CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 18 mars 2016, n° 13-16895
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Les Grands Chais de France (SAS)
Défendeur :
Plastiques André Verchère (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Birolleau
Conseillers :
Mmes Lis Schaal, Nicoletis
Avocats :
Mes de Ryck, Guerre, Llacer
Faits et procédure
La société Plastiques André Verchère a fabriqué, pour les caves de Landiras, des bouteilles PET monocouches et multicouches, destinées à contenir du vin ou d'autres boissons oxydables. Les commandes se sont interrompues en novembre 2010.
Estimant subir une rupture brutale sans préavis, la société Plastiques André Verchère a saisi, le 6 février 2012, sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, le Tribunal de commerce de Lyon en réparation de son préjudice estimé à 500 000 euro, outre un montant de 50 000 euro pour préjudice moral.
Par acte de fusion-absorption, la société les Caves de Landiras a transféré ses actifs et passifs à la société Les Grands Chais de France et a été dissoute.
Par jugement du 5 juillet 2013, le Tribunal de commerce de Lyon a fait droit à la demande de la société Plastiques André Verchère, a retenu la rupture brutale des relations commerciales et a condamné les Grands Chais de France à lui payer les sommes de 287 948 euro à titre de dommages et intérêts, de 50 000 euro au titre du préjudice moral, et de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Le tribunal de commerce a estimé que les demandes de la société Plastiques Verchère étaient recevables à l'encontre des Grands Chais de France, une transmission universelle du patrimoine ayant eu lieu après l'absorption. Il a retenu l'existence d'une relation commerciale établie et la rupture brutale de la relation qui n'était justifiée par aucun des éléments invoqués.
La société Les Grands Chais de France a régulièrement interjeté appel de cette décision.
Elle soutient que la demande de la société Verchère fondée sur la rupture brutale des relations commerciales est irrecevable à son encontre en l'absence de telles relations entre elle et la société Andre Verchère, une fusion-absorption n'entraînant pas la poursuite de la personnalité juridique de l'absorbée. Elle soutient que les relations n'étaient pas établies en l'absence de contrat-cadre, et qu'il s'agissait en réalité de relations précaires.
A titre subsidiaire, elle explique que la société de Landiras a rencontré des difficultés avec la société Andre Verchère liées à des non-conformités (bulles d'air dans l'épaisseur du plastique, bouteilles qui s'écrasent lors de leur manipulation, empreintes des bouteilles s'écrasant lors du sertissage) en 2006, 2008 et 2009, que les Caves de Landiras se sont trouvées confrontées à des problèmes de qualité des produits, la société Andre Verchère étant incapable d'assurer un contrôle qualité en continu, étant précisé que les bouteilles de 18,7 cl étaient destinées aux compagnies aériennes, dont Air France qui a menacé de rompre ses relations en raison de la non-conformité des produits. C'est pourquoi les Caves de Landiras ont commandé en 2010 des bouteilles multicouches, et non monocouches comme cela était le cas initialement. Ce problème de garantie de qualité a été déterminant dans la rupture des relations commerciales, l'article L. 442-6 I 5° permettant la rupture sans préavis des relations commerciales en cas d'inexécution ou d'exécution fautive d'une des parties.
Sur le préavis, elle précise que le préavis de 6 mois retenu par les premiers juges est excessif après seulement 5 ans de relations. Elle conteste enfin toute dépendance entre les parties.
Sur le préjudice, elle estime qu'il est inexistant, que le chiffre de 287 948 euro correspondant à la moyenne de la marge brute pour les années 2008, 2009, 2010 ne saurait être retenu et que le montant de 419 000 euro sollicité sur appel incident par l'intimée n'est absolument pas justifié.
La société Les Grands Chais de France, par ses dernières conclusions signifiées le 8 avril 2014, conclut à l'infirmation du jugement entrepris, à l'irrecevabilité de la demande, au débouté de la société Plastiques André Verchère et à sa condamnation au paiement d'un montant de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens.
Un préjudice moral ne peut se cumuler avec le préjudice alloué au titre de la rupture brutale des relations commerciales.
La société Plastiques André Verchère, par ses conclusions signifiées le 2 janvier 2014, sollicite les sommes de 419 800 euro, de 50 000 euro en réparation de son préjudice moral, et de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle indique que sa demande est recevable en raison de la transmission universelle de patrimoine intervenue par l'effet de l'absorption des Caves de Landiras par les Grands Chais de France.
Les relations commerciales étaient établies depuis 2006 et il y a eu rupture brutale de ces relations.
Aucune preuve (lettre de mécontentement, mise en demeure) n'établit les problèmes évoqués par l'appelante pour justifier cette rupture.
Les incidents évoqués sont des incidents classiques dans ce type de production ce qui n'a pas empêcher le chiffre d'affaire d' augmenter.
