CA Angers, ch. civ. A, 9 décembre 2014, n° 13-03115
ANGERS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Gan Assurances (SA), Clouard Holding (SARL)
Défendeur :
Drogoul (époux)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Hubert
Conseillers :
Mme Grua, M. Chaumont
Avocats :
Mes Cesbron, Jamoteau
Faits et procédure
Le 22 mars 2008, Mme Drogoul a été gravement blessée à l'œil en tombant dans le magasin " les briconautes " situé [...] exploité par la société Auto Service Mayenne aux droits de laquelle vient la société Clouard Holding (la société).
Le 26 septembre 2012, Mme Drogoul a assigné la société et la société Gan Assurances, son assureur (l'assureur) devant le tribunal de grande instance de Laval en réparation de son préjudice corporel.
Par jugement du 30 septembre 2013, le tribunal a :
. Déclaré la société entièrement responsable du préjudice subi par Mme Drogoul sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er du Code civil ;
. Rejeté la demande de sursis à statuer présentée par les défendeurs ;
. Avant dire droit :
. Condamné in solidum la société et l'assureur à verser à Mme Drogoul la somme de 7 500,00 euro à valoir sur la réparation de son préjudice ;
. Ordonné une expertise médicale de la victime ;
. Fixé à 750,00 euro le montant de la consignation à valoir sur les honoraires de l'expert à la charge de Mme Drogoul ;
. Renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état du 25 mars 2014 ;
. Réservé les dépens ainsi que l'application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Le tribunal a retenu que Mme Drogoul s'était blessée en heurtant un présentoir sur lequel se trouvait un objet métallique, chose inerte dont le caractère anormal était établi, et dont la société était la gardienne.
La société et l'assureur ont relevé appel.
Les parties ont conclu.
La procédure a été clôturée le 18 septembre 2014.
Moyens et prétentions des parties
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées le 3 avril 2014, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des moyens et prétentions, la société et l'assureur sollicitent l'infirmation du jugement et demandent à la cour de :
. Débouter Mme Drogoul de ses demandes ;
. A titre subsidiaire, surseoir à statuer et enjoindre à Mme Drogoul d'appeler à la cause l'organisme social pour connaître le détail et le montant des débours de celui-ci ;
. Condamner Mme Drogoul à payer aux concluants 2 000,00 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
. La condamner aux dépens avec distraction au profit de la Selarl BFC Avocats.
Ils font valoir en substance que :
. Mme Drogoul ne rapporte pas la preuve des circonstances de l'accident et plus particulièrement du caractère anormal de la chose inerte qui serait, selon elle, la cause du dommage ;
. Elle ne peut utilement fonder ses demandes sur l'article L. 211-1 du Code de la consommation qui n'est applicable qu'aux produits et services, ni sur l'article 1382 du Code civil , en l'absence de faute commise par la société ;
. A titre subsidiaire, la cour devra surseoir à statuer dans l'attente de l'appel à la cause de l'organisme social de Mme Drogoul.
Dans ses dernières écritures, déposées le 3 avril 2014, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des moyens et prétentions, Mme Drogoul demande à la cour de :
. Confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
. Subsidiairement, retenir la responsabilité de la société sur le fondement de l'article L. 221-1 du Code de la consommation ou de l'article 1382 du Code civil ;
. Condamner la société et l'assureur à lui verser la somme globale de 2 500,00 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
. Les condamner aux dépens de première instance et d'appel, avec le bénéficie de l'article 699 du Code de procédure civile.
Elle fait essentiellement valoir que :
. Il n'est pas contestable qu'elle a chuté au sein du magasin " les briconautes " et qu'un support métallique dénué de toute protection est à l'origine de son préjudice, ce qui suffit à démontrer le caractère anormal de l'instrument du dommage dont la société était la gardienne, peu important les circonstances de la chute elle-même ;
. Subsidiairement, si la cour ne retenait pas la responsabilité de la société sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil, elle devrait faire application de l'article L. 221-1 du Code de la consommation qui impose au professionnel une obligation générale de sécurité ;
. En tout état de cause, la responsabilité de la société est engagée au regard de l'article 1382 du Code civil, celle-ci n'ayant pas respecté les normes de sécurité applicables aux rayonnages ni les mesures de prévention qui s'imposaient à elle ;
. Elle n'est pas tenue d'appeler à la cause son organisme social à ce stade de la procédure puisque la présente instance ne porte que sur le principe de la responsabilité de la société et sur la mise en œuvre d'une mesure d'expertise, et non sur la liquidation des préjudices.
Motifs de la décision
Attendu qu'aux termes de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil, on est responsable du dommage qui est causé par le fait des choses que l'on a sous sa garde ;
Attendu qu'au cas présent, M. Clouard, gérant de la société, a établi la déclaration d'accident suivante : " le samedi 22.03.2008, un accident est survenu dans notre magasin de Mayenne. Vers 10 heures du matin, une dame a glissé et est lourdement tombé dans le rayon rideau, elle s'est blessé à l'œil en heurtant un présentoir " (pièce 10 intimée) ;
Qu'il ressort des déclarations de Mme Drogoul, faites aux médecins qui l'ont examinée le 1er avril 2008 et le 1er juillet 2007 et lors de sa nouvelle visite dans le magasin le 14 octobre 2008 (respectivement ses pièces 3, 7 et 9), que sa blessure à l'œil a été provoquée par un support en métal qu'elle a désigné, de façon concordante, comme étant un " objet métallique contondant ", " une tige métallique " ou un des " crochets en fer, fixé au mur, de grande taille, recourbé légèrement aux extrémités, chose qu'elle a heurtée lors de sa chute ;
Que ces déclarations sont corroborées par les constatations médicales selon lesquelles, après la perforation de la paupière supérieure droit, la paroi osseuse médiale de l'orbite a été fracturée et le nerf optique sectionné, entraînant une perte fonctionnelle définitive de l'œil droit (pièces 3, 4, 6 et 7 intimée) ;
Que la cour retient, au regard de ces éléments, que l'œil de Mme Drogoul a été perforé par un objet métallique contondant présent dans le rayon rideau ;
Attendu qu'il apparaît que cet objet était placé à mi-hauteur d'homme, sans protection particulière, dans un rayon vers lequel les clients étaient attirés par une guirlande lumineuse (pièce 9 intimée), un jour d'affluence, le samedi 22 mars 2008 étant une journée " Portes Ouvertes " (pièces 1, 2, 3 appelante) ;
Qu'il se trouvait ainsi dans une position anormale, et a été l'instrument du dommage ;
Qu'en conséquence, la société, gardienne de cette chose, doit être déclarée responsable du dommage qu'elle a causé à Mme Drogoul, comme l'a exactement jugé le tribunal ;
Attendu que le tribunal a dit, à juste titre, qu'il n'y avait pas lieu de surseoir à statuer dans l'attente de l'appel en déclaration de jugement commun de l'organisme social ;
Par ces motifs, La Cour, statuant publiquement et contradictoirement : confirme le jugement en toutes ses dispositions ; condamne les sociétés Clouard Holding et Gan Assurances aux dépens de la procédure d'appel qui seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile ; Vu l'article 700 du Code de procédure civile, rejette la demande des sociétés Clouard Holding et Gan Assurances; les condamne à payer à Mme Drogoul la somme de 1 500,00 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.