) La concentration fera passer de quatre à trois le nombre d'opérateurs de réseaux mobiles en Irlande et réunira le deuxième et le quatrième opérateur. Le marché se caractérisera alors par deux importants ORM de taille comparable. Vodafone et la nouvelle entité auront respectivement des parts de marché de 44 % et 38 % en termes de chiffre d'affaires et de 38 % et 41 % en termes d'abonnés. Eircom sera bon troisième avec 18 % en termes de chiffre d'affaires et 19 % en termes d'abonnés.
(19) En ce qui concerne l'évolution des parts de marché, entre 2005 et 2008, Vodafone et O2 ont perdu des abonnés alors qu'Eircom et Three en ont gagné. Vodafone a stabilisé sa part de marché en nombre d'abonnés en 2009 (il a cessé d'en perdre) tout comme Eircom (qui a cessé d'en gagner). O2 (après deux ans de stabilité entre 2008 et 2010) a recommencé à perdre des abonnés. Three, quant à lui, a constamment gagné des abonnés depuis son entrée sur le marché en 2005.
3. Probabilité limitée d'une entrée suffisante d'ORM et/ou d'ORMV
(20) La Commission a conclu qu'il était peu probable qu'un nouvel acteur entre sur le marché en tant qu'ORM dans les deux ou trois prochaines années.
(21) La Commission a considéré que l'entrée d'un ORMV semble plus aisée étant donné que le nouvel entrant ne devra pas constituer son propre réseau mais pourra compter sur l'accès proposé par les autres ORM. Toutefois, la Commission craignait qu'il soit plus difficile pour les ORMV d'entrer sur le marché après la concentration étant donné, d'une part, la réduction du nombre d'hébergeurs ORMV et, d'autre part, le fait que l'entité issue de la concentration sera moins incitée à offrir un accès de gros à son réseau. De plus, de précédentes entrées d'ORMV sur le marché ont démontré la difficulté pour ces derniers d'obtenir une part de marché suffisamment importante et d'influencer le comportement des autres ORM. C'est pourquoi la Commission a conclu que l'entrée de nouveaux ORMV, même si elle se produisait, ne serait pas suffisante pour contrer les inconvénients liés au fait qu'un des quatre ORM a quitté le marché.
4. L'opération de concentration éliminera une force concurrentielle importante sur le marché de détail des services de télécommunications mobiles
Marché global
(22) La Commission a donc cherché à déterminer si Three était actuellement une force concurrentielle importante sur le marché de détail irlandais des services de télécommunications mobiles. En particulier, la Commission a examiné la pression concurrentielle exercée par Three sur le marché, en prenant en compte son pouvoir de marché, sa stratégie de croissance et la réaction des concurrents sur le marché global de détail des services de télécommunications mobiles. La Commission a établi que depuis son entrée sur le marché, Three s'est livré à une concurrence acharnée dans le but d'accroître sa clientèle. La stratégie concurrentielle de Three semble reposer principalement sur les trois piliers suivants: i) des offres exclusives de données incluant All You Can Eat, un forfait internet illimité (ci-après "AYCE"), ii) des forfaits appels et SMS à des conditions attrayantes ou illimités, et iii) des téléphones portables à des prix très attrayants, voire gratuits, ainsi que des plans tarifaires très compétitifs.
(23) L'importance du rôle de Three en tant que force concurrentielle sur le marché irlandais de détail des services de télécommunications mobiles a donc été mesurée sur la base d'un certain nombre d'indicateurs, notamment:
a) des documents internes de Three et d'O2, ainsi que des documents et observations de la concurrence;
b) des enquêtes indépendantes demandées par les parties à la concentration; et
c) les tarifs attractifs et compétitifs de Three tels que présentés dans les comparaisons tarifaires de la Commission, les comparaisons de données fournies par l'autorité irlandaise de réglementation des télécommunications et les documents internes de Three.
