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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 17 mars 2016, n° 14-23004

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Carrefour Proximité France (SAS)

Défendeur :

Etablissements Segurel et Fils (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

M. Dabosville, Mme Volte

Avocats :

Mes Vallet-Pamart, Charlet, Guizard, Brouard

T. com, Paris, 1re ch. du 12 janv. 2004

12 janvier 2004

Faits et procédure

La société Prodim, aux droits de laquelle vient la société Carrefour Proximité France a conclu, le 18 juillet 1991, avec la société Supercham un contrat de franchise d'une durée de sept ans, pour l'exploitation d'un fonds de commerce d'alimentation sous l'enseigne " Shopi ", situé à Bouffemont dans le Val d'Oise. Cette société a conclu un contrat d'approvisionnement prioritaire auprès de la société Prodim, aux droits de laquelle vient la société Champion Supermarché France (ci-après dénommée CSF).

Suivant ce contrat, la société Supercham, en sa qualité de franchisée, s'est engagée en cas de résiliation et pendant les trois ans suivant cette résiliation, à ne pas utiliser une enseigne de renommée nationale ou régionale, ni à offrir en vente des marchandises dont les marques sont liées à ces enseignes, ceci dans un rayon de 5km du magasin Shopi. Pendant la durée du contrat le franchisé devait utiliser l'enseigne du franchiseur et ne pas adhérer à une autre organisation ou groupement commercial exerçant une activité similaire. Le contrat d'approvisionnement obligeait la société Supercham à s'approvisionner de façon prioritaire auprès de la société Prodim ou de ses fournisseurs agréés.

Au milieu de l'année 1995, la société Prodim a suspendu les livraisons à la société Supercham à raison d'impayés. Celle-ci s'est alors adressée à la société Segurel pour approvisionner son magasin. La société Prodim a fait constater, par acte d'huissier du 3 novembre 1995, que la société Supercham avait substitué l'enseigne " Coccinelle " dépendant de la société Segurel à l'enseigne " Shopi " et commercialisait des produits de marque " Belle France " liés à cette enseigne.

Le 25 novembre 1995, la société Supercham a signifié à la société Prodim la rupture de leurs relations contractuelles. Les conséquences de cette rupture ont été réglées par deux sentences arbitrales.

Une sentence du 23 septembre 1998 a condamné la société Supercham à payer à la société Prodim 88 929,21 Francs au titre de marchandises livrées et non payées et 209 025 francs au titre de la clause pénale figurant dans le contrat de franchise. Une seconde sentence arbitrale du 25 avril 2001 a condamné la société Supercham à payer à la société Prodim la somme de 100 000 francs pour manquement à la clause de non-réaffiliation.

S'estimant insuffisamment dédommagées, les sociétés Prodim et CSF (venant aux droits de Prodim en ce qui concerne les contrats d'approvisionnement) ont assigné en paiement les sociétés Francap, propriétaire de la marque " Coccinelle ", et Segurel devant le Tribunal de commerce de Paris, en tierce complicité de la violation, d'une part, du contrat de franchise avant la rupture du 25 novembre 1995 et, d'autre part, de la clause de non-réaffiliation post contractuelle, après la rupture du 25 novembre 1995.

Par jugement en date du 12 janvier 2004, le Tribunal de grande instance de commerce de Paris a :

- Débouté les sociétés Prodim et CSF de l'ensemble de leurs demandes,

- Condamné in solidum ces dernières à payer à la société Francap la somme de 5 000 euro et à la société Segurel la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Débouté les sociétés Francap et Segurel de leurs demandes plus amples.

Procédure

La Cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 22 novembre 2007, a confirmé le jugement entrepris.

La Cour de cassation, saisie des deux moyens dirigés contre la société Segurel, concernant pour l'un le rejet, par la Cour d'appel, de la demande en paiement des cotisations de franchise jusqu'au terme normal du contrat, et, pour l'autre, la non violation de la clause de non-réaffiliation post contractuelle constatée par la cour d'appel, a statué sur le premier moyen, " sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur le second moyen " et a cassé l'arrêt de la Cour de céans, par un arrêt du 26 mai 2009, mais seulement en ce que, confirmant le jugement déféré, il a rejeté l'ensemble des demandes des sociétés Prodim et CSF, jugeant qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la sentence arbitrale du 25 avril 2001, opposable aux tiers, n'avait pas définitivement retenu l'existence d'une violation de la clause de non-réaffiliation post contractuelle, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale.

La société Francap a alors été mise hors de la cause, le conseiller de la mise en état ayant constaté, par ordonnance du 10 novembre 2009, l'extinction de l'instance et le dessaisissement de la cour en ce qui concerne l'appel des sociétés Prodim et CSF contre cette société.

