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Décisions

CA Bordeaux, 1re ch. civ. B, 6 mars 2014, n° 12-06451

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Ekkias.A.S., Compagnie D'assurances Covea Risks

Défendeur :

Michaud, U.D.A.F. de la Charente, Syntonie Gamm Vert , Caisse Primaire d'assurance Maladie de la Charente, Association les Sabots Verts, Macifilia (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cheminade

Conseillers :

Mmes Fourniel, Coudy

TGI Angoulême, du 24 oct. 2012

24 octobre 2012

Expose du litige

Lors d'une randonnée équestre le 20 avril 2008, Mme Anne M., qui montait un cheval prêté par M. Philippe G., a été victime d'une chute et a présenté un traumatisme crânien avec coma.

Mme M., estimant au vu des constatations effectuées par le cabinet Seri, expert mandaté par sa compagnie d'assurances, que sa chute était due à la rupture d'un sanglon qui maintenait la selle importée par la société Ekkia, assurée auprès de la société Covea Risks, et vendue par la société Gamm Vert, a sollicité et obtenu en référé l'instauration d'une mesure d'expertise sur les causes de l'accident, et d'une expertise médicale à l'effet de déterminer les préjudices subis par elle.

Après dépôt des rapports d'expertises, Mme M. a fait assigner en référé la société Ekkia , la société Covea Risks et la Caisse Primaire d'assurance maladie de la Charente aux fins d'obtenir une nouvelle mesure d'expertise médicale, et la condamnation solidaire, sur le fondement des articles 1386 et suivants du Code civil, des sociétés Ekkia et Covea Risks à lui payer une provision de 50 000 euro à valoir sur son préjudice , outre la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'Union départementale des Associations Familiales (UDAF) de la Charente, agissant en qualité de curateur de Mme M., est intervenue volontairement à l'instance.

La société Ekkia a appelé en cause M. G. et la société Syntonic Distribution Gamm Vert, afin que les opérations d'expertise leur soient déclarées opposables, et qu'elles soient condamnées à la relever indemne des condamnations qui pourraient être prononcées contre elle.

La société Ekkia et la société Covea Risks ont fait assigner aux mêmes fins l'association " Les Sabots Verts ".

Ces procédures ont été jointes.

La SA Macifilia, assureur de l'association Les Sabots Verts, est intervenue volontairement à l'instance.

Suivant ordonnance en date du 24 octobre 2012, le juge des référés du Tribunal de grande instance d'Angoulême a :

- ordonné une nouvelle expertise médicale ;

- condamné solidairement la société Ekkia et la compagnie Covea Risks à payer à Mme M. à titre de provision une somme de 20 000 euro ;

-débouté la société Ekkia et la compagnie Covea Risks de leur demande de complément d'expertise et de leurs demandes de condamnation à les relever indemnes formées à l'encontre de M. G., de la société Syntonic Gamm Vert sous l'enseigne Jardineries Montplaisir et l'association Les Sabots Verts ;

-condamné solidairement la société Ekkia et la compagnie Covea Risks à verser à Mme M. la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

La SAS Ekkia et la compagnie d'assurances Covea Risks ont interjeté appel de cette ordonnance par déclaration en date du 21 novembre 2012 dont la régularité et la recevabilité n'ont pas été discutées, et demandent à la cour, dans leurs dernières conclusions remises le 20 décembre 2013, de :

- dire n'y avoir lieu en référé à condamnation provisionnelle à leur encontre, en faisant grief à l'ordonnance dont appel d'avoir statué sur les responsabilités encourues dans l'accident de Mme M., alors que le juge des référés n'était pas compétent pour statuer sur le caractère défectueux du sanglon litigieux, eu égard aux contestations sérieuses soulevées ;

- ordonner un complément d'expertise, au motif que la mission d'expertise confiée à M. L. puis à M. P. n'a pas été intégralement remplie ;

- dire que les opérations d'expertise seront communes et opposables à M. G., la société des Jardineries Montplaisir et l'Association Les Sabots Verts.

A titre subsidiaire, les appelantes demandent la condamnation de M. G., de la société des Jardineries Montplaisir et de l'Association Les Sabots Verts à les garantir de toutes condamnations prononcées à leur encontre, en principal, intérêts et frais.