(24) La Commission a aussi comparé les tarifs des services prépayés et réglés sur facturation afin d'évaluer l'argument de la partie notifiante selon lequel les tarifs en Irlande ne corroborent pas la conclusion selon laquelle Three est une force concurrentielle importante. Elle a conclu que les tarifs proposés par Three étaient compétitifs et conformes aux conclusions selon lesquelles l'opérateur constitue un concurrent important pour O2 et les autres ORM.
(25) La Commission a étudié l'image de marque de Three ainsi que l'argument de la partie notifiante selon lequel, compte tenu de son image de marque et de sa notoriété, Three ne peut être considéré comme une force concurrentielle importante. La Commission a conclu que l'image de marque de Three n'a pas sur sa compétitivité une incidence négative telle que l'opérateur ne peut être considéré comme une force concurrentielle importante sur le marché de détail des services de télécommunications mobiles.
(26) Sur la base de son enquête et de son appréciation, la Commission a considéré que Three était actuellement une force concurrentielle importante, qui exerce une pression sur O2 et sur les autres acteurs du marché de détail des services de télécommunications mobiles.
Segments d'activité
(27) À la suite de l'analyse du marché global de détail, la Commission a évalué l'importance de Three dans différents segments, notamment les services mobiles à haut débit, les services prépayés, les services réglés sur facturation et les entreprises.
(28) La Commission a conclu que Three est une force concurrentielle importante dans le segment des services mobiles à haut débit, où il occupe une position de leader avec une part de marché de [35-40 %], ainsi que dans les segments des services prépayés et réglés sur facturation mais qu'à l'inverse, cela n'est pas encore le cas dans le segment des entreprises.
Conditions en l'absence de concentration
(29) La Commission a examiné le comportement probable de Three et d'O2 si la concentration n'avait pas lieu et a conclu que les deux opérateurs continueront très probablement à se livrer une concurrence acharnée.
Raisons incitant l'entité issue de la concentration à livrer concurrence après la concentration
(30) La Commission a conclu que l'entité issue de la concentration sera moins incitée à livrer concurrence que Three et O2 avant l'opération. Premièrement, la concentration éliminera toute concurrence entre deux ORM distincts. Avant la concentration, Three et O2 exerçaient notamment une contrainte l'un sur l'autre du fait que certains abonnés pouvaient changer d'opérateur en cas d'augmentation des prix. Cette pression concurrentielle que les parties à la concentration imposent l'une sur l'autre disparaîtra en cas de concentration. Deuxièmement, la concentration augmentera la clientèle de Three, ce qui incitera moins l'entité issue de la concentration à proposer des tarifs compétitifs pour capter de nouveaux clients puisque, dans ce cas, elle devra le faire pour toute sa clientèle. En d'autres termes, l'entité issue de la concentration se concentrera plus sur des stratégies de fidélisation de sa clientèle que sur des stratégies de croissance.
(31) La Commission a également étudié les arguments de la partie notifiante selon lesquels la concentration améliorera la qualité du réseau. Elle en a conclu que Three et O2 avaient tous deux les capacités et les motivations suffisantes pour être compétitifs sans pour autant recourir à la concentration et que, en tout état de cause, les améliorations en termes de qualité avancées par la partie notifiante avaient peu de chance de se concrétiser.
Réaction probable de la concurrence à la suite de la concentration
(32) En outre, la Commission a évalué la réaction de la concurrence après la concentration. Elle a considéré que Vodafone ne sera pas incité à engager une concurrence agressive en termes de prix avec la nouvelle entité. Au contraire, en cas d'augmentation des prix par l'entité issue de la concentration, Vodafone cherchera probablement à faire de même. Le cas d'Eircom est exposé dans la section 5 ci-après.
