Livv
Décisions

Cass. crim., 8 mars 2016, n° 14-88.347

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin

Rapporteur :

Mme Farrenq-Nési

Avocat général :

Mme Caby

Avocats :

SCP Boré, Salve de Bruneton, SCP Waquet, Farge, Hazan

Bordeaux, ch. corr., du 18 nov. 2014

18 novembre 2014

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par M. Aïssa X, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Bordeaux, chambre correctionnelle, en date du 18 novembre 2014, qui, pour abus de faiblesse et infractions à la législation sur le démarchage à domicile, l'a condamné à quatre mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve, 5 000 euro d'amende, deux ans d'interdiction professionnelle, et a prononcé sur les intérêts civils ; - Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. X, qui a exercé, de 2010 à 2013, sur l'ensemble du territoire métropolitain, une activité de vente de vins par démarchage des clients à partir de fichiers achetés, livraison et facturation à domicile, a été poursuivi pour abus de faiblesse à l'encontre de victimes âgées et pour certaines, atteintes de la maladie d'Alzheimer ou de sénilité et infractions à la législation sur le démarchage à domicile ; que le tribunal correctionnel l'a déclaré coupable des délits poursuivis, à l'exception de l'infraction de livraison avant le délai de rétractation de sept jours ; que M. X a interjeté appel de cette décision ;

En cet état ; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 122-8, L. 122-9 du Code de la consommation, 111-4 et 121-3 du Code pénal, articles 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et 7 de la Convention européenne des droits de l'Homme, articles préliminaire et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. X coupable du délit d'abus de faiblesse ou de l'état d'ignorance de personnes démarchées ;

"aux motifs que si des appels téléphoniques ne sont pas contestés, en revanche aucun élément de la procédure ne permet de contrôler la réalité la nature de la composition du démarchage téléphonique des clients invoqué, par rapport à une information et une proposition commerciales et juridiques, un contrat de vente par démarchage à distance, un accord, une marchandise, un prix, des droits dont une rétractation ; qu'ainsi les documents déposés ne font pas mention d'un démarchage téléphonique ni d'un accord préalables, et ne précisent pas la nature de l'accord lors de la livraison, les factures étant de plus rarement signées par les clients et les bons de livraison étant absents ; qu'en l'absence de preuve de ces éléments préalables à la vente, d'un accord même verbal, d'une commande préalable, d'un contrat d'achat matérialisé notamment par la signature de la facture, le démarchage à distance invoqué n'est pas établi, et toute vente par un professionnel à domicile des clients répond alors au condition du démarchage à domicile, dont en ce qui concerne le dépôt d'une marchandise, la remise d'un paiement, le droit de réflexion ou de rétractation ; qu'alors que le professionnel vendant à domicile a tout loisir de constater qu'il s'adresse à des personnes âgées, seules, malades, ne sachant plus compter suffisamment ni comprendre un document, n'étant donc pas en mesure d'apprécier la portée de leur engagement, de déceler les ruses ou artifices déployés pour les convaincre, et n'ayant pas d'évidence le besoin de vins en ces quantités et prix sans rapport avec leurs situation besoins et possibilités ; que M. X reconnaissait durant l'enquête comme devant la cour que la majorité des livraisons avaient lieu chez des personnes âgées, choisies en fonction de ce critère lors de l'achat de fichiers clients, et que les prix pouvaient être très élevés puisqu'ils étaient libres ; que c'est sur cette base d'absence de preuve d'un démarchage téléphonique et d'un accord éclairé préalable, et de non-respect de la législation concernant l'exécution de prestations auprès, notamment, de dix-neuf victimes, l'obtention de contreparties auprès notamment de dix-neuf victimes, avant la fin du délai de réflexion ou de rétractation, du non-respect du droit à la renonciation auprès notamment de quatre victimes, de l'absence de mention du délai de rétractation dans le contrat que prend place l'abus de faiblesse ; que si l'abus de faiblesse réprimé par le Code pénal impose notamment la preuve de l'abus frauduleux, de la particulière vulnérabilité, de la faiblesse apparente ou connue, de l'acte ou abstention gravement préjudiciable, il n'en est pas de même dans le cadre du Code de la consommation pour lequel la faiblesse ou l'ignorance se mesure par rapport à l'appréciation de la portée des engagements, des ruses ou artifices déployés pour convaincre les clients, à la contrainte à laquelle ils sont soumis dans le cadre de pratiques commerciales ;

