CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 10 mars 2016, n° 14-17726
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Transports Tendron (SAS)
Défendeur :
Comus (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dabosville
Conseillers :
Mme Schaller, M. Loos
Avocats :
Mes David, Reingewirtz, Resche
Faits et procédure
La société Comus SAS (ci-après " Comus ") est fabricant de peintures et vernis destinés à la construction et distribués sur le territoire français. La société Comus a fait appel à la société Transport Tendron (ci-après " Tendron "), entreprise de transport et de logistique, pour assurer le transport de ses marchandises depuis son siège social vers 11 départements français.
Le 25 octobre 2012, la société Comus a transmis à la société Tendron un appel d'offres et le cahier des charges correspondant pour mettre en concurrence des sociétés de transport de marchandises afin d'améliorer sa compétitivité et réduire ses frais de transport. La société Tendron a répondu à cet appel d'offre le 26 novembre 2012. Divers courriels ont été échangés entre Comus et Tendron courant décembre 2012 et janvier 2013.
Par lettre en date du 26 mars 2013, la société Comus a informé la société Tendron de ce qu'elle n'avait pas été retenue à l'issue de l'appel d'offres et que la cessation de leurs relations commerciales prendrait effet à compter du 29 mars 2013.
La société Tendron a fait assigner la société Comus devant le Tribunal de commerce de Paris par exploit en date du 27 septembre 2013 pour demander l'indemnisation de la rupture brutale de leurs relations commerciales.
Par jugement en date du 30 juin 2014, le Tribunal de commerce de Paris a :
- débouté la société Transports Tendron de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- condamné la société Transports Tendron à verser à la société Comus la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la société Transports Tendron aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquides à la somme de 82,44 euro dont 13,52 euro de TVA.
Vu l'appel interjeté par la société Transports Tendron le 21 août 2014 contre cette décision,
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Transports Tendron le 13 juillet 2015 par lesquelles il est demandé à la cour de :
- constater que la société Transports Tendron a exécuté des prestations de transport pour le compte de la société Comus durant 18 années ;
- constater que la société Transports Tendron a réalisé auprès de la société Comus un chiffre d'affaires annuel moyen de 111 299 euro hors taxes entre 2008 et 2012 ;
- constater que la société Transports Tendron a réalisé un taux de marge brute variant de 44 à 51 % entre 2010 et 2013 ;
- constater que, le 11 mars 2013, la société Comus a exigé de la société Transports Tendron qu'elle baisse ses prix de près de 39 % sous peine de voir les relations commerciales rompues ;
- constater que, par courrier du 26 mars 2013, reçu le 27, la société Comus a rompu les relations commerciales avec la société Transports Tendron avec effet au 29 mars 2013 ;
- constater que ces relations ont effectivement été rompues le 29 mars 2013 au soir.
En conséquence,
- infirmer le jugement du tribunal de commerce en date du 30 juin 2014 en toutes ses dispositions ;
- dire et juger que la société Comus a tenté d'obtenir, sous la menace d'une rupture brutale des relations commerciales établies, des conditions manifestement abusives concernant les prix pratiqués par la société Transports Tendron en violation de l'article L. 442-6, I, 4° du Code de commerce ;
- dire et juger que la société Comus a brutalement rompu les relations commerciales établies avec la société Transports Tendron en violation de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;
- condamner la société Comus à payer à la société Transports Tendron la somme de 10 000 euro, majorée des intérêts légaux capitalisés à compter de la date de délivrance de l'assignation devant le Tribunal de commerce de Paris, c'est-à-dire le 27 septembre 2013, afin de réparer les préjudices nés de la violation de l'article L. 442-6, I, 4° du Code de commerce ;
- condamner la société Comus à payer à la société Transports Tendron la somme de 43 000 euro, majorée des intérêts légaux capitalisés à compter du 14 mai 2013, au titre du préjudice résultant de la rupture brutale des relations commerciales établies.
En tout état de cause,
- condamner la société Comus à payer à la société Transports Tendron la somme de 6 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner la société Comus aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Comus le 16 septembre 2015 par lesquelles il est demandé à la cour de :
- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 30 juin 2014 en toutes ses dispositions ;
- dire et juger que la notification le 25 octobre 2012 du recours à la procédure d'appel d'offres par la société Comus à la société Transports Tendron a fait courir le délai de préavis ;
- dire et juger que la durée de 5 mois du préavis, qui s'est achevée le 29 mars 2013, est suffisante eu égard aux faits de l'espèce et à la jurisprudence applicable.
En conséquence,
- dire et juger que la société Comus n'a pas violé les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;
- débouter la société Transports Tendron de sa demande fondée sur la violation de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;
- dire et juger que le courriel considéré par la société Transports Tendron comme comportant des menaces de rupture abusive lui a été adressé postérieurement à la notification de la rupture des relations commerciales intervenue le 25 octobre 2012 à l'occasion de la notification de l'appel d'offres ;
- dire et juger que les conditions tarifaires dont fait état la société Comus dans ce courriel sont celles pratiquées par les concurrents directs de la société Transports Tendron pour des prestations identiques et ne sont dès lors pas " manifestement abusives " ;
- dire et juger que les dispositions de l'article L. 442-6, I, 4° du Code de commerce ne s'appliquent pas aux faits de l'espèce ;
- débouter la société Transports Tendron de sa demande fondée sur la violation de l'article L. 442-6, I, 4° du Code de commerce.
A titre subsidiaire,
- dire et juger que le taux de marge brute du secteur des transports routiers de marchandises doit être fixé à 17 % ;
- dire et juger que la durée de préavis de 5 mois respecté par la société Comus devra être déduite de la durée du préavis jugée raisonnable par le tribunal ;
- dire et juger que le préjudice allégué par la société Transports Tendron est inexistant ;
- dire et juger que le préjudice allégué par la société Transports Tendron est juridiquement mal fondé ;
En conséquence,
- rejeter la demande formée par la société Transports Tendron sur ce fondement ;
En tout état de cause,
- condamner la société Transports Tendron au paiement d'une indemnité de 6 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner la société Transports Tendron aux entiers dépens.
L'appelante, la société Tendron soutient que la société Comus a engagé sa responsabilité au titre de l'article L. 442-6, I, 4° du Code de commerce en tentant d'obtenir une baisse de prix significative sous la menace d'une rupture brutale des relations commerciales, que le courriel du 11 mars était une menace, faisant suite à un chantage par lequel Comus avait demandé à Tendron le 14 janvier 2013 de revoir son offre à la baisse de près de 39 %, ce qui revenait à fournir des services à perte, ce que Tendron ne pouvait que refuser, que la rupture du 26 mars 2013 était la suite de cette menace.
Elle soutient encore que la société Comus a violé l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce en ne notifiant pas avec un préavis suffisant la rupture de leurs relations commerciales, qu'un lancement d'appel d'offres ne peut constituer le point de départ du préavis s'il n'est pas notifié par écrit, que le préavis doit être dépourvu d'équivoque, que seule la lettre du 26 mars 2013 constitue la première notification claire de la décision de la société Comus de rompre les relations commerciales, la consultation de 25 octobre n'indiquant pas sans équivoque que Comus mettait fin aux relations commerciales avec Tendron, que la durée du préavis de 2 jours accordée est insuffisante et démontre le caractère brutal et abusif de la cessation des relations commerciales, qu'il n'est pas d'usage en matière de contrats de transport de marchandises de retenir un préavis de 3 mois, mais qu'il y a lieu de le fixer à 12 mois compte tenu de la durée des relations commerciales entre Tendron et Comus et de fixer l'indemnisation sur la base d'un taux de marge brute à 39 %.
L'intimée, la société Comus, soutient que l'appel d'offres notifié par écrit le 25 octobre 2012 a fait courir un délai de préavis suffisant et a suffisamment informé la société Tendron de son intention de cesser leurs relations commerciales. Subsidiairement, elle indique qu'il appartient à la société Tendron de justifier de l'étendue de son préjudice, ce qu'elle ne fait pas, que l'attestation de son expert-comptable n'est pas régulière et doit être écartée des débats, qu'en tout état de cause, ce document ne fournit aucune référence permettant de déterminer comment les calculs du taux de marge brute ont été réalisés, qu'il ne fournit pas le taux de marge brute globale de l'entreprise, mais seulement le taux de marge réalisée avec Comus, que le taux à retenir ne saurait excéder 17 %, au-delà des 5 mois de préavis déjà accordés.
Sur la violation de l'article L. 442-6, I, 4° du Code de commerce, la société Comus indique que la société Tendron ne rapporte pas la preuve des menaces alléguées, que les échanges qui ont eu lieu sont le fruit normal de négociations dans le cadre d'un appel d'offres, qu'il n'y a eu aucune menace par courriel du 11 mars 2013.
La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
Sur ce,
Considérant qu'aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (...) Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure " ;
Qu'il est constant que le préavis court à compter du jour où la partie manifeste à son cocontractant son intention de ne pas poursuivre les relations contractuelles dans les conditions antérieures en lui notifiant son recours à la procédure d'appel d'offres ;
Considérant qu'en l'espèce Comus qui travaillait avec trois prestataires de transport de marchandises dont Tendron, à un niveau régional, a souhaité recourir à une procédure d'appel d'offres afin d'envisager de ne travailler plus qu'avec un seul prestataire sur la France entière pour prendre en compte son flux global ;
Que par mail du 25 octobre 2012, Comus a transmis par écrit à Tendron les conditions de " l'appel d'offre transporteur ", avec le cahier des charges et en pièces jointes les fichiers excel détaillant l'ensemble des flux à prendre en compte, pour la France entière, en lui demandant de préciser sa position sur un certain nombre de points abordés déjà oralement, et notamment sur une proposition sur le flux global ;
Que par mail du 26 octobre 2012, Tendron a répondu à cet appel d'offre par écrit, joignant la réponse complète, intitulée " SEPV réponse A.O 23.11.12.pdf ", en précisant " en espérant que cette offre nous permettra de développer nos relations commerciales " ;
Qu'il résulte de cet échange que Comus a clairement notifié à Tendron son intention de ne pas poursuivre les relations contractuelles dans les conditions antérieures, en lui notifiant le cahier des charges de l'appel d'offres daté du 23 octobre 2012, et en la mettant en concurrence avec d'autres prestataires, et que Tendron a clairement répondu en manifestant sa connaissance de cet appel à la concurrence, et en transmettant sa proposition ;
Qu'à partir de ce moment, Tendron ne pouvait dès lors ignorer que si elle n'était pas retenue, les relations commerciales prendraient fin, ce d'autant que l'appel d'offres portait précisément sur l'attribution du marché à un seul prestataire qui couvrirait la France entière, mettant ainsi un terme à l'attribution du marché par régions ;
Que cette notification sans équivoque a fait courir le préavis exigé par l'article L. 442-6, I, 5° susrappelé, aux termes duquel l'auteur de la rupture doit respecter " la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels " ;
Qu'en notifiant à Tendron qu'elle n'était pas retenue au terme de la procédure d'appel d'offres lancée le 23 octobre 2012 et trouvant son issue par courrier du 26 mars 2013, soit 5 mois après avoir pris connaissance du début du préavis, Comus a respecté une durée de préavis qui est compatible avec la durée des relations commerciales établies entre les deux sociétés, compte tenu des usages dans le secteur d'activité des transports de marchandises et de l'absence de dépendance économique alléguée de Tendron vis-à-vis de Comus ;
Que c'est dès lors à juste titre que le tribunal a, par motifs que la cour adopte, notamment sur l'appréciation de la durée du préavis, débouté la société Tendron de sa demande visant à être indemnisée d'une rupture brutale de la relation entretenue avec Comus ;
Considérant qu'en ce qui concerne la demande fondée sur la rupture abusive, il ne peut être retenu l'existence d'une menace de rupture à la date du 11 mars 2013, soit peu de temps avant la fin de la procédure d'appel d'offres, qui ouvrirait droit à indemnisation par application de l'article L. 442-6, I, 4° du Code de commerce ;
Qu'en effet, quand bien même il est établi que Comus a demandé à Tendron par ce courriel de baisser ses tarifs de façon drastique, cette demande était liée au fait que la proposition de Tendron était beaucoup trop haute par rapport à ses concurrents et que si elle voulait avoir encore une dernière chance de pouvoir être retenue, il fallait qu'elle baisse ses tarifs, ce qui ne peut être interprété comme une menace, mais bien plutôt un argument de plus et une dernière chance de rester en lice ;
Que le jugement déféré sera là aussi confirmé dans toutes ses dispositions ;
Qu'il y a lieu d'allouer une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.
Par ces motifs, Confirme le jugement en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Condamne la société Tendron à payer à la société Comus la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette le surplus des demandes, Condamne la société Tendron aux dépens.