CA Paris, Pôle 2 ch. 2, 27 février 2015, n° 12-19315
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Medical Insurance Company Limited (Sté)
Défendeur :
Générali Assurances Iard (SA), CPAM des Alpes Maritimes, Mutuelle Swisslife (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Vidal
Conseillers :
Mmes Richard, Chesnot
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES:
Le docteur Jean-Louis S., chirurgien plasticien, a été consulté par Mme Ewelina B. à plusieurs reprises courant 1998 pour un rajeunissement du visage et a préconisé le 30 août 1999 une injection de Dermalive, produit non résorbable, fabriqué par la société Dermatech et mis sur le marché en octobre 1998. Il a pratiqué deux injections de ce produit le 3 septembre 1999 dans l'ourlet des lèvres blanches et le 1er février 2000 dans les sillons nasogéniens. Une première manifestation inflammatoire s'est déclarée en juillet 2001 au niveau du côté interne de la commissure labiale gauche et sous l'œil gauche puis en janvier 2002 et en février 2002, ces poussées inflammatoires étant traitées par injections de Diprostène et devant la persistance des nodules par différents traitements anti tumoraux et anti inflammatoires nécessitant un grand nombre d'injections jusqu'en janvier 2005.
Le docteur A. désigné par ordonnance de référé en date du 28 juin 2006 en qualité d'expert au contradictoire de la société Dermatech en liquidation judiciaire et de son assureur, la société Generali Iard, s'est adjoint un sapiteur psychiatre en la personne du docteur G. et a conclu le 7 juillet 2009 que les nodules inflammatoires dont souffrait Mme B. étaient en rapport direct et certain avec les injections de Dermalive, produit fabriqué par la société Dermatech, injections pratiquées par le docteur S. auquel les opérations d'expertise ont été déclarées communes par ordonnance en date du 20 juin 2007.
M et Mme B. ont recherché la responsabilité du docteur S. ainsi que la garantie de la Cie Generali, assureur de la société Dermatech, en raison du caractère défectueux du produit et le docteur S. a appelé en garantie son assureur au moment des faits la Cie Chartis laquelle a appelé en intervention forcée la Cie Mic Ltd, actuel assureur du chirurgien.
Par jugement en date du 24 septembre 2012 le Tribunal de grande instance de Paris a mis hors de cause la Cie Chartis, retenu la responsabilité de la société Dermatech sur le fondement de l'article 1386-4 du Code civil au motif que la présentation du produit Dermalive dans la brochure publicitaire et dans la notice d'utilisation alors en vigueur ne faisait pas état de la gravité du risque de complications lié à la présence dans ce produit de matières non résorbables, gravité qui ne pouvait être perçue par son utilisateur et que l'objectif attendu d'amélioration esthétique n'avait pas été atteint. Il a également retenu un défaut d'information à l'encontre du docteur S. qui a choisi d'injecter un produit commercialisé depuis peu sans avertir sa patiente de sa nature et sans la prévenir de l'absence de recul quant aux effets secondaires même théoriques susceptibles d'en résulter. Il a condamné le docteur S. et l'assureur de la société Dermalive in solidum partageant la responsabilité entre le praticien et la société Dermalive par moitié. Il a évalué le déficit fonctionnel permanent de 7 % à la somme de 7 000 euro, les souffrances endurées de 5-7 à 25 000 euro, le préjudice d'agrément important à 30 000 euro, le préjudice esthétique permanent de 4-7 à 25 000 euro, le préjudice sexuel à 10 000 euro rejetant les demandes de Mme B. au titre du préjudice d'angoisse et du préjudice moral ainsi qu'au titre de l'incidence professionnelle. Il a alloué à M B. la somme de 10 000 euro en réparation de son préjudice sexuel et a rejeté la demande présentée par M B. au titre de la réparation de son préjudice moral.
