CA Reims, ch. civ. sect. 1, 8 mars 2016, n° 14-01220
REIMS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
ABBC Conseil (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Maillard
Conseillers :
Mmes Lauer, Bousquel
Avocats :
Mes Diallo, Ramage
La SARL ABBC Conseil, spécialisée dans le secteur d'activité des agences immobilières, a passé, par acte sous seing privé du 23 octobre 2012, avec Monsieur Eddie X un contrat d'agent commercial immobilier;
Par acte du 1er juillet 2013, la SARL ABBC Conseil a fait assigner Monsieur Eddie X devant le Tribunal de commerce de Reims aux fins notamment d'entendre déclarer que le requis s'est rendu coupable de concurrence déloyale à son égard, en conséquence, d'entendre ordonner la rupture judiciaire du contrat signé entre les parties, d'entendre le requis condamné à lui payer la somme de 30 000 euro en réparation de son préjudice, celle de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, aux dépens, et d'entendre ordonner l'exécution provisoire de la décision ;
Par jugement rendu le 8 avril 2014, le Tribunal de commerce de Reims a, notamment : ordonné la rupture judiciaire du contrat passé entre les parties, condamné Monsieur Eddie X à régler à la SARL ABBC Conseil la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, aux dépens, rejeté toute autre demande et ordonné l'exécution provisoire de la décision;
Pour statuer ainsi, le tribunal de commerce a, notamment, souligné que le contrat signé entre les parties précisait que le professionnel indépendant agit au nom et pour le compte de son mandant et qu'il s'interdit toute concurrence directe ou indirecte envers la société pour des activités similaires; qu'il avait, en son nom propre et par le biais d'Internet, proposé un bien relevant d'une liste émanant de la SARL; que cette dernière ne justifiait cependant pas des ventes effectuées et qu'il était difficile de les dénombrer et de fixer un préjudice; que la requérante devait donc être déboutée de ses demandes de dommages-intérêts ; que cependant, il était établi que Monsieur Eddie X n'avait pas respecté ses obligations contractuelles et qu'il convenait d'ordonner la rupture du contrat; que Monsieur X ne pouvait se prévaloir de la vente de certains biens alors que son nom ne figurait pas sur les mandats de vente sans exclusivité; qu'il ne s'était manifesté pour obtenir le paiement de commissions qu'après l'assignation; qu'il ne justifiait pas de sa demande visant à obtenir le règlement de commissions et devait en être débouté.
Monsieur Eddie X a interjeté appel de cette décision par déclaration reçue par le greffe de la juridiction de céans le 17 avril 2014.
Par conclusions transmises le 25 septembre 2014 au greffe de la présente juridiction par RPVA, Monsieur Eddie X a demandé à la cour d'appel de céans, notamment, d'infirmer la décision entreprise, et, statuant à nouveau, de débouter l'intimée de ses demandes : de la condamner à lui régler la somme de 15 677,25 euro représentant le montant de ses commissions aux termes de la transaction du 23 avril 2013 qui a abouti entre la SCI Chanpavie et la société PH2 ainsi que la somme de 1 881, 50 euro représentant le montant de ses commissions au terme de la transaction du 20 juin 2013 s'étant concrétisée entre Madame A et Monsieur B, soit, en tout, la somme de 17 588,75 euro; de condamner l'intimée à lui régler la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens ;
L'appelant a fait notamment valoir que les ventes qu'il a réalisées étaient strictement sous la responsabilité de l'intimée et que cette dernière n'apporte aucune preuve de l'existence de quelconques actes caractérisant un parasitisme ou une concurrence déloyale qu'il aurait commis à son encontre; qu'il ressort des pièces produites que c'est bien lui qui a réalisé, pour le compte de l'intimée, les ventes dont il réclame les commissions; que les acquéreurs en ont attesté.
La SARL ABBC Conseil, intimée, a, par conclusions transmises le 29 octobre 2014 au greffe de la présente juridiction par RPVA, demandé à la Cour d'appel de Reims, notamment, de confirmer la décision entreprise, de condamner l'appelant à lui régler la somme de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens;
L'intimée a notamment fait valoir qu'elle s'est aperçue par diverses sources d'information que certains contrats de vente de biens figurant dans ses fichiers ont été conclus mais sans son intervention alors que l'appelant avait parfait la vente sans passer par elle et en percevant une commission; que ces actes sont constitutifs de parasitisme et que l'article 6 du contrat passé entre les parties comporte une clause de non-concurrence directe ou indirecte; que l'appelant a détourné 30 000 euro de commissions; que les factures produites par l'appelant pour justifier ses demandes de condamnation de la SARL ABBC Conseil à lui régler des commissions sont datées du jour de l'assignation ou postérieures; que la qualité d'agent commercial de l'appelant n'y figure pas contrairement aux stipulations du contrat et que son nom figure dans une autre écriture que le texte du document en haut et à droite du mandat de vente A ; que la seconde facture est datée du 2 août 2013 et que la lettre de proposition d'achat produite ne comporte pas le nom de l'agent; que de plus, les factures ont été émises postérieurement à la radiation de l'appelant du RCS; que la manœuvre frauduleuse est donc avérée.
