CA Metz, 1re ch., 23 juin 2015, n° 13-00598
METZ
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Hailo France (SAS)
Défendeur :
Leduc, CPAM de la Moselle
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Staechele
Conseillers :
Mme Cunin-Weber, M. Hittinger
Avocats :
Mes Barre, Lavelle, Delrue, Me Zachayus
EXPOSE DU LITIGE
Monsieur Henri Leduc a fait une chute le 22 juin 2009 au domicile de Monsieur Schuster alors qu'ils étaient à l'extérieur, en train de cueillir des cerises. L'escabeau de marque Hailo France acheté au magasin Leroy Merlin s'est effondré et disloqué entraînant Monsieur Leduc à terre.
Il a été blessé et a subi une rupture du col du fémur avec déplacement de l'os justifiant son hospitalisation.
Une réunion d'expertise contradictoire s'est tenue le 16 novembre 2009 sur les lieux de sinistre.
Vu l'acte introductif d'instance du 25 janvier 2011 aux termes duquel Monsieur Henri Leduc a attrait la société à Hailo France et la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Moselle devant le Tribunal de grande instance de Metz à fin de voir la première déclarée responsable de sa chute de la condamner à l'indemniser son préjudice qu'il chiffre à 18 631 euro, article 700 et frais et dépens en sus ; le fondement de son action est l'article 1386-1 Code civil ;
Vu les conclusions en défense aux termes desquelles la société Hailo France n'a pas contesté sa responsabilité en ce qu'il n'est pas démontré que l'escabeau avait été impliqué d'une manière quelconque dans la survenance des blessures de Monsieur Leduc; à titre subsidiaire il a été demandé de prononcer l'irrecevabilité de la demande s'agissant d'un fabricant de droit italien ; de plus subsidiairement il a été soutenu l'absence de défaut démontré de l'escabeau et encore plus subsidiairement, l'absence d'utilisation de celui-ci devait conditions normales ; enfin la réduction des dommages-intérêts a été sollicitée ainsi qu'une somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu l'absence de constitution de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Moselle, régulièrement assignée ;
Vu le jugement du 10 janvier 2013 aux termes duquel le Tribunal de grande instance de Metz a statué comme suit :
Déclare la société Hailo France entièrement responsable du préjudice subi par Henri Leduc suite à l'accident survenu le 22 juin 2009 au domicile de Monsieur Schuster au n° [...] ;
En conséquence condamne la société Hailo France à verser à Henri Leduc la somme de 16 910 euro à titre de dommages-intérêts et la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Rejette les demandes plus amples ou contraires ;
Ordonne l'exécution provisoire ;
Déclare le jugement commun à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Moselle
Condamne la société Hailo France aux dépens qui comprendront les frais d'expertise.
Pour statuer ainsi les premiers juges ont considéré que :
Les dispositions de l'article 1386-6 du Code civil s'appliquent en l'espèce, la société Hailo France étant considérée comme producteur de l'escabeau pour Monsieur Henri Leduc ;
Dans les faits, la chute est arrivée compte-tenu d'une pliure survenue au niveau de la 4e marche lors de son utilisation, alors que l'escabeau est décrit comme étant du matériel de qualité professionnelle ;
L'utilisation de cet escabeau était normale lors de l'accident ; la chute ne résulte pas du basculement de l'escabeau mais d'une déformation de sa structure intrinsèque, ce qui justifie de retenir la responsabilité de la partie défenderesse au vu du rapport de l'expert
Sur l'évaluation du préjudice de la victime : le déficit fonctionnel temporaire est intervenu du 1er avril 2010 au 16 juin 2010 ce qui justifie l'allocation de la somme de 2 640 euro ; les souffrances endurées de 3/7 justifient l'allocation de la somme de 4 000 euro ; le déficit fonctionnel permanent de 10 % s'agissant d'un homme de 76 ans lors de la consolidation, justifie l'allocation d'une somme de 5 770 euro (577 euro le point) ; le préjudice esthétique de 2/7 sera réparé par une somme de 1 500 euro; le préjudice d'agrément, consiste en l'impossibilité de pratiquer des activités antérieures de pétanque et de sports de danse de loisirs; une somme de 3 000 euro il sera allouée à ce titre, soit un total de 16 910 euro.
