Cass. com., 30 mars 2016, n° 14-23.261
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Ucar location (SAS)
Défendeur :
A2L (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Poillot-Peruzzetto
Avocat général :
Mme Pénichon
Avocats :
SCP Célice, Blancpain, Soltner, Texidor, SCP Gadiou, Chevallier
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 24 juin 2014), que la société Ucar location (la société Ucar) a conclu le 18 décembre 2006 avec la société A2L, pour l'exploitation d'une agence de location de courte durée sous l'enseigne Ucar à Villejuif, un contrat de franchise d'une durée de cinq ans comportant une clause de non-concurrence ; que reprochant au franchisé la dissimulation de kilométrages non facturés et, partant, non déclarés, la société Ucar l'a assigné en paiement des redevances perdues ainsi qu'en réparation de l'atteinte à ses droits et de la violation de la clause de non-concurrence ;
Sur le premier moyen : - Attendu que la société Ucar fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de réparation du manque à gagner au titre des redevances de franchise alors, selon le moyen : 1°) que pour estimer que la société Ucar ne rapportait pas la preuve de la dissimulation de kilométrages, la cour d'appel s'est bornée à relever que les données reconstituées par la société Ucar à partir de son logiciel " étaient incertaines " et n'étaient pas fiables puisque la société A2L produisait elle-même un listing dressé à partir du même logiciel faisant apparaître l'existence dans la catégorie " kilomètres manquants " d'une valeur négative ; qu'en statuant ainsi sans répondre aux conclusions de la société Ucar qui démontrait que l'existence de " kilomètres manquants " en négatif s'expliquait par l'entrée, par la société A2L, de données frauduleuses dans le système informatique et que le listing produit par la société A2L était émaillé d'incohérences, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 2°) qu'il appartient au débiteur d'une obligation de rapporter la preuve de son exécution ; qu'en estimant que les écarts existants entre le kilométrage déclaré par la société A2L et le kilométrage effectivement réalisé par ses véhicules, évalués par la société Ucar à plus de 303 567 kilomètres en trois ans, " pouvaient " s'expliquer par des remises faites aux clients ou l'utilisation des véhicules par les associés de la société A2L pour leurs besoins professionnels, et qu'il appartenait à la société Ucar de démontrer que l'absence de déclaration et de facturation des kilométrages litigieux était injustifiée, cependant qu'il appartenait à la société A2L de justifier des raisons l'ayant conduite à ne pas déclarer les kilométrages dont elle n'avait pas fait état auprès de son franchiseur, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du Code civil ; 3°) qu'en exonérant, par les motifs précités, la société A2L de toute responsabilité sans constater que l'absence de déclaration des kilométrages litigieux, évalués à 303 567 kilomètres en trois ans, était effectivement justifiée par les seules remises consenties par la société A2L à ses clients et par l'utilisation des véhicules par les associés de cette société pour les besoins de leur activité, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 1134 et 1134 du Code civil ; 4°) qu'en l'espèce, la société Ucar faisait valoir que la société A2L ne pouvait prétendre que l'écart constaté entre les kilométrages déclarés et les kilométrages effectivement parcourus s'expliquait en partie par le fait que lorsqu'elle offrait des remises aux clients, le kilomètre effectivement parcouru n'était pas reporté sur les factures qu'elle émettait dans la mesure où elle n'avait jamais procédé ainsi ; que la société Ucar faisait valoir, facture à l'appui, que la société A2L avait systématiquement respecté à la lettre les dispositions des articles L. 441-3 du Code de commerce et 242 nonies A de l'annexe 2 du Code général des impôts qui l'obligeait à faire clairement apparaître sur ses factures les remises consenties ; qu'à aucun moment, la société Ucar n'a admis que les écarts kilométriques correspondaient effectivement à des remises et que les factures en cause étaient irrégulières faute de respecter le formalisme imposé par les dispositions susvisées ; qu'en estimant que la société Ucar soutenait que sa franchisée n'avait pas respecté les termes des