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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 18 mars 2016, n° 13-23760

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Fory Viandes (SAS), Ochoa, Yawat Ntandji

Défendeur :

GRG (SA), Rivenez

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mmes Nerot, Renard

Avocats :

Mes Regnier, Raskin, Fromantin, Courteaud

T. com. Créteil, du 21 oct. 2013

21 octobre 2013

Les 4 et 22 septembre 2009, Monsieur Roger Yawat Ntandji et Monsieur Francisco Ochoa qui, respectivement depuis 1998 et 1992, exerçaient des fonctions de direction au sein de la société GRG SA (créée en 1982 et exploitant une charge de mandataire affectée à la vente en gros de viandes sur le Marché d'Intérêt National (MIN) de Rungis) et en étaient les associés ou ceux de sa maison-mère, ont mis fin à leurs contrats de travail, dépourvus de clause de non-concurrence, le premier à la suite de la prise d'acte de la rupture de son contrat, le second après démission, toutes deux intervenues le 5 août 2009.

En avril 2009, ils avaient informé l'actuelle dirigeante de la société GRG de leur intention de déposer un dossier de candidature auprès de la Semmaris (société bailleresse au sein du MIN de Rungis), et, le 9 juillet 2009, constitué la société Fory Viandes SAS ayant le même objet social que la société GRG.

Estimant que, par leur comportement, ils ont manqué à leurs obligations de loyauté envers leur employeur et commis des actes de concurrence déloyale à son préjudice, la société GRG les a assignés, ainsi que la société Fory Viandes, à l'effet d'obtenir réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis évalués à plus de deux millions d'euro, ceci selon exploit du 09 novembre 2010.

Par jugement contradictoire rendu le 21 octobre 2013, le Tribunal de commerce de Créteil a, en substance et sans prononcer l'exécution provisoire, condamné " solidairement " la société Fory Viandes et Messieurs Ochoa et Yawat Ntandji à verser à la demanderesse la somme indemnitaire de 308 451 euro pour concurrence déloyale, débouté cette dernière de sa demande au titre de son préjudice moral en condamnant les défendeurs à lui verser la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens.

Par dernières conclusions notifiées le 22 janvier 2016 (après redistribution au sein des chambres de la cour intervenue le 1er juillet 2015), la société par actions simplifiée Fory Viandes, Monsieur Francisco Ochoa et Monsieur Roger Yawat Ntandji, appelants, demandent pour l'essentiel à la cour, au visa des articles 1382 du Code civil, 9, 146, 771 et 907 du Code de procédure civile :

- principalement, de débouter la société GRG de l'intégralité de ses demandes en considérant qu'elle ne démontre aucun acte de concurrence déloyale qui leur soit imputable,

- subsidiairement, de la débouter en considérant qu'elle ne justifie d'aucun préjudice économique ni ne démontre un lien de causalité entre le préjudice qu'elle allègue et les actes de concurrence déloyale prétendus qu'elle leur reproche,

- en conséquence, d'infirmer le jugement, notamment en ce qu'il les a condamnés au paiement de la somme indemnitaire de 308 451 euro, et de ne le confirmer qu'en ce qu'il a débouté la requérante de sa demande au titre de son préjudice moral,

- plus subsidiairement, de juger irrecevable la demande d'expertise judiciaire formée devant la cour en application des articles 907 et 771 précités ou infondée en application de l'article 146 précité et, si la cour venait à retenir l'existence d'un préjudice en lien de causalité avec les faits dénoncés, d'infirmer le jugement en son évaluation, le quantum du préjudice (contesté en l'absence de lien causal) ne pouvant dépasser la somme de 90 761 euro,

- en tout état de cause, de condamner la société GRG à leur payer la somme de 20.000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.

Par dernières conclusions notifiées le 08 janvier 2016, la société anonyme GRG prie, en substance, la cour :

- de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu l'existence de faits de concurrence déloyale imputables aux appelants, de l'infirmer en son évaluation du préjudice subi et de condamner in solidum les appelants à lui verser la somme indemnitaire de 1 770 528 euro,

- à titre subsidiaire, d'ordonner une mesure d'expertise aux fins de " vérifier " l'importance du préjudice économique subi, de confirmer le jugement en son rejet de la demande indemnitaire de la société Fory Viandes, de l'infirmer en ce qu'il l'a elle-même déboutée de sa demande de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral et de condamner in solidum les appelants à lui verser la somme de 50 000 euro de ce chef, de confirmer le jugement en ses dispositions relatives à l'article 700 du Code de procédure civile, de lui allouer une somme complémentaire de 10 000 euro en condamnant les appelants aux entiers dépens.

