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Décisions

CA Orléans, ch. com., économique et financière, 3 mars 2016, n° 15-01485

ORLÉANS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Zareba

Défendeur :

Saulnier (ès qual.), Boska (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Raffejeaud

Conseillers :

Mme Hours, M. Monge

Avocats :

Mes Laval, Hermant, Cesareo, Peczynski

T. com. Orléans, du 23 oct. 2014

23 octobre 2014

En 2007 ou 2008, la société de droit français Boska a conclu avec Monsieur Zareba, entrepreneur individuel domicilié en Pologne, exerçant sous l'enseigne Gena, un contrat verbal d'agence commerciale pour la commercialisation de produits en cuir et fourrures fabriqués par Gena.

Le contrat s'est exécuté sans difficulté jusqu'au 1er février 2013, date à laquelle Monsieur Zareba a entendu modifier le montant des commissions dues à la société Boska.

C'est dans ces circonstances que celle-ci, qui se plaignait en outre de ne pas avoir reçu les nouveaux catalogues de produits, a considéré que Monsieur Zareba avait rompu unilatéralement le contrat et lui a réclamé, le 8 mars 2013, le paiement d'une indemnité compensatrice, avant de saisir, le 8 avril 2013, le Tribunal de commerce d'Orléans et d'être mise en liquidation judiciaire par jugement de ce même tribunal en date du 24 avril 2013.

Par jugement en date du 23 octobre 2014, le Tribunal de commerce d'Orléans, après s'être déclaré compétent pour juger le litige et dit que la loi française lui était applicable, a constaté la rupture abusive du contrat d'agence commerciale du fait et de la responsabilité de Monsieur Zareba et l'a condamné à payer à la société Boska une somme de 140 318,27 euro au titre d'indemnité de rupture abusive, celle de 14 982,50 euro au titre d'indemnité de préavis, celle de 3 002 euro au titre de factures impayées et celle de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Pour retenir sa compétence et appliquer la loi française, le tribunal a relevé que la société Boska avait son siège dans son ressort et que le contrat d'agence commerciale s'exécutait en France.

Pour considérer que la responsabilité de la rupture du contrat incombait à Monsieur Zareba, les premiers juges ont notamment retenu qu'il n'avait pas apporté toutes ses diligences pour permettre à son agent commercial de travailler efficacement, notamment au niveau des dates de délivrance des catalogues bien trop tardives ; que les paiements des commissions intervenaient avec beaucoup de retard ; que Monsieur Zareba avait pris l'initiative de baisser unilatéralement et de façon drastique les commissions ; que la société Boska avait certes accepté une baisse de ses commissions, mais sous certaines conditions que Monsieur Zareba n'avait pas respectées, et notamment le paiement des arriérés de commissions ; que la société Boska n'avait commis aucune faute et que notamment, le fait de s'être fait passer une fois pour directrice de Gena n'en était pas une.

Ils ont alors alloué à la société Boska une indemnité de rupture correspondant au montant des commissions de deux années calculées sur la moyenne des trois dernières années.

Ils lui ont encore octroyé une indemnité correspondant à trois mois de préavis et ont enfin constaté que le montant des factures impayées n'était pas contesté.

Monsieur Zareba a régulièrement interjeté appel de cette décision le 24 avril 2015.

Il a fait valoir que ce n'était pas un contrat, mais trois contrats qui avaient été conclus oralement, dont l'un pour la Scandinavie et l'autre pour la Suisse.

Il a demandé, s'agissant de ces deux contrats, le renvoi de l'affaire devant le tribunal polonais de Nowy Targ.

Il en a déduit que de l'assiette de l'indemnité, devaient être exclues les factures correspondant à ces deux contrats, de même que celles établies au nom du mandant allemand.

Il a ensuite soutenu qu'un accord était intervenu entre les parties quant au nouveau mode de calcul des commissions et qu'au 5 mars 2013, il avait réglé à la société Boska 91,34 % de ses commissions.

Estimant, dans ces conditions, que la rupture du contrat était intervenue à l'initiative de la société Boska, sans motif et sans préavis, il a demandé la fixation au passif de l'intimée de la somme de 35 477 euro à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi, de la somme de 10 561 euro au titre de l'indemnité compensatrice de préavis non effectué, de la somme de 383,13 euro au titre d'un solde dû et de la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il a, en outre, sollicité la restitution de ses meubles d'exposition.

