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Décisions

CA Amiens, 1re ch. civ., 8 octobre 2015, n° 12-05293

AMIENS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Polyclinique du Parc (SA), CPAM du Hainaut, Caisse des Dépôts et Consignations

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boiffin

Conseillers :

Mmes Lorphelin, Liberge

TGI Valenciennes, du 25 juin 2008

25 juin 2008

Le 20 juillet 1998, Madame Christina J. épouse V. (Madame V.) a subi une hystérectomie par voie vaginale, sous anesthésie réalisée par le Docteur Andrée L., médecin anesthésiste à la Polyclinique du Parc à Saint Saulve. Cette anesthésie a consisté en une rachianesthésie par injection de marcaïne et ayant dû être complétée par une anesthésie générale. Le bilan pré anesthésie avait été réalisé le 9 juillet 1998 par le Docteur D. et ne mentionnait aucune contre-indication à la rachianesthésie. Lors de l'intervention, la patiente a ressenti une vive douleur au mollet droit à l'injection du produit utilisé pour la rachianesthésie et a présenté postérieurement un déficit moteur du membre inférieur droit.

L'information ouverte du chef de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à trois mois a été clôturée par une ordonnance de non-lieu du 30 mai 2001, confirmée par un arrêt du 18 octobre 2002.

Par un acte d'huissier du 26 septembre 2003, Madame V. a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Valenciennes Madame Andrée L. et la Clinique du Parc en responsabilité. La CPAM de Valenciennes a été appelée à cette instance.

Par un jugement avant dire droit en date du 6 octobre 2005, le Tribunal de grande instance de Valenciennes a ordonné une mesure d'expertise confiée au Docteur S., puis au Professeur C., lequel a déposé le 15 juin 2007 un rapport concluant que les complications neurologiques conséquence directe de la rachianesthésie dont souffre Madame V. remplissent tous les critères qui définissent aujourd'hui un aléa thérapeutique.

Par un jugement du 25 juin 2008, le Tribunal de grande instance de Valenciennes, considérant qu'aucune faute ne pouvait être retenue contre Madame Andrée L., médecin anesthésiste, ni contre la Polyclinique du Parc, a débouté Madame V. de l'intégralité de ses demandes et l'a condamnée à supporter les dépens et à verser à Madame Andrée L. et à la Polyclinique du Parc, à chacune, une somme de 1 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Statuant sur l'appel de ce jugement formé par Madame V., la Cour d'appel de Douai aux termes d'un arrêt du 26 mai 2011, pour l'essentiel, a infirmé le jugement du 25 juin 2008, déclaré Madame Andrée L. responsable de la perte de chance de 80 % subie par Madame V. de renoncer à la rachianesthésie, ordonné une expertise aux fins de fixer les différents postes du préjudice corporel de la victime, condamné Madame Andrée L. à verser à Madame V. une provision de 50 000 euro à valoir sur l'indemnisation de son préjudice et une somme de 2 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile, condamné Madame V. à supporter les dépens d'appel exposés par la Polyclinique du Parc et à lui verser une somme de 1 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile et réservé les dépens d'appel pour le surplus.

Par un arrêt du 26 septembre 2012, la Cour de cassation, au visa de l'article 1147 du Code civil, a mis la Polyclinique du Parc hors de cause, cassé et annulé, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 26 mai 2011 entre les parties par la Cour d'appel de Douai, remis en conséquence la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et renvoyé les parties devant la Cour d'appel d'Amiens pour être fait droit.