Sur ce,

Sur le moyen tiré de l'existence de faits de concurrence déloyale et de la violation de l'obligation de loyauté

Considérant que les appelants poursuivent l'infirmation du jugement qui, pour statuer comme il l'a fait, a retenu que la société Fory Viandes a débuté son activité concurrente le 15 août 2009, que Messieurs Ochoa et Yawat ont fait preuve de déloyauté en emportant des documents internes à la société CGR et qu'ils se sont livrés à des manœuvres de débauchage du personnel de la société GRG en désorganisant cette entreprise sur une partie de son activité (" caisses " et " viandes conditionnées "), contestant par ailleurs le mode d'évaluation du préjudice adopté par les juges consulaires ;

Qu'évoquant liminairement le contexte de leur départ de l'entreprise GRG ils en rappellent l'historique et font valoir que, contrairement à ce qui est affirmé, la désignation de la fille de l'un des fondateurs de cette société en qualité de présidente du conseil d'administration, en septembre 2007, est à l'origine des dissensions l'ayant motivé ;

Qu'ils font état de son état d'esprit " empreint de despotisme ", contraire, selon eux, à celui des fondateurs, et du processus d'éviction de Messieurs Ochoa et Yawat qu'elle a engagé dès son arrivée, estimant qu'elle a décidé de s'orienter vers une politique commerciale et économique, essentiellement fondée sur la marge commerciale au détriment des volumes, contraire à l'intérêt social de la société, menant en outre une politique sociale désastreuse qui a conduit une partie des employés à démissionner ;

Que pour démontrer qu'ils n'ont pas commis d'actes de concurrence déloyale, Messieurs Ochoa et Yawat soutiennent à titre principal qu'ils avaient le droit de créer leur propre entreprise et qu'ils l'ont fait en toute transparence ; que leur activité n'a débuté qu'en octobre 2009 et non durant leur période de préavis ; que ne peut leur être reproché ni une stratégie de conflit, ni un détournement de documents internes ou de trésorerie, ni le débauchage fautif de salariés à l'origine d'une véritable désorganisation de l'entreprise GRG qui ne saurait se confondre, en toute hypothèse, avec une simple perturbation, ni une captation de sa clientèle, au demeurant non prouvée, ni l'adoption, par Monsieur Ochoa, d'une stratégie de faible marge alors qu'il était en poste, ni, encore, des faits de dénigrement à travers la publication d'un article de presse paru en janvier 2013 ;

Qu'ils se prévalent, subsidiairement, de l'absence de démonstration d'un préjudice trouvant sa cause dans les faits dénoncés, stigmatisant, en particulier, le caractère contradictoire des multiples analyses, tableaux, courbes produits par la société GRG et critiquant l'application par le tribunal d'une marge de brute de 7 % dont ils entendent démontrer l'absence de pertinence comptable ;

Qu'à admettre même l'existence d'un préjudice, il ne pourrait qu'être singulièrement réduit en contemplation de leurs éléments de calcul, davantage pertinents ; qu'enfin, la demande d'expertise tardivement formée en cause d'appel, doit, quant à elle, être à leur sens déclarée irrecevable en ce qu'elle aurait dû être présentée au conseiller de la mise en état, et ne peut, au surplus, qu'être rejetée dès lors qu'une mesure d'expertise ne saurait suppléer la carence d'une partie dans l'administration de la preuve ;

Considérant, s'agissant de la création d'une entreprise concurrente, que les dissensions ayant précédé, depuis 2007, le départ de Messieurs Ochoa et Yawat, que dénie la société GRG en y consacrant, elle-aussi, d'importants développements et qui ont pu être soumis à l'appréciation de la juridiction prud'homale, sont sans réelle portée sur les faits dont la cour est saisie dès lors que la liberté d'entreprendre implique la libre création d'entreprise, notamment par d'anciens salariés, et que la création d'une entreprise concurrente par ceux-ci (non tenus en l'espèce par une clause de non-concurrence) n'est pas répréhensible en soi ;

