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Décisions

CA Douai, 3e ch., 12 novembre 2015, n° 14-04749

DOUAI

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Carl Zeiss Meditec (SAS), Ioltech (SA)

Défendeur :

Christian L., Enim CPG Groupe J.-B., Le Sou Medical

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Girot

Conseillers :

M. Mornet, Mme. Andre

TGI Boulogne sur Mer, du 6 Juin 2014

6 juin 2014

Le 15 décembre 2003 à la Clinique de la Lorraine à Calais, M. Christian L. a subi une chirurgie additive destinée à traiter sa presbytie, consistant en la pose de deux lentilles intraoculaires Newlife conçues, fabriquées et commercialisées par le laboratoire Carl Zeiss Meditec (anciennement dénommé Ioltech SA). L'intervention a été réalisée par le Docteur Laurent P., chirurgien ophtalmologue.

Par ordonnance du 30 mars 2011, le Juge des référés du Tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer statuant sur l'assignation délivrée par M. L. à l'encontre du Docteur P., son assureur le Sou Medical, et en présence de son organisme social, l'Etablissement National des Invalides de la Marine (ci-après l'ENIM), et de la Société Hospitalière d'Assurance Mutuelle, a désigné le Docteur Gilles C. aux fins de procéder à une expertise médicale de M. L. .

Le Docteur C. a été remplacé par le Docteur Monique C. qui a déposé son rapport d'expertise le 11 avril 2012.

Par actes des 20, 26 et 30 novembre 2012, M. Christian L. a fait assigner le Docteur P., la S.A.S Carl Zeiss Meditec et l'ENIM aux fins de dire le Docteur P. responsable de ses préjudices et condamné à l'indemniser.

Le Sou Medical est intervenu volontairement à l'instance.

Selon jugement du 6 juin 2014, le Tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer a :

- déclaré la S.A.S Carl Zeiss Meditec responsable du préjudice subi par M. L. à la suite des implants Newlife qui lui ont été posés ;

En conséquence,

- condamné la S.A.S Carl Zeiss Meditec à payer à M. L. les sommes suivantes :

* 6 646 euro au titre du déficit fonctionnel temporaire

* 700 euro au titre du préjudice esthétique temporaire

* 1 500 euro au titre des souffrances endurées

* 3 600 euro au titre du déficit fonctionnel permanent

* 1 000 euro au titre du préjudice esthétique permanent

- condamné la S.A.S Carl Zeiss Meditec à payer à l'ENIM la somme de 3 276,73 euro avec intérêts au taux légal à compter du 7 mai 2013 ;

- condamné la S.A.S Carl Zeiss Meditec à payer à l'ENIM la somme de 997 euro au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;

- débouté M. L. de ses demandes au titre du préjudice d'agrément temporaire et permanent ;

- débouté M. L. de ses demandes à l'encontre du Docteur P. ;

- débouté la S.A.S Carl Zeiss Meditec de ses demandes de garantie formées à l'encontre du Docteur P. et de son assureur, le Sou Medical ;

- condamné la S.A.S Carl Zeiss Meditec à payer à M. L. la somme de 1 800 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamné la S.A.S Carl Zeiss Meditec à payer à l'ENIM la somme de 300 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamné la S.A.S Carl Zeiss Meditec aux dépens en ce compris les frais d'expertise ;

- ordonné l'exécution provisoire.

La S.A.S Carl Zeiss Meditec a formé appel de cette décision contre M. L., le Docteur P., le Sou Medical et l'ENIM le 23 juillet 2014.

Par ses dernières conclusions signifiées le 12 février 2015, la S.A.S Carl Zeiss Meditec demande à la cour de :

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

* déclaré la SAS Carl Zeiss Meditec responsable du préjudice subi par M. L. à la suite de la pose des implants Newlife ;

* condamné la SAS Carl Zeiss Meditec à payer à M. L. les sommes suivantes:

* 6 646 euro au titre du déficit fonctionnel temporaire,

* 700 euro au titre du préjudice esthétique temporaire,

* 1 500 euro au titre des souffrances endurées,

* 3 600 euro au titre du déficit fonctionnel permanent,

* 1 000 euro au titre du préjudice esthétique permanent,

* condamné la SAS Carl Zeiss Meditec à payer à l'ENIM les sommes suivantes:

* 3 276,73 euro au titre des dépenses de santé,

* 997 euro au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion,

* débouté la SAS Carl Zeiss Meditec de ses demandes de garantie formées à l'encontre de Monsieur Laurent P. et de son assureur, Le Sou Medical;

* condamné la SAS Carl Zeiss Meditec à payer à Docteur P. la somme de 1 800 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile;

* condamné la SAS Carl Zeiss Meditec à payer à l'ENIM la somme de 300 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile;

* condamné la SAS Carl Zeiss Meditec aux dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire ;

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

* débouté M. L. de ses demandes au titre du préjudice d'agrément temporaire et permanent;

Et statuant à nouveau de :

- statuer ce que de droit sur les demandes de M. L. à l'encontre du Docteur Laurent P.;

- débouter Monsieur Christian L., l'ENIM, le Docteur Laurent P. et le Sou Medical de toutes demandes, fins et conclusions à l'encontre de la SAS Carl Zeiss Meditec ;

A titre subsidiaire,

- réformer le jugement déféré en déclarant la SAS Carl Zeiss Meditec responsable à raison de 5 % correspondant à la perte d'une chance subie par M. L.,

Et statuant à nouveau de :

- limiter les condamnations à la charge de la SAS Carl Zeiss Meditec au profit de M. L. aux sommes suivantes:

* 204,50 euro au titre du déficit fonctionnel temporaire (5 % de 4090 euro)

* 75 euro au titre des souffrances endurées (5 % de 1 500 euro)

* 20 euro au titre du préjudice esthétique temporaire (5 % de 400 euro)

* 180 euro au titre du déficit fonctionnel permanent (5 % de 3 600 euro)

* 40 euro au titre du préjudice esthétique permanent (5 % de 900 euro)

- limiter les condamnations à la charge de la SAS Carl Zeiss Meditec au profit de l'ENIM aux sommes suivantes:

* 164 euro au titre de la réparation des préjudices patrimoniaux temporaires (5 % de 3 276,73 euro)

* 54,67 euro au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, en application de l'article L.376-1 du Code de la Sécurité sociale ;

- condamner le Docteur P. à relever la SAS Carl Zeiss Meditec indemne du surplus des condamnations prononcées à son encontre;

- statuer ce que de droit sur les demandes de M. L. à l'encontre du Docteur Laurent P.;

- débouter Monsieur Christian L., l'ENIM, le Docteur Laurent P. et le Sou Medical de toutes demandes, fins et conclusions à son encontre. En tout état de cause,

- condamner tout succombant à lui verser la somme de 2.000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner solidairement tout succombant aux entiers dépens de première instance, en ce compris les honoraires de l'expert C., et aux dépens d'appel.