Vu la déclaration d'appel datée du 27-02-2013 par la SAS Hailo France ;
Par conclusions récapitulatives datées du 16-06-2014, la SAS Hailo France les demandes suivantes :
Vu la directive 95-374 sur CEE du 25 juillet 1985,
Vu les dispositions des articles 1386-1 et suivants du Code civil,
Vu l'article 1304 du Code civil,
Il est demandé à la Cour d'appel de Metz de à titre principal de :
Constater que la Macif a demandé à la société Hailo France l'identité du fabricant de l'escabeau par courrier du 2 août 2010,
- constater que la société Hailo France a répondu le 9 août 2010 soit dans les délais définis par l'article 1386-7 du Code civil,
- dire et juger que Monsieur Leduc ne justifie pas que la société Hailo France aurait apposé sa marque ou son étiquette sur ledit escabeau,
En conséquence,
- réformer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
- dire et juger irrecevables les demandes de Monsieur Leduc et le renvoyer à se mieux pourvoir à l'encontre du fabricant la société droit italien, la société Guierre ;
A titre subsidiaire :
Juger que Monsieur Leduc ne démontre pas que l'escabeau était affecté d'un quelconque défaut, encore moins d'un défaut de sécurité,
- dire et juger que Monsieur Leduc ne démontre pas que l'escabeau vendu par la société Hailo France aurait été impliqué d'une quelconque manière dans la survenance de ses blessures,
En conséquence,
- réformer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
- rejeter l'ensemble des demandes de Monsieur Leduc,
A titre subsidiaire :
- dire et juger que Monsieur Leduc ne démontre pas avoir utilisé l'escabeau qu'il prétend incriminer, dans des conditions normales et conforme aux préconisations du fabricant,
En conséquence,
Réformer en ses dispositions le jugement entrepris,
Rejeter l'ensemble des demandes de Monsieur Leduc,
A titre infiniment subsidiaire :
Dire et juger que les montants accordés ne sont pas justifiés et doivent être ramenés à de plus justes proportions,
Rejeter la demande formulée au titre d'un prétendu préjudice d'agrément,
En conséquence
- réformer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
- rejeter l'ensemble des demandes de Monsieur Leduc,
En tout état de cause :
Débouter la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de l'intégralité de ses demandes formulées à l'encontre de la société Hailo France,
Condamner Monsieur Lucas payer à la société Hailo France, indûment mise en cause, la somme de 3 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
Le condamner aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel.
Par conclusions récapitulatives datées du 14-04-2014, Monsieur Henri Leduc forme auprès de la Cour, les demandes suivantes :
Rejeter l'appel principal,
Faire droit à l'appel incident,
Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré la société Hailo France entièrement responsable du préjudice subi par Monsieur Henri Leduc consécutif à l'accident survenu le 22 juin 2009 au domicile de Monsieur Schuster au n° [...],
Émendant le jugement entrepris sur les montants,
Condamner la société Hailo France à verser à Monsieur Henri Leduc la somme de 18 631 euro, intérêts au taux légal à compter du jugement du 10 janvier 2013 sur la somme de 16 910 euro et à compter de l'arrêt pour le surplus,
Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a alloué la somme de 1 500 au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile à Monsieur Leduc,
Ajouter au jugement entrepris,
Condamner la société Hailo France à verser à Monsieur Henri Leduc la somme de 3 000 euro en application des conditions de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais Irrépétibles exposés à hauteur de cour, outre les entiers frais et prendre la procédure,
Déclarer l'arrêt à intervenir commun et opposable à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Moselle.