Appréciation quantitative des effets horizontaux non coordonnés
(33) La Commission a aussi effectué une appréciation quantitative des effets probables sur les prix de l'élimination de la concurrence entre les parties à la concentration. La simulation de la Commission prévoyait que les ORM en Irlande augmenteraient leurs tarifs sur les offres pour les appels mobiles et sur les offres combinées "appels mobiles et données" de 6 % en moyenne pour le segment des communications privées réglées sur facturation et de 4 % sur l'ensemble du marché. Cette estimation reposait sur un cas de référence utilisant les marges sur coût variable pour mesurer les marges. Dans le cadre d'un scénario de sensibilité basé sur des gains de marge additionnels, les augmentations moyennes prévues sur les prix étaient de 4 % pour le segment des services privés réglés sur facturation et de 3 % sur l'ensemble du marché.
Conclusion sur la suppression d'une force concurrentielle importante
(34) La Commission a donc conclu que la concentration allait très probablement supprimer une force concurrentielle importante sur le marché de détail des services de télécommunications mobiles, et ce de deux façons:
a) la concentration fera passer de quatre à trois le nombre d'ORM en Irlande et éliminera la concurrence qui existe actuellement entre Three et O2, encourageant l'entité issue de la concentration à augmenter ses prix;
b) de plus, Three est actuellement un concurrent important en Irlande en matière de prix et de services de fourniture illimitée de données. Sa stratégie commerciale est d'augmenter à la fois son nombre d'abonnés et son chiffre d'affaires. Cette stratégie s'appuie sur: i) une taille et une clientèle limitées; et ii) de faibles coûts d'acquisition de clients supplémentaires dus à la capacité inutilisée disponible qui l'incitent fortement à s'agrandir en livrant une concurrence acharnée. L'augmentation du nombre d'abonnés à l'issue de l'opération n'incitera que davantage à augmenter les prix.
(35) Il est peu probable que ces incitations à augmenter les prix soient contrebalancées par la concurrence qui, au contraire, voudra probablement faire de même.
5. La concentration entraînera probablement une diminution de la concurrence exercée par Eircom sur les marchés de détail et de gros
(36) La Commission a conclu qu'après la concentration, la nouvelle entité aura la capacité et la motivation pour faire échouer ou dénoncer l'accord de partage de réseau passé entre Eircom et O2 (ci-après l'"accord Mosaic"). Cet accord de partage de réseau a des implications considérables sur les coûts et la couverture de réseau d'Eircom et il revêt une importance particulière pour la compétitivité de ce dernier au cours des années à venir. La perte de compétitivité d'Eircom résultant de la probable dénonciation de l'accord Mosaic entraînera vraisemblablement une diminution de la concurrence sur les marchés irlandais de détail et de gros des télécommunications mobiles.
(37) La concentration modifiera aussi la répartition des spectres puisque l'entité issue de la concentration regroupera les fréquences de spectre précédemment détenues par Three et O2. La Commission a conclu que ce changement n'était pas susceptible d'avoir des effets anticoncurrentiels.
6. Effets probables sur le marché de gros de l'accès aux réseaux et du départ d'appel
(38) En plus du marché de détail, O2 et Three sont actifs sur le marché de gros de l'accès aux réseaux et du départ d'appel. Le marché de gros irlandais est en phase de développement et compte aujourd'hui quatre ORMV. Il y a toutefois un intérêt évident de la part d'entrants potentiels à lancer de nouveaux ORMV à l'avenir.
(39) S'appuyant sur les résultats de l'étude de marché, la Commission considère qu'O2 et Three sont actuellement d'importants fournisseurs d'accès aux réseaux sur le marché de gros en Irlande. À eux deux, ils hébergent trois des quatre ORMV présents en Irlande et ils mènent des négociations avec de potentiels ORMV. Par ailleurs, la Commission considère que la réduction du nombre de fournisseurs d'accès aux réseaux après la concentration réduira probablement le pouvoir de négociation des ORMV. En outre, il est probable que l'entité issue de la concentration sera moins incitée à héberger des ORMV à des conditions commerciales attrayantes que ne le seraient Three et O2 si l'opération n'avait pas lieu. Enfin, il est peu probable que la réduction de la concurrence sur le marché de gros soit compensée par des changements de comportement de la part des autres concurrents (Eircom et Vodafone).