Qu'il importe, en revanche, de fixer la date à partir de laquelle la société Fory Viandes créée par ces salariés a débuté son activité et de distinguer, avant la cessation effective de leurs contrats de travail, les actes préparatoires de concurrence, non répréhensibles, des actes effectifs de concurrence qui sont, eux, prohibés ;

Que, sur le début de l'activité de la société Fory Viandes, les appelants sont fondés à critiquer les premiers juges qui, pour en fixer la date au 15 août 2009, s'en sont tenus à l'énoncé de son extrait Kbis de la société et ont retenu que Messieurs Ochoa et Yawat étaient alors en période de préavis ;

Qu'ils démontrent, en effet, que leur activité n'a été effective qu'à compter du 5 octobre 2009, Messieurs Ochoa et Yawat étant alors déliés de leurs obligations envers leur ancien employeur, en produisant une lettre des services vétérinaires datée du 7 octobre 2009 et adressée à la société Fory Viandes en réponse à sa demande d'agrément, outre le rapport de gestion pour l'exercice clos le 31 décembre 2010 du président à l'assemblée générale ordinaire annuelle de la société Fory Viandes, daté du 31 mars 2011, ainsi qu'une attestation de son commissaire aux comptes établie le 24 février 2014 (pièces 4, 45 et 50) ;

Qu'à juste titre, ils s'étonnent au surplus de l'énoncé du jugement sur ce point puisque la société GRG écrivait dans ses conclusions de première instance : " La société Fory Viandes a ensuite commencé la commercialisation de ses produits à partir du mois d'octobre 2009 (parce qu'autorisée à cette date par les services vétérinaires), soit à une période où tous les salariés ayant démissionné de la société CGR SA avaient été dispensés d'exécuter leur préavis de trois mois en totalité " (pièce 44, page 15) ;

Qu'antérieurement à cette date, Messieurs Ochoa et Yawat prouvent, par la production des deux lettres qu'ils ont eux-mêmes rédigées les 22 et 27 avril 2009 (pièces 6 et 7), que la présidente de la société GRG à qui ces lettres étaient adressées a été informée, dès ce mois d'avril 2009, de leur candidature auprès des services de la Semmaris pour l'exploitation de travées et de leur intention de quitter la société GRG en raison, en particulier, de leur désaccord avec les modes de gestion par elle adoptés ainsi que de la réduction de leurs champs d'action ;

Que la société GRG ne peut valablement se prévaloir d'un manquement de ces anciens salariés à leur devoir de loyauté à son égard, incriminer leur " turpitude " ou dire qu'ils ont agi " par pure habilité et à titre d'ultime moyen de pression " dès lors que ni cet acte préparatoire ni leurs propos ne justifient ces griefs ; qu'elle expose, de plus, qu'en réaction à ces lettres elle a " mis en place un audit effectué par KPMG afin de tenter de réorganiser la société suite à leur départ " tandis que sa présidente leur répondait en leur reprochant " agression " et " hostilité " à son égard ou des " agissements quotidiens de plus en plus détestables " destinés à la trahir et à nuire aux intérêts de la société GRG (pièces 18.2 et 19.1) ;

Que l'autre acte préparatoire tenant à la constitution de la société Fory Viandes, le 9 juillet 2009, alors que Messieurs Ochoa et Yawat étaient encore employés de GRG, ne constitue pas davantage un acte de déloyauté, en vertu de la liberté d'exercice d'une activité professionnelle, puisque, comme il résulte de ce qui précède, son exercice n'a été effectif qu'après la rupture de la relation de travail ;

Que des faits de concurrence déloyale sont, en revanche, susceptibles d'être retenus si tant est que la société GRG démontre que le détournement d'informations internes et de clientèle qu'elle dénonce, tout comme la stratégie de détournement de fournisseurs ou encore le débauchage d'une partie substantielle de ses salariés imputés à faute, voire les faits de dénigrement invoqués, l'ont été au profit de la société concurrente créée et ont eu pour effet de la désorganiser en lui causant un préjudice corrélatif ;

Que, s'agissant des documents internes qui auraient été dérobés par Messieurs Ochoa et Yawat, il y a lieu de considérer que la société GRG ne les identifie pas précisément, se bornant à indiquer qu'ils figurent parmi les pièces que versent aux débats les appelants ; qu'elle se dispense, ce faisant, de démontrer que cette masse non identifiée de documents peut être qualifiée de confidentielle ou constituer des informations privilégiées portant sur des données stratégiques et laisse sans réponse l'argumentation adverse selon laquelle Messieurs Ochoa et Yawat en ont été rendus destinataires en leurs qualités d'actionnaires et d'administrateur ;