Vu la déclaration de saisine de la Cour d'appel d'Amiens transmise par la voie électronique le 27 novembre 2012 à la requête de Madame V. ;

Vu les ultimes conclusions déposées et transmises par la voie électronique le 9 octobre 2014 et signifiées à la CPAM du Hainaut par un acte d'huissier remis le 8 octobre 2014 à une personne habilitée à recevoir un tel acte, aux termes desquelles Madame V. demande à la cour, au visa des articles 16, 16-3 et 1382 du Code civil, de :

- déclarer le Docteur L. responsable des dommages et des préjudices qu'elle a subis dans le cadre de l'intervention subie le 20 juillet 1998 ;

- constater que le montant de son indemnisation s'élève à 872 354,71 euro auquel il convient de " rajouter " la créance des caisses non communiquées à ce jour ;

- fixer sa créance définitive à 891 724 euro, hors créances des caisses ;

- dire et juger qu'il conviendra de " rajouter " la créance des caisses la somme de 891 724 euro ;

- condamner le Docteur L. à lui payer la somme de 891 724 euro augmentée des intérêts au taux légal à compter du jour du jugement à intervenir auquel il conviendra de " rajouter " le montant de la créance des caisses ;

- condamner le Docteur L. au paiement des entiers frais et dépens dont distraction pour ceux d'appel au profit de la SCP M. et D., conformément à l'article 699 du Code de procédure civile ;

Vu les ultimes conclusions déposées et signifiées par la voie électronique aux parties constituées le 26 mai 2015 et à la CPAM du Hainaut le 8 Octobre 2014, aux termes desquelles Madame L. demande à la cour, au visa des articles L. 11142-1 du Code de la santé publique, des articles 1386 et suivants du Code civil et de la directive CE n° 85-374 du 25 juillet 1985, de :

- dire qu'elle n'a commis aucune faute dans le choix de la rachianesthésie, dans la réalisation de la rachianesthésie et dans le suivi per et post opératoire ;

- constater qu'elle n'était pas en charge de la consultation pré anesthésique à distance de l'opération, ni de la visite pré anesthésique en vue de l'intervention du 20 juillet 1998 ;

- dire qu'elle n'était pas débiteur de l'obligation d'information concernant les risques liés à la rachianesthésie, obligation qui incombait au Docteur D. ;

- dire, en tout état de cause, que le risque qui s'est réalisé (toxicité directe de la marcaïne sur le cône nerveux) n'était pas connu à l'époque des faits et qu'ainsi toute information de ce chef était impossible ;

- dire que Madame V. a bénéficié d'une information sur les risques liés à la rachianesthésie ;

- dire en outre que les préjudices de Madame V. ne sont pas imputables au défaut d'information qu'elle allègue ;

- dire que l'action de Madame V. fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux est irrecevable contre le Docteur L. qui n'est pas producteur de la marcaïne ;

- dire que cette action est prescrite ;

- dire que la responsabilité de plein droit du fournisseur d'un produit de santé ne peut être engagée à défaut de rapporter la preuve de la défectuosité du produit en lien avec le dommage, preuve non rapportée par la demanderesse ;

- dire que la clinique est le fournisseur du produit anesthésique ;

- dire que Madame V. ne rapporte pas la preuve de la défectuosité du produit ;

Par conséquent,

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

- débouter purement et simplement Madame V. de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- ordonner la restitution de la somme de 5 000 euro telle qu'elle a été versée par le Docteur L. en exécution des causes de l'arrêt de la Cour d'appel de Douai du 26 mai 2011, avec intérêts légaux à compter du jour du règlement et, à défaut, à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir et avec capitalisation des intérêts ;

- condamner Madame V. à lui payer la somme de 10 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de la présente instance et de l'instance devant la Cour d'appel de Douai ;

A titre subsidiaire,

- dire et juger que le dommage subi par Madame V. du fait d'un défaut d'information du Docteur L. ne peut s'analyser qu'en une perte de chance minime pour Madame V. d'éviter le dommage qui s'est réalisé ;

- surseoir à statuer sur les postes de préjudices patrimoniaux dans l'attente de la production d'un décompte précis et détaillé de la CPAM Nord Picardie et de plus amples justificatifs par Madame V. ;

- évaluer les postes de préjudices extrapatrimoniaux comme suit :