articles L. 441-3 du Code de commerce et 242 nonies A de l'annexe 2 du Code général des impôts et que cette question était hors débat puisqu'il lui appartenait de rechercher si la société A2L avait effectivement dissimulé une partie de son chiffre d'affaire, la cour d'appel a dénaturé les conclusions de la société Ucar en violation des articles 1134 du Code civil et 4 du Code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt retient que la différence entre les listings éditant les kilomètres manquants produits par chacune des parties rend incertaine la fiabilité du tableau produit par le franchiseur et que le kilométrage non facturé pouvait résulter tant des remises faites aux clients par modification du kilométrage de retour que de l'utilisation des véhicules pour l'activité commerciale du franchisé ; qu'il en déduit que les pièces produites par le franchiseur n'apportent pas la preuve de la dissimulation d'un chiffre d'affaires ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations souveraines, la cour d'appel qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation et qui n'a ni inversé la charge de la preuve, ni dénaturé les conclusions de la société Ucar, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le second moyen : - Attendu que la société Ucar fait grief à l'arrêt de déclarer nulle la clause de non-concurrence insérée au contrat de franchise et de rejeter sa demande de réparation au titre de sa violation alors, selon le moyen : 1°) que si les juges doivent tenir pour illicite une clause de non-concurrence en ce que, du fait d'une insuffisance de limitation dans le temps, dans l'espace, et quant à l'activité concernée, elle porte une atteinte disproportionnée à la liberté du commerce, ils doivent faire application d'une telle clause lorsque, dans la mesure de sa licéité, il est certain que son débiteur l'a violée ; qu'en l'espèce, si les juges du fond ont constaté que la clause de non-concurrence présentait un caractère disproportionné en ce qu'elle interdisait à la société A2L de se rétablir dans six départements, ils ont reconnu que la société A2L, une fois son contrat de franchise résilié, s'était rétablie dans les locaux mêmes où elle exerçait sa précédente activité ; qu'en déboutant la société Ucar de son action en responsabilité aux motifs que la clause litigieuse, insuffisamment limitée dans l'espace, était illicite, sans rechercher si la clause de non-concurrence en ce qu'elle interdisait la société A2L de se rétablir dans les locaux qui constituait le siège de son ancienne activité de franchisé, n'était pas licite et si, dans cette mesure, la société A2L ne l'avait pas violée, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 1134 et 1147 du Code civil ; 2°) que la nullité d'une stipulation prononcée par le juge s'opère à la stricte mesure de celle-ci ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que le contrat de franchise conclu par la société A2L comportait, en son article 12.2.§1, une clause interdisant à cette dernière d'exercer, pendant l'année suivant la résiliation du contrat, une activité de location de véhicules de courte durée dans les locaux dans lesquels elle avait exercé son activité sous enseigne Ucar ; que, par une stipulation distincte, contenue à l'article 12.2.§2 du contrat, la convention imposait à la société A2L une même obligation de non-concurrence portant sur six départements de la région parisienne ; que ces stipulations étaient divisibles ; qu'ayant estimé que la " clause de non-concurrence " était disproportionnée en tant qu'elle interdisait à sa débitrice de continuer d'exercer son activité et d'exploiter sa clientèle sur six départements, la cour d'appel ne pouvait prononcer la nullité de l'article 12 de la convention dans sa totalité et prononcer par là-même la nullité de la stipulation interdisant à la société A2L d'exercer, pendant un an, une activité concurrente à celle de la société Ucar dans les locaux dans lesquels elle avait exercé son activité de franchisé, stipulation dont elle ne constatait pas qu'elle était en soi illicite ; qu'en statuant comme elle l'a fait la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 1134 et 1131 du Code civil ; 3°) que les juges ne peuvent dénaturer les écritures des parties ; que pour apprécier le caractère proportionné de l'obligation de non-concurrence mise à la charge de