Elle rappelle que la pose des implants réfractifs était une pure chirurgie de confort ; que l'acte chirurgical s'est déroulé sans complications et que le résultat immédiat a été très satisfaisant ; que par la suite M. L. a déploré des douleurs aux yeux, une photophobie et une moins bonne vision ; que les phénomènes de gêne visuelle sont des risques typiques de l'implantation en chambre antérieure ainsi que l'a relevé l'expert ; qu'il n'a fait qu'émettre des réserves évolutives quant au risque de décompensation endothéliale ; que le jugement entretient une confusion entre ces deux types de complication possibles.

Elle indique qu'elle avait informé par sa notice de présentation les chirurgiens comme les patients qui envisageaient le recours à ces implants de ces deux types de risques, avec les données connues à l'époque de la commercialisation.

Elle estime que ni la preuve de la défectuosité de l'implant, ni celle du lien de causalité entre le dommage et le produit défectueux, ne sont rapportées, et que sa responsabilité ne saurait donc être engagée sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil ; qu'en revanche le Docteur P. est seul responsable du dommage.

Elle fait valoir en premier lieu que le tribunal a estimé à tort que l'obligation d'information renforcée pesant sur le Docteur P. en application de l'article L. 6322-2 du Code de la santé publique avait été respectée ; qu'en effet, Mme L. a indiqué à l'expert qu'elle avait signé le document intitulé " consentement éclairé " et non son époux ; que la preuve du consentement éclairé n'est pas rapportée ; que le délai de réflexion préalable n'a donc pas non plus été respecté ; qu'en ignorant les risques et inconvénients, M. L. a été privé d'une chance de renoncer à une chirurgie purement facultative alors qu'il ne souffrait pas de fortes pathologies, contrairement à son épouse qui avait subi la même intervention quelques mois plus tôt ; que la cour pourrait retenir un pourcentage de chance perdue de 70 à 100 % compte-tenu de l'absence totale d'information.

Par ailleurs, elle soutient que les implants ne sont pas défectueux pour les motifs suivants :

- La seule existence d'un effet secondaire indésirable affectant un produit de santé ne suffit pas à prouver l'absence de sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, laquelle doit s'apprécier notamment en fonction de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation ;

- La notice de présentation des implants Newlife destinée aux patients faisait figurer, au nombre des effets secondaires indésirables possibles, les phénomènes de halos et de légères pertes d'acuité visuelle, de même que le protocole opératoire ; la mention du risque lié à la décompensation endothéliale importe peu dès lors que M. L. ne souffre pas de ce type de complication ; au demeurant, les recommandations relatives à la surveillance de l'endothélium y figuraient ; par ailleurs, il n'a pas été établi que cette plaquette ait effectivement été remise au patient ;

- au moment de la mise en circulation, les effets secondaires étaient parfaitement connus ;

- la cour a déjà jugé le 17 janvier 2013 que ces implants New Life n'étaient pas défectueux au sens de l'article 1386-4 du Code civil, en estimant que le bilan risques/avantages était positif, d'autant que l'effet secondaire constaté par l'expert sur M. L. est de moindre gravité.

Subsidiairement, si la cour retenait la défectuosité du produit, elle conclut à une simple perte de chance d'éviter le dommage si M. L. avait été correctement informé des risques, dont les proportions devront être réformées, la fraction qui lui est imputable n'excédant pas l'équivalent de 5% des différents postes de préjudice.

Elle sollicite également la garantie du Docteur P. et de son assureur, le praticien étant seul responsable du défaut d'information. Elle souligne que s'agissant d'une chirurgie de confort, l'évaluation du bilan bénéfices-risques relève de la sphère du praticien, débiteur d'une obligation de moyen renforcée, et du libre choix du patient s'il a été correctement informé. Elle ajoute que la notice de présentation destinée aux praticiens stipule qu'elle ne sera pas responsable des dommages subis résultant de la prescription ou du choix et de l'utilisation pour un patient donné.

Elle développe ses arguments tendant à voir diminuer les indemnités allouées à M. L.

Aux termes de ses conclusions signifiées le 18 décembre 2014, M. Christian L. demande à la cour de :

- confirmer le jugement sur la responsabilité de la S.A.S Carl Zeiss Meditec ;

- l'infirmer sur la responsabilité de Docteur P. et sur le quantum du préjudice ;

- dire et juger que son préjudice est imputable à une faute commise par le Docteur P. et à la défectuosité de l'implant par lui posé ;

En conséquence,

- condamner in solidum la S.A.S Carl Zeiss Meditec, le Docteur P. et le Sou Medical à payer les sommes suivantes en réparation de ses préjudices :

* dépenses de santés actuelles : ENIM

* frais divers : 303,38 euro

* déficit fonctionnel temporaire : 44,475 euro

* souffrances endurées : 2 250 euro

* préjudice esthétique temporaire : 1 500 euro

* préjudice d'agrément temporaire : 3 000 euro

* déficit fonctionnel permanent : 6 400 euro

* préjudice esthétique définitif : 1 500 euro

* préjudice d'agrément définitif : 7 000 euro

* préjudice esthétique permanent : 1 500 euro

Soit au total la somme de 67 928,38 euro sauf mémoire

- condamner in solidum la S.A.S Carl Zeiss Meditec, le Docteur P. et le Sou Medical à lui payer la somme de 8 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner in solidum la S.A.S Carl Zeiss Meditec, le Docteur P. et le Sou Medical aux dépens en ce compris les frais d'expertise.