- DFT total 780 euro

- DFT partiel à 75 % 5 835 euro

- DFT partiel à 50 % 16 000 euro

- DFP 64 000 euro

- préjudice esthétique 4 000 euro

- préjudice sexuel 6 000 euro

- appliquer le taux de perte de chance qui sera retenu à l'ensemble des postes de préjudices et déduire le montant des créances des organismes sociaux des sommes à revenir à Madame V. conformément aux dispositions de l'article L. 376-1 du Code de la sécurité sociale ;

- déduire des sommes allouées à Madame V. la provision qu'elle a d'ores et déjà reçue à hauteur de 50 000 euro ;

Vu les ultimes conclusions déposées et signifiées par la voie électronique le 29 août 2014, aux termes desquelles la Polyclinique du Parc demande à la cour, au visa de l'article 480 du Code de procédure civile, de :

- déclarer irrecevable l'assignation qui lui a été délivrée en ce qu'elle se heurte au principe de l'autorité de la chose jugée ;

A titre subsidiaire,

- prononcer sa mise hors de cause ;

- débouter la Caisse des dépôts et consignations de ses demandes en ce que celles-ci sont dirigées contre elle ;

- condamner reconventionnellement Madame V. à lui payer une somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- la condamner aux dépens, dont distraction au profit de Maître S. B. ;

Vu les conclusions déposées et signifiées aux parties constituées par la voie électronique le 7 octobre 2014 et par un acte d'huissier à la CPAM du Hainaut le 8 octobre 2014, aux termes desquelles la Caisse des dépôts et consignations, en qualité de gestionnaire de la Caisse Nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) appelée par une assignation du 23 mai 2014 en déclaration d'arrêt commun, demande à la cour de :

- dire et juger que les tiers responsables, Madame Andrée L. et la SA Clinique chirurgicale et maternité du Parc ainsi que leurs compagnies d'assurances respectives seront condamnées in solidum à lui payer la somme de 95 550,75 euro au titre du capital représentatif au 1er juin 2005 de la rente servie à Madame V. ;

- dire et juger que cette condamnation sera limitée à l'évaluation du préjudice patrimonial soumis au recours de la CNRACL, calculée en droit commun, à savoir les pertes de gains professionnels futurs et l'incidence professionnelle ;

- dire et juger que l'indemnité qui lui sera allouée, sera majorée des intérêts de droit à compter du prononcé du jugement ;

- condamner un solidum les succombantes à lui payer la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel ;

Vu l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 27 mai 2015 prononçant la clôture et fixant l'affaire à l'audience du 11 juin 2015 ;

Conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, il est fait expressément référence aux conclusions des parties, visées ci-dessus, pour l'exposé de leurs moyens et de leurs prétentions.

CECI EXPOSE, LA COUR,

La CPAM du Hainaut, régulièrement assignée à personne le 27 février 2013, n'ayant pas constitué avocat, il convient de statuer par arrêt réputé contradictoire par application de l'article 474 alinéa 1er du Code de procédure civile.

I - Sur la recevabilité de l'appel en cause de la Polyclinique du Parc :

La cour de cassation ayant mis cette partie hors de cause, la Polyclinique du Parc est fondée à soulever l'irrecevabilité de sa mise en cause devant la présente cour de renvoi et celle des demandes de condamnation formées à son encontre par la Caisse des dépôts et consignations, étant relevé que Madame V., qui a fait assigner la Polyclinique du Parc devant la cour par un acte d'huissier du 27 février 2013, reconnaît expressément qu'elle n'est plus recevable à former de demandes contre cet établissement de soins dès lors que celui-ci a été mis hors de cause par la Cour de cassation.

II - Sur la responsabilité de Madame L. :

1 - Le manquement du médecin à son devoir d'information :

Madame V. soutient que la véritable question, non soumise à la censure de la Cour de cassation, n'est pas celle de la neurotoxicité de la marcaïne, mais celle du défaut d'information dont elle a été victime en juillet 1998. Elle souligne que la Société française d'anesthésie réanimation mentionnait à l'époque, dans les recommandations données aux médecins anesthésistes, que des complications plus graves comme une paralysie permanente étaient extrêmement rares, sans pour autant les exclure, et que cette information, qui lui aurait fait renoncer à la rachianesthésie pour une anesthésie générale moins risquée, ne lui a pas été donnée.