la société A2L au regard des intérêts légitimes de la société Ucar, qu'elle analysait comme étant la protection de son savoir-faire, la cour d'appel a estimé que le savoir-faire dont se prévalait la société Ucar, " ainsi qu'elle expose dans ses conclusions ", consistait dans les " conditions préférentielles qu'elle offre aux franchisés, pour leur approvisionnement en véhicules à travers la centrale d'achat du groupe, dans l'accès facilité à des solutions de financement adaptés auprès de partenaires financiers du franchiseur, dans l'accès facilité à des programmes d'assurances adaptés à l'activité et [dans les] prestations proposées aux clients " ; que la cour d'appel en a déduit que la clause était disproportionnée puisqu'elle interdisait à la société A2L de poursuivre son activité alors qu'aucun élément de savoir-faire ne pouvait être utilisée par cette dernière une fois son contrat rompu ; qu'en statuant ainsi, cependant que la société Ucar faisait valoir, outre les éléments relevés par l'arrêt, qu'elle avait transféré tout un savoir-faire, recensé dans les manuels et formations délivrées à son franchisé, portant sur l'élaboration des contrats de location, sur des méthodes spécifiques de gestion d'une agence (techniques de gestion du parc et du planning, de gestion commerciale, de gestion de la relation client, ou d'organisation de la sécurité), et qu'elle avait en outre mis à disposition de son franchisé un outil informatique très complet destiné à gérer l'exploitation de son activité, la cour d'appel a dénaturé les écritures de la société Ucar et méconnu les termes du litige, en violation des articles 4 du Code de procédure civile et 1134 du Code civil ; 4°) qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher si la stipulation obligeant la société A2L à ne pas continuer à exercer une activité dans les locaux dans lesquels elle avait exercé une activité de location sous franchise Ucar, n'était pas justifiée par l'intérêt légitime de la société Ucar de préserver son savoir-faire portant sur l'élaboration des contrats de location, les méthodes de gestion d'une agence (techniques de gestion du parc et du planning, gestion commerciale, de gestion de la relation client, ou d'organisation de la sécurité) et dans la mise au point d'un outil informatique très complet destiné à gérer l'exploitation d'une agence, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1131 du Code civil ; 5°) qu'est licite la clause de non-concurrence qui est proportionnée aux intérêts légitimes de son créancier, lesquels consistent, en présence d'un contrat de franchise, non seulement en la protection du savoir-faire du franchiseur mais encore dans la " protection de l'identité commune ou de la réputation du réseau " et dans le souci d'éviter le détournement de la clientèle ; qu'en se bornant à rechercher si la clause de non-concurrence était proportionnée au regard de la nécessaire protection du savoir-faire de la société Ucar sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si cette clause n'était pas proportionnée au regard de la nécessaire protection de l'identité commune ou de la réputation du réseau Ucar et du risque de détournement de clientèle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'il ne résulte pas des conclusions d'appel de la société Ucar que cette dernière ait soutenu que les stipulations relatives à la limitation territoriale de la clause de non-concurrence étaient divisibles ; que le moyen est nouveau et mélangé de fait ;
Attendu, en deuxième lieu, que si le franchiseur se prévalait, d'un côté, d'un savoir-faire substantiel ayant donné lieu à la remise de manuels lors de la conclusion du contrat et, de l'autre, de la nécessité de protéger l'identité et la réputation du réseau et d'éviter le risque de détournement de clientèle, il ne précisait pas en quoi ces éléments justifiaient d'étendre la clause de non-concurrence à six départements ; que la cour d'appel n'était pas tenue de répondre à des conclusions imprécises, qu'elle n'a donc pu dénaturer ;
Et attendu, en troisième lieu, qu'ayant retenu que la clause de non-concurrence était illicite en raison de son caractère disproportionné, la cour d'appel n'était pas tenue d'effectuer la recherche invoquée à la première branche ; d'où il suit que le moyen, irrecevable en sa deuxième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.