Elles concluent au débouté de l'appel incident de Mme M., celle-ci ne justifiant d'aucun élément permettant d'infirmer l'ordonnance entreprise sur le montant de la provision allouée, et en tout état de cause à la condamnation de la ou des parties qui succomberont au paiement de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens, avec autorisation pour Me C. d'en poursuivre le recouvrement sur le fondement de l'article 699 du Code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières écritures remises le 6 janvier 2014, Mme Anne M. et l'UDAF de la Charente concluent au débouté de l'intégralité des demandes, fins et prétentions des sociétés Ekkia et Covea Risks, et au rejet de leur demande de complément d'expertise, en soutenant que la demande de provision ne se heurte à aucune contestation sérieuse.

Formant appel incident, elles sollicitent la condamnation in solidum des sociétés Ekkia et Covea Risks à payer une provision de 50 000 euro à valoir sur le préjudice de Mme M., au regard de l'importance des séquelles qui sont déjà établies.

Elles demandent enfin que les sociétés Ekkia et Covea Risks soient condamnées au paiement d'une indemnité de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, et aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP A.-L.-B.-B.-Le R. sur le fondement de l'article 699 du Code de procédure civile.

M. Philippe G. demande à la cour, suivant conclusions remises le 25 mars 2013, de :

- lui donner acte de ce qu'il s'en rapporte sur la demande visant à dire n'y avoir lieu en référé à condamnation provisionnelle des sociétés Ekkia et Covea Risks ;

- débouter les sociétés Ekkia et Covea Risks de leur demande d'expertise complémentaire ;

- débouter les sociétés Ekkia et Covea Risks de leur demande à titre subsidiaire de condamnation dirigée contre lui à les garantir de toutes condamnations prononcées à son encontre, eu égard à la contestation sérieuse au fond qu'il soulève quant à sa responsabilité ;

- condamner les sociétés Ekkia et Covea Risks à lui payer la somme de 2 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Dans ses dernières écritures remises le 19 novembre 2013, la société Syntonie Gamm Vert, dénommée Jardineries Montplaisir, conclut à la confirmation de l'ordonnance entreprise, et à la condamnation solidaire des sociétés Ekkia et Covea Risks à lui régler une indemnité de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de la procédure d'appel, avec distraction pour ceux d'appel au profit de la SCP Le B. &d'A., conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Par conclusions remises le 18 avril 2013, l'association Les Sabots verts et son assureur la SA Macifilia sollicitent la confirmation de l'ordonnance dont appel en toutes ses dispositions, le débouté de la demande de la société Ekkia et de la compagnie Covea Risks tendant à la condamnation de l'association Les Sabots Verts à les garantir de toutes condamnation prononcées à leur encontre, en principal, intérêts et frais, ainsi que de leur demande au titre des frais irrépétibles et des dépens.

Elles demandent également la condamnation in solidum des mêmes parties à leur verser la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, et aux entiers dépens, dont distraction , pour ceux d'appel, au profit de Me Katell Le B., par application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

La Caisse Primaire d'assurance maladie de la Charente conclut selon écritures du 9 avril 2013 à la confirmation de la décision déférée en toutes ses dispositions, et à la condamnation des appelantes au paiement d'une indemnité de 800 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit de la SCP R.-H..

Motifs de la décision

Sur la demande d'expertise médicale

La décision de première instance n'est pas remise en cause sur ce point.

Sur la demande de provision

Selon l'article 809 alinéa 2 du Code de procédure civile, dans le cas où l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal de grande instance peut accorder une provision au créancier.

L'article 1386-1 du Code civil dispose que le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime.

En l'espèce il n'est pas contesté que la société Ekkia a importé d'Inde dans la communauté européenne en vue d'une vente la selle acquise par M. G. le 11 août 2007 auprès du magasin Gamm Vert à Saintes, et qu'elle est donc assimilée à un producteur au sens de l'article 1386-6 du Code civil.

Suivant les témoignages de plusieurs participants à la randonnée du 20 avril 2008, lors d'un départ au galop le cheval monté par Mme M. a été déséquilibré et lors de son rétablissement, la sangle maintenant la selle a cassé, ce qui a provoqué la chute de la cavalière avec la selle.