Le docteur S. et la MIC Ltd son assureur ont interjeté appel de cette décision le 26 octobre 2012 et dans leurs conclusions signifiées le 6 mai 2013 ils demandent à la cour d'infirmer le jugement, de débouter la Cie Generali de sa demande de contre-expertise, de dire et juger que la responsabilité du docteur S. ne peut être engagée en raison du caractère défectueux du produit et en l'absence de faute de sa part, d'infirmer le jugement qui a retenu sa responsabilité pour défaut d'information, subsidiairement de fixer à 10 % le taux de perte de chance imputable à un défaut d'information, de débouter la société Generali de sa demande tendant à voir opposer la franchise, de confirmer le jugement qui a débouté Mme B. de ses demandes au titre de l'incidence professionnelle et du préjudice d'angoisse, de le confirmer également en ce qu'il a débouté M B. de sa demande au titre du préjudice moral, de l'infirmer sur le montant de l'indemnisation octroyée au titre du déficit fonctionnel permanent, du préjudice esthétique, du préjudice d'agrément, des souffrances endurées et du préjudice sexuel, et de ramener ces indemnisations à de plus justes proportions.
Ils soutiennent que :
- l'expertise dont la régularité ne peut être remise en cause comme l' a retenu le jugement a mis en lumière la responsabilité du produit Dermalive, défectueux au sens de l'article 1386-4 du Code civil ainsi que l'absence de faute du docteur S. dans l'administration du produit, aucune preuve d'une injection fautive au niveau des lèvres rouges n'étant rapportée et l'expert n'émettant aucun doute sur le site des injections étant précisé que la présence de granulomes au niveau des lèvres rouges s'explique par le phénomène de migration des nodules inflammatoires ;
- aucune faute n'a été davantage démontrée dans le traitement des complications,
- il contestent le défaut d'information retenu par le tribunal au motif que ne pouvant ignorer le risque potentiel de ce produit le docteur S. n'en a pas informé sa patiente, alors que la notice d'information en vigueur du 16 juillet 1999 ne faisait pas état de la possible apparition de granulomes au titre des effets secondaires, de tels risques étant alors présentés comme théoriques et que le praticien n'était donc pas en mesure d'en informer Mme B. à laquelle il a délivré une information loyale, claire et appropriée sur les risques fréquents ou graves normalement prévisibles alors répertoriés et dont le risque d'apparition irréversible de granulomes ne faisait pas partie, aucun cas clinique n'étant alors répertorié ;
- la plaquette d'information remise à Mme B. mentionnait contrairement à ce qu'elle prétend le caractère permanent du produit injecté puisqu'il était précisé : " chaque injection contient 40 % environ de particules d'hydrogel qui sont maintenues définitivement dans le derme " ; et la patiente qui recherchait un résultat durable contrairement au Restylane, produit résorbable, a été informée du recours à un produit de comblement des rides à effet durable ;
- subsidiairement, seule une indemnisation au titre d'une perte de chance d'échapper au risque exceptionnel et imprévisible qui s'est réalisé peut être retenue et il convient de l'évaluer à 10% en considérant que Mme B. n'aurait sans doute pas renoncé à ces injections.
Dans ses conclusions notifiées le 21 mai 2014 et contenant appel incident la Cie Generali Iard demande à la cour à titre principal de :
- Constater que le concluant n'était pas l'assureur de la Société Dermatech au moment des injections, et que l'assuré était informé des réclamations antérieurement à la souscription de sa police ; que la garantie du concluant ne saurait être utilement recherchée, et en conséquence, ordonner la mise hors de cause de la Compagnie Generali Iard et débouter les demandeurs de leurs demandes en tant que dirigées à son encontre ;
A titre subsidiaire :
- Constater que la validité des opérations d'expertise est contestée, l'Expert ayant mené de front, et dans le cadre de réunions séparées, la mission qui lui avait été confiée, l'Expert n'ayant aucunement tenu compte des trois dires adressés par le concluant, ces dires n'étant ni cités, ni mentionnés et n'obtenant aucune réponse dans le rapport déposé, que la question capitale du lieu de l'injection, quoique expressément portée à la connaissance de l'Expert n'a pas été correctement traitée, En conséquence, prononcer la nullité de l'expertise réalisée par le Docteur A., et ordonner une contre-expertise ;
En tout état de cause :
- Constater l'absence de responsabilité de la Société Dermatech, En conséquence, débouter Madame B. de l'ensemble de ses demandes, fins et provisions, débouter pour les mêmes motifs Monsieur B. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- Débouter le Docteur S. de sa demande de garantie, en ce qu'elle n'est ni justifiée ni fondée ;
Très subsidiairement, confirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu la responsabilité du Docteur S. pour manquement à son devoir d'information ;
Réformer le jugement sur le quantum de responsabilité retenu et dire que la Compagnie Generali Iard assureur de la société Dermatech au titre de sa garantie, ne saurait être tenu à la réparation de plus de 10 % des dommages subis ;
A titre infiniment subsidiaire :
Ramener les sommes allouées à Monsieur et Madame B. à de plus justes proportions, appliquer à la demande de garantie formulée à l'encontre de la Compagnie Generali la franchise de 10 000 euro prévue par le contrat n° AA810379 ;
Condamner tout succombant à payer à la concluante une somme de 3 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Gilles C. sur le fondement de l'article 699 du Code de procédure civile.