Que, s'agissant du transfert de fournisseurs vers la société Fory Viandes en formation, la société GRG fait d'abord état d'un double paiement de plus de 146.000 euro effectué en juillet 2009, à l'initiative de Monsieur Yawat, au profit d'un fournisseur (la société Euro Quality Lamb) en soutenant qu'il était destiné à procurer une importante avance de trésorerie au futur principal fournisseur de viande d'agneau de la société Fory Viandes ;

Qu'il est toutefois démontré qu'après avoir signé un ordre de virement de cette somme, la présidente de la société GRG a ratifié un second versement de même montant ; que l'intimée ne peut donc se prévaloir d'une initiative fautive de Monsieur Yawat, directeur financier, en lui reprochant de n'avoir point avisé sa hiérarchie de ce double versement ou d'avoir agi, mu que par les intentions malicieuses qu'elle lui prête, alors que l'invocation tardive de cette faute, dans le seul cadre de la présente procédure, apparaît de circonstance et que la manœuvre incriminée ne résulte que des assertions de l'intimée qui n'établit aucun lien causal précis entre cette opération financière et le préjudice subi ;

Que la société GRG invoque, par ailleurs, une stratégie de réduction de la marge commerciale pratiquée à compter de juillet 2009 par Monsieur Ochoa, destinée, selon elle, à organiser ce transfert de fournisseurs à son préjudice, et produit, pour l'établir, un tableau comparatif et un graphique de courbes de prix d'achat de la viande d'agneau, laquelle a eu des impacts très négatifs, soutient-elle, sur sa propre marge ;

Qu'il ne peut, cependant, être tiré de conclusions utiles sur ces données chiffrées, présentées hors contexte économique général et sur une période de référence particulièrement restreinte, alors que les appelants démontrent que, de 2008 et 2009, le rayon dont Monsieur Ochoa avait la charge est celui qui a été le plus bénéfique pour la société, les autres vendeurs dégageant des pertes ; qu'en outre, rapportée sur deux années, la baisse de marge incriminée doit être ramenée à de moindres proportions, comme tendent à le démontrer les éléments chiffrés produits par les appelants (pièces 18, 19) ;

Que, s'agissant du détournement de clientèle, la société GRG évoque encore une stratégie planifiée ; que, procédant à une comparaison à partir du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'année 2009, avant et après le départ de Monsieur Ochoa, elle fait état de la perte drastique de 541 clients sur 1680 (soit : 32 %) durant cette seconde période qui ont totalement cessé de lui acheter de la marchandise ; qu'elle verse en cause d'appel des documents comptables certifiés et détaillés, rayon par rayon, et met en doute la fiabilité des chiffres communiqués par ses adversaires qui font valoir que 356 d'entre eux leur sont inconnus, que 14 ont pour la première fois fait des achats auprès de la société Fory Viandes en 2012 et que finalement fort peu (de l'ordre de 9,7 % du fichier clients) en ont effectué sur une période de trois ans ;

Qu'à l'examen de ces éléments, il échet de considérer que pour significatif que soit le pourcentage avancé par la société GRG, il n'en reste pas moins peu pertinent dès lors que la société GRG ne soumet pas à l'appréciation de la cour des éléments relatifs à son portefeuille de clients sur une plus longue période ainsi qu'à ses variations, qu'elle ne donne aucune indication sur d'éventuels facteurs conjoncturels ni ne tient compte des clients par elle " récupérés " évoqués par les appelants ;

Qu'en toute hypothèse, il est de principe que la clientèle est libre de choisir de maintenir des relations de confiance et de s'adresser à qui bon lui semble de même que le démarchage n'est pas en soi répréhensible ; que pour être déloyal, le détournement doit s'accompagner de manœuvres qu'il appartient à celui qui s'en prévaut de démontrer, ce dont s'abstient en l'espèce la société GRG ;

Que, s'agissant du détournement de salariés, la société GRG, qui approuve la motivation du tribunal sur ce point, soutient qu'elle n'a eu d'autre choix que de dispenser Messieurs Ochoa et Yawat d'effectuer la totalité de leur préavis mais qu'avant d'être déliés, ils ont créé la société Fory Viandes ;