Elle estime son préjudice à une année de marge brute, soit 419 800 euro.
Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.
Motifs de la décision
Sur la recevabilité
Considérant qu'aux termes de l'article L. 236-3 du Code de commerce, " la fusion ou la scission entraîne la dissolution sans liquidation des sociétés qui disparaissent et la transmission universelle de leur patrimoine aux sociétés bénéficiaires, dans l'état où il se trouve à la date de réalisation définitive de l'opération " ;
Considérant qu'il est établi que la société Les Caves de Landiras a été absorbée par la société Les Grands Chais de France le 26 août 2010 ; que cette absorption a entraîné la transmission universelle de son patrimoine comprenant toutes les obligations que la société Landiras devait respecter ; qu'en outre, l'absorption est intervenue alors que le contrat liant les parties (les Caves de Landiras et la société Plastiques André Verchère) était en cours d'exécution et qu'il s'est poursuivi après la fusion-absorption ; qu'en conséquence, la société Les Grands Chais de France est tenue aux mêmes obligations que la société Landiras au titre de sa relation commerciale avec la société Plastiques André Verchère ; que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a déclaré la demande de la société Plastiques Verchère recevable à l'encontre de la société Les Grands Chais de France ;
Sur la rupture brutale de la relation commerciale établie
Considérant que l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce dispose qu' "engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte, notamment, de la durée de la relation commerciale. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution, par l'autre partie, de ses obligations ou en cas de force majeure. " ;
Considérant qu'il ne peut être contesté que les sociétés Les Caves de Landiras et Plastiques Verchère ont entretenu une relation commerciale de 2006 à 2010 ; qu'est à cet égard indifférente l'absence de contrat écrit liant les parties ; que le chiffre d'affaires entre les deux sociétés est passé de 175 131 euro à 642 753 euro, démontrant la constance et la montée en puissance de la relation ; qu'au vu des pièces produites (commandes et facturations), cette relation était stable et suivie ; qu'il s'agissait donc d'une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6 I, 5° ;
Considérant qu'il n'est pas contesté qu'il a été mis un terme à la relation en novembre 2010 par la cessation des commandes passées par Les Caves de Landiras à Plastiques Verchère ; que la rupture de la relation n'a donné lieu à aucune notification écrite ;
Considérant qu'en l'absence de lettre, ou de mise en demeure, par laquelle elle aurait exprimé son mécontentement, la société Les Grands Chais de France ne peut arguer de manquements, de non-conformité des produits et de problèmes de sécurité pour justifier la rupture sans préavis ; que les incidents allégués, en admettant qu'ils soient établis, n'ont d'ailleurs pas été considérés, par Les Grands Chais de France, comme particulièrement graves dès lors que la relation commerciale s'est poursuivie et que le chiffre d'affaires a progressé pour atteindre 642 753 euro en 2010 ;
Considérant qu'il appartenait à la société Les Grands Chais de France qui entendait ne pas poursuivre la relation commerciale, d'accorder à la société Plastiques Verchère un délai suffisant pour réorganiser sa production et pour trouver de nouveaux clients ; que faute de l'avoir fait, il convient de retenir une rupture brutale des relations commerciales à la charge de la société Les Grands Chais de France dont la responsabilité se trouve dès lors engagée au titre de l'article L. 442-6 I 5° ;
Considérant qu'au vu de l'ancienneté des relations, la société Les Grands Chais de France aurait dû respecter un délai de préavis 6 mois ; que, si c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu pour évaluer le préjudice la marge brute moyenne des trois dernières années établie par l'expert-comptable de l'intimée soit un montant de 287 948 euro correspondant à une année de perte moyenne de marge brute, il sera alloué, pour un préavis de six mois, la somme de 143 974 euro ; qu'il convient de rejeter la demande d'indemnisation au titre du préjudice moral dont Plastiques Verchère ne démontre ni la réalité, ni, en tout état de cause, son lien direct avec l'absence de préavis ; que la cour réformera en ce sens le jugement entrepris ;
Considérant que la décision déférée sera confirmée sur les mesures accessoires ; que l'équité impose de condamner la société Les Grands Chais de France à payer à la société Plastiques Verchère la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ;
Par ces motifs, LA COUR statuant publiquement et contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le Jugement entrepris, sauf sur le montant de l'indemnisation, Statuant à nouveau du chef infirmé, condamne la société Les Grands Chais de France à payer à la société Plastiques Verchère la somme de 143 974 euro, avec intérêts au taux légal à compter du 3 août 2012, Condamne la société Les Grands Chais de France à payer à la société Plastiques Verchère la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel, Déboute les parties de leurs plus amples prétentions, Condamne la société Les Grands Chais de France aux dépens d'appel.