Cependant, ainsi que l'intimée le fait justement observer dans ses conclusions d'appel, Madame L. n'était pas débitrice de cette obligation d'information qui incombait au Docteur D. dans le cadre de la consultation pré-anesthésique prévue à l'article D. 6124-91 du Code de la santé publique issu du décret du 5 décembre 1994, applicable à la date des faits. En effet, Madame V., dont l'intervention avait été programmée à l'avance, avait été reçue par ce praticien le 9 juillet 1998, ainsi que le rappelle le Professeur C. dans son rapport d'expertise en ces termes : " en prévision de l'anesthésie, une consultation pré-anesthésique précédée d'un questionnaire rempli par Madame V. a été réalisé par le Docteur D. le 9 juillet 1998 ; on dispose du relevé de consultation d'anesthésie ; ce relevé est parfaitement renseigné ; tous les critères qu'il faut prendre en compte dans une évaluation préopératoire ont été parfaitement notés par le médecin anesthésiste réanimateur ". La circonstance qu'aucun document de consentement éclairé n'ait été signé par la patiente lors de cette consultation, outre que la responsabilité n'en incombe pas à Madame L., doit être replacée dans le contexte législatif et jurisprudentiel de l'époque, antérieur à la loi du 4 mars 2002, étant souligné qu'aucun texte n'imposait alors que le recueil du consentement du patient soit formalisé par un écrit et ce recueil pouvait être simplement oral, seule incombant au médecin la preuve d'avoir exécuté cette obligation d'information, depuis un arrêt de principe du 27 février 1997.

En conséquence, l'appelante ne peut utilement reprocher à Madame L., qui disposait du compte rendu de consultation pré-anesthésique du Docteur D. prévoyant une rachianesthésie en ventilation spontanée et précisant que la future opérée ne présentait aucune pathologie particulière ni aucune contre-indication à l'anesthésie générale ni à la rachianesthésie, de ne pas s'être inquiétée de l'absence d'un tel écrit dans le dossier de consultation pré-anesthésique et d'avoir omis de recueillir son consentement le jour de l'intervention chirurgicale, ce consentement éclairé étant réputé acquis le jour de l'intervention.

Pour la même raison, la circonstance que Madame L. n'établit pas avoir rencontré la patiente la veille de l'intervention ou dans les heures l'ayant précédée, pour la visite pré-anesthésique est sans incidence sur le recueil de son consentement éclairé, lequel doit intervenir dans le cadre, prévu par la loi et moins anxiogène pour le patient, d'une consultation fixée à une date suffisamment éloignée de l'intervention pour lui permettre de poser toutes les questions utiles au médecin et de se faire expliquer les bénéfices et les risques éventuels des choix thérapeutiques s'offrant à lui. Hors les cas d'intervention en urgence, un tel consentement doit nécessairement être recueilli avant l'arrivée du patient au bloc opératoire, moment à partir duquel Madame L. a assuré la prise en charge de Madame V. dans le cadre de son service de garde.

En outre, comme le rappelle le Professeur C. en page 5 de son rapport, " la complication, dont va souffrir Madame V., ne fait pas partie des complications de l'anesthésie rachidienne que recommande de mentionner la Société française d'anesthésie réanimation ; en effet...il s'agit d'une complication exceptionnelle qui n'était pas connue en 1998, au moment où la rachianesthésie a été réalisée ", de sorte qu'en tout état de cause, ni le Docteur D., lors de la consultation pré-anesthésique réalisée dix jours avant l'intervention, ni le Docteur L., présente au bloc le 20 juillet 1998 en qualité d'anesthésiste de garde, ne pouvaient apporter une information sur la toxicité de la marcaïne, qui seule est à l'origine des complications neurologiques ayant résulté de la rachianesthésie.