À titre subsidiaire, il s'est opposé au versement d'une indemnité de rupture à raison des fautes graves que la société Boska avait commises, soit une activité de vente et de prospection insuffisante qui s'était traduite par une perte de chiffre d'affaires de 50 % sur le marché français entre 2011 et 2012, le non-respect des spécificités des commandes et l'absence de réponse aux réclamations des clients, un manquement au devoir de loyauté caractérisé par le fait de se présenter à plusieurs reprises comme directrice de Gena.

Il a enfin contesté avoir reconnu l'existence d'un solde dû à la société Boska, alors que celle-ci restait lui devoir une somme de 3 221,13 euro, tandis qu'il ne lui devait qu'une somme de 2 833 euro.

Maître Saulnier, ès qualités de liquidateur de la société Boska, s'est attaché à réfuter l'argumentation de l'appelant, pour conclure à la confirmation de la décision entreprise et solliciter une somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

SUR CE,

Sur la compétence et la loi applicable :

Attendu que, selon les articles 5-1-a du Règlement (CE) du Conseil n° 44-2001 du 22 décembre 2000 et de la Convention de Lugano du 30 octobre 2007, une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite dans un autre État membre, en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ;

Qu'il s'agit, en l'espèce, du lieu d'exécution du contrat d'agence commerciale ;

Qu'il est, de plus, de principe qu'en cas de fourniture de services dans plusieurs États membres, le tribunal compétent pour connaître de toutes les demandes fondées sur le contrat est celui dans le ressort duquel se trouve le lieu de la fourniture principale des services ;

Qu'en l'espèce, la société Boska, dont le siège social se situe à Jargeau (Loiret), exerçait principalement son mandat d'agent commercial en France et accessoirement en Scandinavie ou en Suisse ;

Que Monsieur Zareba, sur qui pèse la charge de la preuve, ne prouve pas qu'il existait trois contrats distincts pour chacun des pays ou groupe de pays concernés ;

Qu'il est encore indifférent que le mandant unique, Monsieur Zareba, personne physique domiciliée en Pologne, exerçât son activité sous couvert de deux entités, l'une en Pologne, l'autre en Allemagne ;

Que les premiers juges ont dès lors à bon droit retenu leur compétence pour connaître de l'entier litige ;

Et attendu que, selon l'article 4 b du Règlement (CE) n° 593-2008 du 17 juin 2008, à défaut de choix exercé conformément à l'article 3, le contrat de prestation de services est régi par la loi du pays dans lequel le prestataire de services a sa résidence habituelle ;

Que le prestataire étant ici la société Boska, c'est à bon droit que les premiers juges ont fait application de la loi française ;

Sur la responsabilité de la rupture :

Attendu que la société Boska a dénoncé le contrat le 8 mars 2013, au motif que, par e-mail en date du 1er février 2013, Monsieur Zareba avait unilatéralement modifié les conditions tarifaires du contrat " au prétendu motif d'une diminution de deux fois et demie du montant des ventes " ;

Attendu que les premiers juges ont exactement relevé que la société Boska n'a jamais accepté les nouvelles conditions tarifaires que Monsieur Zareba cherchait à lui imposer ;

Que s'il est exact que la société Boska a pu accepter de baisser ses taux de commissions sur certains produits et sous certaines conditions, notamment de règlement d'arriérés de commissions, il est de fait que son acceptation n'était pas générale et que les conditions posées n'ont pas été respectées, Monsieur Zareba se reconnaissant même toujours débiteur d'un solde de commissions de 2 833 euro ;

Que les premiers juges ont encore exactement considéré que Monsieur Zareba ne permettait pas à la société Boska d'exercer son mandat dans des conditions satisfaisantes, lorsqu'il lui adressait au mois de février seulement le catalogue de vêtements et accessoires d'hiver ;

Qu'ils ont dès lors à juste titre estimé que la cessation du contrat à l'initiative de l'agent était justifiée par des circonstances imputables au mandant ;

Sur le droit à une indemnité compensatrice :