Il résulte des déclarations de M. G. qu'après avoir acheté cette selle western, celui-ci a constaté qu'il ne pouvait pas seller son cheval trop corpulent pour la dimension de la sangle, qu'il s'est rendu au magasin pour l'échanger contre une sangle plus longue, qui s'est avérée encore insuffisante, de sorte qu'il est retourné au magasin où un employé lui a conseillé de dédoubler le sanglon, ce qu'il a fait.

Le premier expert judiciaire qui a examiné la selle, M. L., estime dans un rapport de quelques lignes que le sanglon de la selle aurait dû rester en double et non être monté en simple.

Dans son pré-rapport, il indique que le sanglon est d'une qualité acceptable, et que 'le sanglon était en simple cuir au lieu d'être en double, d'où la faiblesse de celui-ci qui a conduit à sa rupture.'

M. P., expert désigné par ordonnance de référé du 27 septembre 2010, affirme que la chute de Mme M. est la conséquence de la rupture du sanglon, elle-même conséquence du déchirement au droit du trou dans lequel était positionné l'ardillon de la boucle du matériau cuir avec lequel le sanglon est réalisé.

Après avoir décrit en page 17 de son rapport la manipulation effectuée par M. G., et mis en évidence l'usure du cuir juste au-dessus du point de rupture, par déchirure et non par fracture, il conclut que :

" L'origine de la rupture du sanglon est sa fragilité intrinsèque. La fragilité du sanglon n'est pas ponctuelle. Elle est située au droit du trou d'où s'est amorcée la rupture (...). Cette fragilité est révélée par l'empreinte d'usure répartie sur toute la largeur du sanglon. Elle est aggravée par une perte matière pouvant être de 3/10e. Ainsi la capacité en traction du sanglon est inférieure à la force exercée. Cette capacité insuffisante est aggravée par une résistance à l'usure elle aussi insuffisante.

L'usage de cuir pour réaliser le sanglon n'est pas à l'origine de sa rupture de même que le montage de la selle sur le cheval.

L'origine de l'accident est bien un matériau défectueux utilisé pour réaliser un élément de sécurité de la selle commercialisée.

Le trou utilisé pour positionner l'ardillon n'est pas agrandi par rapport aux autres trous, ce qui n'aggrave pas la fragilité intrinsèque du sanglon. De même l'usage de boulons et rondelles (...) pour monter le sanglon en simple n'est pas pénalisant quant à la résistance du dit sanglon. Il s'agit bien au contraire d'un renfort de sa résistance (les rondelles empêchent que le cuir soit blessé par la vis du boulon et elles répartissent les forces exercées).

L'expert souligne que le 'sablon' (sanglon) présente une sensibilité à l'usure très marquée et une faiblesse notoire vis à vis de la déchirure (il est quasi possible de le déchirer à la main) qui s'explique tant par une opération de tannage non maîtrisée que par l'opération de finissage, qui s'apparente à une opération de 'peinturage' du cuir, révélant ici un traitement de surface très sommaire d'un point de vue technique qui aggrave la défaillance de tannage pratiquée.

Il explique qu'après une phase exploratoire sur différents cuirs, les essais envisagés n'ont finalement pas été réalisés sur le sanglon en sa possession, sa cohérence étant en effet trop faible (déchirure manuelle) pour que des essais de fatigue, de traction et d'aptitude à la déchirure puissent être valablement exploités, notamment du fait de l'échantillonnage extrêmement réduit.

Il exclut toute influence de l'action de seller le cheval et du dédoublement du sanglon, en soulignant : " un montage du sanglon par redoublement n'est pas plus efficient que son montage simple tel qu'il a été pratiqué, ce pour autant que le matériau, ici le cuir utilisé, ne présente pas de vice, dans le cas présent caché ".

Il ajoute qu'en ce qui concerne l'entretien du cuir, celui-ci n'a eu aucune influence quant à la déchirure du sanglon en son sein, le graissage d'un cuir ne le nourrissant qu'en surface pour lui conserver sa souplesse et le protéger de l'eau.

M. P. mentionne que la société Ekkia a délocalisé sa production sans mettre en place un cahier des charges et un suivi qualité.