C'est vainement que Madame V. soutient devant la cour que les dangers de la molécule contenue dans la marcaïne étaient connus avant 1998 en faisant un parallèle avec ceux de la bipovacaïne qui auraient fait l'objet d'une mise en garde dans la presse médicale espagnole, dont elle ne cite pas les références dans ses conclusions d'appel.

En effet, il s'agit d'apprécier la connaissance que pouvait avoir l'anesthésiste de la neurotoxicité de la marcaïne, seul produit utilisé par le Docteur L. pour pratiquer la rachianesthésie et non celle d'un autre produit anesthésiant. A cet égard, le Professeur C. précise en page 14 de son rapport :

- Les réactions de neurotoxicité des anesthésiques locaux constituent une complication neurologique particulièrement rare, voire exceptionnelle, qui n'a, jusqu'en 2005, été rapportée que lorsque des doses importantes de lidocaïne ont été administrées par le biais d'un cathéter dans l'espace intrathécal ;

- Rappelons que la rachianesthésie de Madame V. a consisté en l'administration d'une dose adaptée de marcaïne et non de lidocaïne au niveau de l'espace intrathécal par une injection continue sans cathéter.

Enfin, Madame V. n'est pas davantage fondée à reprocher à Madame L. de ne pas l'avoir informée de l'absence, le jour de l'intervention, du Docteur D., lequel l'avait reçue en consultation pré-anesthésique et qui, selon ses propres écritures, s'était montré particulièrement rassurant sur le déroulement de la rachianesthésie, cette information sur le fonctionnement des gardes propre à la Polyclinique du Parc incombant au Docteur D. lui-même. De plus, même parvenue au bloc opératoire, elle avait encore la faculté de différer l'intervention, si, comme elle le soutient dans ses écritures, cette opération ne présentait aucun caractère d'urgence et le choix de l'anesthésiste lui apparaissait capital.

C'est donc par de justes motifs que le tribunal a écarté tout manquement de Madame L. dans son devoir d'information. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté Madame V. de ses demandes d'indemnisation au titre d'un préjudice résultant d'un tel manquement.

2 - La responsabilité du fait du produit défectueux :

Madame V., qui reprend manifestement ses conclusions antérieures sans y avoir apporté de modification pour tenir compte de la mise hors de cause de la clinique, demande à la cour de dire que Madame L. et la Polyclinique du Parc sont tenues d'une obligation de sécurité et doivent être déclarées responsables de la fourniture d'un produit défectueux.

Madame L. est fondée à invoquer les dispositions de la Directive CE n° 85-374 du 25 juillet 1985, transposées dans le Code civil sous les articles 1386-1 et suivants par la loi du 19 mai 1998.

Elle est également fondée à faire valoir que Madame V. échoue à rapporter la preuve, dont la charge lui incombe, du caractère défectueux du produit utilisé.

L'article 1386-4 du Code civil énonce qu'un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre. Il a été jugé que la simple implication d'un produit dans la réalisation d'un dommage ne suffit pas à établir son défaut au sens des articles 1386-1 et suivants du Code civil.

Or, au cas d'espèce, si la marcaïne, produit du laboratoire Astra Zeneca ayant obtenu la validation de l'AMM le 8 avril 1980, ainsi que l'établissent les pièces produites par l'appelante, s'est révélée dangereuse dans certains cas exceptionnels rendus publics dans la littérature médicale à partir de 2005, en revanche, il n'est pas établi que le produit utilisé le 20 juillet 1998 par le Docteur L. présentait un défaut, le caractère potentiellement dangereux d'un produit ne suffisant pas à en caractériser la défectuosité.

