CA Aix-en-Provence, 10e ch., 7 novembre 2012, n° 10-16367
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
MAIF, Marama
Défendeur :
Astral Piscine (SAS), MMA , CPAM du Var
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Vannier
Conseillers :
Mmes Bourrel, Tournier
Avocats :
Mes Campana, Brunet-Humbert, Selarl Boulan-Cherfils-Imperatore, SCP Blanc Cherfils, Selarl Cabinet Degryse, SCP Ermeneux-Champly-Levaique, SCP MJ de Saint Ferreol, Colette Touboul, SCP Inglese-Marin, Associes, SCP Paul, Joseph Magnan.
I - Exposé du litige :
Le 16 avril 2004 madame Herrero a acheté au magasin Castorama de la Seyne sur Mer un groupe de filtration mobile pour piscine.
Le 1er juillet 2005 la jeune Hanaiti Marama, alors âgée de 14 mois, a été blessée au deuxième doigt de la main gauche par le ventilateur du moteur du groupe de filtration.
Après avoir obtenu en référé la désignation d'un médecin qui a oeuvré au contradictoire de la société Astral Piscine et de son assureur la société Azur assurances ainsi que de la caisse primaire d'assurance maladie du Var (la CPAM), madame Valérie Herero épouse Marama et monsieur Laury Marama agissant ès qualités de représentants légaux de leur fille Hanaiti, ainsi que leur assureur la MAIF, ont fait assigner devant le tribunal d'instance de Toulon en indemnisation du préjudice corporel de leur fille, sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil , la société Astral piscine et son assureur la société MMA Iard venant aux droits de la société Azur, en présence de la CPAM.
Par jugement du 1er juillet 2010 le tribunal a :
- constaté l'absence de responsabilité de la société Astral piscine
- en conséquence débouté madame Herrero et monsieur Marama pris en leur qualité de représentants légaux de leur fille Hanaiti Marama Herrero de l'ensemble de leurs demandes
- débouté la CPAM de sa demande
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire
- débouté les époux Marama-Herrero et la société Astral piscine de leurs demandes d'indemnité en application de l'article 700 du Code de procédure civile
- condamné madame Herrero et monsieur Marama pris en leur qualité de représentants légaux de leur fille Hanaiti Marama Herrero aux dépens.
La MAIF, et les époux Marama ès qualités de représentants légaux de leur fille Hanaiti ont interjeté appel de ce jugement.
Ils demandent à la cour, en application des articles 1386-1 et suivants du Code civil , de le réformer et de dire que la responsabilité de la société Astral piscine est engagée en faisant valoir que l'appareil, équipé d'un cache de protection du ventilateur à travers lequel un enfant pouvait passer son doigt sans que la notice contienne de mise en garde à cet égard, ne présentait pas la sécurité à laquelle ils pouvaient légitimement s'attendre.
A titre principal ils demandent qu'une nouvelle expertise médicale soit ordonnée avant dire droit sur le préjudice corporel de leur fille en raison de l'aggravation de son état.
A titre subsidiaire ils sollicitent en l'état la condamnation in solidum de la société Astral piscine et de son assureur la MMA à indemniser le préjudice de l'enfant comme suit :
° pretium doloris : 4 000 euro
° préjudice esthétique : 1 000 euro
° déficit fonctionnel temporaire total : 1 500 euro
° déficit fonctionnel temporaire partiel : 1 000 euro
° période d'observation : 1 000 euro
° déficit fonctionnel permanent : 1 200 euro.
La MAIF demande en outre remboursement de la somme de 186,47 euro qu'elle a exposée au titre des frais médicaux consécutifs à l'accident.
Ils réclament la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile .
La CPAM s'associe aux prétentions des époux Marama relativement à la déclaration de responsabilité de la société Astral piscine et réclame la somme de 5 166,35 euro correspondant à ses débours au titre des dépenses de santé actuelles de la victime, augmentée des intérêts au taux légal à compter de sa première demande, celle de 980 euro, montant de l'indemnité forfaitaire, et celle de 200 euro en application de l' article 700 du Code de procédure civile .