Elle soutient que :
- elle n'était pas l'assureur au moment des injections et les complications liées au caractère défectueux du produit étaient connues par l'assuré avant la souscription du contrat de sorte qu'elle doit être mise hors de cause,
- les opérations d'expertise ne se sont pas déroulées dans le respect du contradictoire et il n'a pas été tenu compte des dires adressés à l'expert qui n'y a pas répondu notamment quant au site des injections pratiquées par le docteur S.,
- le produit injecté à Mme B. n'est pas défectueux au sens des articles 1386-1 et suivants du Code civil, l'information donnée par la société Dermatech dans sa notice était conforme aux données acquises de la science au moment de la mise en circulation du produit,
-l'apparition de granulomes inflammatoires n'est pas due à un défaut de fabrication du produit injecté, s'agissant d'une réaction tissulaire de rejet, ce qui constitue non pas un défaut de fabrication mais un effet secondaire, de sorte que la responsabilité du fabricant ne peut être recherchée qu'au titre d'un éventuel défaut d'information sur les dits effets secondaires,
- à l'époque de l'injection, le risque n'était signalé que comme une possibilité théorique car les premières complications ne sont survenues de manière significative qu'au début de l'année 2000, ce qui a entraîné la modification de la notice d'utilisation en mai 2000,
- l'information donnée par le fabricant en juillet 1999 sur les effets secondaires du Dermalive était conforme aux risques connus au moment de l'introduction du médicament et aux données acquises de la science au moment des injections, comme le requiert l'article 1386-11-4 du Code civil,
-l'injection dans le rouge de la lèvre était contre indiqué, et le docteur S. pour pallier les effets dommageables du Dermalive a procédé à un trop grand nombre d'injections de corticoïdes,
- l'expert a souligné la légèreté du chirurgien qui n'a donné aucune information à sa patiente sur la nature, la qualité, voire le nom du produit injecté et qui a choisi d'injecter un produit non résorbable dont il n'ignorait ni le caractère permanent ni la possibilité théorique d'apparition de granulomes,
- subsidiairement, il convient de réduire la responsabilité du fait du produit défectueux à 10% ainsi que les préjudices alloués.
Dans leurs conclusions signifiées le 10 juin 2014 et contenant appel incident M et Mme B. demandent à la cour de confirmer le jugement qui a rejeté la contre-expertise sollicitée et au visa des dispositions de l'article L. 124-3 du Code des assurances, 1386-1 et suivants du Code civil, 1147 du Code civil, 35 du Code de déontologie médicale,
A titre principal :
Sur la responsabilité de la société Dermatech et la garantie de la compagnie Generali Assurances Iard :
- Constater que les préjudices subis par Madame B. sont la conséquence directe et certaine des injections de Dermalive, fabriqué par la SARL Dermatech,
- Constater que le produit Dermalive n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et qu'il est, à ce titre, défectueux,
- Constater le lien de causalité direct et certain entre le défaut du produit Dermalive et les préjudices subis par Madame B., confirmer que la société Dermatech est entièrement responsable des préjudices subis par Madame B. ainsi que l'obligation de garantie de la société Generali Assurances Iard envers la société Dermatech,
- Dire et juger que Madame et Monsieur B. disposent d'un droit d'action directe à l'encontre de la société Generali Assurances Iard, compagnie d'assurance de la société Dermatech,
Sur la responsabilité du Docteur S. :
- Constater que l'obligation d'information due à Madame B. par le Docteur S. n'a pas été respectée,
- Dire et juger que les injections n'ont pas été réalisées dans les règles de l'art, confirmer le jugement en ce qu'il a retenu la responsabilité entière du Docteur S. des préjudices subis par Madame et Monsieur B. en raison de son manquement au devoir d'information et infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté l'existence d'une faute à l'encontre du Docteur S., confirmer le jugement en ce qu'il a condamné in solidum le Docteur S. et la compagnie Generali Assurances Iard à indemniser Madame et Monsieur B. des préjudices subis,
Sur le montant des indemnités octroyées :
- Confirmer le jugement sur les montants des dommages alloués à Madame B. au titre des dépenses de santé et du préjudice sexuel et à Monsieur B. au titre du préjudice sexuel,
- Infirmer le jugement sur les montants des dommages alloués au titre des autres préjudices subis par Madame et Monsieur B. et octroyer les sommes suivantes :
La somme de 15 000 euro à Madame B. au titre de l'incidence professionnelle, avec intérêts au taux légal à compter du jour du jugement,