La cour d'appel, statuant après renvoi de cassation, s'est prononcée dans un arrêt du 16 novembre 2011 sur la portée de la cassation intervenue, déclarant irrecevables les demandes des appelantes autres que celles tendant à obtenir réparation du fait de la complicité alléguée de la société Segurel dans la violation de ladite clause de non-réaffiliation. Elle a, dans le même arrêt, déclaré recevable la tierce opposition de la société Segurel à l'encontre de la sentence arbitrale rendue le 25 avril 2001 et, avant-dire-droit, a consulté l'Autorité de la concurrence sur le caractère de pratique anticoncurrentielle de la stipulation concernée.

L'Autorité de la concurrence a rendu son avis le 9 juillet 2012. L'Autorité a estimé qu'aucun savoir-faire secret, substantiel et identifié, qui aurait été transmis aux anciens franchisés ne justifiait l'octroi d'une protection au travers d'une clause de non-réaffiliation. Elle a aussi souligné que la durée de trois années prévue dans la clause était disproportionnée, en tout état de cause, au but de protection prétendument poursuivi. Elle a conclu, enfin qu'en interdisant à la fois à son ancien franchisé d'apposer une enseigne de renommée nationale ou régionale et de commercialiser des produits liées à une telle enseigne, la clause de non-réaffiliation d'une durée de trois ans figurant dans le contrat de franchise portant sur le magasin de Bouffemont est susceptible d'amoindrir la pression concurrentielle que ce magasin sorti du réseau " Shopi ", pouvait exercer à l'égard des autres magasins présents dans la même zone de chalandise qu'elle constitue donc une restriction de concurrence prohibée.

L'arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris en date du 6 mars 2013 a alors confirmé le jugement entrepris par substitution partielle de motifs et par adjonction de nouveaux motifs, et dit que la clause de non-réaffiliation post contractuelle constitue une entente anticoncurrentielle, la déclarant nulle et inopposable à la société Segurel, déboutant ainsi les sociétés Carrefour et CSF de toutes leurs demandes indemnitaires.

Les sociétés Carrefour Proximité France et CSF ont formé un pourvoi contre cette décision.

La Cour de cassation, par un arrêt en date du 23 septembre 2014, a cassé l'arrêt rendu en appel, mais seulement en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes des sociétés Carrefour Proximité France et CSF autres que celles tendant à obtenir indemnisation sur le fondement de l'article 1382 du Code civil de la complicité alléguée de la société Segurel dans la violation de la clause de non-réaffiliation, remettant ainsi, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.

Vu la saisine sur déclaration de renvoi après cassation en date du 18 novembre 2014,

Vu les dernières conclusions signifiées par les sociétés Carrefour Proximité France et Champion supermarché France le 28 octobre 2015 par lesquelles il est demandé à la Cour de :

- déclarer irrecevable la société Segurel en ses prétentions tendant à se substituer à la société Supercham.

- débouter la société Segurel de l'ensemble de ses demandes, moyens et prétentions.

- recevoir la société Carrefour et la société CSF venant aux droits de cette dernière au titre du contrat d'approvisionnement en leur appel et le déclarer bien fondé.

- réformer le Jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris en date du 12 janvier 2004 en toutes ses dispositions à l'égard de la société Segurel.

Statuant à nouveau,

- constater que tant la société Carrefour que la société CSF exposent des prétentions dirigées à l'encontre de la seule société Segurel à raison de la faute propre de cette dernière, faute qui n'est pas entrée dans le champ d'appréciation du Tribunal arbitral saisi à l'encontre de la seule société Supercham, et ayant entraîné des préjudices distincts de ceux causés par la société Supercham, non entrés dans le champ d'appréciation de la sentence arbitrale.

- constater que la demande de réparation de l'atteinte au réseau formée par la société Carrefour à l'encontre de la société Segurel n'est pas une demande nouvelle et se rattache avec un lien suffisant à la demande originaire,

En conséquence,

- condamner la société Segurel au paiement des sommes suivantes :

~ à la société Carrefour Proximité France

* au titre des pertes de cotisations de franchise subies : la somme de 27 142,44 euro,

* au titre de l'atteinte à son réseau : la réparation de son entier préjudice soit la somme de 249 090 euro,

~ à la société CSF comme venant aux droits de la société Carrefour Proximité France :

au titre de la perte de la marge brute subie par cette dernière du fait de la rupture avant terme du contrat d'approvisionnement signé par la société Supercham : la somme de 40 094,09 euro,