La société Astral piscine et son assureur la société MMA demandent à la cour de confirmer le jugement et de dire que la preuve n'est pas rapportée du défaut allégué, faisant valoir que la notice de l'appareil informe correctement l'utilisateur des risques liés à son utilisation.
Elles invoquent une faute de la victime et le défaut manifeste de surveillance des parents comme cause d'exonération de responsabilité pour le cas où l'existence du défaut serait retenue.
Elles s'opposent à la demande de nouvelle expertise.
A titre subsidiaire elles offrent les sommes suivantes :
° pretium doloris : 3 500 euro
° préjudice esthétique : 800 euro
° incapacité permanente partielle : 1 000 euro
° frais médicaux : 186,47 euro
° gêne temporaire partielle : 1 500 euro.
Elles sollicitent la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile .
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, la Cour se réfère à la décision critiquée et aux dernières conclusions déposées par les parties (par la MAIF et les époux Marama ès qualités le 10 septembre 2012, par la CPAM le 5 mai 2011, par la société Astral piscine et la société MMA le 3 mars 2011).
II - Motifs :
Sur la responsabilité
Il est constant que madame Herrero épouse Marama a acheté un 16 avril 2004 un groupe de filtration pour piscine dont la société Astral piscine ne conteste pas être le producteur.
Le 1er juin 2005 la jeune Hanaiti, âgée de 14 mois a été blessée au doigt par un élément de cet appareil.
Les expertises non judiciaires, non contradictoires à l'égard de la société Astral piscine mais soumises à la discussion contradictoire des parties, réalisées à la demande de l'assureur du vendeur et à la demande de celui de l'acheteuse, ont mis en évidence les circonstances de l'accident : la petite Hanaiti a passé un doigt à travers un des opercules de ventilation du carter protégeant le ventilateur du moteur et a été blessée par la rotation des pales du ventilateur.
Le carter est constitué d'une grille en plastique moulé trouée d'opercules n'excédant pas 8 millimètres de diamètre.
Ce carter est conforme à la norme EN13451-1 de 2001.
Par ailleurs l'enquête diligentée par la DGCCRF n'a abouti à aucune mise en cause.
La notice de l'appareil, versée aux débats par les époux Marama, comporte une liste d'indications de sécurité.
Les deux premières concernent l'installation électrique, à l'encontre de laquelle les experts n'ont formulé aucune critique, quand bien même elle a été réalisée par les époux Marama, de sorte que le débat introduit par la société Astral et son assureur à cet égard est sans emport.
La troisième concerne la hauteur du sable dans le réservoir.
La quatrième et la septième visent l'interdiction de faire fonctionner le filtre pendant l'utilisation de la piscine et les conditions de manipulation du filtre ou de la vanne.
La cinquième concerne l'amorçage de l'appareil.
Les sixièmes, huitièmes et neuvièmes concernent la proscription de toute humidité au contact de l'appareil.
La onzième concerne le remplacement du câble flexible d'alimentation.
La dixième est ainsi libellée 'interdisez aux enfants et aux adultes de s'appuyer ou de s'asseoir sur l'appareil'.
Même si ces avertissements témoignent de ce que l'appareil est d'un fonctionnement délicat, ils n'attirent en rien l'attention de l'utilisateur sur le fait qu'il convient de tenir l'appareil hors de portée des enfants.
Ceci était pourtant indispensable puisque le carter, qui a précisément pour but de protéger l'utilisateur contre le risque d'être blessé par le fonctionnement du ventilateur du moteur, était conçu de telle manière qu'il était possible d'introduire un doigt de petite taille dans la grille de protection.
Ainsi, nonobstant le fait que le carter de protection du moteur a été fabriqué dans les règles de l'art et le respect des normes existantes, le groupe de filtration à l'origine des blessures de la petite Hanaiti était dépourvu de la sécurité à laquelle les époux Marama pouvaient légitimement s'attendre dès lors que la notice d'utilisation n'avait pas suffisamment attiré leur attention sur les dangers présentés par son utilisation et sur les précautions à prendre.