La somme de 7 400 euro à Madame B. au titre du déficit fonctionnel permanent, avec intérêts au taux légal à compter du jour du jugement,
La somme de 40 000 euro à Madame B. au titre des souffrances endurées, avec intérêts au taux légal à compter du jour du jugement,
La somme de 50 000 euro à Madame B. au titre du préjudice d'agrément, avec intérêts au taux légal à compter du jour du jugement,
La somme de 40 000 euro à Madame B. au titre du préjudice esthétique, avec intérêts au taux légal à compter du jour du jugement,
La somme de 10 000 euro à Madame B. au titre du préjudice d'angoisse, avec intérêts au taux légal à compter du jour du jugement
La somme de 20 000 euro à Monsieur B. au titre de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter du jour du jugement,
- Confirmer le jugement sur les montants alloués à Madame et Monsieur B. au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Rejeter la demande de prise en compte de la franchise opposée par la société Generali Assurances Iard,
A titre subsidiaire, si par extraordinaire, la Cour d'Appel devait fixer à un taux de perte de chance imputable au défaut d'information du Docteur S. inférieur à 100 % :
- Constater que le Docteur S. est responsable à hauteur de ce taux de perte de chance des préjudices subis par Madame et Monsieur B., Constater que la société Generali Assurances Iard est entièrement responsable des préjudices subis par Madame et Monsieur B.,
- En conséquence, condamner le Docteur S. à indemniser Madame et Monsieur B. à hauteur de ce pourcentage établi de leurs préjudices subis et condamner la société Generali Assurances Iard à indemniser Madame et Monsieur B. des montants non-indemnisés par le Docteur S. de leurs préjudices subis,
En tout état de cause :
- Condamner in solidum le Docteur S. et la société Generali Assurances Iard au paiement de 10 000 euro à Madame B. au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamner in solidum le Docteur S. et la société Generali Assurances Iard au paiement de 5 000 euro à Monsieur B. au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamner in solidum le Docteur S. et la société Generali Assurances Iard aux entiers dépens.
Ils soutiennent que:
- Sur la responsabilité du docteur S.:
Le docteur S. n'a délivré à Mme B. aucune information sur le produit injecté dont elle ignorait le nom ainsi que le caractère non résorbable contrairement au Restylane de sorte qu'elle n'a pas compris l'aspect définitif de l'injection entreprise, non plus que la possibilité d'effets secondaires,
- il ne l'a pas davantage informée sur les risques particuliers liés à cette injection et notamment sur le risque de granulomes, certes théorique, mais cependant mentionné dans la notice et suffisamment grave pour être indiqué par le praticien,
- le docteur S. qui avait assuré deux formations sur le produit connaissait parfaitement les risques liés à l'utilisation du Dermalive,
- à l'origine de son entier préjudice le manquement du docteur S. à ses obligations ne peut être limité à la seule réparation d'une perte de chance car si elle avait eu connaissance de la vraie nature du produit Dermalive elle n'aurait pas accepté les injections d'un tel produit,
- le docteur S. a également commis une faute en injectant le Dermalive sur les lèvres rouges en totale contre-indication avec la notice d'utilisation et sans qu'on puisse retenir l'hypothèse d'une migration du produit car le Dermalive ne migre pas,
- la prise en charge des complications est également fautive car de trop nombreuses injections de corticoïdes ont eu lieu sur le même site et sans aucune efficacité,
Sur le produit défectueux:
- pour être défectueux le produit ne doit pas offrir la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, ce qui résulte de l'insuffisance de l'information alors délivrée dans la notice puisqu'il n'est fait mention que du risque théorique de granulome ce qui était manifestement insuffisant eu égard à la gravité des effets nocifs constatés et compte tenu du risque de complication majeure et nullement théorique présenté par l'apparition de nombreux cas de granulomes, et ce alors que le résultat escompté à visée purement esthétique n'était certainement pas l'apparition de granulomes disgracieux,
- en sa qualité d'assureur de la société Dermatech et sur le fondement de l'action directe de la victime à l'encontre de l'assureur du responsable du dommage, la société Generali doit être condamnée à réparer le préjudice résultant du caractère défectueux du produit Dermalive injecté et à l'origine des dommages subis consistant en l'apparition de nodules inflammatoires (Granulomes) irréversibles,
- les préjudices alloués par le tribunal sont insuffisants dans leur quantum.
La Mutuelle Swisslife, assignée à personne habilitée n'a pas constitué avocat non plus que la CPAM des Alpes Maritimes.
MOTIFS DE LA DECISION:
Sur la mise hors de cause de la société Generali :
Considérant que si le contrat d'assurance a été souscrit par la société Dermatech auprès de la société Generali postérieurement aux injections de Dermalive réalisées par le docteur S. le 3 septembre 1999 et le 1er février 2000, soit le 6 juillet 2004 à effet au 11 mars 2004, aucun élément du dossier ne permet de considérer que les complications présentées par Mme B. constituaient, antérieurement à la prise d'effet du contrat d'assurance, un sinistre connu de l'assuré au sens des dispositions de l'article L. 251-2 du Code des assurances comme l'a justement retenu le tribunal ;
Qu'il n'y a donc pas lieu de prononcer la mise hors de cause de la société Generali, assureur de la société Dermalive au moment de la réclamation de Mme B. en avril 2006 ;
Sur l'expertise :
Considérant que la société Generali conteste la validité des opérations d'expertise et sollicite une contre-expertise aux motifs que l'expert n'aurait pas respecté le principe du contradictoire et n'aurait pas tenu compte des dires par elle adressés ;
que le tribunal a justement retenu que le principe du contradictoire avait été respecté dès lors qu'une réunion d'expertise en date du 5 février 2009 a permis à l'ensemble des parties de discuter l'intégralité des opérations d'expertise et que l'expert dans un additif à son rapport d'expertise en date du 21 juillet 2009 a annexé le dire de Maître C. en date du 10 avril 2009, dire qui reprenait les observations précédentes des dires des 26 septembre 2007 et 13 décembre 2007 auxquels il a été répondu dans le corps et les conclusions de son rapport puisque l'expert a examiné les actes pratiqués par le docteur S. ;
Que la cour relève qu'il ne peut être reproché à l'expert de ne pas s'être précisément attaché à la question du site opératoire dès lors que sa mission ne comprenait pas l'examen des fautes éventuelles du praticien auxquelles les opérations d'expertise ont été déclarées communes sans extension de la mission relative à la recherche de la responsabilité du docteur S. ;
Que la demande de contre-expertise sera rejetée ;
Sur les responsabilités :
Considérant qu'en application des dispositions des articles 1386-1 et suivants du Code civil, un produit doit être considéré comme défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre compte tenu notamment de sa présentation, de l'usage qui pouvait en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation, le seul fait que le produit soit intervenu dans la réalisation du dommage ne suffisant pas à caractériser son défaut qu'il appartient au patient de démontrer ; que le producteur est responsable de plein droit du défaut du produit à moins qu'il ne prouve que l'état des connaissances scientifiques ne lui a pas permis de déceler l'existence du défaut ;
Considérant en l'espèce que le rapport du docteur A. a établi de façon indiscutable que les nodules inflammatoires ou granulomes qui sont apparus sur le visage de Mme Ewelina B. en juillet 2001 sont en rapport direct et certain avec les injections de Dermalive pratiquées par le docteur S. le 3 septembre 1999 et le 1er février 2000, ce que confirmera la biopsie réalisée le 14 septembre 2006, et qu'il s'agit de complications aujourd'hui parfaitement documentées en raison de cas semblables liés à l'injection de ce produit dont la gravité et le caractère non réversible des effets nocifs ont été démontrés ;
Que la notice d'utilisation du Dermalive datant de juillet 1999 et en vigueur au jour des deux injections spécifiait au titre des effets secondaires potentiels: des réactions inflammatoires, (rougeur, oedème), pouvant être associées à des démangeaisons et également que : " bien qu'aucun cas de granulome lié à l'utilisation de Dermalive n'ait été reporté, la possibilité théorique de survenance de ce type d'effet secondaire doit être prise en compte ",
Que le produit Dermalive était alors présenté dans la brochure publicitaire destinée au public comme : " le premier implant de longue durée sans risque d'allergie " et comme satisfaisant " à toutes les exigences de sécurité, de fiabilité et d'efficacité édictées par les normes européennes " ;
Que Mme B. est bien fondée en application des dispositions susvisées et comme l'a justement retenu le tribunal à se prévaloir des informations qui y sont renfermées pour démontrer le caractère défectueux du produit peu important à ce stade de savoir si la notice d'utilisation et la brochure publicitaire lui ont été remises ;
Que la cour rappelle que l'objectif attendu était purement esthétique et que comme l'a justement retenu le tribunal la présentation du Dermalive à la date de l'injection permettait à ses utilisateurs d'en attendre un effet d'amélioration esthétique sans risques réels d'effets secondaires graves puisqu'ils étaient présentés alors comme théoriques ;
Que l'état objectif des connaissances scientifiques au moment de la rédaction de la notice d'utilisation incriminée en juillet 1999 imposait à la société Dermatech de mentionner l'existence réelle de ce risque en ne le présentant pas uniquement comme théorique ;
Qu'en effet comme tous les produits non résorbables injectés dans la peau le Dermalive peut entraîner des réactions à type de granulomes inflammatoires retardés et la cour rappelle que la notice initiale d'utilisation du Dermalive a été modifiée en juillet 1999 aux fins de l'adapter aux déclarations de matériovigilance, puis à nouveau en mai 2000 ;
Qu'en conséquence la société Dermatech se devait d'attirer de façon claire et suffisante l'attention des utilisateurs sur l'existence de ce risque grave de granulomes par une information complète, spécifique et adaptée ; mais que la présentation du produit dans la brochure publicitaire qui ne faisait pas état du risque de granulome comme dans la notice d'utilisation en vigueur au jour des injections ne permettait pas d'appréhender la gravité du risque qui s'est réalisé ;
Que l'ensemble de ces éléments caractérise le caractère défectueux du produit Dermalive injecté à Mme B. le 3 septembre 1999 et le 1er février 2000 et en conséquence il convient de retenir la responsabilité de son producteur la société Dermatech comme la garantie de l'assureur de ce dernier la société Generali Iard ;
Considérant que le médecin est tenu contractuellement de dispenser à ses patients des soins attentifs, consciencieux et conformes aux données acquises de la science à la date de son intervention et que cette obligation qui n'est que de moyens concerne tant l'indication du traitement que sa réalisation et son suivi ;
que Mme B. reproche au docteur S. de lui avoir injecté du Dermalive dans la partie rouge de la lèvre au mépris des contre-indications de la notice d'utilisation et non dans l'ourlet de celle-ci ainsi qu'une mauvaise prise en charge des complications et du traitement des granulomes ;
que si l'expert n'a pas précisément examiné la question du site des injections la cour relève que dans leurs dires respectifs Mme B. (p15 du rapport) et le docteur S. (p 23 du rapport) ont déclaré de façon concordante que les deux injections avaient été réalisées dans l'ourlet de la lèvre ou lèvre blanche et dans les sillons nasogéniens, de sorte qu'il n'est pas démontré que le docteur S. a commis une faute dans la réalisation des injections en injectant le produit défectueux dans la lèvre rouge au mépris des indications contenues dans la notice d'utilisation ;
qu'en outre l'expertise n'a pas retenu le rôle causal des injections de corticoïdes (Diprostene) ou d'antimitotique (5 FU) dans l'apparition ou l'aggravation des granulomes et qu'au contraire l'expert indique que le docteur S. n'ayant pas d'autre choix pour traiter les complications survenues que de recourir à une thérapeutique injectable de corticoïdes ainsi que de produit antimitotique puissant le 5 FU sur les conseils d'un immunologiste, Mme B. a ainsi bénéficié d'un traitement collégial de ses complications dont le caractère approprié est démontré ;
Que les conclusions expertales ne permettent pas de retenir que les soins pratiqués par le docteur S. n'ont pas été attentifs, diligents et conformes aux données acquises de la science ;
Considérant que tout praticien est tenu tant en vertu du contrat qui le lie à son patient qu'en application des dispositions de l'article L. 1111-2 du Code de la santé publique d'un devoir de conseil et d'information laquelle doit porter de manière claire, loyale et adaptée sur les différents traitements qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences ainsi que sur les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent et sur les autres solutions possibles ; qu'il lui appartient de démontrer qu'il a délivré une telle information ;
Qu'il appartenait au docteur S., s'agissant de traitements à visée esthétique, d'informer sa patiente sur les différents produits pouvant être injectés en vue de combler les rides ainsi que sur tous les risques pouvant en résulter et notamment les risques connus d'intolérance communs à tous les produits non résorbables comme le Dermalive ;
Que cependant le docteur S. ne rapporte pas la preuve dont il a la charge de ce que ces informations ont été portées à la connaissance de Mme B. et en particulier comme l'a justement relevé le tribunal, qu'il a attiré son attention sur le caractère non résorbable du Dermalive que Mme B. indique lui avoir seulement été présenté comme un produit de longue durée ;
Que le docteur S. qui participait à la promotion du Dermalive ne pouvait, de par ses compétences, ignorer les risques particuliers présentés par tous les produits non résorbables et notamment le risque de nodule inflammatoire ;
Qu'en conséquence le docteur S. qui ne peut soutenir qu'il n'existait aucune différence en termes de risques entre le Restylane, produit résorbable et le Dermalive, n'a pas rempli son obligation d'information ;
Que le manquement du Docteur S. à son devoir d'information ainsi caractérisé est à l'origine d'une perte de chance pour Mme B. si elle avait été correctement informée des risques encourus et qui se sont réalisés de renoncer aux injections litigieuses à visée purement esthétique, perte de chance qui sera évaluée à 80 % des préjudices subis par Mme B. compte tenu de la gravité du risque et de l'existence d'autres traitements ;
Qu'il convient en conséquence de condamner in solidum la société Generali Iard assureur de la société Dermatech producteur du produit défectueux et le docteur S. à réparer les dommages subis sous réserve de l'application de la franchise opposable à la victime de 10 000 euro en ce qui concerne la société Generali Iard et dans la limite de 80 % des sommes allouées au titre de la perte de chance en ce qui concerne le docteur S. ;
Que dans leurs rapports entre eux et compte tenu de la part de responsabilité leur incombant dans la survenue du dommage la réparation des dommages sera partagée à proportion de 3/5ème pour la société Generali Iard et de 2/5ème pour le docteur S. ;
Considérant que la cour relève qu'aucune demande n'est formée à l'encontre de la société MIC Ltd et que dans son jugement le tribunal a retenu que le docteur S. se désistait de sa demande en garantie vis à vis de la Cie Mic Ltd ;
Sur les préjudices de Mme B.:
Considérant qu'au vu des conclusions expertales le préjudice corporel du fait des lésions nodulaires imputables à l'injection de Dermalive subi par Mme B., née le 16 novembre 1953, sera évalué comme suit à la date de consolidation qui peut être fixée au 5 février 2009:
Préjudices patrimoniaux:
- dépenses de santé : il convient de confirmer le jugement qui a accordé à Mme B. la somme de 415,46 euro de ce chef ;
- incidence professionnelle : devant la cour Mme B. ne justifie pas davantage que devant le tribunal de la perte de chance qu'elle invoque puisqu'elle ne verse aux débats aucune pièce relative à l'emploi de directrice commerciale d'une chaîne de télévision qu'elle aurait exercé avant les injections, étant précisé qu'elle a indiqué avoir perdu cet emploi du fait de la fermeture de la société de télévision, non plus que sur les recherches qu'elle aurait alors entreprises pour retrouver un emploi, et il convient de confirmer le jugement qui l'a déboutée de ce chef de demande ;
Préjudices extra patrimoniaux:
- déficit fonctionnel permanent partiel: de 7 % compte tenu des troubles permanents de la fonction buccale, et de l'âge de la victime à la date de consolidation, soit 54 ans: 7 400 euro ;
- souffrances endurées: de 5-7: tenant compte de la pénibilité des nodules qui s'enflamment régulièrement et des souffrances morales persistantes et relativement importantes décrites par le sapiteur le Dr G. qui parle d'une dysmorphophobie réactionnelle, ce préjudice qui inclut la réparation du préjudice moral et du préjudice d'angoisse sera valablement indemnisé par l'octroi de la somme de 25 000 euro ;
- préjudice esthétique permanent: évalué par l'expert à 4-7 il sera indemnisé en raison des lésions particulièrement visibles du fait de leur nombre et de leur importance sur le visage de Mme B. par l'octroi de la somme de 25 000 euro ;
- préjudice d'agrément : qualifié d'important par l'expert compte tenu de l'ampleur des conséquences des granulomes sur la vie sociale, culturelle et sportive de Mme B., ce préjudice sera justement réparé par l'octroi de la somme de 30 000 euro ;
- préjudice sexuel : c'est à juste titre que le tribunal a indemnisé ce chef de préjudice non évoqué par l'expert en retenant qu'il en était fait mention dans l'expertise amiable du docteur J. qui relève le retentissement tant physique que psychologique des complications subies par Mme B. sur ses rapports sexuels et il convient d'allouer à Mme B. la somme de 10 000 euro de ce chef ;
- préjudice d'angoisse :
Considérant que ce poste de préjudice a été indemnisé avant consolidation par les sommes allouées au titre des souffrances endurées qui tiennent compte également de la souffrance morale résultant pour Mme B. de l'atteinte physique ainsi portée et de ses conséquences psychologiques ; qu'il a également été indemnisé après consolidation par la somme allouée au titre du déficit fonctionnel permanent réévalué en cours d'expertise par le docteur A. ; que ces deux postes de préjudice prennent en compte l'angoisse ressentie par Mme B. et ses répercussions sur son état de santé psychique parfaitement décrites par le sapiteur psychiatre le docteur G. qui a examiné Mme B. ;
Que c'est donc à juste titre que le tribunal a débouté Mme B. de sa demande en réparation de ce poste de préjudice ;
Sur les préjudices de M B.:
Considérant que le préjudice moral subi par M B. du fait de l'importance des troubles ressentis par son épouse et de leur impact sur la vie du couple sera indemnisé par l'octroi de la somme de 8 000 euro et son préjudice sexuel résultant de l'impossibilité d'embrasser son épouse par la somme de 5 000 euro ;
Considérant qu'il convient de condamner in solidum la société Generali Iard assureur de la société Dermatech producteur du produit défectueux et le docteur S. à payer à Mme B. la somme de 97 815,46 euro et à M B. la somme de 13 000 euro sous réserve de l'application de la franchise opposable à la victime de 10 000 euro en ce qui concerne la société Generali Iard et dans la limite de 80 % des sommes allouées au titre de la perte de chance en ce qui concerne le docteur S. ;
Vu l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu l'article 696 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs, Statuant publiquement, par décision réputée contradictoire, Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a condamné le docteur S. in solidum avec la société Generali Assurances Iard à réparer l'intégralité du dommage et en ce qui concerne le quantum des sommes allouées à Mme et à M B., Statuant à nouveau de ces chefs, Condamne in solidum la société Generali Assurances Iard et le docteur Jean-Louis S., ce dernier dans la limite de 80 % des sommes allouées, à payer à Mme Ewelina B. la somme de 97 815,46 euro et à M Jean-Yves B. la somme de 13 000 euro en réparation de leur préjudice sous réserve de l'application de la franchise opposable à la victime de 10 000 euro en ce qui concerne la société Generali Iard, Dit que dans leurs rapports entre eux, la réparation des dommages subis par M et Mme B. sera partagée dans la proportion de 3-5ème pour la société Generali Assurances Iard et de 2-5ème pour le docteur S., Déboute les parties du surplus de leurs demandes, Condamne in solidum le docteur S. et la société Generali Assurances Iard à payer à Mme B. la somme de 6 000 euro et à M B. celle de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne in solidum le docteur S. et la société Generali Assurances Iard aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.