La Caisse Primaire d'Assurance Maladie est intervenante volontaire et conclut le 14-04-2014 à ce qui lui soit donné acte de son intervention aux débats, que le jugement entrepris soit confirmé en ce qu'il a déclaré la société à Hailo France entièrement responsable du préjudice subi par Monsieur Henri Leduc, à la suite d'un accident survenu le 22 juin 2009, qu'il condamne la société Hailo France à verser à la CPAM de la Moselle la somme de 16 920,50 euro en remboursement des frais et débours exposés ainsi que de l'indemnité forfaitaire des frais de gestion, outre la somme de 1 200 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'affaire a été clôturée par ordonnance du 9-03-2015 ; la plaidoirie a été fixée à l'audience du 9-04-2015.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Vu le jugement déféré,
Vu les conclusions écrites échangées entre les parties, écritures entrées au greffe le 16-06-2014 pour l'appelante, le 14-04-2014 pour l'intimé et du 14-04-2014 pour la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Moselle intervenante volontaire, auxquelles il est référé pour l'exposé de leurs prétentions et moyens ;
Sur l'appel principal
Attendu qu'aux termes des dispositions de l'article 1386-6 du Code civil " les producteur lorsqu'il agit à titre professionnel, le fabricant d'un produit fini, le producteur de matière première, le fabricant d'une partie composante. Est assimilé à un producteur pour l'application du présent titre, toute personne agissant à titre professionnel :
1° Qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou son signe distinctif,
2° Qui importe un produit dans la Communauté européenne en vue de la vente, d'une location avec ou sans promesse de vente, ou de toute autre forme de distribution (...) "
Attendu qu'en l'espèce, la société Hailo France conclut à l'irrecevabilité subsidiairement au mal fondé de la demande diligentée à son encontre, dès lors que l'identité du fabricant a été communiquée à la victime dans le délai visé à l'article 1386-7 susvisé, ce qui exclut la mise en jeu des dispositions de l'article 1386-6 du même Code ;
Qu'elle affirme en effet que le principe est celui de la subsidiarité de la responsabilité du fournisseur, en présence d'un fabriquant identifié ;
Qu'en outre, elle conteste avoir apposé son nom sur l'escabeau, ce qui exclut de la considérer comme en étant le producteur, alors qu'elle l'a importé d'Italie auprès d'une société Guierre ;
Qu'elle relève qu'aucune pièce produite ne vient démontrer le contraire ce qui justifie la réformation du jugement déféré à cet égard ;
Qu'enfin et de manière subsidiaire, elle relève que la preuve d'un défaut de sécurité affectant l'escabeau n'est pas rapportée, pas plus que son rôle dans les blessures de l'intimé ;
Qu'en effet elle relève que la seule pièce produite est un rapport non contradictoire de son propre expert d'assurance le Cabinet Cunningham Lindsay ;
Que plus subsidiairement encore, elle note l'absence de preuve d'un usage normal de l'escabeau, conforme aux préconisations du fabricant ;
Attendu que s'agissant du caractère contradictoire de l'expertise, il échet de relever qu'il résulte des termes mêmes de l'expertise déposée le 20-07-2010 par Monsieur Chebbah, que trois réunions sont intervenues en vue de l'expertise, la première entre les parties, les deux suivantes en présence des parties et de représentants du magasin ayant vendu l'escabeau en litige ;
Que dès lors le seul rapport technique produit vaut expertise contradictoire et sera validée à ce titre ;
Attendu s'agissant du fondement de la demande, il échet de rappeler que les dispositions de l'article 1386-9 du Code civil prévoient que " le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage " ;
Que le dommage dans sa matérialité et ses conséquences, résulte de l'expertise médicale établie par le Docteur Marx ;
Que l'attestation de Monsieur Schuster présent lors de la chute de son ami dans son propre jardin, démontre que celle-ci est intervenue consécutivement à une faiblesse de l'escabeau, dont l'un des montants a cédé lors de son usage ; Que cet usage était normal, en ce qu'il consistait à gravir l'escabeau sur un sol sec et plat, afin de cueillir des fruits sur un arbre ;
Attendu que la société Hailo France est recherchée en l'espèce sur le fondement de l'article 1386-6 du Code civil dans son alinéa 2, soit étant " assimilé à un producteur (...) toute personne agissant à titre professionnel, 1° qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinction, 2° qui importe le produit dans la Communauté Européenne en vue de sa vente (...) ou toute autre forme de distribution " ;
Que les dispositions de l'article 1386-7 sont invoquées par la SA Hailo France pour contester sa responsabilité au profit du fabricant italien en considérant que le producteur ou vendeur n'engagent leur responsabilité que " si le producteur ne peut être identifié " ;