(40) Les conclusions ci-dessus tendent à montrer que la concentration pourrait entraver de manière importante la concurrence sur le marché de gros de l'accès aux réseaux mobiles et du départ d'appel en Irlande. Toutefois, cette question peut être laissée en suspens, étant donné que les engagements proposés par la partie notifiante en réponse aux inquiétudes exprimées sur le marché de détail renforceront la capacité d'Eircom à héberger des ORMV, permettront l'entrée de deux nouveaux ORMV et anticiperont ainsi tout effet négatif sur le marché de gros.
7. Effets coordonnés sur le marché de détail des services de télécommunications mobiles
(41) Selon la Commission, si certains éléments suggèrent que la concentration rendra la coordination plus probable et plus durable, certains indices laissent à penser que celle-ci sera néanmoins difficile à maintenir.
(42) Parmi les éléments suggérant que la coordination sera plus probable et plus durable figure notamment le fait que l'opération dégagera Three de son rôle de "franc-tireur" sur le marché et aboutira à un marché comptant deux acteurs importants ayant des parts de marché similaires. Par ailleurs, la coordination des prix de détail serait possible puisque ces derniers seront suffisamment transparents. Le non-respect des modalités de la coordination pourra être immédiatement détecté, étant donné que la plupart des prix de détail sont libres d'accès. Un retour à la concurrence pourrait alors constituer un mécanisme dissuasif.
(43) D'autre part, après la concentration, Eircom aura toujours une raison de ne suivre aucune coordination puisqu'il s'agit d'un opérateur beaucoup plus petit dont la structure de coûts sera vraisemblablement différente de celle de ses deux concurrents.
(44) La Commission peut laisser en suspens la question de savoir si, tout bien considéré, la coordination est plus ou moins probable puisque les engagements proposés par la partie notifiante pour remédier aux effets non coordonnés de la concentration sur le marché irlandais de détail excluent aussi la possibilité que l'opération entraîne des effets coordonnés sur ce marché. Premièrement, les engagements renforceront la compétitivité d'Eircom, rendant plus probable le fait que ce dernier entrave toute coordination après la concentration. Deuxièmement, les engagements permettront à deux ORMV d'entrer sur le marché irlandais. Ces ORMV achèteront un montant forfaitaire de capacité de réseau et ne rémunéreront pas l'ORM qui les héberge sur la base de leur consommation effective. En conséquence, les ORMV seront davantage incités à combler la capacité de réseau achetée. Pour y parvenir, il est probable qu'ils se fassent concurrence sur les prix, entravant ainsi toute coordination.
8. Absence de puissance d'achat compensatrice
(45) La Commission considère qu'il y a peu de chance qu'une puissance d'achat compensatrice suffisante élimine les effets négatifs probables sur le marché de détail et les effets négatifs potentiels sur le marché de gros.
9. Gains d'efficacité
(46) Selon la partie notifiante, la concentration générera les trois types de gains d'efficacité suivants: 1) des économies d'échelle; 2) des gains d'efficacité liés au déploiement de la 4G (appelée aussi LTE); et 3) des gains d'efficacité liés à la couverture des régions faiblement peuplées. La Commission a donc examiné si ces gains d'efficacité allégués répondaient aux trois critères cumulatifs, à savoir s'ils sont vérifiables, s'ils sont propres à la concentration et s'ils apportent un avantage aux consommateurs.