Il expose avoir reçu un devis d'intervention le 9 décembre 2003 et avoir été opéré quelques jours plus tard, sans avoir le souvenir d'une consultation pré-opératoire au cours de laquelle il aurait été informé des éventuels risques de l'intervention. Il a ressenti des douleurs à l'oeil droit à son réveil, puis a consulté plusieurs fois dans l'année suivante en raison de la présence d'une tache dans cet oeil, que le Docteur P. n'a pas solutionnée. En raison de ce diagnostic insatisfaisant, et des complications subies par son épouse qui avait également reçu des implants, il a consulté le Docteur M. au Centre hospitalier d'Amiens, qui a retiré les fils cornéens irritants et a évoqué la possibilité de retirer les implants et de prévoir une greffe de cornée dans un délai indéfinissable, en raison d'une lente décompensation endothéliale observée en janvier 2006. Il indique que sa vision bilatérale baisse, qu'il souffre de photophobie, et ne peut plus conduire de nuit.

Il fait valoir que la perte endothéliale subie a pour origine la pose de l'implant, lequel est défectueux au sens de l'article 1386-1 du Code civil ; que la plaquette d'information remise aux patients ne mentionne pas ce risque d'effets indésirables contrairement à celle remise aux praticiens ; que la baisse d'acuité visuelle ne correspond pas à l'effet escompté d'une chirurgie de confort ; que la réversibilité alléguée de ces implantations est contredite par le rapport du Docteur C. ; qu'il n'est pas non plus justifié des comptages cellulaires que le Docteur P. prétend avoir effectués,

Il ajoute que contrairement à la motivation du jugement, le Docteur P. ne lui a pas donné une information éclairée sur cette intervention de confort ; que le document a été présenté à son épouse alors qu'il se trouvait déjà en salle d'opération ; qu'il n'a jamais donné personnellement son consentement à l'opération envisagée ; qu'il n'a pas non plus bénéficié d'un délai de réflexion suffisant.

Il considère donc que la responsabilité du Docteur P. est engagée avec celle de la S.A.S Carl Zeiss Meditec.

Ses arguments sur l'indemnisation de ses postes de préjudices seront développés dans les motifs de la présente décision.

Aux termes de leurs dernières conclusions signifiées le 2 mars 2015, M. Laurent P. et le Sou Medical demandent à la Cour, à titre principal, de :

A titre principal,

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit que le Docteur P. n'avait commis aucune faute et que M. L. se voyait débouté de toutes ses demandes ;

- débouter la S.A.S Carl Zeiss Meditec de ses demandes tendant à obtenir leur condamnation à la garantir de toutes condamnations prononcées à son encontre ;

A titre subsidiaire,

- dire que dans l'hypothèse où un défaut d'information était retenu par la cour, ce que conteste formellement le Docteur P., il ne pourrait constituer qu'une perte de chance pour M. L. d'échapper au risque qui s'est finalement réalisé ;

- dire que dans cette hypothèse, la perte de chance imputable au défaut d'information ne pourra être estimée à plus de 50 % ;

- à titre infiniment subsidiaire,

- dire que les demandes de M. L. seront réduites à de plus justes proportions et leur donner acte des offres d'indemnisation suivantes :

* déficit fonctionnel temporaire : 4.447,50 euro

* souffrances endurées : 1 500 euro

* préjudice esthétique temporaire : 500 euro

* préjudice d'agrément temporaire : néant

* déficit fonctionnel permanent : 2 800 euro

* préjudice esthétique définitif : 1 000 euro

* préjudice d'agrément : néant

Total : 10 247,50 euro

- condamner les appelants solidairement à lui verser la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner les appelants solidairement aux dépens.

Le Sou Medical indique qu'il est l'assureur du Docteur P., jusqu'au 22 mars 2009, qu'il lui appartient de prendre en charge les préjudices en lien avec l'éventuel fait dommageable, et qu'il a qualité pour recouvrer auprès de la société Carl Zeiss Meditec la garantie due à son assuré.

Les intimés font valoir qu'eu égard à la rédaction du dispositif du jugement, ils sont contraints de former appel incident contre la société Carl Zeiss Meditec, si la cour venait à mettre à leur charge d'autres condamnations que celles fixées en première instance.

Au soutien de leur appel, ils exposent que l'intervention et ses suites immédiates ont été simples, que le Docteur P. a revu le patient et a procédé à plusieurs reprises à un comptage cellulaire cornéen. Ils relèvent que l'expert n'a retenu aucune faute à son encontre dans la prise en charge du patient, dans l'indication opératoire, la technique et le suivi post-opératoire. Le Docteur P. soutient avoir vu M. L. en consultation plusieurs semaines avant l'intervention, à l'occasion de laquelle il a donné des explications orales, lui avoir remis un devis détaillé le 9 décembre, et avoir reçu son consentement par écrit le 11 décembre. Il ajoute que M. L. a été victime d'une complication aléatoire de la chirurgie d'implantation sans qu'une faute puis lui être reprochée, et observe que le Docteur M. a également choisi de ne pas procéder au retrait des implants. En l'absence de faute de sa part, il s'oppose à la demande de garantie formée par la S.A.S Carl Zeiss Meditec

Subsidiairement, si un manquement au devoir d'information était retenu, ils estiment qu'il n'a eu pour conséquence qu'une perte de chance d'échapper au risque, qui ne saurait être estimée à plus de 50 %.

Enfin, ils concluent à la réduction des demandes formulées par M. L. pour l'indemnisation de ses postes de préjudice.

Par ses dernières conclusions signifiées le 29 décembre 2014, l'ENIM conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la S.A.S Carl Zeiss Meditec à lui rembourser ses débours, outre le paiement de l'indemnité forfaitaire de gestion et l'indemnité procédurale, mais de l'infirmer en ce qu'il a mis hors de cause le Docteur P.. Il demande à la cour de :

- déclarer le Docteur P. responsable de l'entier préjudice subi par M. L. ;

- condamner in solidum le Docteur P., le Sou Medical et la S.A.S Carl Zeiss Meditec, et en tout état de cause le ou les responsables du préjudice subi par M. L., à lui verser :

* au titre des débours : 3.276,73 euro avec intérêts au taux légal depuis le 7 mai 2013 ;

* au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion : 1.028 euro avec intérêts au taux légal depuis le 6 juin 2014 ;

* au titre de l'article 700 du Code de procédure civile : 3 000 euro ;

- débouter les parties de toute demande contraire aux présentes ;

- condamner in solidum le Docteur P., le Sou Medical et la S.A.S Carl Zeiss Meditec et en tout état de cause le ou les responsables du préjudice subi par M. L. aux dépens, incluant les honoraires de l'expert judiciaire.

