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Décisions

Cass. crim., 8 mars 2016, n° 13-85.927

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Cdiscount (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin

Rapporteur :

Mme Harel-Dutirou

Avocat général :

M. Desportes

Avocats :

SCP Spinosi, Sureau

Bordeaux, ch. corr., du 5 juill. 2013

5 juillet 2013

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par la société Cdiscount, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Bordeaux, chambre correctionnelle, en date du 5 juillet 2013, qui, pour contraventions au Code de la consommation, l'a condamnée à quatre-vingt-dix-sept amendes de 75 euro chacune et trente-cinq amendes de 75 euro chacune ; - Vu le mémoire et les observations complémentaires produits ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 113-3, L. 121-1 et R. 113-1, alinéa 1er et 2, du Code de la consommation, de la directive 2005-29 du 11 mai 2005, 111-5 du Code pénal, de l'arrêté du 31 décembre 2008 relatif aux annonces de prix à l'égard du consommateur, 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que la cour d'appel a, confirmant le jugement, rejeté l'exception d'illégalité soulevée à l'encontre de l'arrêté ministériel du 31 décembre 2008 ;

"aux motifs que les conclusions de la prévenue adressées à la cour, identiques à celles déposées devant le tribunal, ne prennent pas en compte la motivation du jugement, et ne concernent que l'exception d'illégalité, alors qu'elle est appelante de l'ensemble du jugement et que le jugement de condamnation est motivé ; que répondant expressément aux observations de la prévenue pendant l'enquête de l'Administration comme lors de son audition par les services de police, comme, représentée devant le tribunal, ainsi qu'à ses conclusions, portant sur l'exception d'illégalité, comme aux observations du directeur du service juridique de la société, et à celles de la direction générale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes puis de la direction départementale de la protection des populations, par des énonciations suffisantes, auxquelles il y a lieu de se référer expressément et par des motifs qui doivent être adoptés, le tribunal a exactement analysé l'exception de nullité, la procédure, les faits poursuivis et les éléments constitutifs de l'infraction, objet de la prévention, en procédant à une appréciation des éléments de preuve de la culpabilité de la prévenue, comme de la peine, qui doit être approuvée, éléments dont les débats d'appel n'ont aucunement modifié le caractère déterminant ; que les motifs adoptés doivent être ainsi précisés à la suite des débats devant la cour : - le prix de référence n'est pas en soi une pratique commerciale mais s'analyse en une modalité de mise en œuvre de la pratique commerciale d'annonce de réduction de prix ; - la directive européenne de 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales n'indique pas expressément qu'elle s'applique aux annonces de réductions de prix, alors qu'elle dresse une liste exhaustive des pratiques prohibées ; - l'arrêté du 31 décembre 2008 a pour objectif principal la lutte contre la concurrence déloyale, la protection des consommateurs étant principalement une conséquence de cet objectif, alors que sont exclues du champ d'application de la directive européenne sur les pratiques commerciales déloyales les pratiques qui portent atteinte uniquement aux intérêts économiques de concurrents ou entre professionnels ; - l'arrêté du 31 décembre 2008 n'interdit pas les pratiques de publication d'annonces de réduction de prix, mais les encadre en prévoyant les modalités de mise en œuvre, alors que la directive européenne fixe les pratiques permises et interdites sans définir de modalités de ces pratiques, et tout en laissant aux Etats la possibilité de réglementer ces dernières ; - les arrêts de la Cour d'appel de Paris du 14 mai 2009 et le jugement du Tribunal de Bobigny visés par la prévenue concernent l'interdiction par l'article L. 122-1 du Code de la consommation des ventes liées, et non la fixation par l'arrêté du 31 décembre 2008 des modalités d'encadrement d'une pratique de vente ; - à la suite de la mise en demeure de la France le 26 juin 2009 et de l'avis motivé de la Commission européenne du 29 septembre 2011, la France n'a pas été poursuivie pour manquement, et la Cour de justice des Communautés européennes n'a pas pris depuis position, alors que sa jurisprudence sanctionne les seules interdictions, ce que ne contredit pas la note transmise par l'avocat du prévenu le 7 juin 2013, - Cdiscount a fait l'objet le 23 octobre 2007 d'un rappel de la réglementation à la suite de la constatation de faits similaires ; - Cdiscount avait la possibilité d'aboutir à une action de vente similaire dans le cadre de ventes promotionnelles à prix nets ou avec annonce de réduction de prix non chiffrée ; qu'ainsi, les faits et les éléments constitutifs de la prévention sont établis, comme la culpabilité de la prévenue, qui doit être condamnée du chef de la prévention ;

"1°) alors qu'il résulte de la jurisprudence communautaire (CJUE 23 avril 2009 et 14 avril 2010) et des mentions mêmes du jugement dont les motifs ont été adoptés par la cour d'appel que les Etats membres ne peuvent pas arrêter de mesures plus restrictives que celles définies par la directive 2005-29 du 11 mai 2005 relatives aux pratiques commerciales déloyales ; que l'arrêté du 31 décembre 2008, fondant les poursuites, qui limite à trois hypothèses les possibilités et modalités d'annonces de réduction de prix à l'égard du consommateur, interdisant ainsi de façon générale et absolue toute autre forme d'annonce de réduction de prix sans permettre d'apprécier in concreto le caractère trompeur ou non de la réduction, va au-delà des prévisions de la directive 2005-29 ; qu'en jugeant, pour rejeter l'exception d'illégalité, que " le prix de référence n'est pas une pratique commerciale relevant du domaine de la directive, mais une modalité de mise en œuvre de la pratique commerciale ", lorsque les réductions de prix sont des pratiques commerciales relevant du champ d'application de la directive, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée de ce texte ;