(47) Les conclusions générales de la Commission relatives aux arguments de la partie notifiante concernant les économies d'échelle sont les suivantes:
a) le montant des économies d'échelle vérifiables est inférieur à celui présenté par la partie notifiante;
b) il est peu probable que les économies d'échelle liées au réseau soient propres à la concentration puisque O2 et Eircom, d'une part, et Vodafone et Three, d'autre part, étaient sur le point de mettre en place des accords de partage de réseau et de réaliser des économies de coûts similaires;
c) les économies d'échelle portent sur les coûts fixes et il est peu probable qu'elles soient répercutées sur les consommateurs.
(48) La Commission n'a pas non plus accepté les gains d'efficacité avancés par la partie notifiante liés au déploiement de la 4G (LTE). En effet, ces gains ne peuvent être considérés comme vérifiables et/ou propres à la concentration puisqu'en l'absence de celle-ci, O2 déploierait un réseau 4G compétitif comparable à celui que l'entité issue de la concentration prévoit de déployer.
(49) En ce qui concerne la couverture de la zone ciblée par le National Broadband Scheme des autorités irlandaises, la Commission considère que le bénéfice supplémentaire pour le client du fait de l'opération ne serait pas significatif et serait insuffisant pour contrebalancer les effets anticoncurrentiels de la concentration.
IV. ENGAGEMENTS
(50) Afin de remédier aux problèmes de concurrence, la partie notifiante a soumis plusieurs séries d'engagements les 3 mars, 19 mars et 8 avril 2014. La Commission a procédé à deux consultations de marché, lancées les 19 mars et 8 avril 2014. Sur la base des résultats de ces consultations et des retours d'information de la Commission, la partie notifiante a proposé des engagements définitifs le 6 mai 2014 (5).
A. DESCRIPTION DES ENGAGEMENTS PROPOSÉS
(51) Les engagements définitifs comprenaient les deux éléments suivants: i) un engagement relatif à l'entrée d'ORMV, consistant en une offre d'accès au réseau pour deux ORMV selon un modèle basé sur la capacité, avec la possibilité pour l'un des deux ORMV d'acquérir le spectre de Three; et ii) un engagement concernant Eircom consistant en une offre de signature d'un accord modifié de partage de réseaux avec Eircom.
1. Engagement relatif à l'entrée d'ORMV
(52) L'engagement définitif relatif à l'entrée d'ORMV est le suivant:
- la partie notifiante s'engage à offrir un accès de gros au réseau selon un modèle ORMV basé sur la capacité. Cela signifie qu'un ORMV paiera un montant forfaitaire pour une capacité définie, mesurée en termes de bande passante et grâce à laquelle les ORMV entrants obtiendront un "canal" dédié sur le réseau de l'entité issue de la concentration pour le trafic vocal et le trafic de données.
- La partie notifiante s'engage à conclure deux accords de capacité:
- l'un avec un ORMV agréé par la Commission avant que la partie notifiante puisse mettre en œuvre la concentration avec O2 (ci-après le "premier ORMV"). Cet accord de capacité sera conclu pour une capacité minimale de [...] % de la capacité du réseau de l'entité issue de la concentration,
- l'autre avec un second ORMV (ci-après le "second ORMV") pour une capacité minimale de [...] % de la capacité du réseau de l'entité issue de la concentration. La conclusion de cet accord de capacité avec le second ORMV est une condition nécessaire à la réalisation de l'opération entre la partie notifiante et O2. Si Three ne conclut pas d'accord avec le second ORMV dans un délai spécifique, un mandataire chargé de la cession vendra la capacité minimale de [...] % pour le compte de Three.
- Afin de promouvoir l'entrée sur le marché de deux ORMV, la capacité et le prix payé par ces derniers pourront être fixés selon un plan d'évolution raisonnable au cours des cinq premières années de l'accord de capacité.
- La durée des deux accords de capacité est de cinq ans, avec possibilité de prolongation de cinq années supplémentaires dans le cadre d'un modèle ORMV basé sur la capacité.