L'ENIM relève que l'intervention était totalement disproportionnée avec le souhait de M. L. de ne plus porter de lunettes, compte-tenu des risques bien connus du Docteur P. ; que par ailleurs le patient n'a pas été correctement informé des risques inhérents à la pose d'implants ; que la responsabilité du Docteur P. est donc engagée, avec celle de la S.A.S Carl Zeiss Meditec.

Sur ce :

Attendu que selon le rapport d'expertise du Docteur C., M. L. souhaitait bénéficier de la pose d'implants en chambre antérieure, pour éviter de porter des lunettes et obtenir une bonne acuité visuelle de loin ; que l'intervention du 15 décembre 2003 s'est déroulée sans incident peropératoire, les suites immédiates ayant été simples ; que M. L. a ressenti des douleurs avec sensation d'un voile sur l'oeil droit, avoir consulté trois jours après l'intervention le Docteur P. qui ne lui a pas apporté d'explication ; qu'il a ensuite été gêné par des halos, avec phénomène de photophobie ; que le dossier médical mentionne trois consultations en février et septembre 2004 puis en avril 2005, au cours desquelles il a été procédé à un comptage cellulaire cornéen ; qu'en avril 2005, M. L., inquiet, a consulté le Docteur M. au centre hospitalier d'Amiens qui a retiré les fils gênants à l'oeil droit ; que les comptages cellulaires ont été effectués régulièrement par ce praticien qui note le 13 janvier 2010 que l'acuité visuelle est de 9/10e à l'oeil droit et de 7/10e à l'oeil gauche avec correction, et que le patient présente une décompensation lente endothéliale cornéenne pouvant évoluer éventuellement dans quelques années vers une décompensation totale nécessitant une greffe de cornée bilatérale ;

Qu'à l'examen pratiqué par l'expert le 26 janvier 2012, M. L. présente une acuité visuelle de 8/10e à l'oeil droit et de 7/10e à l'oeil gauche, avec correction, alors qu'elle était de 7/10e et 10/10e avec correction avant l'intervention ;

Que s'agissant de l'information, la fiche d'information de la Société Française d'Ophtalmologie " techniques de chirurgie réfractive " a été remise et signée ; que toutefois Mme L. a déclaré à l'expert, sans être contredite, qu'elle l'avait signée à la place de son époux ; que le Docteur P. a également déclaré avoir informé le patient des risques encourus et lui avoir remis un dépliant afin d'apporter toutes les explications relatives à cette chirurgie ; que le dossier médical mentionne seulement " discussion chirurgie New Life " ; que M. L. a affirmé à l'expert ne pas avoir été informé de tous les risques d'intervention ;

Attendu qu'en conclusion, le Docteur C. relève qu'il s'agissait d'une chirurgie de confort ; que la surveillance n'empêche pas la survenue de la perte cellulaire endothéliale, mais permet seulement de poser l'indication d'une explantation ; que le retrait des implants ne permet pas la réversibilité du processus de perte endothéliale, qui peut parfois se poursuivre après l'explantation ; que le dommage, constitué par la perte cellulaire cornéenne, est directement imputable à l'intervention du 15 décembre 2003, et trouve son origine dans la réalisation d'un risque inhérent à l'implantation d'une lentille en chambre antérieure chez un " il phaque (gardant son cristallin d'origine) ; qu'actuellement le dommage n'a pas de conséquence clinique importante et l'acuité visuelle reste correcte ; que les signes fonctionnels décrits par M. L. sont habituels sur ce type de chirurgie (halos, photophobie) ; qu'il existe toutefois des réserves évolutives (oedème de cornée, qui imposerait une greffe cornéenne, hypertonie oculaire, cataracte) ; que le déficit fonctionnel permanent directement imputable aux actes de soins du 15 décembre 2013 est évalué à 4 % ;

Attendu que M. L. produit également une expertise amiable réalisée par le Docteur C. le 18 juillet 2010, qui relève également ce début de décompensation cornéenne bilatérale, et note qu'il existe un doute en ce qui concerne la consultation préopératoire et le consentement éclairé et personnalisé des risques ; qu'il ajoute que l'évolution future est incertaine avec un risque potentiel évolutif de décompensation cornéenne et de chirurgie lourde compensatrice ;

Sur le caractère défectueux des implants et la responsabilité de la société Carl Zeiss Meditec

Attendu qu'il convient en premier lieu d'examiner si la responsabilité de plein droit de la société Carl Zeiss Meditec est susceptible d'être engagée à l'égard de M. L. en application de l'article 1386-4 alinéa 1er du Code civil, qui dispose qu'un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre ;

Attendu que la défectuosité du produit doit notamment s'apprécier au regard de la présentation du produit et du bilan entre l'avantage que procure le produit de santé litigieux et les risques attachés à son usage ;

Que le défaut de sécurité peut résulter de l'insuffisance d'information et de mise en garde contre les dangers potentiels du produit ;

Attendu qu'en matière de responsabilité du fait d'un produit défectueux, la preuve du lien de causalité entre le défaut et le dommage peut résulter de présomptions graves, précises et concordantes ;

Attendu qu'il n'est pas contesté que les implants New Life étaient conçus et fabriqués par la S.A.S Carl Zeiss Meditec ; qu'elle a obtenu pour cette lentille intraoculaire l'autorisation de commercialisation et le marquage C.E. en mai 2002, étant observé que dès 2001, la société CIBA Vision commercialisait ce même implant, avant que cette branche d'activité ne soit rachetée par la S.A.S Carl Zeiss Meditec ;

Que par ailleurs une étude clinique détaillée a été menée entre juin 2000 et juin 2002 avant la commercialisation des implants Newlife, dont les conclusions étaient favorables ; que le produit avait obtenu une autorisation de mise sur le marché, ce qui n'exclut pas sa défectuosité ;