Pour tenter de s'exonérer de la responsabilité de plein droit qui pèse ainsi sur elle en application des articles 1386-1 et suivants du Code civil , la société Astral piscine invoque la faute de la victime.
Mais ne peut être considéré comme fautif le fait poser le doigt sur un élément précisément destiné à assurer une protection contre les blessures qui ne manqueraient pas de résulter d'un contact direct entre la main de l'utilisateur et les pales du ventilateur du moteur de l'appareil, ce qui enlève toute portée à la discussion introduite sur la prétendue faute de surveillance des parents de l'enfant.
Ainsi la responsabilité de la société Astral piscine est établie et elle sera condamnée in solidum avec son assureur à réparer le préjudice de la petite Hainati.
Sur la demande de nouvelle expertise
L'expert qui a examiné Hanaiti a constaté une perte de longueur de l'index gauche avec déformation de la pulpe, une sensibilité au contact et une exclusion naturelle du doigt.
Il a considéré qu'il était difficile de juger de l'évolution des séquelles, notamment en ce qui concerne l'exclusion fonctionnelle du doigt.
Ces conclusions sont en date du 23 mai 2008.
Le 5 novembre 2010 l'institutrice de l'enfant a attesté avoir observé que lors des travaux manuels fins celle-ci exclut son doigt blessé.
Cependant à la même date l'expert, consulté par les parents, n'a pas constaté d'aggravation certaine de la symptomatologie en rapport avec l'exclusion de l'index puisqu'il écrit " il semble exister une certaine aggravation ".
Ces éléments ne suffisent pas à établir avec certitude la réalité de l'aggravation alléguée, de sorte qu'il ne sera pas fait droit à la demande de nouvelle expertise.
Sur l'indemnisation
Il ressort du rapport d'expertise que Hainati, née le 7 mai 2004, a présenté dans les suites de l'accident du 1er juillet 2005 une plaie qui a été traitée par cicatrisation dirigée.
Une exposition osseuse étant apparue trois semaines plus tard, il a été procédé à un raccourcissement osseux et la perte de substance a été couverte par la pose d'un lambeau thénarien.
Une désunion cutanée a nécessité une reprise chirurgicale sous anesthésie générale.
Des pansements ont été pratiqués jusqu'à la mi-octobre, suivis de massages locaux.
Chez cette enfant droitière subsiste une perte de longueur de 4 millimètres avec une déformation de la pulpe qui apparaît élargie.
Il existe une cicatrice en T de 1cm sur 1cm et une cicatrice palmaire très discrète, non douloureuse de 5millimètres.
Il existe une sensibilité de contact difficile à apprécier en raison du jeune âge de l'enfant.
Il existe une exclusion naturelle du doigt qui mérite d'être prise en charge.
Il est difficile de juger de l'évolution de cette exclusion.
Une reprise chirurgicale n'est pas à exclure.
Les conclusions du rapport d'expertise sont les suivantes :
- l'incapacité temporaire a été totale du 1er juillet au 21 septembre 2005
- la consolidation est acquise le 1er juillet 2006
- le déficit fonctionnel permanent est de 1%
- le préjudice lié à la douleur est de 3/7
- le préjudice esthétique est de 1/7.
La cour dispose ainsi des éléments lui permettant de déterminer le préjudice de la jeune Hanaiti qui doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties.
Pour déterminer les sommes devant revenir à la victime il doit en outre, en application de l'article 31 de la loi 5 juillet 1985, être tenu compte des débours du tiers payeur, qui doivent être pris en considération poste par poste pour les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'il a pris en charge.
I- Préjudices patrimoniaux
- dépenses de santé actuelle :
Elles s'élèvent à 5 352,82 euro, somme qui revient pour 5 166,35 euro à la CPAM et pour 186,47 euro à la MAIF ainsi qu'il ressort du protocole MGEN-MAIF versé aux débats dont les termes sont admis par la société Astral piscine et son assureur, les prestations de santé prises en charge par l'assureur étant indemnitaires par détermination de la loi (article 29 de la loi du 5 juillet 1989 ).
II- Préjudices extrapatrimoniaux
A- Temporaires
- déficit fonctionnel temporaire:
Le déficit fonctionnel temporaire inclut, pour la période antérieure à la consolidation, la perte de qualité de la vie et des joies usuelles de la vie courante ainsi que le préjudice temporaire d'agrément pendant l'incapacité fonctionnelle totale ou partielle.
Le déficit de l'enfant a été total du 1er juillet au 21 septembre 2005, il a été partiel avec une gêne particulière due à la réalisation de pansements jusqu'à la mi-octobre, puis aux massages locaux qui ont été pratiqués pendant une période qui n'est pas précisée, étant toutefois observé que la consolidation n'est intervenue que le 1er juillet 2006.
Au titre de ce déficit fonctionnel temporaire total et partiel il sera versé 2 750 euro.
- souffrances endurées :
Ce poste de préjudice indemnise les douleurs physiques et morales endurées par la victime du fait de ses blessures et des soins qu'elle a subis depuis l'accident jusqu'à la consolidation.
Cotées 3/7 par l'expert, elles seront réparées par la somme de 4 000 euro réclamée.
B- Permanents
- déficit fonctionnel permanent :
Le déficit fonctionnel permanent inclut pour la période postérieure à la date de consolidation les atteintes aux fonctions physiologiques, la perte de la qualité de la vie et les troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence personnelles familiales et sociales.
Compte tenu du taux de 1% retenu par l'expert et de l'âge de l'enfant à la consolidation (2ans) il sera réparé par la somme de 1 200 euro réclamée.
- préjudice esthétique :
Coté 1/7 par l'expert, compte tenu du raccourcissement du doigt et de sa déformation telle qu'elle apparaît nettement sur les photographie produites, il sera indemnisé par la somme de 1 000 euro réclamée.
Au total la société Astral piscine et la société MMA verseront aux époux Marama ès qualités la somme de 8 950 euro, à la CPAM celle de 5 166,35 euro et à la MAIF celle de 186,47 euro.
La somme due à la CPAM sera augmentée des intérêts au taux légal à compter du 1er avril 2010, date de l'audience du tribunal d'instance, puisqu'à l'égard de la créance du tiers payeur, la décision est déclarative et non constitutive de droits.
La société Astral piscine et la société MMA verseront en outre à la CPAM l'indemnité forfaitaire de 980 euro qu'elle réclame sans qu'il y ait lieu d'y ajouter une indemnité en application de l' article 700 du Code de procédure civile et aux époux Marama et à la MAIF une indemnité de 3 000 euro au titre de leurs frais irrépétibles de première instance et d'appel.
Elles supporteront les dépens de première instance et d'appel, en ce inclus le coût de l'expertise médicale.
Par ces motifs : LA COUR : - Infirme le jugement déféré, Statuant à nouveau - Dit que la société Astral piscine est responsable du dommage de Hanaiti Marmara - Condamne in solidum la société Astral piscine et la société MMA à payer ° à madame Valerie Herrero épouse Marama et à monsieur Laury Marama ès qualités de représentants légaux de leur fille Hanaiti la somme de la somme de 8 950 euro, ° à la CPAM celle de 5 166,35 euro augmentée des intérêts au taux légal à compter du 1er avril 2010 ° à la MAIF celle de 186,47 euro - Condamne la société Astral piscine et la société MMA in solidum à payer à madame Valerie Herrero épouse Marama et à monsieur Laury Marama ès qualités de représentants légaux de leur fille Hanaiti et à la MAIF la somme 3 000 euro en application de l' article 700 du Code de procédure civile et à la CPAM l'indemnité forfaitaire de 980 euro - Rejette toutes demandes plus amples ou contraires - Condamne la société Astral piscine et la société MMA in solidum aux dépens de première instance qui comprendront le coût de l'expertise judiciaire et aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 Code de procédure civile.