Qu'elle indique ainsi avoir notifié à l'intimé l'identité du fabricant ;
Attendu qu'en l'espèce, il y a lieu de constater que les conditions de l'article 1386-6-1° du Code civil sus énoncées ne sont pas réunies, dès lors que la preuve de la commercialisation par la société Hailo France de l'escabeau sous sa marque n'est pas rapportée ; Que la seule affirmation par l'intimée de l'apposition d'une étiquette est inopérante, l'expert n'ayant pas relevé ce point ; Qu'en outre les analyses juridiques de l'expert, ne lient aucunement la juridiction ; Que la production du ticket d'achat dont il est fait mention dans la décision déférée, fait en outre défaut ;
Attendu en revanche, qu'il est constant que la société Hailo France a importé d'Italie le bien en litige, pays de la communauté européenne, afin de le commercialiser ;
Que cependant il est admis que l'article 1386-6, 2° du Code civil, aux termes duquel est assimilée à un producteur toute personne agissant à titre professionnel qui importe un produit dans la Communauté européenne en vue d'une vente, d'une location, avec ou sans promesse de vente, ou de toute autre forme de distribution, que l'assimilation d'un importateur à un producteur est limitée au seul importateur de produits en provenance de pays tiers, dès lors que l'article 1386-6, 2° n'est pas exclusif de l'article 1386-6, 1° lequel prévoit qu'est assimilable à un producteur, pour l'application du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux, toute personne agissant à titre professionnel qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif, sans opérer de distinction tenant à l'activité du professionnel concerné ;
Qu'à contrario en l'absence de référence possible au prescrit de l'article 1386-6-1° comme en l'espèce par défaut de toute preuve de l'apposition de la marque sur l'échelle, l'importation faite " en parallèle " entre pays européens, échappe aux dispositions de l'article 1386-6 2° sus énoncées ;
Que dès lors, l'article 1386-7 du même Code s'applique et permet de retenir " le vendeur, le loueur (...) ou tout autre professionnel " comme étant " responsable du défaut de sécurité du produit dans le mêmes conditions que le producteur dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la demande de la victime lui a été notifiée " ;
Attendu qu'en l'espèce, il est établi par la lettre du 9-08-2010 émanant de la société Servyr, courtier d'assurances de la société Hailo France, rédigé en réponse à une demande de Monsieur Leduc, que l'identité du fabricant a été fournie par Hailo France dans ce courrier à savoir celle d'une société de droit italien Guierre ;
Que les dispositions de l'article 1386-7 du Code civil sont par ailleurs spécialement visées par le courrier du 9-08-2010 ;
Attendu dès lors, que l'assignation effectuée le 25-01-2011 par Monsieur Leduc au visa de l'article 1386-6 du Code civil à l'encontre de la société Hailo France, doit être déclarée non pas irrecevable comme soutenu par l'appelante, mais mal fondée au visa des dispositions combinées des articles 1386-6 et 1386-7 du Code civil ;
Que par conséquent le jugement déféré, qui a considéré que l'applicabilité du premier article ne faisaient pas discussion, sera infirmé et les demandes effectuées tant par Monsieur Leduc que par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Moselle, seront rejetées ;
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
Attendu qu'il ne pas sera fait application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile en faveur de la société Hailo France ce, selon des considérations d'équité ;
Que pareille demande émanant de la partie intimée qui succombe sera écartée comme non justifiée ;
Sur les dépens
Attendu qu'il convient de laisser les entiers dépens d'appel, comme ceux de la première instance à la charge de Monsieur Leduc, partie qui succombe.
LA COUR, Statuant par arrêt contradictoire, prononcé par sa mise à disposition au greffe, après débats en audience publique, Vu l'appel formé par la S.A. Hailo France à l'encontre du jugement rendu le 10-01-2013 par le Tribunal de grande instance de Metz, Vu l'appel incident formé par Monsieur Henri Leduc, Vu l'intervention volontaire de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Moselle ; Infirme le jugement déféré, Statuant à nouveau, Déclare mal fondée la demande de Monsieur Philippe Leduc formée à l'encontre de la société Hailo France au visa des articles 1386-6 et 1386-7 du Code civil, Le déboute de ses demandes en indemnisation, Rejette son appel incident, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires, Condamne Monsieur Philippe Leduc aux entiers dépens d'instance et d'appel.