Attendu que la notice de présentation des implants Newlife destinée aux médecins précise expressément au titre des complications possibles une décompensation aigue de la cornée et un œdème cornéen tout comme le protocole opératoire ; que l'importance du comptage cellulaire post-opératoire est mentionnée dans la notice et le protocole chirurgical destinés aux praticiens ;

Que la littérature médicale produite par la S.A.S Carl Zeiss Meditec à ce sujet fait aussi état de l'éventualité d'une baisse cellulaire endothéliale, d'où l'intérêt de la réversibilité de l'implantation dans ce cas (Dr G.-F., Réflexions Ophtalmologiques, mars 2003, et traduction de la monographie parue en 2002 " New Technologies in Phakic Refractive Lenses") ;

Attendu que la S.A.S Carl Zeiss Meditec admet que suite aux déclarations de cas de perte de cellules endothéliales après deux à trois ans d'implantation, elle a informé par courrier du 13 mars 2006 les utilisateurs des implants Newlife de la suspension de la commercialisation et a rappelé la nécessité après implantation d'une surveillance annuelle de l'endothélium cornéen par comptage cellulaire ; qu'après étude rétrospective, elle a cessé définitivement leur commercialisation et a recommandé un suivi semestriel par mesure de la densité endothéliale ;

Qu'il résulte des courriers transmis aux praticiens et des études menées par la S.A.S Carl Zeiss Meditec que l'arrêt de la commercialisation est directement consécutif à la constatation de plusieurs cas de perte importante de cellules endothéliales augmentant dans les deux ou trois ans suivant l'implantation de lentilles Newlife, et ayant justifié l'indication d'explantation ; que le rapport du 17 décembre 2007 mentionne que " l'origine (de la perte de cellules endothéliales) en est probablement multifactorielle " et qu'" une surveillance régulière et rigoureuse de l'endothélium cornéen des patients implantés reste le moyen de choix pour détecter toute décompensation cornéenne " ;

Que la gravité des effets secondaires est établie s'agissant d'une chute de densité endothéliale pouvant conduire à un oedème cornéen et une décompensation cornéenne susceptible d'indiquer une greffe de cornée ;

Que le rapport entre les bénéfices escomptés de l'usage de l'implant d'un côté, et les risques potentiels, même rares, connus dès la mise sur la marché des implants ainsi qu'il résulte des notices et protocoles à l'attention des praticiens, est donc défavorable ; que le caractère défectueux de l'implant est ainsi établi ;

Que l'arrêt de la cour de céans du 17 janvier 2013 concluait déjà, contrairement à ce qu'affirme la S.A.S Carl Zeiss Meditec, à la défectuosité de ce produit ;

Attendu que les conclusions de l'expert judiciaire et du Docteur C. établissent que la perte endothéliale progressive observée sur M. L. est directement liée à l'implantation des lentilles New Life, s'agissant d'une technique innovante susceptible de fragiliser l'oeil ;

Qu'en conséquence, le lien de causalité entre le produit défectueux implanté et le dommage relevé par le Docteur C. est établi ;

Attendu que la S.A.S Carl Zeiss Meditec ne se prévaut à titre subsidiaire d'aucune cause d'exonération énumérée à l'article 1386-11 du Code de la santé publique ;

Que le jugement ayant reconnu sa responsabilité en qualité de fabricant et son obligation à indemniser les dommages subis par M. L. sera confirmé sur ce point ; que s'agissant d'une responsabilité sans faute prouvée, entrainant de plein droit une obligation d'indemnisation de l'intégralité du dommage, le fabricant du produit n'est pas recevable à soutenir qu'en raison d'un défaut d'information commis par un tiers, il n'est tenu qu'à indemniser la proportion de perte de chance du patient de renoncer à l'intervention ;

Sur la responsabilité du Docteur P.

Attendu que la responsabilité du prestataire de service de soins ne peut être engagée que sur le fondement de sa faute lorsqu'il a recours à un dispositif médical nécessaire à l'accomplissement d'un acte médical, en application des articles 1386-1 et suivants du Code civil et L. 1142-1,I du Code de la santé publique ;

Attendu que ni l'expert judiciaire, ni l'expert amiable n'ont relevé de contre-indication à l'intervention, d'incident peropératoire, ou d'anomalies dans la surveillance post-opératoire immédiate ; que c'est par simple choix de sa part que M. L. a consulté un autre praticien à partir du mois d'avril 2005; qu'il apparaît que la perte endothéliale subie par le patient est un risque connu et inhérent à ce type de chirurgie par implant de chambre antérieure ; que son apparition progressive n'est pas liée à un défaut de surveillance du Docteur P., étant observé que conformément aux recommandations, le comptage cellulaire a été effectué régulièrement ; que les pièces remises à l'expert ne mettent pas en évidence la diminution du tissu cellulaire cornéen avant la consultation du Docteur M. ; que ce dernier n'a pas plus que le Docteur P. conseillé un retrait des implants ; que l'expert ne critique pas cette décision au vu de l'état du patient ;

Attendu en revanche qu'il appartient au praticien de démontrer qu'il a respecté son obligation de délivrer au patient une information claire et précise, notamment sur les risques graves normalement prévisibles de l'intervention en application de l'article L. 1111-2 du Code de la santé publique ; que de surcroît, s'agissant d'une intervention à visée non pas thérapeutique mais esthétique, il pèse sur le médecin un devoir d'information dont le contenu est plus important, en application de l'article L. 6322-2 du même Code et doit inclure les risques exceptionnels ;

Attendu que le Docteur P. reconnaît qu'il avait connaissance de la notice et du protocole opératoire diffusés par le fabricant, à la date à laquelle il a fait usage des implants, faisant état des risques de décompensation cornéenne et d'oedème cornéen ; qu'il ne remet pas en cause la pièce n°13 produite par la société Carl Zeiss Meditec, constituée par sa propre présentation de cette technique à ses confrères, en mars 2003, qui mentionne " l'importance d'un suivi annuel au minimum de l'endothelium notamment et l'intérêt de la réversibilité de l'implantation " ;