A l'issue des débats, il a été indiqué que la décision serait rendue le 8 mars 2016.
SUR CE,
Sur la demande de la SARL ABBC Conseil visant à entendre prononcer la rupture judiciaire du contrat liant les parties :
L'intimée reproche à Monsieur Eddie X de s'être rendu coupable de concurrence déloyale à son égard;
Pour en justifier, l'intimée produit :
La photocopie de deux pages d'un document intitulé "registre des mandats transactions sur immeubles" (pièce 15) comportant le nom de mandants, leur adresse, la date du mandat, la nature et l'adresse des biens et la nature du mandat (simple, recherche ou exclusif), cependant, sur la photocopie produite, le nom de la SARL ABBC Conseil n'apparaît pas et les mandats eux-mêmes ne sont pas produits, ce document n'est donc pas authentifié;
Une attestation notariée dont il résulte que la société PH2J s'est engagée à régulariser des compromis de vente dans un ensemble immobilier sis <adresse> (pièce 14);
La société PH2J figurait dans la copie de l'extrait de registre produit comme ayant donné mandat exclusif de vendre des biens situés <adresse>;
Cependant, il ne résulte pas de l'examen détaillé des pièces produites que Monsieur X soit intervenu dans les transactions préalables ;
Ces deux pièces sont donc inopérantes à établir les actes de concurrence déloyale reprochés à l'appelant.
La SARL ABBC Conseil produit également une annonce de vente Internet passée par Monsieur X sur laquelle le nom et le numéro de téléphone portable de ce dernier sont mentionnés pour la vente d'un immeuble composé de 8 T3, 3 T2, 1 studio, 2 chambres de bonne, 11 places de parking, d'une surface habitable de 718 mètres carrés dont l'adresse n'est pas précisée situé dans le centre de Reims pour un prix de 990 000 euro; aucune référence à l'intimée ne figure sur cette annonce (pièce 12);
Aux termes de l'article L. 134-3 du Code de commerce, l'agent commercial peut accepter sans autorisation la représentation de nouveaux mandants. Toutefois, il ne peut accepter la représentation d'une entreprise concurrente de celle de l'un de ses mandants sans l'autorisation de ce dernier;
Même sans clause de non-concurrence, et en l'absence d'exclusivité, l'agent commercial est tenu de se comporter loyalement vis-à-vis de son mandant, l'article L. 134-4 du Code de commerce dispose que les rapports entre l'agent commercial et son mandataire sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information;
L'article 6 du contrat signé entre les parties mentionne que l'agent s'interdit toute concurrence directe ou indirecte envers la société pour les activités similaires et celles faisant l'objet du contrat et d'accepter de représenter une entreprise ayant la même activité que celle du mandant sauf accord exprès de ce dernier;
En l'espèce, l'annonce Internet produite ne comportait que les coordonnées de l'appelant et le contrat passé entre les parties précisait qu'il devait faire figurer sur tous les documents commerciaux sa qualité d'agent commercial et les références professionnelles légales de son mandant ; les annonces publicitaires de vente destinées aux tiers doivent être considérées comme tels ;
Ce document suffit en conséquence à établir que Monsieur X, qui ne justifie pas avoir informé son mandant ni avoir sollicité et obtenu son autorisation préalablement à la rédaction de cette annonce a manqué de loyauté envers lui;
Cet acte, justifie, par sa gravité, que soit prononcée la rupture judiciaire du contrat liant les parties;
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a ordonné la rupture judiciaire du contrat passé entre les parties.
Sur la demande de dommages intérêts de la SARL ABBC Conseil
Comme il est dit plus haut, la SARL ABBC Conseil ne justifie pas par les pièces produites que les transactions abouties sans son intermédiaire, dont elle soutient qu'elles portaient sur des biens qu'elle avait reçu mandat de vendre, ont été conclues par l'intermédiaire de Monsieur X, elle n'établit donc pas avoir subi un préjudice en lien direct avec le manque de loyauté de l'appelant; il convient donc de confirmer le jugement entrepris en ce qu'elle a été déboutée de sa demande de dommages intérêts.