1°) alors que la simple constatation de l'état de faiblesse apparent du consommateur ne suffit pas à caractériser l'intention délictuelle de commettre un abus de cet état ; qu'en affirmant la réunion des éléments constitutifs de l'infraction d'abus de faiblesse du consommateur sans constater l'intention délictuelle du prévenu, la cour d'appel a privé sa décision de base légale et violé l'article 121-3 du Code pénal ;

2°) alors que la cour d'appel a déduit de l'absence de preuve du démarchage téléphonique la certitude d'un démarchage à domicile ; qu'en se prononçant ainsi par des motifs insuffisants, contradictoires et hypothétiques qui n'établissent pas la réalité du démarchage à domicile, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

3°) alors que le principe de légalité des délits, qui impose une interprétation stricte de la loi pénale, s'oppose à ce que la cour d'appel affirme l'existence de l'infraction en omettant d'envisager l'un de ses éléments constitutifs ; qu'en retenant l'existence de l'infraction d'abus de faiblesse d'un consommateur, en omettant d'envisager les " visites à domicile " dans leur caractère pluriel, la cour a violé les textes susvisés et privé sa décision de base légale " ;

Attendu que, pour déclarer M. X coupable du délit d'abus de faiblesse, l'arrêt retient qu'aucun élément de la procédure ne permet de contrôler la réalité, la nature, la teneur du démarchage téléphonique invoqué par le prévenu, qu'en l'absence de ces éléments préalables à la vente le démarchage à distance n'est pas établi et que toute vente par un professionnel au domicile des clients répond alors aux conditions du démarchage à domicile ; que M. X a eu tout loisir de constater qu'il s'adressait à des personnes âgées, seules, malades, ne sachant plus compter suffisamment ni comprendre un document, n'étant donc pas en mesure d'apprécier la portée de leurs engagements, de déceler les ruses ou artifices déployés pour les convaincre, et n'ayant pas d'évidence le besoin de vins en ces quantités et prix sans rapport avec leurs situation, besoins et possibilités ; que les juges caractérisent ces circonstances pour chacune des victimes visées dans la prévention et ajoutent que M. X a reconnu, durant l'enquête comme devant la cour, que la majorité des livraisons avaient lieu chez des personnes âgées, choisies en fonction de ce critère lors de l'achat des fichiers et que les prix pouvaient être très élevés puisqu'ils étaient libres ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors qu'il ne résulte pas des termes de l'article L. 122-8 du Code de la consommation que plusieurs visites au domicile d'une même personne soient nécessaires pour constituer le délit d'abus de faiblesse, la cour d'appel, qui a caractérisé cette infraction dans tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, a justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 121-21, L. 121-23, L. 121-24, L. 121-25, L. 121-26 et L. 121-28 anciens du Code de la consommation, 111-4 du Code pénal, article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et 7 de la Convention européenne des droits de l'Homme, article 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. X coupable des délits : - d'exécution des prestations de services avant la fin du délai de sept jours ; - d'obtention d'un engagement avant la fin du délai de réflexion ; - de remise d'un contrat non conforme au client sans mention du délai de rétractation légal ; - de non-respect du droit de l'acheteur à la renonciation ;