Attendu qu'en l'espèce, la fiche d'information sur les techniques de chirurgie réfractive, faisant état des complications spécifiques, a été signée à une date indéterminée ; que le document intitulé " consentement éclairé " a été signé le 11 décembre 2003 soit 4 jours seulement avant l'intervention ; que ces deux documents comportent une signature identique mais qui diffère sur plusieurs points des exemplaires de signature de M. L. communiqués aux débats ; que Mme L. a d'ailleurs déclaré à l'expert avoir signé elle-même ces documents, ce qui ne permet pas de s'assurer que son époux en a eu connaissance ; que la circonstance que Mme L. avait elle-même subi une intervention identique réalisée par le Docteur P. quelques mois auparavant n'est pas suffisante pour justifier de l'étendue de l'information donnée par le praticien à son époux, laquelle doit être personnelle et adaptée à la personnalité du patient ; que la fiche de consentement éclairé est rédigée en des termes très généraux s'agissant des risques prévisibles ; qu'en tout état de cause, le laps de temps réduit entre l'information sur la technique envisagée et les risques inhérents ne permettait pas à M. L. de bénéficier d'un délai de réflexion suffisant pour consentir de façon éclairée à une intervention de confort ;

Que dès lors, le manquement du Docteur P. à son devoir d'information est établi ; qu'il n'est toutefois pas soutenu par M. L. qu'il n'aurait eu aucune information sur l'intervention projetée, et par ailleurs le dossier médical mentionne bien un entretien préalable à ce sujet, mais sans qu'il soit possible d'en déterminer l'étendue ; que cette faute n'est pas à l'origine de l'entier dommage, mais seulement d'une perte de chance pour M. L. de renoncer à l'intervention et d'éviter le dommage, consistant en une perte cellulaire ;

Attendu que pour évaluer l'importance de cette perte de chance, il doit être relevé que la connaissance de la gravité des effets indésirables, pour un homme âgé de 53 ans exerçant une profession où l'acuité visuelle est particulièrement importante, aurait pu le faire renoncer à une intervention qui n'était nullement indispensable, alors qu'il disposait d'une vision normale avec correction ; qu'a contrario, le fait que son épouse avait bénéficié en juin 2003 par le Docteur P. de la pose d'implants New Life, qui six mois plus tard n'avaient manifestement pas encore produit de complications et paraissaient donner satisfaction, tend à établir que même dûment éclairé, M. L. aurait fait le choix de l'intervention ;

Attendu qu'en conséquence, la perte de chance peut être évaluée à 50 %, le Docteur P. et le Sou Medical étant condamnés in solidum avec la S.A.S Carl Zeiss Meditec à réparer les dommages subis par la victime, dans la limite de cette proportion ; que le jugement sera réformé en ce sens ;

Sur la réparation des préjudices subis par M. L.

Attendu que selon le rapport du Docteur C., le préjudice corporel au 11 avril 2012 s'évalue ainsi :

- incapacité temporaire de travail : il n'y en a pas eu, M. L. ayant pu maintenir son activité professionnelle, étant aidé de trois matelots ; il a pris sa retraite en 2011 ;

- préjudice esthétique temporaire : 1/7

- souffrances endurées : 1,5/7 ;

- préjudice d'agrément temporaire : la photophobie induite par la pose de l'implant intraoculaire ne fait pas contre-indiquer la pratique de la natation, des sports d'hiver et de la conduite ;

- date de consolidation : 26 janvier 2012 ;

- déficit fonctionnel permanent : 4 %

- il est apte à reprendre ses activités professionnelles antérieures avec une pénibilité et une fatigabilité accrue en raison de ses problèmes visuels ;

- préjudice esthétique définitif : 1/7 ;

- pas de préjudice d'agrément sous réserve du port de verres teintés ;

Attendu que l'expert précise que l'état ophtalmologique est susceptible de modifications en aggravation, en raison des complications inhérentes à la présence de l'implant ; qu'une surveillance semestrielle avec examen spécialisé est indispensable ; que le pronostic est incertain rendant impossible l'évaluation précise des traitements nécessaires futurs et la date de leur survenue ;

Attendu que sur la base de ce rapport, il convient de fixer la date de consolidation au 26 janvier 2012 ; que le préjudice de M. L. peut être liquidé de la façon suivante :

I. Les préjudices patrimoniaux

A) Les préjudices patrimoniaux temporaires

* Les dépenses de santé actuelles

L'ENIM produit un relevé de débours définitifs dont il résulte que les frais pris en charge s'élèvent à la somme totale de 3 036,79 euro, incluant tous les frais d'hospitalisation, les frais médicaux et pharmaceutiques, soins infirmiers, et y a ajouté la somme de 239,94 euro sans en justifier.

Le tribunal a toutefois, eu égard à l'absence de contestation sur ce point de la S.A.S Carl Zeiss Meditec, condamné celle-ci à verser la somme de 3 276,73 euro. Le Docteur P. ne conteste pas davantage cet état de débours en lien avec l'intervention.

En conséquence, la S.A.S Carl Zeiss Meditec, le Docteur P. et son assureur seront condamnés à rembourser cette somme à l'ENIM avec intérêts au taux légal à compter du 7 mai 2013, mais dans la limite de 50 % de la somme par le Docteur P. et le Sou Medical ;

M. L. ne fait pas état de frais restés à sa charge à ce titre.

* les pertes de gains professionnels actuelles

M. L. ne formule aucune demande à ce titre.

* les frais divers

M. L. sollicite la somme de 303,38 euro au titre des frais de déplacement exposés pour se rendre au rendez-vous d'expertise à Bobigny.

Les responsables ne formulent aucune observation, ni offre, sur cette demande. Celle-ci est justifiée, et eu égard au barème fiscal kilométrique applicable au véhicule utilisé par M. L., la S.A.S Carl Zeiss Meditec, le Docteur P. et son assureur dans la limite de 50 % seront condamnés à lui verser la somme de 303,38 euro.

B) Les préjudices patrimoniaux permanents

M. L. ne formule aucune demande au titre d'un préjudice patrimonial permanent.

II. Les préjudices extrapatrimoniaux

A) Les préjudices extrapatrimoniaux temporaires

* Le déficit fonctionnel temporaire

Le déficit fonctionnel temporaire correspond à la perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique, le préjudice temporaire d'agrément, et le préjudice sexuel temporaire.