"2°) alors qu'en relevant, pour rejeter l'exception d'illégalité, " que la directive de 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales n'indique pas expressément qu'elle s'applique aux annonces de réductions de prix alors qu'elle dresse une liste exhaustive des pratiques prohibées ", lorsque la définition légale d'un prix de référence fixé par l'arrêté ministériel du 31 décembre 2008, qui empêche l'appréciation in concreto du caractère trompeur ou non de la réduction du prix, va au-delà de ce que prévoit la directive, et qu'ainsi, ledit arrêté lui est contraire, la cour d'appel a de plus fort méconnu le sens et la portée de ce texte ;

"3°) alors qu'en relevant, pour rejeter l'exception d'illégalité, " que l'arrêté du 31 décembre 2008 a pour objectif principal la lutte contre la concurrence déloyale, la protection des consommateurs étant principalement une conséquence de cet objectif, alors que sont exclues du champ d'application de la directive européenne sur les pratiques commerciales déloyales les pratiques qui portent atteinte aux intérêts économiques de concurrents ou entre professionnels ", lorsqu'il résulte expressément des termes même de cet arrêté que ce texte est " relatif aux annonces de réduction de prix à l'égard du consommateur " et qu'ainsi, cet arrêté a pour objectif la protection des consommateurs, telle que visée par la directive 2005-29, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen" ;

Vu les articles L. 113-3, R. 113-1 du Code de la consommation, ensemble l'arrêté du 31 décembre 2008, la directive 2005-29 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales ; - Attendu qu'aux termes du dernier de ces textes, une pratique commerciale, qui ne figure pas sur la liste des pratiques commerciales réputées déloyales en toutes circonstances, ne peut être considérée comme déloyale qu'après une évaluation au cas par cas tendant à rechercher si elle constitue une pratique contraire aux exigences de la diligence professionnelle, et qui altère ou est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique, par rapport au produit, du consommateur moyen ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, le 16 octobre 2009, les services de la direction départementale de la protection des personnes de la Gironde ont dressé procès-verbal aux termes duquel ils relevaient cent trente-deux infractions aux dispositions de l'arrêté du 31 décembre 2008 pris en application de l'article L. 113-3 du Code de la consommation et relatif aux annonces de réduction de prix à l'égard du consommateur à l'encontre des responsables du site de vente informatique Cdiscount en raison de l'absence de justificatif du prix de référence de quatre-vingt-dix-sept produits et de l'omission de la mention "prix conseillé" accompagnée de l'année à laquelle ce prix se rapporte pour trente-cinq produits, infractions punies, par l'article R. 113-1, alinéa 2, dudit Code, de l'amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe ; que, devant le tribunal de police, la société Cdiscount a soulevé la non-conformité de l'arrêté du 31 décembre 2008 aux dispositions de la directive 2005-29-CE du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis à vis des consommateurs dans le marché intérieur ;

Attendu que, pour écarter cette argumentation et confirmer le jugement qui a déclaré la prévenue coupable, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que la directive 2005-29-CE n'indique pas expressément qu'elle s'applique aux réductions de prix alors qu'elle dresse une liste exhaustive des pratiques prohibées ; que les juges ajoutent que l'arrêté du 31 décembre 2008 n'interdit pas les pratiques de publication d'annonces de réduction de prix, mais les encadre en prévoyant des modalités de mise en œuvre alors que la directive fixe les pratiques permises et interdites sans en définir les modalités et tout laissant aux Etats la possibilité de les réglementer ;

Attendu que, par arrêt du 11 juin 2014, la Chambre criminelle a saisi d'une question préjudicielle la Cour de justice de l'Union européenne laquelle a dit pour droit (CJUE, 8 septembre 2015, Cdiscount SA, affaire C-13-15) que la directive 2005-29-CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84-450-CEE du Conseil et les directives 97-7-CE, 98-27-CE et 2002-65-CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) n° 2006-2004 du Parlement européen et du Conseil, dite "directive sur les pratiques commerciales déloyales", doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à des dispositions nationales, telles que celles en cause au principal, qui prévoient une interdiction générale, sans évaluation au cas par cas permettant d'établir le caractère déloyal des annonces de réduction de prix qui ne font pas apparaître le prix de référence lors du marquage ou de l'affichage des prix, pour autant que ces dispositions poursuivent des finalités tenant à la protection des consommateurs, ce qu'il appartient à la juridiction de renvoi d'apprécier ;

Mais attendu qu'en statuant comme elle a fait, alors que l'arrêté du 31 décembre 2008, en vigueur au moment des faits, qui a pour finalité la protection des consommateurs, prévoit une interdiction générale, sans évaluation au cas par cas permettant d'établir le caractère déloyal des annonces de réduction de prix qui ne font pas apparaître le prix de référence lors du marquage ou de l'affichage des prix, la cour d'appel a méconnu la directive 2005-29 du 11 mai 2005 susvisée ; d'où il suit que la cassation est encourue ; que, n'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond, en l'absence de toute autre qualification pénale, elle aura lieu sans renvoi, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du Code de l'organisation judiciaire ;

Par ces motifs : casse et annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la Cour d'appel de Bordeaux, en date du 5 juillet 2013, dit n'y avoir lieu à renvoi.