* à titre subsidiaire, juger le préjudice subi par la société CSF à raison de l'aide complice apportée par la société Segurel dans la rupture brutale par Supercham de la relation établie

* au titre de l'approvisionnement : la somme de 26 727,64 euro,

- condamner la société Segurel à payer à chacune des sociétés Carrefour Proximité France et CSF, la somme de 75 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions signifiées par la société Segurel le 21 octobre 2015 par lesquelles il est demandé à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il déboute les sociétés Carrefour Proximité France et CSF de l'intégralité de leurs demandes dirigées à l'encontre de la société Segurel,

Statuant à nouveau,

- déclarer irrecevable la société Carrefour Proximité France en sa demande tendant à obtenir indemnisation pour atteinte au réseau en ce qu'elle constitue une prétention nouvelle,

- déclarer irrecevables et mal-fondées les sociétés Carrefour Proximité France et CSF en leur appel,

En conséquence,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il condamne solidairement les sociétés Carrefour Proximité France et CSF à payer à la société Segurel une somme de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts ainsi qu'à 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

Y ajoutant,

- condamner les sociétés Carrefour Proximité France et CSF solidairement au paiement d'une somme de 75 000 euro pour procédure et appel abusif ;

- condamner les sociétés Carrefour Proximité France et CSF solidairement au paiement de la somme de 30 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

Motifs

Par jugement du 12 janvier 2004 le Tribunal de commerce de Paris a débouté les sociétés Prodim et CSF de leurs demandes.

Par arrêt du 22 novembre 2007 la Cour d'appel de Paris a confirmé le jugement en ce concernait la société Francap mais en revanche, après avoir constaté la responsabilité délictuelle de la société Segurel à l'occasion de la violation par la société Supercham de ses obligations contractuelles a débouté les sociétés Prodim et CSF de leurs demandes indemnitaires, arrêt qui a été cassé par décision du 26 mai 2009.

Sur renvoi, par arrêt du 16 novembre 2011, la cour d'appel a déclaré recevable la tierce opposition de la société Segurel à l'encontre de la sentence arbitrale rendue le 25 avril 2001 et, avant-dire-droit, a consulté l'Autorité de la concurrence sur le caractère de pratique anticoncurrentielle de la stipulation concernée.

Par arrêt du 6 mars 2013 la Cour d'appel de Paris a confirmé le jugement entrepris par substitution partielle de motifs et par adjonction de nouveaux motifs, et dit que la clause de non-réaffiliation post contractuelle constitue une entente anticoncurrentielle, la déclarant nulle et inopposable à la société Segurel, déboutant ainsi les sociétés Carrefour et CSF de toutes leurs demandes indemnitaires.

La Cour de cassation, par son arrêt en date du 23 septembre 2014, a cassé l'arrêt rendu en appel le 6 mars 2013, mais seulement en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes des sociétés Carrefour Proximité France et CSF autres que celles tendant à obtenir indemnisation sur le fondement de l'article 1382 du Code civil de la complicité alléguée de la société Segurel dans la violation de la clause de non-réaffiliation, remettant ainsi, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.

En conséquence la cassation partielle porte sur les demandes indemnitaires des sociétés Carrefour et CSF autres que celles tendant à obtenir indemnisation sur le fondement de l'article 1382 du Code civil de la complicité alléguée de la société Segurel dans la violation de la clause de non-réaffiliation, demandes rejetées par les premiers juges dans leur décision du 12 janvier 2004.

La société Carrefour formule deux demandes à ce titre, l'une pour perte des cotisations de franchise, l'autre au titre de l'atteinte à son réseau et à son image et la société CSF comme venant aux droits de la société Carrefour Proximité France une demande au titre d'une perte de marge.

La responsabilité de la société Segurel est dès lors acquise en ce qu'elle a apporté une aide complice à la société Supercham dans la violation de ses obligations contractuelles ; il convient d'apprécier les demandes au titre des préjudices allégués.

Sur la demande au titre des cotisations de franchise

La société Carrefour soutient que le contrat de franchise devait être poursuivi jusqu'au 18 juillet 1998 et critique l'arrêt du 22 novembre 2007 en ce qu'il a circonscrit à la période de quelques semaines entre le moment de l'apposition de l'enseigne "Coccinelle" et la dénonciation de la franchise le 25 novembre 1995 et a débouté la société Carrefour Proximité France en constatant que cette demande avait été formulée dans le cadre de la Sentence arbitrale du 23 septembre 1998.

Le tribunal arbitral n'avait été saisi que des cotisations impayées à la date de saisine sur un fondement contractuel ; la société Carrefour Proximité France poursuit la condamnation de la société Segurel au titre de la perte des cotisations de franchise postérieures à la rupture sur le fondement de la responsabilité délictuelle.