Le jugement a accordé au titre du déficit fonctionnel temporaire une somme de 6.646 euro bien que l'expert se soit dispensé de préciser l'existence d'un tel préjudice, procédant par confusion avec une incapacité temporaire de travail qu'elle a exclue.

M. L. sollicite une somme de 44,475 euro pour la période de 2 965 jours écoulée entre l'intervention et la consolidation sur la base de 15 euro par jour.

La S.A.S Carl Zeiss Meditec offre une somme de 4 090 euro (avant application du taux de perte de chance qui n'est pas retenue la concernant) sur la base de 6 % de déficit fonctionnel temporaire pendant cette période, et de 23 euro par jour.

Le Docteur P. considère que le déficit fonctionnel temporaire n'a pu excéder 10% et propose de l'indemniser par une somme de 4 447,50 euro pendant la période concernée.

Il est acquis que pendant cette période la baisse d'acuité visuelle a été progressive ; qu'il convient de tenir compte de ce que dès les jours suivants la pose des implants, M. L. s'est plaint de phénomènes de halos et de photophobie, et ce jusqu'à la consultation du 16 septembre 2004 où il est mentionné que ces manifestations sont nettement diminuées ;

Eu égard à ces conclusions, aux offres des responsables et à l'importance des séquelles définitives fixées à 4% par l'expert, la cour peut évaluer à 10% la proportion du déficit fonctionnel ayant affecté la vie quotidienne de M. L. jusqu'au 16 septembre 2004, puis à 6% du 17 septembre 2004 à la date de consolidation.

Au vu des éléments dont la cour dispose, ce préjudice sera compensé sur une base forfaitaire de 25 euro par jour (750 euro par mois) pour un déficit fonctionnel temporaire total, soit :

- déficit fonctionnel temporaire partiel à 10% : 276 jours x 25 euro x 10% = 690 euro

- déficit fonctionnel temporaire partiel à 6% : 2.688 jours x 25 euro x 6% = 4 032

Il convient donc de réformer le jugement entrepris et d'allouer à M. L. la somme de 4 722 euro.

* Les souffrances endurées

Le docteur C. a évalué ce poste de préjudice à 1,5 sur une échelle de 7, en tenant compte des phénomènes douloureux à l'oeil droit, de l'inquiétude manifestée au vu des complications importantes de son épouse ayant subi une même intervention, et de l'ablation des fils cornéens.

Le tribunal a alloué à la victime la somme de 1 500 euro.

M. L. sollicite une somme de 2.250 euro à ce titre. Le Docteur P. indique que ce préjudice ne saurait être indemnisé par une somme supérieure à 1 500 euro tout comme la S.A.S Carl Zeiss Meditec.

La somme allouée par le jugement répare intégralement les souffrances physiques et morales endurées par M. L. en considération de ces éléments.

* le préjudice d'agrément temporaire

M. L. sollicite une somme de 3 000 euro à ce titre, indiquant qu'il n'a pu pratiquer le ski, la natation, le jet-ski, la plongée, la conduite automobile.

Le jugement a rejeté cette demande en observant que ce préjudice se confondait avec le déficit fonctionnel temporaire.

Le Docteur P. et la S.A.S Carl Zeiss Meditec s'opposent également à cette distinction en rappelant que la nomenclature Dinthilac indemnise le préjudice d'agrément temporaire avec le déficit fonctionnel temporaire.

En effet, l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire inclut, pour la période antérieure à la consolidation, la perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante, et notamment le préjudice temporaire d'agrément.

Les troubles dans les conditions d'existence avant consolidation, relatifs à l'impossibilité d'exercer des activités spécifiques de sport ou de loisirs, ont donc déjà été indemnisés avec le déficit fonctionnel temporaire et il convient de confirmer le jugement qui a débouté M. L. de cette demande.

* le préjudice esthétique temporaire

M. L. réclame une somme de 1 500 euro.

Le jugement a réparé ce préjudice par la somme de 700 euro. Le Docteur P. offre une somme totale de 500 euro tandis que la S.A.S Carl Zeiss Meditec propose de l'indemniser par une somme de 400 euro.

Le Docteur C. a fixé ce poste de préjudice à 1 sur une échelle de 7 en retenant une modification des reflets cornéens et l'apparition de pigments iriens.

S'agissant d'un préjudice temporaire très modéré, il convient d'indemniser l'altération de l'apparence physique de M. L. par une somme de 500 euro.

B) Les préjudices extrapatrimoniaux permanents

* Le déficit fonctionnel permanent

Le tribunal a alloué une somme de 3 600 euro compte-tenu du taux d'incapacité de la victime, fixé à 4% par le Docteur C. en raison d'une acuité visuelle ayant diminué de 3/10e à l'oeil gauche.

M. L. sollicite la somme de 6 400 euro à ce titre sans contester le taux retenu par l'expert.

Le Docteur P. offre la somme de 2 800 euro et la S.A.S Carl Zeiss Meditec sollicite la confirmation du jugement sur ce point.

M. L. était âgé de 59 ans au jour de la consolidation, et compte-tenu des séquelles qu'il conserve, la somme octroyée par le tribunal est insuffisante. Il convient de fixer à 5 080 euro les dommages et intérêts réparant son déficit fonctionnel permanent.

* Le préjudice d'agrément

Le Docteur C. n'a pas retenu de préjudice d'agrément, indiquant que M. L. était médicalement apte à exercer les activités d'agrément sportives ou de loisirs qu'il pratiquait avant l'accident, sous réserve du port de verres teintés.

Le tribunal l'a débouté de sa demande à ce titre.

La victime réclame la somme de 7 000 euro sur ce point, exposant que le soleil est très handicapant malgré l'achat de montures et de verres adaptés, lors de la pratique du ski, de la natation, du jet ski et de la plongée.

Le Docteur P. et la S.A.S Carl Zeiss Meditec s'opposent à toute indemnisation à ce titre, considérant que son état n'a pas entrainé l'arrêt d'activités sportives ou de loisirs particuliers.

Il sera observé que M. L. produit des témoignages de proches selon lesquels il a arrêté des activités sportives qu'il avait l'habitude de pratiquer avant l'intervention, du fait de sa gêne liée à la réverbération du soleil. Cependant, il ne communique aucune pièce médicale de nature à contredire les conclusions de l'expert qui ne fait pas état d'une impossibilité de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs, qu'il pratiquait avant la pose des implants. Il n'est pas démontré un tel préjudice mais seulement une gêne, déjà indemnisée au titre du déficit fonctionnel permanent.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté M. L. de ce poste de préjudice.