- Le premier et le second ORMV peuvent chacun accroître la capacité initiale qui leur est allouée jusqu'à un plafond maximal de 15 % de la capacité du réseau de l'entité issue de la concentration au cours des cinq premières années ou des cinq années supplémentaires. Le montant forfaitaire annuel dû par l'ORMV sera alors augmenté proportionnellement.
- La capacité disponible pour le premier et le second ORMV est calculée en fonction de la capacité totale du réseau de l'entité issue de la concentration et peut être augmentée si cette dernière s'accroît.
(53) La partie notifiante s'engage aussi à proposer la cession de fréquences de spectre au premier ou au second ORMV (mais pas aux deux) afin que l'ORMV concerné passe au rang d'ORM. La partie notifiante s'engage à céder deux blocs de fréquence dans la bande 1 800 MHz, deux blocs dans la bande 2 100 MHz ainsi qu'un bloc dans la bande 900 MHz. La possibilité offerte aux ORMV d'acquérir ces fréquences est valable pour une période de dix ans à compter du 1er janvier 2016.
2. Engagement concernant Eircom
(54) L'engagement concernant Eircom consiste en une offre unilatérale faite par la partie notifiante à Eircom visant à modifier et à renforcer l'accord actuel de partage de réseaux conclu par Eircom avec O2. Three deviendrait aussi partie à l'accord, dont les termes seraient alors modifiés afin, notamment, d'accélérer la consolidation des sites.
B. APPRÉCIATION DES ENGAGEMENTS DÉFINITIFS
(55) En se fondant sur cette analyse et sur les résultats des deux consultations de marché, la Commission a conclu que les engagements définitifs répondent pleinement aux problèmes soulevés en matière de concurrence.
(56) En ce qui concerne l'engagement relatif à l'entrée d'ORMV sur le marché, la Commission considère que le modèle d'ORMV qui est proposé, basé sur la capacité, incite fortement l'ORMV entrant à combler la capacité de réseau qu'il a achetée par une stratégie agressive d'acquisition de nouveaux clients. Ce modèle d'ORMV reproduit fidèlement la structure de coûts d'un ORM. La proposition garantit aussi que les deux ORMV entrants obtiendront un pourcentage significatif de la capacité de l'entité issue de la concentration (au moins [...] % et potentiellement jusqu'à 30 % au total).
(57) En outre, l'option de l'ORM supprime l'une des deux principales barrières à l'entrée d'un ORM, à savoir la disponibilité d'un spectre approprié, ce qui donne la possibilité à l'un des deux ORMV entrants de devenir un ORM.
(58) Enfin, l'engagement concernant Eircom garantit que la compétitivité de cet opérateur ne sera pas affaiblie par la dénonciation ou l'inexécution de l'accord de partage de réseaux "Mosaic" après la concentration, ce qui permettra à Eircom de rester pleinement compétitif.
V. CONCLUSION
(59) Compte tenu de ce qui précède, la décision a conclu que la concentration envisagée n'entravera pas la concurrence de manière significative sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci.
(60) Par conséquent, la concentration a été déclarée compatible avec le marché intérieur et l'accord EEE, conformément à l'article 2, paragraphe 2, et à l'article 8, paragraphe 2, du règlement sur les concentrations et à l'article 57 de l'accord EEE.
Notes :
(1) JO L 24 du 29-01-2004, p. 1.
(2) Considérant 25 du règlement sur les concentrations.
(3) Lignes directrices sur l'appréciation des concentrations horizontales au regard du règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO C 31 du 05-02-2004, p. 5).
(4) Lignes directrices sur les concentrations horizontales, paragraphe 24.
(5) Les engagements présentés le 6 mai 2014 ont été signés par la partie notifiante, Hutchison 3G UK Holdings Limited. Le 22 mai 2014, la partie notifiante a présenté une version révisée des engagements, identiques en substance à ceux du 6 mai 2014, mais signés cette fois-ci par Hutchison 3G Ireland Holdings Limited également, la société mère de Three à l'issue d'une restructuration effectuée après la notification.