Qu'elle leur reproche, de plus, d'avoir violé leur obligation de loyauté envers leur ancien employeur en participant activement au débauchage de 7 salariés, leur fournissant, en particulier, des lettres-type de démission ou tentant d'en débaucher 2 autres en employant une politique de harcèlement ; qu'au total, poursuit-elle, elle a dû subir le départ de 12 employés sur un effectif de 65 et que, cause de sa désorganisation, il s'agissait des plus expérimentés ; que le départ des appelants, occupant des fonctions directoriales particulières, a eu semblable effet, qu'elle a peiné, jusqu'en 2012, à pourvoir à leur remplacement ; qu'elle a également dû puiser dans sa trésorerie pour maintenir son activité et recruter, si bien que ces agissements sont aussi à l'origine d'un préjudice financier ;

Que force est cependant de considérer, pour ce qui est du remplacement de Messieurs Ochoa et Yawat, que par leurs lettres des 22 et 27 avril 2009 (pièces 6 et 7) ceux-ci ont manifesté à la présidente de la société GRG leur intention de quitter la société et que, comme il a été dit plus avant, la société GRG affirme dans ses écritures qu'informée de leur candidature auprès de la Semmaris, elle a " immédiatement réagi, cette situation déloyalement concurrentielle ayant donné lieu à différents échanges de courriers et à la mise en place d'un audit effectué par KPMG afin de tenter de réorganiser la société suite à leur départ " ; qu'elle a donc pu, dès cette date, envisager sa réorganisation ;

Qu'il ne peut être reproché à Monsieur Yawat des faits du débauchage déloyaux du seul fait qu'il a aidé des salariés - désireux de quitter la société GRG (sans embauche, pour trois d'entre eux, par la société Fory Viandes) et n'ayant pas une bonne maîtrise de la langue française, ainsi qu'il le précise sans être démenti - dans la rédaction de leur lettre de démission ; que, de la même façon, la preuve des faits de harcèlement dénoncés n'est pas suffisamment rapportée par la production d'une unique attestation d'un employé toujours au service de la société GRG ;

Qu'à juste titre, les appelants critiquent la motivation du tribunal qui, pour retenir des faits de désorganisation, se borne à énoncer qu'au moins neuf salariés sur un total de 65 ont été débauchés et qu'une activité (l'activité " caisses " ou " viandes conditionnées ") a perdu quatre salariés sur un total de six, alors qu'il convient de s'attacher aux circonstances précises qui ont présidé aux démissions litigieuses ;

Qu'à s'en tenir à la correspondance qu'adressait le 26 février 2010 (pièce 33 des appelants), la présidente de la société-mère Unifial, également présidente de la société GRG, à une actionnaire, ce sont 9 salariés qui ont démissionné, à savoir : 4 vendeurs le 26 août 2009, un vendeur et une aide-comptable les 07 et 30 septembre 2009, un manutentionnaire et une aide-comptable les 16 et 19 octobre 2009 et enfin un coupeur le 09 novembre 2009 ; qu'elle ajoutait dans ce courrier : " vous n'ignorez pas que tout salarié a le droit de démissionner en respectant le préavis légal ou conventionnel, ce que ces derniers ont fait. Les contrats de travail ne comportaient pas de clause de non-concurrence. Les équipes ont été réorganisées en conséquence " ;

Qu'il en résulte que ces départs se sont étalés sur plusieurs mois en respectant les durées de préavis (ou en en étant dispensés, selon les écritures de première instance de la société GRG (pièce 44), ce qui conduit les appelants à supposer que ces salariés ont été rapidement remplacés) et que la réorganisation " en conséquence " est intervenue à bref délai ;

Qu'aucun élément n'est fourni par la société GRG, si ce n'est leur ancienneté, sur le niveau de compétence ou le savoir-faire privilégié de ces salariés, occupant des postes non stratégiques et libres de quitter un employeur pour un concurrent ; que ces derniers exposent à cet égard, dans diverses attestations, que leur démission a été motivée par leur désaccord avec leur ancien employeur (pièces 28 à 32) ;

Que la société GRG ne permet pas, non plus, à la cour de porter une appréciation sur l'affirmation selon laquelle ces employés auraient été embauchés à des conditions de rémunération plus avantageuses en s'abstenant de fournir, contrairement aux appelants, des éléments de comparaison suffisants si bien qu'aucune manœuvre destinée à favoriser ce débauchage ne peut être retenue ;