* le préjudice esthétique permanent

Le tribunal avait retenu un préjudice esthétique de 1/7 conformément à l'évaluation du Docteur C. et alloué la somme de 1 000 euro.

M. L. sollicite la somme de 1 500 euro. La S.A.S Carl Zeiss Meditec offre une somme de 800 euro et le Docteur P. conclut à la confirmation de la décision sur ce point.

La modification du reflet cornéen et la présence de pigments iriens sont de nature à altérer son apparence physique, de même que le port de verres teintés lié à la photophobie. Il est justifié de lui octroyer une somme de 1 000 euro en réparation de ce préjudice. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la garantie de la S.A.S Carl Zeiss Meditec par le Docteur P.

Attendu qu'il a été établi que le Docteur P. avait commis un manquement à son devoir d'information à l'origine d'une perte de chance d'éviter le préjudice pour M. L. ;

Attendu qu'en revanche, la fabrication et la commercialisation d'un produit qualifié de défectueux ne sont pas nécessairement fautives ; que l'étude clinique menée préalablement à la mise sur le marché ne laissait pas supposer de défauts, mais seulement des complications susceptibles d'apparaître telles l'oedème de la cornée et la décompensation cornéenne ; que la société Carl Zeiss Meditec a expressément mentionné les risques inhérents à la pose d'implants et a procédé à des mises en garde formulées à destination des praticiens, notamment à des recommandations de surveillance des cellules endothéliales par comptage régulier ; que la S.A.S Carl Zeiss Meditec, après avoir pris connaissance des cas de décompensation cornéenne, a adressé rapidement une mise au point aux chirurgiens avec un protocole de surveillance de la cornée puis a cessé définitivement la commercialisation des implants Newlife en décembre 2006 ; que la suspension de commercialisation en 2006 a justifié une étude rétrospective dont il n'apparaît pas que la cause de la perte de cellules endothéliales ait pu être identifiée ;

Que de ces éléments il ne ressort pas la preuve d'une faute commise par la société Carl Zeiss Meditec qui soit en lien de causalité avec les dommages subis par M. L. ;

Qu'il convient donc de dire que le Docteur P. et son assureur seront condamnés à garantir la S.A.S Carl Zeiss Meditec des condamnations prononcées par le présent arrêt, dans la limite toutefois de leur propre obligation, c'est à dire du taux de perte de chance retenu ;

Qu'il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris sur ce point ;

Sur l'indemnité de gestion

Attendu qu'il convient de condamner in solidum la S.A.S Carl Zeiss Meditec et le Docteur P. à payer à l'ENIM la somme de 1.028 euro au titre de l'indemnité de gestion en application des articles 9 et 10 de l'ordonnance 96/51 du 21 janvier 1996 ;

Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile

Attendu que la S.A.S Carl Zeiss Meditec, le Docteur P. et le Sou Medical qui succombent pour l'essentiel seront condamnés in solidum aux dépens de première instance et d'appel en ce compris les frais d'expertise judiciaire ;

Attendu qu'il apparaît équitable de condamner encore in solidum la S.A.S Carl Zeiss Meditec, le Docteur P. et le Sou Medical à verser à M. L. la somme de 3.000 euro au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel ; qu'ils seront également condamnés à payer la somme de 1.000 euro à l'ENIM au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Qu'en revanche, la S.A.S Carl Zeiss Meditec sera déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile tant en première instance qu'en appel;

Par ces motifs : Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a dit que la S.A.S Carl Zeiss Meditec est responsable de plein droit des dommages subis par M. L. à la suite de la pose d'implants New Life réalisée le 15 décembre 2003 ; Le réforme en ses autres dispositions, et, statuant à nouveau, Dit que le Docteur Laurent P. a commis un manquement à son obligation d'information envers M. L. responsable d'une perte de chance de 50% d'éviter le préjudice ; En conséquence, Condamne in solidum la S.A.S Carl Zeiss Meditec, M. Laurent P. et son assureur le Sou Medical, ces deux derniers dans la limite de 50% des sommes allouées, à payer à M. Christian L. les sommes suivantes en réparation de ses préjudices : 303,38 euro au titre des frais divers ; 4 722 euro au titre du déficit fonctionnel temporaire ; 1 500 euro au titre des souffrances endurées ; 500 euro au titre du préjudice esthétique temporaire ; 5 080 euro au titre du déficit fonctionnel permanent ; 1 000 euro au titre du préjudice esthétique définitif ; Déboute M. L. de ses demandes au titre d'un préjudice d'agrément temporaire et définitif ; Condamne in solidum la SAS Carl Zeiss Meditec , M. P. et son assureur le Sous Médical, ces deux derniers dans la limite de 50 % de la somme allouée, à payer à L'établissement National Des Invalides De La Marine la somme de 3 276,73 euro, avec intérêts au taux légal à compter du 7 mai 2013 ; Condamne Monsieur Laurent P. et son assureur le Sou Medical à garantir la S.A.S Carl Zeiss Meditec des condamnations prononcées par le présent arrêt à son encontre, dans la limite de 50 % des sommes allouées, tant à titre principal qu'au titre des frais irrépétibles et des dépens ; Condamne in solidum la S.A.S Carl Zeiss Meditec, M. Laurent P. et le Sou Medical à payer à L'établissement National Des Invalides De La Marine la somme de 1 028 euro au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ; Déboute la S.A.S Carl Zeiss Meditec de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne in solidum la S.A.S Carl Zeiss Meditec, M. Laurent P. et le Sou Medical à payer à M. L. la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne in solidum la S.A.S Carl Zeiss Meditec, M. Laurent P. et le Sou Medical à payer à L'établissement National Des Invalides De La Marine la somme de 1 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile; Condamne in solidum la S.A.S Carl Zeiss Meditec, M. Laurent P. et le Sou Medical aux dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise judiciaire, et autorise, si elle en a fait l'avance sans avoir reçu provision, la Selarl Eric L. et la SCP D. L. à les recouvrer directement conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.