"aux motifs que M. X faisait contacter ses clients, aux références contenues dans des fichiers achetés, par une société de démarchage téléphonique Afric Center au Maroc, et livrait au domicile de clients du vin et une facture comprenant un talon de rétractation contre remise du paiement encaissé ultérieurement ; que si des appels téléphoniques ne sont pas contestés, en revanche aucun élément de la procédure ne permet de contrôler la réalité la nature de la composition du démarchage téléphonique des clients invoqué, par rapport à une information et une proposition commerciales et juridiques, un contrat de vente par démarchage à distance, un accord, une marchandise, un prix, des droits dont une rétractation ; qu'ainsi, les documents déposés ne font pas mention d'un démarchage téléphonique ni d'un accord préalables, et ne précisent pas la nature de l'accord lors de la livraison, les factures étant de plus rarement signées par les clients et les bons de livraison étant absents ; qu'en l'absence de preuve de ces éléments préalables à la vente, d'un accord même verbal, d'une commande préalable, d'un contrat d'achat matérialisé notamment par la signature de la facture, le démarchage à distance invoqué n'est pas établi, et toute vente par un professionnel à domicile des clients répond alors au condition du démarchage à domicile, dont en ce qui concerne le dépôt d'une marchandise, la remise d'un paiement, le droit de réflexion ou de rétractation ; que de plus, la comparaison des dates des factures et celles des chèques et de leur encaissement participe à l'établissement de l'absence de communication préalable de document, du non-respect de la période de rétractation ou réflexion, du dépôt de la marchandise et de l'obtention d'une contrepartie avant la fin du délai de réflexion, dont les chèques datés du jour de la livraison, qui plus est encaissés immédiatement ; que c'est sur cette base d'absence de preuve d'un démarchage téléphonique et d'un accord éclairé préalable, et de non-respect de la législation concernant l'exécution de prestations auprès, notamment, de dix-neuf victimes, l'obtention de contreparties auprès, notamment, de dix-neuf victimes, avant la fin du délai de réflexion ou de rétractation, du non-respect du droit à la renonciation auprès, notamment, de quatre victimes, de l'absence de mention du délai de rétractation dans le contrat que prend place l'abus de faiblesse ; qu'alors que le professionnel vendant à domicile a tout loisir de constater qu'il s'adresse à des personnes âgées, seules, malades, ne sachant plus compter suffisamment ni comprendre un document, n'étant donc pas en mesure d'apprécier la portée de leur engagement, de déceler les ruses ou artifices déployées pour les convaincre, et n'ayant pas d'évidence le besoin de vins en ces quantités et prix sans rapport avec leurs situation besoins et possibilités ; que, toutefois, en conséquences de l'inertie de certaines victimes, de l'intention de proches ou d'enquêteurs, de la procédure en cours, diverses ventes ont donné lieu à des remboursements, des reprises de marchandises, ou la perception d'une partie seulement du paiement ;

1°) alors qu'en vertu du principe non bis in idem, ne peuvent constituer le non-respect de la législation concernant l'exécution de prestations, l'obtention de contreparties avant la fin du délai de réflexion ou de rétractation, le non-respect du droit à la renonciation et l'absence de mention du délai de rétractation, au regard des anciens articles L. 121-23 à L. 121-28 du Code de la consommation, les circonstances réprimées de façon autonome sous les termes de " ruses ou artifices déployés " par l'article L. 122-8 du même Code ; qu'en retenant la culpabilité de M. X au regard de ces différentes infractions poursuivant la sauvegarde de la même valeur sociale, la cour d'appel a violé le principe susvisé ;

2°) alors qu'en toute hypothèse, la vente à domicile d'un bien accompagné d'une facture comprenant un talon de rétractation ne peut constituer pour le consommateur un manquement au respect de son droit de renonciation ; qu'en retenant néanmoins cette qualification, la cour d'appel a violé le texte susvisé et s'est prononcée par des motifs contradictoires ;

3°) alors que les infractions susvisées au droit de la consommation sont applicables au seul contrat conclu par démarchage à domicile ; qu'en retenant la circonstance du démarchage à domicile de la déduction d'une absence de preuve du démarchage téléphonique, la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs insuffisants et contradictoires, a privé sa décision de base légale " ;

Attendu qu'en retenant la qualification d'abus de faiblesse et celles résultant du non-respect des obligations prescrites par les articles L. 121-23 à L. 121-28 du Code de la consommation en cas d'engagement conclu lors d'un démarchage à domicile, infractions qui ne présentent entre elles aucune incompatibilité et qui sont susceptibles d'être appliquées concurremment, dès lors qu'elles défendent des intérêts distincts tenant à la protection des personnes vulnérables et à celle des consommateurs, l'arrêt n'encourt pas le grief allégué ; d'où il suit que le moyen, qui manque en fait dans sa deuxième branche et qui est inopérant dans sa troisième branche, ne saurait être accueilli,

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme,

Rejette le pourvoi.