En outre, à supposer retenue une telle défectuosité, le nom du producteur de la marcaïne est connu de l'appelante, de sorte qu'il lui appartenait de l'appeler dans la cause, étant rappelé que l'article 1386-7 du Code civil ne prévoit la mise en œuvre de la responsabilité du fournisseur que dans l'hypothèse où le producteur ne peut être identifié, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. En tout état de cause, Madame L. apparaît encore fondée à faire valoir qu'elle ne peut être considérée comme étant le fournisseur de la marcaïne au sens de cet article, dès lors qu'il lui a été fourni par la Polyclinique du Parc.

En conséquence, les conditions d'ouverture d'une telle action contre Madame L. faisant défaut, il n'y a pas lieu de rechercher si cette action, formée pour la première fois par Madame V. dans ses conclusions signifiées le 19 décembre 2008, se trouve prescrite en application des dispositions de l'article 1386-17 du Code civil, et il convient de déclarer Madame V. mal fondée en son action en responsabilité dirigée de ce chef contre Madame L..

3 - La responsabilité pour faute dans le choix et la conduite de l'acte thérapeutique et dans la surveillance postopératoire :

Madame V. prétend que Madame L. a sous-estimé la douleur qu'elle a ressentie à l'injection du produit et que, si l'anesthésie locale avait été arrêtée immédiatement, elle présenterait moins de séquelles et peut-être même aucune. Elle reproche également à Madame L. d'avoir pris une mauvaise décision en continuant la rachianesthésie après avoir observé une pause et de s'être bien gardée de dire aux experts qu'elle s'était trouvée ensuite dans la nécessité de recourir à une anesthésie générale, ce qui, selon elle, démontrerait que la rachianesthésie n'était pas adaptée à ce type d'intervention et qu'elle s'est mal déroulée.

Cependant, comme le soutient Madame L. et le relève la cour, cette dernière affirmation apparaît inexacte à la lecture du rapport d'expertise, puisque le Professeur C. précise en page 3 que l'intervention s'est déroulée sous rachianesthésie complétée par inhalation au masque de vapeurs anesthésiques en raison de douleurs survenues pendant l'intervention, de sorte qu'il convient de constater que l'expert a été informé du recours par l'anesthésiste à une anesthésie générale par vapeurs anesthésiques au cours de l'intervention. L'expert a par ailleurs considéré que ce choix thérapeutique était justifié, en précisant en page 7 de son rapport : " l'administration de vapeurs anesthésiques est nécessaire, Madame V. ressentant des douleurs au moment de la traction utérine ". Le recours à l'anesthésie générale s'explique donc médicalement, non en raison de l'échec de la rachianesthésie, mais pour assurer le confort de la patiente au cours de l'intervention, étant observé que ce geste thérapeutique n'a eu aucune incidence sur la survenance de la paresthésie dont l'expert judiciaire impute l'origine exclusive à la neurotoxicité de la marcaïne utilisée pour la rachianesthésie, laquelle s'est manifestée dès l'injection, et non aux produits utilisés postérieurement au cours d'intervention pour pratiquer l'anesthésie générale.

Par ailleurs, Madame V. ne peut utilement reprocher à Madame L. de n'avoir pas arrêté purement et simplement la rachianesthésie dès qu'elle a ressenti des douleurs au niveau de la jambe, l'expert ayant rappelé que de telles douleurs sont secondaires à l'injection de l'anesthésique local à proximité de la racine nerveuse, qu'il s'agit d'une complication relativement fréquente et particulièrement documentée de la rachianesthésie, que cette complication n'est pas à l'origine d'un syndrome déficitaire neurologique et que la conduite suivie par Madame L., à savoir retirer l'aiguille d'un millimètre puis injecter les deux millimètres restant de marcaïne, était strictement conforme à une bonne pratique clinique, de tels symptômes ne justifiant pas de surseoir à la rachianesthésie.

Madame V. fait enfin grief à Madame L. d'avoir failli dans son obligation de surveillance dans la phase post opératoire, notamment en ne recourant pas à un examen neurologique, lequel, selon elle, s'imposait en raison de la nature des douleurs ressenties lors de l'injection du produit pendant la rachianesthésie.