La société Ekkia et son assureur qui critiquent le rapport de M. P. n'ont cependant déposé aucun dire à cet expert, dont le rapport, beaucoup plus détaillé et argumenté que celui de M. L. qui n'était nullement ses brèves affirmations, est en concordance avec l'analyse du cabinet Seri, lequel indique: " une marque aussi nette et aussi profonde sur un matériel quasiment neuf est anormale et tend à prouver un grave défaut de la matière constitutive du sanglon. Nous doutons d'ailleurs de cette matière qui ressemble plus à du carton fibreux qu'à du cuir au niveau de la partie sectionnée. "

Les griefs faits à l'expert dans le compte rendu d'expertise non contradictoire établi par le cabinet Bihr Expertises et Conseil le 28 septembre 2012 quant à l'absence de vérification du système de fixation du contre-sanglon et à l'entretien du cuir apparaissent dépourvus d'incidence au regard des réponses données par M. P. dans son rapport.

Par ailleurs le rapport d'essais effectués par le CRITT sur un sanglon dont il n'est pas démontré qu'il est de provenance et de qualité de cuir identiques au sanglon en cause, n'est pas suffisant pour justifier la mise en œuvre d'autres investigations.

En conséquence le premier juge a estimé à juste titre qu'il n'y avait pas lieu de faire droit à la demande de complément d'expertise.

Compte tenu de l'analyse et des conclusions précises de l'expert judiciaire P. , faisant ressortir l'existence d'un défaut intrinsèque du sanglon à l'origine de l'accident, l'obligation de la société Ekkia et de son assureur la société Covea Risks qui ne dénie pas lui devoir sa garantie, d'indemniser le préjudice subi par Mme M., n'apparaît pas sérieusement contestable sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil.

L'expertise médicale ordonnée par la décision dont appel est actuellement en cours.

Eu égard aux conclusions du rapport du docteur B. en date du 28 septembre 2009, faisant état d'une incapacité temporaire totale du 20 avril 2008 au 27 juin 2008, d'une incapacité partielle à 60 % à compter de cette date, d'un déficit fonctionnel permanent après consolidation qui ne sera pas inférieur à 20 %, de la nécessité du recours à une tierce personne à domicile 6 heures par semaine et 2 heures par semaine pour les déplacements, ainsi que de souffrances endurées qui ne sauraient être inférieures à 4,5/7, il convient d'allouer à Mme M., âgée de 43 ans lors de l'accident, une somme de 30 000 euro à valoir sur l'indemnisation de son préjudice corporel.

Sur les appels en garantie

L'examen des responsabilités de M. G., dont l'expert exclut toute faute, de la société Gamm Vert, qui est susceptible d' avoir manqué à son devoir de conseil, et de l'association Les Sabots Verts, alors que celle-ci conteste sa qualité d'organisatrice de la randonnée équestre et qu'en toute hypothèse la faute qu'elle aurait pu commettre en cette qualité ne résulte pas manifestement des éléments versés aux débats, relève de l'appréciation des juges du fond.

Le rejet des appels en garantie formés par la société Ekkia et la compagnie Covea Risks sera confirmé.

Sur les autres demandes

Il convient de maintenir les dispositions de l'ordonnance relatives à l'application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Une somme complémentaire de 1 500 euro sera octroyée à Mme M. au titre des frais non compris dans les dépens de la présente instance.

Les autres demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile seront rejetées.

Sur les dépens

L'ordonnance dont appel sera confirmée de ce chef.

Les sociétés Ekkia et Covea Risks qui succombent en leurs prétentions devant la cour supporteront les dépens relatifs à la présente instance.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions, sauf sur le montant de la provision allouée à Mme M. ; Condamne in solidum la SAS Ekkia et la société Covea Risks à payer à Mme Anne M. la somme de 30 000 euro à titre de provision à valoir sur l'indemnisation de son préjudice ; Condamne in solidum la SAS Ekkia et la société Covea Risks à payer à Mme M. la somme de 1 500 euro au titre des frais non compris dans les dépens de la présente instance ; Rejette toutes autres demandes ; Condamne in solidum la SAS Ekkia et la société Covea Risks aux dépens de la présente instance, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.