Toutefois devant le tribunal arbitral la société Prodim a demandé l'application de la clause pénale prévue à l'article 6 au contrat de franchise et a confirmé qu'elle couvrait "l'ensemble des préjudices susceptibles d'être subis par la société Prodim au titre du contrat de franchise" ; le tribunal arbitral a fait droit à l'intégralité de sa demande, lui allouant la somme de 209 025 euro de sorte que se trouvaient inclus le préjudice résultant de la perte des cotisations à échoir pendant la durée du contrat restant à courir.

La société Carrefour Proximité France venant aux droits de la société Prodim ne démontre pas avoir subi un préjudice distinct résultant de la faute de la société Segurel dont elle n'aurait pas été indemnisée ; en conséquence il y a lieu de confirmer le jugement rendu le 12 janvier 2004 en ce qu'il avait débouté la société Carrefour Proximité France de ce chef.

Sur la demande au titre de l'atteinte au réseau

La société Segurel soutient que la demande d'indemnité de la société Carrefour Proximité France au titre de l'atteinte au réseau est irrecevable car nouvelle et qu'elle est destinée à contourner les effets de l'arrêt de cassation qui a statué définitivement sur le rejet de la demande d'indemnisation au titre de la clause de non-affiliation.

La société Carrefour Proximité France fait valoir que devant le premier juge elle avait conclu pour voir rechercher la tierce complicité de la société Segurel sur le fondement de la responsabilité délictuelle ; l'examen de ces conclusions met en évidence que la société Carrefour Proximité France a recherché la responsabilité de la société Segurel non seulement pour avoir apporté son aide à la société Supercham à la violation de la clause de non-affiliation mais aussi "dans la rupture avant terme et donc fautive des contrats de franchise et d'approvisionnement" ; en conséquence sa demande ne saurait être qualifiée de demande nouvelle.

Si la société Carrefour Proximité France soutient que son préjudice est spécifique, lié à la violation de la clause de non-affiliation et distinct de celui invoqué devant les arbitres, force est de constater que par son arrêt du 6 mars 2013 la Cour a jugé nulle la clause de non-réaffiliation post contractuelle.

La société Supercham pouvait distribuer tout à la fois des produits à marque propre Segurel et des produits à marque propre Carrefour Proximité France, cette dernière n'ayant d'ailleurs pas demandé le retrait de ses produits après la dénonciation du contrat ; elle a en revanche fait apposer la nouvelle enseigne Coccinelle selon constat d'huissier effectué le 3 novembre 1995 alors qu'elle n'a dénoncé le contrat que le 25 novembre 1995 ; en toute hypothèse le dépôt de l'enseigne ayant été réalisé par le franchisé et le contrat de franchise étant de fait rompu, la société Carrefour Proximité France ne saurait exposer un préjudice résultant des relations entre la société Supercham et la société Segurel postérieurement à cette résiliation et de la perte de son point de vente.

En conséquence le préjudice allégué de la société Carrefour Proximité France repose sur la présence de l'enseigne Coccinelle alors que la société Supercham était encore franchisée dans le réseau Shopi soit durant moins d'un mois et alors que durant cette même période la société Supercham a cessé d'être approvisionnée en produits de la marque ; dès lors la société Carrefour Proximité France ne démontre pas avoir subi un préjudice d'image puisque, quand bien même son enseigne n'était plus présente, elle a délibérément cessé d'approvisionner la société Supercham la privant de la possibilité de distribuer sa marque et faisant ainsi elle-même obstacle à sa notoriété ; le jugement rendu le 12 janvier 2004 et l'ayant déboutée sera confirmé.

Sur la demande au titre de la perte de marge brute du fait de la rupture brutale du contrat d'approvisionnement

La société CSF comme venant aux droits de la société Carrefour Proximité France demande à la cour de condamner la société Segurel à lui payer la somme de 40 094,09 euro correspondant à la marge moyenne réalisée avec la société Supercham multipliée par le nombre de mois restant à courir.

La société Segurel fait valoir que le Tribunal Arbitral a définitivement jugé que, si faute de la société Supercham il y avait, la société CSF ne pouvait revendiquer aucun préjudice dès lors qu'elle avait elle-même cessé d'approvisionner le fonds de commerce et qu'elle avait décidé de ne pas prendre le risque d'impayés, analyse qui est aussi celle qu'a faite la cour dans son arrêt du 22 novembre 2007 ; pour autant la cour ne saurait être liée par cette Sentence dans la mesure où la demande de la société CSF repose sur un fondement délictuel à l'encontre de la société Segurel pour des agissements qui lui sont propres.