Sur la demande en paiement de Monsieur X
L'appelant soutient que des commissions lui sont dues par l'intimée au titre :
- d'une transaction du 23 avril 2013 ayant abouti entre la SCI Chanpavie et la société PH2 pour un montant de 15 677,25 euro,
- de la transaction du 20 juin 2013 qui s'est concrétisée entre Madame A et Monsieur B pour la somme de 1 881,50 euro,
Soit, en tout, la somme de 17 588,75 euro,
C'est à celui qui invoque une prétention d'en apporter la preuve,
Monsieur X produit une proposition d'achat entre la SARL PH2 du 23 avril 2013 portant le timbre d'Immoreims, nom commercial de l'intimée, et un compromis de vente passé entre la SCI Chanpavie et la société PH2 pour un prix de 910 000 euro le 11 mai 2013, une facture a été adressée par l'appelant à l'intimée par LRAR du 2 août 2013;
Il produit également un compromis de vente passé entre Madame Nathalie A et Monsieur Julien B, portant le timbre d'Immoreims passé le 10 avril 2013 pour un montant de 90 500 euro et un mandat de vente sans exclusivité donné à Immoreims portant le nom de Monsieur X sous le timbre de l'agence et daté du 2 novembre 2012;
Monsieur Julien B a rédigé le 12 février 2014 une attestation précise et circonstanciée dans laquelle il certifie que Monsieur Eddie X l'a fait visiter le bien acheté dont il précise l'adresse à plusieurs reprises en mars et avril 2013, que Monsieur X a été son conseiller immobilier dans cette transaction et que le compromis a été signé avec lui dans les locaux de l'agence, il a précisé que l'intimé était présent lors de la signature de l'acte notarié le 20 juin 2013;
Madame A a également attesté le 13 février 2014 que Monsieur Eddie X a été son seul interlocuteur pour cette vente au sein de l'agence et son conseiller immobilier et que c'est avec lui qu'a été signé le mandat de vente et le compromis;
(Un formulaire d'attestation de Monsieur C figure au dossier avec la copie de sa carte d'identité mais aucune attestation n'y est jointe.);
Il apparaît au vu de ces pièces que Monsieur X est bien intervenu en sa qualité d'agent commercial pour le compte de l'intimée dans le cadre de cette vente qui a abouti, une commission lui est donc bien due à ce titre, qui n'est pas contestée dans son quantum;
En revanche, il n'est pas établi par les pièces produites que Monsieur X soit intervenu dans la transaction passée entre la SCI Chanpavie et la société PH2, il ne justifie donc pas suffisamment de son droit à commission sur cette vente et sera débouté de sa demande sur ce point;
Le Code de commerce ne subordonne pas l'application du statut des agents commerciaux à l'inscription sur le registre spécial, laquelle est une simple mesure de police professionnelle; la date de radiation de l'appelant de ce registre est donc sans incidence sur sa demande en paiement;
De plus, les transactions litigieuses ayant abouti peu de temps avant l'assignation délivrée à la requête de SARL ABBC Conseil, il n'apparaît pas anormal que l'appelant ait adressé les factures postérieurement à l'introduction de l'instance devant le tribunal;
En conséquence, la décision entreprise sera réformée en ce qu'il a rejeté la demande en paiement de Monsieur X, et statuant à nouveau, la SARL ABBC Conseil sera condamnée à régler à l'appelant la somme de 1 881,50 à titre de commission avec intérêts au taux légal à compter du jour de la mise en demeure de payer les factures adressées par l'agent à l'appelante par LRAR du 29 août 2013;
La décision de première instance sera confirmée en ce qu'elle a laissé la charge des dépens à Monsieur X qui succombe principalement et l'a condamné à régler à l'appelante une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en première instance ;
Chacune des parties succombant partiellement en appel conservera la charge de ses propres dépens et frais irrépétibles exposés en appel.
Les parties seront déboutées du surplus de leurs demandes.
Par ces motifs LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe, Vu le jugement rendu le 8 avril 2014 par le Tribunal de commerce de Reims, Infirme le jugement en ce qu'il a rejeté la demande en paiement formée par Monsieur Eddie X, Statuant à nouveau, Condamne la SARL ABBC Conseil à régler à Monsieur Eddie X la somme de 1 881,50 euro avec intérêts au taux légal à compter du 29 août 2013, Confirme le jugement pour le surplus, Dit que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens et frais irrépétibles exposés en appel, Déboute les parties du surplus de leurs demandes.