Que la société GRG ne justifie pas davantage des difficultés rencontrées pour embaucher de nouveaux vendeurs ou aide-comptables à l'origine d'une désorganisation ;

Qu'à tort, par conséquent, le tribunal a retenu des faits de débauchage constitutifs d'une désorganisation de l'entreprise alors que, tout au plus, peut-il être retenu une perturbation très ponctuelle de l'entreprise ;

Que, s'agissant des faits de dénigrement, la société GRG reproche aux appelants d'avoir diffusé un message contenant, selon elle, une allégation aussi mensongère que fallacieuse à son égard dans le magazine " Rungis Actualité " de janvier 2013, Monsieur Ochoa indiquant avoir été " (') ainsi que Monsieur Yawat Ntandji " invités " par l'actionnaire majoritaire à quitter l'entreprise après de sérieuses divergences de stratégies de développement (...) " ;

Que, toutefois, alors qu'une critique émanant d'un concurrent n'est pas nécessairement sanctionnable, la société GRG se dispense d'analyse et n'explicite son grief qu'en renvoyant la cour à " ce qui est précédemment exposé " ;

Qu'il apparaît que ces propos ponctuels, librement exprimés dans la presse, formulés sans malveillance ni outrance mais en des termes mesurés pour informer les lecteurs des raisons objectives de la cessation d'une collaboration trois ans auparavant, et dont il n'est pas établi qu'ils aient été accompagnés d'autres circonstances, n'ont pu porter atteinte à la réputation commerciale de la société GRG auprès des lecteurs de la revue "Rungis Actualité" ; qu'elle échoue, par conséquent, à démontrer que son concurrent ait de la sorte terni son image ;

Considérant qu'il s'infère de tout ce qui précède qu'il n'est pas démontré que les divers manquements au devoir de loyauté ou les faits de concurrence déloyale dénoncés peuvent être tenus pour des procédés déloyaux et que, même regroupés, ils ne constituent pas un faisceau d'indices permettant de caractériser la déloyauté ;

Que le jugement sera donc infirmé en ce qu'il en dispose autrement ;

Sur le préjudice moral invoqué par la société GRG

Considérant que, sur appel incident, la société GRG poursuit la condamnation des appelants à lui verser la somme indemnitaire de 50 000 euro du fait de l'atteinte à sa réputation ; qu'elle reproche au tribunal de commerce d'avoir ignoré le contexte particulier de l'espèce, à savoir " le marché de Rungis où tout le monde se connaît ", témoin du conflit instillé par ceux-ci, du climat de violence qui s'est développé autour et au sein de son entreprise du fait que ses adversaires se sont employés à discréditer la personne et les compétences de sa dirigeante en faisant accroire l'idée que l'entreprise était désormais incapable de produire un produit de qualité ;

Mais considérant qu'au soutien de ses affirmations, la société GRG ne verse aucune pièce venant les étayer ; que les appelants font incidemment valoir que la société GRG n'est pas l'unique mandataire en viande sur le marché de Rungis et exposent, sans être contredits, qu'il est fréquent sur le MIN que des salariés quittent leur employeur avec leurs équipes pour créer leur propre société ;

Qu'il n'y a donc pas lieu à infirmation du jugement sur ce point ;

Sur les autres demandes

Considérant, sur les demandes formées sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, que le jugement doit être infirmé en ses dispositions à ce titre comme en celles portant sur les dépens ; que l'équité commande de condamner la société GRG à verser aux appelants la somme globale de 15 000 euro ;

Que, déboutée de sa demande de ce dernier chef, la société GRG qui succombe supportera les dépens de première instance et d'appel ;

Par ces motifs, Infirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté la société GRG SA de sa demande indemnitaire au titre de son préjudice moral et, statuant à nouveau ; Déboute la société GRG SA de sa demande en paiement de dommages-intérêts fondée sur le manquement au devoir de loyauté et les faits de concurrence déloyale reprochés à la société Fory Viandes SAS, à Monsieur Francisco Ochoa et à Monsieur Roger Yawat Ntandji, ainsi qu'en toutes ses demandes subséquentes ; Condamne la société GRG SA à verser à la société Fory Viandes SAS, à Monsieur Francisco Ochoa et à Monsieur Roger Yawat Ntandji la somme de 15 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile, et à supporter les entiers dépens, avec faculté de recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.