Attendu qu'il résulte des dispositions des articles L. 134-12 et L. 134-13-1° du Code de commerce, qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi, à moins que la cessation du contrat ne soit provoquée par sa faute grave ;

Attendu que Monsieur Zareba reproche, en premier lieu, à la société Boska la baisse importante de son chiffre d'affaires en 2012 ;

Mais attendu qu'aucun objectif de ventes n'avait été fixé à la société Boska, que celle-ci explique sa baisse d'activité par une conjoncture difficile, sans être contredite, et qu'il n'apparaît, au demeurant, pas que Monsieur Zareba lui ait fait un quelconque reproche à ce sujet avant le 13 février 2013 ;

Attendu que Monsieur Zareba fait grief, en deuxième lieu, à la société Boska d'avoir cessé son activité le 3 février 2013 ;

Mais attendu que dès lors qu'il lui devait des sommes importantes, de l'ordre de plus de 30 000 euro, et entendait de plus réduire de façon importante le montant de ses commissions, la société Boska avait un motif légitime de suspendre l'exécution du mandat ;

Attendu que Monsieur Zareba dénonce, en troisième lieu, le manque de professionnalisme de la société Boska qu'il croit pouvoir démontrer par trois plaintes de clients ;

Mais attendu que les courriers de ces clients qui se plaignent essentiellement de ne pas toujours avoir de réponse à leurs mails, sont insuffisants pour caractériser la faute grave de la société Boska ;

Attendu qu'enfin, Monsieur Zareba dénonce le manque de loyauté de celle-ci, laquelle aurait tenté de lui faire concurrence en se présentant à la clientèle comme " directrice " de Gena ;

Mais attendu que, par une présentation certes maladroite d'elle-même auprès de la clientèle, la société Boska n'a jamais cherché à concurrencer Monsieur Zareba, n'ayant jamais caché aux clients que les produits qu'elle leur proposait étaient ceux d'une entreprise polonaise ;

Que c'est dès lors à bon droit que les premiers juges ont retenu que la société Boska n'avait pas commis de faute grave ;

Et attendu qu'ils ont exactement apprécié le montant de l'indemnité compensatrice à laquelle elle avait droit, à deux années de commissions calculées sur la moyenne des trois dernières années ;

Sur l'indemnité de préavis :

Attendu que les premiers juges ont encore énoncé à bon droit, au visa de l'article L. 134-11 du Code de commerce, que le contrat ayant été exécuté pendant plus de trois ans, la société Boska avait droit à un préavis de trois mois ;

Qu'ils ont exactement calculé le montant de l'indemnité sur les mêmes bases que l'indemnité compensatrice ;

Sur les factures de commissions :

Attendu qu'au vu des factures produites et des règlements dont il a été justifié, c'est bien une somme de 3 002 euro, et non pas de 2 833 euro comme indiqué par l'appelant, qui est due ;

Sur les demandes reconventionnelles de Monsieur Zareba :

Attendu que de ce qui précède, il résulte que les demandes de Monsieur Zareba ne sont pas fondées, à l'exception peut-être de sa demande d'un solde de 388,13 euro et de sa demande de restitution de meubles d'exposition ;

Mais attendu que la créance dont Monsieur Zareba demande la compensation avec celle de la société Boska est soumise à déclaration au passif de la liquidation judiciaire de celle-ci ;

Qu'il n'apparaît pas que Monsieur Zareba ait procédé à une telle déclaration ;

Que, de même, la restitution de meubles dont il se prétend propriétaire est soumise aux dispositions des articles L. 624-9 et suivants et R. 624-13 et suivants du Code de commerce auxquelles il lui appartient de se conformer ;

Que ses demandes sont donc irrecevables ;

Sur l'article 700 et les dépens :

Attendu que Monsieur Zareba qui succombe en son appel, paiera une somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et supportera les dépens ;

Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris, sauf à préciser que les condamnations prononcées le sont au profit de Maître Saulnier, ès qualités de liquidateur de la société Boska, Y ajoutant, Déclare irrecevables les demandes reconventionnelles de Monsieur Zdzislaw Zareba, le Condamne à payer à Maître Saulnier ès qualités une somme de trois mille (3 000) euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, le Condamne aux dépens, et accorde à Maître Caillaud, avocat, le bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile.