CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 11 mars 2016, n° 14-21201
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Le Dunc, JCLD Print (SARL)
Défendeur :
Lapeyre (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Birolleau
Conseillers :
Mmes Lis Schaal, Nicoletis
Avocats :
Mes Montacie, Bourayne, Guerre, Charot
M. Jean-Claude Le Dunc, typographe, a été embauché en 1969 par la société UCI, imprimeur, qui avait pour seul client la société Lapeyre, dont elle éditait le catalogue. M. Le Dunc a acheté les parts de cette société en 1972 et en a pris la direction.
Le 1er janvier 1997, la société Lapeyre a signé avec la SA UCI un contrat, qui précisait en son article 11 qu'il était " conclu intuitu personae, en considération expresse de la qualité de dirigeant de la société UCI de M. Le Dunc. Dans l'hypothèse où M. Le Dunc serait amené à perdre cette qualité, le contrat pourrait être résilié sans préavis ni indemnité par la société Lapeyre, sauf dans l'hypothèse où M. Le Dunc resterait maître d'œuvre des activités Lapeyre ".
Cette même année, la société Mundocom, filiale du groupe Publicis, a racheté la société UCI, engagé M. Le Dunc en qualité de directeur général adjoint et repris les contrats et commandes de la société Lapeyre.
Après avoir diffusé un appel d'offres en juillet 2006, la société Lapeyre a confié la réalisation de ses catalogues et plubi-promotions à la société Come Back Graphic Associés.
Le 16 juillet 2007, à la demande de la société Lapeyre, la société Come Back Graphic Associés a conclu un contrat d'assistance technique avec la société JCLD Print, créée par M. Le Dunc, qui avait quitté la société Mundocom quelques mois auparavant, portant sur le suivi de la fabrication des catalogues Lapeyre. Ce contrat, qui prenait effet rétroactivement au 1er juin 2007, mentionnait 'La société Lapeyre (ci-après le " Client Final ") a confié à Come Back la mission d'exécuter l'ensemble des travaux techniques de la phase pré-presse de son édition publicitaire pour la France, la Belgique, la Suisse et les Dom-Tom ainsi que celle d'assurer la coordination et le suivi de la production post-presse de ses catalogues.
Eu égard toutefois tant par la technicité qu'à l'ampleur géographique des prestations post-presse de ses catalogues, le Client Final a demandé à Come Back d'avoir recours, pour l'exécution de sa mission de suivi, au service du Prestataire (la société JCLD Print), ce dernier justifiant d'une connaissance particulièrement aiguë des productions Lapeyre pour les avoir suivi pendant de nombreuses années dans le cadre de ses attributions au sein de la société Mundocom (groupe Publicis). Come Back s'est donc rapproché du Prestataire afin que celui-ci lui apporte son concours et l'assiste dans la sélection de prestataires post-presse (achat papier/impression) ainsi que dans la coordination et le suivi de la fabrication par ces derniers des catalogues France, Belgique, Suisse, réunion et Antilles du Client Final.
Par courrier du 30 juin 2009, la société Lapeyre a notifié à la société Come Back Graphic Associés la fin de leur collaboration, " compte tenu du contexte économique de crise que nous vivons actuellement et de la situation actuelle de l'entreprise ", avec un préavis expirant le 31 octobre 2009 pour les opérations de pré et post-presse pour la partie catalogue et le 31 décembre 2009 pour les opérations de pré-presse concernant la partie publi-promotionnelle.
Par courriel du 9 octobre 2009, M. Le Dunc a contesté cette rupture, en faisant valoir qu'il travaillait sur le catalogue Lapeyre depuis 40 ans et que la société JCLD Print, n'avait été créée que pour favoriser la poursuite de cette mission.
Par courriel du 23 octobre 2009, la société Lapeyre a répondu qu'il n'existait plus aucun lien avec la société de M. Le Dunc depuis de nombreuses années.
Par acte du 6 avril 2010, la société JCLD Print et M. Le Dunc ont assigné la société Lapeyre devant le Tribunal de commerce de Paris en paiement de dommages-intérêts pour rupture d'une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.
Par jugement du 28 septembre 2011, le tribunal de commerce a rejeté leurs demandes, en retenant que la société Lapeyre n'était liée par des relations commerciales établies ni avec M. Le Dunc, ni avec la société JCLD Print.
Sur appel de M. Le Dunc et de la société JCLD Print, la Cour d'appel de Paris a, par arrêt du 26 avril 2013, confirmé le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes de la société JCLD Print, mais l'a infirmé pour le surplus, en décidant que M. Le Dunc avait entretenu une relation commerciale établie avec la société Lapeyre depuis 1969, estimant que "l'article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce n'exige pas qu'il existe un lien direct entre le commerçant à l'origine de la rupture et l'agent économique qui s'en prétend victime". La cour a condamné la société Lapeyre à payer à M. Le Dunc une somme de 40 000 euro à titre de de dommages-intérêts pour préjudice moral.
Sur pourvoi de la société Lapeyre, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a, par arrêt du 7 octobre 2014, cassé en toutes ses dispositions l'arrêt d'appel, pour violation de la loi et renvoyé l'affaire devant la Cour d'appel de Paris autrement composée.
Sur le moyen unique, pris en sa 1re branche, du pourvoi principal, qui reprochait à l'arrêt d'appel d'avoir dit que la société Lapeyre avait engagé sa responsabilité pour rupture brutale des relations établies avec M. Le Dunc, la Cour de cassation a jugé " qu'une relation commerciale établie s'entend d'échanges commerciaux conclus directement entre les parties ".
La Cour de cassation a également décidé que la cassation sur le moyen unique du pourvoi principal entraîne par voie de conséquence la cassation sur le moyen unique du pourvoi incident, qui reprochait à l'arrêt d'appel d'avoir dit qu'il n'existait pas de relations commerciales établies entre les sociétés Lapeyre et JCLD Print.
La société JCLD Print et M. Le Dunc ont saisi la Cour d'appel de Paris, par déclaration du 20 octobre 2014.
Vu les dernières conclusions, notifiées et déposées le 7 mai 2015, par lesquelles la société JCLD Print et de M. Le Dunc demandent à la cour de :
Au visa des articles L. 442-6 I 5° du Code de commerce et 1382 du Code civil,
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 26 septembre 2011 par le Tribunal de commerce de Paris,
- condamner la société Lapeyre à verser à la société JCLD Print la somme de 232 240 euro en réparation du préjudice ayant résulté pour cette dernière de la rupture des relations commerciales assorties d'un préavis insuffisant, soit 192 240 euro au titre de préjudice financier et 40 000 euro au titre de son préjudice moral,
- condamner la société Lapeyre à verser à M. Le Dunc la somme de 40 000 euro en réparation du préjudice moral par ricochet qu'il a subi du fait de la rupture brutale.
- condamner la société Lapeyre à payer à la société JCLD Print et à M. Le Dunc une somme de 15 000 euro chacun, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens dont distraction au profit de la SCP Huvelin et Associes, Avocats à la Cour.
La société JCLD Print et M. Le Dunc exposent que la Cour de Cassation a jugé que seule la société JCLD Print serait susceptible de se prévaloir d'une relation commerciale établie avec la société Lapeyre, laquelle aurait dû respecter un préavis de rupture de 48 mois, que M. Le Dunc est pour sa part fondé à obtenir l'indemnisation de son préjudice subi par ricochet, du fait de cette rupture brutale. Subsidiairement, que si les critères posés par l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ne sont pas remplis la victime conserve la possibilité d'invoquer les dispositions de l'article 1382 du Code civil.
Vu les dernières conclusions, déposées et notifiées le 24 novembre 2015, par lesquelles la société Lapeyre demande à la cour de :
Vu les articles 32 et 564 du Code de procédure civile,
Vu l'article 1382 du Code civil,
Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,
- confirmer dans toutes ses dispositions le jugement rendu le 26 septembre 2011 par la 13e chambre du Tribunal de commerce de Paris (RG n° 2010027095), sauf en ce qu'il a cantonné la condamnation des appelants au
titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile à la somme de 10 000 euro,
Et ainsi,
1/ A titre principal,
- dire et juger que la société Lapeyre n'a pas été liée par des relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6, I, 5° avec les appelants,
- dire et juger que la société Lapeyre n'a commis aucune faute au sens de l'article 1382 du Code civil à l'égard des appelants,
- dire et juger que la société Lapeyre n'était donc tenue à aucune obligation et en particulier aucun préavis à leur égard,
En conséquence,
- dire et juger la société JCLD Print et M. Jean-Claude Le Dunc irrecevables et, à tout le moins, mal fondés en l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions, et les en débouter,
2/ A titre subsidiaire, pour le cas où la cour jugerait qu'il existait une relation commerciale établie entre les sociétés Lapeyre et JCLD Print,
- dire et juger que le préavis ne saurait être supérieur à 3 mois, compte tenu de l'ancienneté de la "relation",
- cantonner le préjudice à une somme ne pouvant excéder 1 622 euro,
3/ En toute hypothèse,
- dire et juger que M. Jean-Claude Le Dunc ne rapporte pas la preuve de la faute qu'aurait commis la société Lapeyre à son égard, ni du préjudice personnel qu'il prétend subir,
En conséquence,
- dire et juger M. Jean-Claude Le Dunc mal fondé en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, et l'en débouter,
4/ En toute hypothèse également, et ajoutant en cela au jugement entrepris,
- condamner la société JCLD Print et M. Jean-Claude Le Dunc in solidum à payer à la société Lapeyre la somme de 25 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société JCLD Print et M. Jean-Claude Le Dunc aux entiers dépens.
La société Lapeyre expose qu'elle n'a pas été liée par des relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce avec la société JCLD Print et M. Le Dunc.
Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.
Motifs de la décision
Sur les relations entre la société Lapeyre et la société JCLD Print
Considérant que M. Le Dunc et la société JCLD Print exposent que l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce consacre l'existence d'une relation commerciale en dehors même de tout cadre contractuel et s'applique même lorsque une société a été interposée entre l'auteur et la victime de la rupture et a procédé à une facturation intermédiaire, dès lors que cette interposition résulte d'une demande du client et n'a pas affecté les échanges commerciaux qui se sont effectivement noués entre les entités à chaque bout de la chaîne ; que tel est le cas en l'espèce, l'interposition de la société Come Back Graphic a été imaginée par la société Lapeyre uniquement parce que, au cours de l'année 2006, cette dernière a voulu regrouper au sein d'une même agence de production l'ensemble de ces opérations pré-presse et post-presse et se séparer de la société Mundocom ;
Qu'en imposant la société JCLD Print à la société Come Back Graphic, la société Lapeyre a entendu se situer dans la continuation des relations existantes depuis 1969 avec la société Mundocom, qui était elle-même venue aux droits de la société UCI, soit une ancienneté de 40 ans ; que la relation entretenue avec la société Lapeyre depuis 40 ans était suivie, stable, habituelle et sa continuité pour l'avenir était très probable et éventuellement transmissible ;
Que, à titre subsidiaire, la société JCLD Print peut rechercher, sur le fondement des dispositions de l'article 1382 du Code civil, la responsabilité délictuelle de la société Lapeyre qui a rompu la relation commerciale avec déloyauté et avec une légèreté blâmable ;
Considérant que la société Lapeyre expose que la demande de la société JCLD Print en paiement de dommages et intérêts sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce est irrecevable en application des dispositions de l'article 32 du Code de procédure civile, faute de droit d'agir, les parties n'étant pas liées par des relations commerciales établies ;
Que la société JCLD Print était en relation d'affaires avec la société Come Back depuis 2007, sans jamais avoir eu elle-même de relations commerciales avec la société Lapeyre, et n'a pu générer aucun chiffre d'affaires avec elle mais seulement avec la société Come Back Graphic ; que le projet de contrat du 16 juillet 2007 traduit parfaitement la façon dont était conçue la relation entre les différents intervenants, la société JCLD Print intervenait pour effectuer un certain nombre de prestations techniques relatives au suivi de la fabrication des catalogues Lapeyre, en qualité de prestataire de la société Come Back Graphic et était rémunérée par celle-ci pour ses prestations ;
Qu'en l'absence d'un contrat entre la société JCLD Print et la société Lapeyre comme d'une relation commerciale directe entre les deux sociétés, il est impossible de prétendre à l'existence d'une relation commerciale établie au sens des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce; que la société Lapeyre n'ayant commis aucune faute à l'égard de la société Come Back Graphic, sa responsabilité ne peut pas être recherchée sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ;
Qu'une relation nouvelle s'est nouée avec la société Come Back Graphic, sans transmission des contrats antérieurs et indépendamment de toute reprise d'engagements passés ; que les droits et obligations de la société JCLD Print n'étaient pas les mêmes que ceux de la société UCI, aucun des appelants n'ayant repris les obligations de celle-ci, la société JCLD Print est intervenue dans le cadre d'un nouveau rapport d'obligations né entre elle et la société Come Back Graphic ; que la relation commerciale née entre les sociétés Lapeyre et Come Back Graphic n'est pas la continuation d'un contrat préexistant avec un tiers mais bien une relation commerciale nouvelle créée avec le partenaire sélectionné à l'issue d'une procédure d'appel d'offres ;
Que la société JCLD Print ne peut se prévaloir de 40 années de relations commerciales établies mais tout au plus de 2 années, puisque c'est seulement depuis juin 2007 que cette société est intervenue sur les catalogues Lapeyre dans le cadre du suivi de la fabrication, mais en exécution des demandes qui lui étaient adressées par la société Come Back Graphic, dont elle était le prestataire et le partenaire contractuel ;
Mais considérant que les dispositions de l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce ont vocation à s'appliquer lorsqu'il existe une relation commerciale, qui s'entend d'échanges commerciaux conclus directement entre les parties, revêtant un caractère suivi, stable et habituel, laissant raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux ; que les dispositions de l'article précité sont applicables même en présence d'un simple courant d'affaires non formalisé par un contrat ou d'une succession de contrats initialement noués avec un tiers dès lors que la relation a été poursuivie par l'auteur de la rupture ;
Considérant que, comme l'atteste M. Christophe Demont, directeur de la production et de la fabrication de la société Lapeyre, cette dernière, qui souhaitait que M. Le Dunc continue à superviser la production de ses catalogues nonobstant le contrat signé avec la société Come Back Graphic, a demandé à M. Le Dunc de créer une société pour pouvoir facturer ses honoraires ; que la société JCLD Print a été créée à la demande de la société Lapeyre afin de sécuriser la production de ses catalogues ; que si la société Lapeyre n'a pris d'engagement contractuel qu'avec la société Come Back Graphic, cependant il résulte du préambule du contrat d'assistance technique conclu entre les sociétés JCLD Print et Come Back Graphic que c'est à la demande de la société Lapeyre, que la société Come Back Graphic a sous-traité les prestations post-presse des catalogues Lapeyre à la société JCLD Print, en raison de sa " connaissance particulièrement aiguë des productions Lapeyre pour les avoir suivi pendant de nombreuses années dans le cadre de ses attributions au sein de la société Mundocom " ; que, même si le contrat d'assistance technique versé aux débats n'est pas signé, il est constant que la société JCLD Print était le sous-traitant de la société Come Back Graphic et que cette organisation a été mise en place d'un commun accord entre les sociétés Lapeyre, Come Back Graphic et JCLD Print, comme en atteste le courriel de la société Lapeyre du 25 avril 2007 ;
Considérant qu'il résulte des courriers adressés par la société JCLD Print à la société Lapeyre, sur la période du 13 juin 2007 au 11 juin 2009, que la société JCLD Print a assuré la réalisation des catalogues Lapeyre, a rendu compte de l'exécution de ses prestations et a fait connaître à la société Lapeyre ses besoins pour la fabrication des catalogues ; que M. Claude Leguille, président de la société Come Back Graphic atteste qu'il était convenu avec la société Lapeyre que même si la société Come Back Graphic avait été sélectionnée pour l'ensemble des prestations pré-presse et post-presse, " ...ce serait M. Le Dunc, d'une façon ou d'une autre, qui assurerait les prestations post-presse. Pour les prestations que Jean-Claude Le Dunc assurait, les échanges se faisaient directement entre JCLD et Lapeyre, Come Back n'assurant que le transit des flux financiers " ; que la société JCLD Print démontre qu'elle établissait ses courriers de commande, signés par M. Le Dunc, sur papier à en-tête de la société Lapeyre ; qu'il en résulte que les échanges commerciaux entre la société Lapeyre et la société JCLD Print étaient directs, la société Come Back Graphic assurant uniquement la facturation entre la société Lapeyre et la société JCLD Print ;
Considérant que, nonobstant le montage voulu par la société Lapeyre afin que la société JCLD Print apparaisse comme étant un sous-traitant de la société Come Back Graphic, il est établi que les sociétés Lapeyre et JCLD Print étaient des partenaires commerciaux et ont entretenu, de juin 2007 à juin 2009, des échanges commerciaux directs caractérisant une relation commerciale au sens des dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, qui est une notion plus économique que juridique ;
Considérant qu'il est démontré que la société JCLD Print a été créée, à la demande de la société Lapeyre, afin de continuer à confier à M. Le Dunc la réalisation de ses catalogues ; que les sociétés JCLD Print et Lapeyre ont été en relation d'affaires directe, de juin 2007 à juin 2009, en vue de la réalisation des catalogues de la société Lapeyre, prestation identique à celle confiée aux sociétés UCI puis Mundocom, dont M. Le Dunc était le dirigeant, comme cela résulte notamment du contrat conclu avec la société UCI et de l'attestation de M. François Michaut, ancien secrétaire général des menuiseries Lapeyre ; que la relation commerciale établie avec la société JCLD Print a été la poursuite de la relation initialement nouée avec la société UCI, puis avec la société Mundocom, qui a repris le contrat conclu entre la société UCI et la société Lapeyre, en considération de la personne de M. Le Dunc ; qu'il résulte des pièces produites par la société JCLD Print que les parties ont entendu se situer dans la continuation de la relation initialement nouée en 1969 avec la société UCI, reprise en 1997 par la société Mundocom, peu important que la société JCLD Print ne soit pas l'ayant droit des sociétés UCI ou Mundocom, ou qu'elle n'ait pas repris les droits et obligations de ces sociétés ;
Considérant que la relation existant entre les sociétés Lapeyre et JCLD Print s'inscrivait dans une relation suivie, stable et continue établie depuis 1969, dont, compte tenu notamment de cette ancienneté, la société JCLD Print pouvait raisonnablement anticiper pour l'avenir la continuation, même en cas de rupture du contrat existant entre la société Lapeyre et la société Come Back Graphic ; qu'en conséquence, la demande de la société JCLD Print, qui a qualité à agir sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, est recevable ; que la société Lapeyre qui a informé la société JCLD Print de la fin de leur relation commerciale par un appel téléphonique, le 9 octobre 2009, n'a accordé à sa partenaire commerciale aucun préavis écrit, en violation des dispositions du texte précité ;
Sur le préavis et le préjudice de la société JCLD Print
Considérant que la société JCLD Print expose que la société Lapeyre s'étant contentée d'appeler la société JCLD Print au téléphone, le 9 octobre 2009, pour lui annoncer la fin de leur collaboration, la société JCLD Print n'a bénéficié d'aucun préavis, alors qu'elle peut se prévaloir d'une relation commerciale établie de 40 ans, qu'elle était en état de dépendance économique vis-à-vis de la société Lapeyre, puisque le chiffre d'affaires réalisé avec cette dernière représentait, entre 2007 et 2009, entre 50 et 75 % de son chiffre d'affaire total ; que la pérennité de son activité, compte tenu que les 2/3 de son activité étaient consacrés à la société Lapeyre, a été remise en cause par la rupture brutale ; qu'en conséquence, elle aurait dû bénéficier d'un préavis de 48 mois ;
Que quel que soit le fondement retenu, l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce ou 1382 du Code civil, la société Lapeyre doit être condamnée à lui verser en réparation de ses gains manqués du fait de la rupture brutale la somme de 192 240 euro, ainsi que celle de 40 000 euro au titre du préjudice moral subi du fait des circonstances vexatoires de la rupture et de la perte d'image qui a nécessairement résulté de la perte brutale de ce client, soit la somme totale de 232 240 euro à titre de dommages et intérêts ;
Considérant que la société Lapeyre répond que si l'existence d'une relation commerciale établie devait être retenue entre les sociétés Lapeyre et JCLD Print, ces dernières n'ayant pu être que de deux années environ, dès lors la société JCLD Print n'aurait dû bénéficier que d'un préavis de 3 mois ; que la société Lapeyre ayant donné à la société Come Back Graphic le 30 juin 2009 un délai de 4 mois de préavis pour toutes les opérations de pré-presse et post-presse pour la partie catalogue et de 6 mois pour toutes les opérations de pré-presse concernant la partie publi-promotionnelle et la société JCLD Print s'étant engagée avec la société Come Back Graphic en considération de la durée du contrat entre Come Back Graphic et la société Lapeyre, JCLD Print a "par ricochet" nécessairement bénéficié d'un préavis largement suffisant au regard de la jurisprudence ;
Que le préjudice subi ne saurait être réparé par l'attribution d'une somme équivalente à la perte de chiffre d'affaires, mais uniquement à la marge brute pendant la période de préavis non respecté ; que le chiffre d'affaires pertinent réalisé par la société JCLD Print s'élève à 108 134 euro sur deux ans et demi, soit une moyenne de 43 254 euro par an ; que faute d'élément fourni par les appelants sur ce point, une marge brute moyenne de 15 % pourrait être retenue, de sorte que le préjudice réel de la société JCLD Print s'élèverait à 43 254 euro x 15 % x (3/12) = 1 622 euro ; que la demande complémentaire formée par la société JCLD Print à hauteur de 40 000 euro au titre du préjudice moral n'est pas motivée ;
Que la société Lapeyre ne saurait être responsable de la défaillance de la société Come Back Graphic s'agissant de l'obligation qui lui était faite de notifier un préavis écrit à son cocontractant, dès lors qu'elle-même avait été avertie, avec un préavis suffisant, par la société Lapeyre du terme mis à leur relation, et qu'il lui appartenait de permettre à son partenaire contractuel de réorienter son activité pendant le cours du préavis qu'elle devait lui donner ;
Mais considérant qu'il résulte de l'article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce que seuls sont indemnisables les préjudices découlant de la brutalité de la rupture et non de la rupture elle-même ; qu'en cas de rupture d'une relation commerciale établie, le préavis suffisant s'apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances, notamment de l'état de dépendance économique de l'entreprise évincée, au moment de la notification de la rupture, et en cas d'insuffisance du préavis, le préjudice en résultant est évalué en fonction de la durée du préavis jugée nécessaire ; que l'état de dépendance économique se définit comme l'impossibilité, pour une entreprise, de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu'elle a nouées avec une autre entreprise ;
Considérant que la société JCLD Print, qui intervient dans le domaine de l'imprimerie et notamment dans la réalisation de catalogues de vente et qui réalisait plus du tiers de son chiffre d'affaires avec d'autres clients que la société Lapeyre ne rapporte pas la preuve de l'état de dépendance économique qu'elle invoque ; que compte tenu de l'ancienneté des relations commerciales et des circonstances au moment de la rupture, il incombait à la société Lapeyre, qui entretenait des échanges commerciaux directs avec la société JCLD Print, de lui notifier un préavis écrit de 12 mois afin de lui permettre de se réorganiser ;
Considérant que la société JCLD Print, sur laquelle pèse la charge de la preuve du préjudice qu'elle invoque, verse aux débats ses comptes annuels pour les années 2007, 2008 et 2009 ; qu'il apparaît que sur l'année 2008 son chiffre d'affaires était de 75 584 euro et le résultat de 17 080 euro ; que sur l'année 2009, au cours de laquelle est intervenue la rupture, le chiffre d'affaires était de 84 728 euro et le résultat de 21 439 euro ; que ces chiffres ne permettent pas de connaître précisément la part d'activité réalisée avec la société Lapeyre, d'autant que la société JCLD Print, qui devait, en application du contrat d'assistance technique, facturer ses prestations destinées à la société Lapeyre à la société Come Back Graphic, ne produit pas ces facturations ; que toutefois il n'est pas contesté que près des 2/3 de l'activité de la société JCLD Print était réalisée avec la société Lapeyre ;
Considérant que l'attestation du comptable de la société JCLD Print faisant état d'un taux de marge nette de 100 % au motif que "l'activité de la société représentant des prestations de service dans lesquelles intervient uniquement des réflexions intellectuelles" et assimilant chiffre d'affaires et résultat d'exploitation est dépourvue de tout caractère probant dès lors que les entreprises de services supportent des charges pour réaliser leurs prestations, ne fussent que les salaires du personnel ; que la marge brute peut être fixée à 30 % au vu des comptes produits ; que la société JCLD Print peut prétendre à la réparation du préjudice résultant de la perte de marge brute subie sur les commandes de la société Lapeyre durant le préavis non exécuté, soit une somme de 15 000 euro ;
Considérant que la société JCLD Print qui ne rapporte pas la preuve du préjudice moral et du préjudice moral qu'elle invoque doit être déboutée de sa demande à ce titre ;
Sur le préjudice de M. Le Dunc
Considérant que M. Le Dunc expose qu'il a, à titre personnel, très mal vécu cette éviction, quelques semaines seulement après avoir fêté avec toute l'équipe dirigeante de la société Lapeyre, leur " 40 ans de vie commune " ; que les fournisseurs de catalogues se sont étonnés de ne plus le voir sur la réalisation de ceux-ci et ont soupçonné que des faits graves lui étant imputables soient à l'origine de cette décision de rupture de la société Lapeyre ; qu'il a subi un préjudice moral par ricochet, distinct de celui subi par la société JCLD Print, du fait des circonstances vexatoires de la rupture et de l'historique de sa relation personnelle avec la société Lapeyre, pour lequel il demande la condamnation de la société Lapeyre à lui verser la somme de 40 000 euro à titre de dommages et intérêts en application de l'article 1382 du Code civil ;
Considérant que la société Lapeyre répond, d'une part, que l'indemnisation d'un préjudice moral par ricochet suppose par principe la reconnaissance d'une faute de sa part, ce qui n'est pas le cas en l'espèce et, d'autre part, que M. Le Dunc se contente d'affirmations sans preuves sur les conclusions que le " milieu " de l'édition pourrait tirer du fait que la société JCLD Print n'intervient plus désormais sur les catalogues Lapeyre, alors même que la société Lapeyre ne travaillait pas directement avec la société JCLD Print, et qu'elle ne l'a donc pas évincé ; que M. Le Dunc, qui ne justifie ni de la légitimité des motifs dont il se prévaut, ni de la pertinence du quantum sollicité, doit être débouté de sa demande ;
Mais considérant qu'un tiers peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, la rupture brutale d'une relation commerciale dès lors que ce manquement lui a causé un préjudice ;
Considérant qu'il est établi que la société Lapeyre a rompu sans préavis sa relation commerciale établie avec la société JCLD Print ; que cette société a été créée pour que M. Le Dunc continue, comme il l'a fait depuis 1969, à réaliser les catalogues Lapeyre ; que la rupture brutale de cette relation marquée par l'intuitu personae, M. Le Dunc étant connu comme étant le maître d'œuvre des catalogues Lapeyre depuis 40 ans et les conditions dans lesquelles a eu lieu la rupture ont entraîné un préjudice moral pour M. Le Dunc, qui sera réparé par l'attribution d'une somme de 10 000 euro ;
Par ces motifs, Infirme le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 26 septembre 2011. Et statuant de nouveau, Dit que la SA Lapeyre a été liée par des relations commerciales établies, au sens de l'article L. 442-6,I, 5° du Code de commerce, avec la SARL JCLD Print, Condamne la SA Lapeyre à verser à la SARL JCLD Print la somme de 15 000 euro en réparation du préjudice résultant de la rupture brutale des relations commerciales, Condamne la SA Lapeyre à verser à M. Jean-Claude Le Dunc la somme de 10 000 euro en réparation du préjudice moral subi du fait de cette rupture brutale, Condamne la SA Lapeyre à verser à la SARL JCLD Print et à M. Le Dunc la somme de 5 000 euro chacun sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute les parties de leurs autres demandes, Condamne la SA Lapeyre aux dépens de première instance et d'appel, qui pourrons être recouvrés en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.