Il est exact que les obligations de l'anesthésiste se prolongent pendant toute la phase post opératoire jusqu'au réveil total du patient.

Au cas d'espèce, l'expert a relevé à la lecture du dossier médical, qu'il mentionne avoir consulté en page 3 de son rapport, que Madame L. a signé la sortie de la salle de surveillance " post-interventionnelle " à 15 heures et qu'elle a noté l'existence du déficit moteur et de quelques troubles sensitifs qu'elle a mis sur le compte d'une prolongation de l'effet de l'anesthésique local. (Page 8 du rapport)

L'expert indique que, dans la phase post opératoire, Madame V. a été suivie par les médecins anesthésistes réanimateurs de la clinique et par le Docteur H., chirurgien, que, pendant les douze premières heures, les troubles neurologiques ont été mis sur le compte d'une prolongation anormale de l'effet de l'anesthésique local et que, ces troubles persistant, la patiente a bénéficié d'une IRM pratiquée le 23 juillet 1998, examen qui s'est révélé parfaitement normal et a permis d'écarter tout hématome au niveau du point de ponction pouvant être à l'origine du tableau neurologique, une inflammation de l'espace épidural ou une complication infectieuse méningée.

Il est donc inexact de soutenir que Madame L. a négligé de prendre en considération le déficit moteur de la patiente dans la phase immédiate post opératoire, relevant de son domaine de compétence. Il apparaît par ailleurs établi que Madame V. a bénéficié d'un suivi médical attentif au sein de la clinique dans les jours qui ont suivi l'intervention.

En tout état de cause, il n'est pas démontré qu'une prise en charge spécialisée par un neurologue dès la phase postopératoire aurait permis d'atténuer les troubles neurologiques dont Madame V. reste atteinte, ou d'y remédier totalement, comme elle le soutient dans ses écritures d'appel. En effet, aucun élément ne permet d'invalider l'avis argumenté de l'expert judiciaire qui a conclu que le trouble sensitivo-moteur dont souffre Madame V. depuis la rachianesthésie est en relation directe avec une réaction neurotoxique à l'anesthésique local administré, que cette pathologie neurologique est au-dessus de toute ressource thérapeutique, que les lésions neurologiques surviennent instantanément à l'injection du produit, qu'aucun élément n'est susceptible de limiter ou de favoriser la régression des troubles neurologiques et qu'un diagnostic plus précoce, s'il avait été possible de le porter, n'était en aucune façon susceptible de conduire à la prescription d'un traitement efficace pour limiter ou favoriser la régression des troubles neurologiques.

Enfin, si, comme le souligne Madame V., le Docteur S. a considéré, dans son rapport remis au juge d'instruction le 18 avril 2001, que l'anesthésiste semble avoir manqué de discernement en ayant sous-évalué la douleur présentée à l'injection et qu'il conviendrait de s'assurer que l'anesthésiste a bien effectué un examen neurologique postopératoire après la survenue de la douleur à l'injection, il rejoint néanmoins l'analyse faite par le Professeur C. en ajoutant " même si cela n'aurait rien changé à l'évolution ".

Au total, Madame V. n'est donc pas fondée à soutenir que la rachianesthésie conduite par Madame L. a été " problématique, inefficace et mal faite ".

En l'absence de preuve à l'encontre de Madame L. d'une faute en relation directe et certaine avec les complications neurologiques présentées par Madame V., celle-ci doit être déboutée de sa demande d'indemnisation de son préjudice corporel sur le fondement de l'article 1382 du Code civil.

III - Sur la demande de condamnation formée par la Caisse des dépôts et consignations contre Madame L. :

Madame V. étant déboutée de ses demandes d'indemnisation de son préjudice corporel, il convient de débouter la Caisse des dépôts et consignations de ses demandes tendant à voir condamner Madame L. " in solidum avec son assureur " à lui payer la somme de 95 550,75 euro au titre du capital représentatif de la rente servie à Madame V. (valeur au 1er juin 2005) et une indemnité de procédure par application de l'article 700 du Code de procédure civile.