La société CSF affirme que pour sa part elle n'avait fait que suspendre le contrat d'approvisionnement et s'appuie sur l'attestation du gérant qui indique "Courant 1995, ne pouvant plus honorer les factures de marchandises, Shopi a refusé de nous livrer ou alors il fallait régler au comptant la marchandise ce que nous ne pouvions faire dû à nos difficultés financières".

Force cependant est de constater que le tribunal arbitral a jugé que "la société Supercham a rompu les conventions, en novembre 1995, avant que le contrat de franchise venant à expiration le 18 juillet 1998 et le contrat d'approvisionnement venant à expiration le 18 juillet 1996 furent arrivés à terme ; qu'ainsi il convient de considérer sans que cette appréciation soit contraire à l'équité, que la société Supercham a été à l'origine de la rupture" ; dès lors la rupture du contrat est définitivement jugée ; peu importe que la société CSF n'ait pour sa part qu'envisagé une suspension des relations commerciales.

La société CSF estime son préjudice à la somme de 40 094,09 euro sur la base de la marge moyenne réalisée avec la société Supercham qui serait de 7 % multipliée par le nombre de mois à courir, exposant à titre subsidiaire qu'elle a été victime d'une relation brutale des relations établies et qu'au regard de la durée de celles-ci elle aurait dû bénéficier d'un préavis de 4 mois et de sa majoration par deux, le contrat ayant porté sur des produits à marque propre.

La société Segurel affirme que le préjudice subi ne peut s'analyser qu'en une perte de chance de pouvoir approvisionner le magasin Supercham et conteste le taux de marge faisant valoir que celui-ci dans le secteur d'activité concerné est de 1,5 à 2 %.

Le contrat liant les parties étant un contrat à durée déterminée, la rupture de celui-ci par la société Supercham a privé la société CSF de la poursuite de celui-ci jusqu'à son terme ce qui ne saurait être qualifié de perte de chance ; en revanche les parties n'ayant pas convenu d'un approvisionnement exclusif et la société CSF ayant par ailleurs cessé celui-ci, le préjudice réclamé calculé sur le volume moyen des approvisionnements antérieurs est hypothétique en ce qu'il repose sur les commandes qui auraient pu être passées et qui restaient aléatoires tant en raison des possibilités offertes par le contrat liant les parties que par la politique restrictive mise en place par la société CSF elle-même.

La société CSF allègue d'une rupture brutale qui n'est pas contestable de la part de la société Supercham ; si, dès lors elle pouvait prétendre à l'octroi d'un préavis et au doublement de celui-ci s'agissant de produits de marque, cette demande a pour seul fondement la relation contractuelle ayant existé entre la société Supercham et elle et elle a été tranchée par la sentence arbitrale.

En conséquence la société CSF ne démontre pas l'existence d'un préjudice résultant de la faute commise par la société Segurel et il y a lieu de confirmer le jugement du 12 janvier 2004.

Sur la demande de la société Segurel de dommages et intérêts pour procédure abusive

La société Segurel soutient que l'action diligentée par les sociétés Prodim et CSF à son encontre revêt un caractère téméraire.

Il résulte des décisions intervenues que les sociétés Prodim et CSF ont fondé leurs prétentions sur des faits non contestés à savoir la rupture d'un contrat de franchise par la société Supercham ayant entraîné la dépose de l'enseigne et la mise en place d'une nouvelle enseigne dépendant de la société Segurel ; dès lors il ne saurait être relevé un abus dans l'action engagée et poursuivIe par les sociétés Prodim et CSF.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile

La société Segurel a dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge, il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 dans la mesure qui sera précisée au dispositif.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Vu les Sentences arbitrales en date des 23 septembre 1998 et 25 avril 2001. Vu le jugement rendu le 12 janvier 2004. Vu l'arrêt de la Cour d'appel de Paris rendu le 22 novembre 2007. Vu l'arrêt de cassation rendu le 26 mai 2009. Vu l'arrêt de la Cour d'appel de Paris rendu le 16 novembre 2011. Vu l'arrêt de cassation rendu le 23 septembre 2014. Confirme le jugement rendu le 12 janvier 2004 en ce qu'il a débouté les sociétés Prodim et CSF de leurs demandes indemnitaires à l'encontre de la société Segurel. Condamne in solidum les sociétés Prodim et CSF à payer à la société Segurel la somme de 20 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Rejette toute autre demande, fin ou conclusion plus ample ou contraires. Condamne les sociétés Prodim et CSF aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.