IV - Sur la demande de restitution de la provision versée en exécution de l'arrêt de la Cour d'appel de Douai du 26 mai 2011 :

Le présent arrêt confirmatif constituant un titre exécutoire, il n'est pas nécessaire de prononcer expressément la condamnation de Madame V. à restituer à Madame L. la somme de 50 000 euro versée à titre provisionnel en exécution de l'arrêt du 26 mai 2011 mis à néant par l'arrêt de cassation totale du 26 septembre 2012. Il convient juste de prévoir que cette somme, qui sera exigible à la date de la signification du présent arrêt, sera assortie d'intérêts moratoires au taux légal à compter de cette date et de débouter Madame L. de sa demande tendant à voir fixer les intérêts à compter de leur règlement à Madame V..

La capitalisation des intérêts étant de droit, il convient de la prévoir pour les intérêts à échoir pour une année entière, à la date anniversaire de la signification du présent arrêt, dans les conditions prévues à l'article 1154 du Code civil.

V - Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile :

Le jugement doit être confirmé en ses dispositions sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Madame V. succombant en ses prétentions devant la cour, il convient de la condamner aux dépens d'appel et de la débouter de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'équité commande de faire droit à hauteur de 2 000 euro à la demande d'indemnité formée par Madame L. devant la cour au titre de ses frais irrépétibles.

Aucun élément tiré de l'équité ne commande de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au bénéfice de la SA Polyclinique du Parc. Sa demande d'indemnité fondée sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile sera donc rejetée.

Par ces motifs LA COUR statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort, Vu l'arrêt de cassation du 26 septembre 2012, Déclare irrecevable l'appel en cause de la SA Polyclinique du Parc et les demandes de condamnation dirigées par la Caisse des dépôts et consignations contre cette partie définitivement mise hors de cause par la Cour de cassation, Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 25 juin 2008 par le Tribunal de grande instance de Valenciennes, Y ajoutant, Déboute Madame Christina J. épouse V. de ses demandes tendant à voir condamner Madame Andrée L. à réparer le préjudice corporel résultant des troubles neurologiques survenus le 20 juillet 1998 à l'occasion de la rachianesthésie pratiquée par ce médecin au sein de la Clinique du Parc sur le fondement de la responsabilité du fait du produit défectueux et sur celui de la responsabilité pour faute dans le choix et la conduite de l'acte thérapeutique et la surveillance postopératoire, Dit que la somme de 50 000 euro versée par Madame L. à Madame Christina J. épouse V. à titre de provision en exécution de l'arrêt de la Cour d'appel de Douai du 26 mai 2011 , portera intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt, valant titre exécutoire, jusqu'à son complet règlement, Ordonne la capitalisation des intérêts à échoir pour une année entière à la date anniversaire de la signification du présent arrêt, dans les conditions prévues à l'article 1154 du Code de procédure civile, Déboute la Caisse des dépôts et consignations, agissant en qualité de gestionnaire de la Caisse Nationale de retraite des agents des collectivités locales de ses demandes de condamnation dirigées contre Madame Andrée L., Déboute Madame Christina J. épouse V., la SA Polyclinique du Parc et la Caisse des dépôts et consignations, agissant en qualité de gestionnaire de la Caisse Nationale de retraite des agents des collectivités locales, de leurs demandes d'indemnité fondées sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne Madame Christina J. épouse V. à verser à Madame Andrée L. une somme de 2 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute Madame Andrée L. du surplus de ses demandes, Condamne Madame Christina J. épouse V. aux dépens d'appel, en ce compris ceux afférents à l'arrêt cassé de la Cour d'appel de Douai du 26 mai 2011, Accorde à Maître S. B. et Maître B., avocats, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.