CA Rouen, 1re ch., 23 mars 2016, n° 14-05638
ROUEN
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Renault Equipements (SARL), Galva (SAS)
Défendeur :
Paris (GAEC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lottin
Conseillers :
M. Samuel, Mme Feydeau-Thieffry
Avocats :
Selarl de Bezenac & Associés, Mes Negrevergne, Gray, Harm,
Exposé du litige
Le 28 janvier 2002, la SARL Renault Equipements a vendu, livré et installé 39 boxes modulables pour chevaux, au prix de 70 124,84 euro TTC, au Groupement Agricole d'Exploitation en Commun (GAEC) Paris, exploitant un élevage de chevaux sous l'enseigne Haras des Forêts.
Après quelque temps d'utilisation, les pièces en acier (zinc) galvanisé, en particulier les profilés intérieurs d'encadrement, ont commencé à rouiller.
Un constat d'huissier a été dressé le 5 septembre 2005.
Dans le même temps, une expertise amiable a été diligentée par l'assureur de la société Renault Equipements, mais la proposition faite par ce dernier, par courrier du 23 juin 2006, d'une remise en état partielle a été refusée par le GAEC Paris.
Par acte du 14 décembre 2006, ce dernier a assigné la société Renault Equipements en référé expertise.
Par décision du 1er février 2007, rendu au contradictoire de la Sas Galva 60, société ayant réalisé la galvanisation des installations, le juge des référés a ordonné une expertise confiée à M. Terpereau.
L'expert a déposé son rapport le 25 mars 2008.
Par acte en date du 24 décembre 2008, le GAEC Paris a assigné la société Renault Equipements devant le Tribunal de grande instance de Coutances en réparation de ses préjudices sur le fondement des articles 1147, 1626 et 1641 du Code civil.
Par acte en date du 29 avril 2009, la société Renault Equipements a assigné en garantie la société Galva 60.
Par jugement rendu le 19 mai 2011, le Tribunal de grande instance de Coutances a adopté le dispositif suivant :
Déclare la SARL Renault Equipement responsable envers le GAEC Paris pour manquement à son obligation d'information et de conseil sur le fondement de l'article 1147 du Code civil,
Condamne la SARL Renault Equipement à payer au GAEC Paris la somme de 35 885 euro outre intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
Condamne la SARL Renault Equipement à payer au GAEC Paris la somme de 5 000 euro au titre de son préjudice futur,
Déboute le GAEC Paris du surplus de ses demandes,
Déboute la SARL Renault Equipement de son action en garantie à l'égard de la société Galva 60,
Ordonne l'exécution provisoire de la présente décision,
Condamne la SARL Renault Equipement à payer la somme de 2 000 euro au GAEC Paris et la somme de 1 000 euro à la société Galva 60 en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamne la SARL Renault Equipement aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Bénédicte MAST, en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Sur l'appel interjeté par la société Renault Equipements, la Cour d'appel de Caen, par arrêt du 10 septembre 2013, a infirmé le jugement déféré, a débouté le GAEC Paris de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné aux dépens ainsi qu'à payer à chacune des sociétés Renault Equipements et Galva 60 une somme de 1 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Sur pourvoi formé par le GAEC de Paris, la Cour de cassation a, par arrêt du 29 octobre 2014, au visa de l'article 1147 du Code civil, cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt de la Cour d'appel de Caen, remis en conséquence la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la Cour d'appel de Rouen.
Pour statuer ainsi et retenir le défaut de base légale de la décision, la cour suprême a fait grief à la cour d'appel, pour rejeter les demandes formées par le GAEC de Paris à l'encontre de son vendeur en relevant que les conditions défectueuses d'utilisation des stalles étaient à l'origine de leur corrosion et que le vendeur n'était pas tenu d'un devoir particulier d'information à cet égard puisque le GAEC, professionnel du milieu équestre, ne pouvait méconnaître ses obligations en matière d'entretien des stalles, de s'être déterminée par des motifs impropres à établir que la compétence de l'éleveur de chevaux lui donnait les moyens d'apprécier les caractéristiques techniques et les conditions d'utilisation et d'entretien du matériel qui lui avait été vendu.
La Cour d'appel de Rouen a été saisie par déclaration de la société Renault Equipements en date du 27 novembre 2014.
Par ordonnance rendue le 28 avril 2015, le premier président a ordonné l'arrêt de l'exécution provisoire attachée au jugement entrepris.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 décembre 2015.
L'affaire, initialement fixée pour être plaidée le 16 décembre 2015, a fait l'objet d'un report au 10 février 2016 en raison de l'indisponibilité de l'un des conseils.
En cours de délibéré, le conseil de l'appelante, à la suite du rapport fait à l'audience au cours de laquelle il avait été attiré son attention sur l'absence d'assignation devant la cour de la société Galva 60 qui n'avait pas constitué avocat, a sollicité par courrier du 19 février 2016 la réouverture des débats afin de lui permettre de faire le nécessaire.
Cependant, l'absence de diligence d'une partie ne constitue pas une cause grave susceptible de justifier le rabat de l'ordonnance de clôture et la réouverture des débats.
Il doit être constaté que la société Galva 60, intimée, n'a pas constitué avocat devant la cour et n'a pas été assignée.
Prétentions et moyens des parties
Pour l'exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions remises au greffe le 23 novembre 2015 par la société Renault Equipements et à celles remises au greffe le 9 novembre 2015 par le GAEC Paris.
Leurs moyens seront examinés dans les motifs de l'arrêt.
La société Renault Equipements sollicite à titre principal l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il a retenu sa responsabilité au titre du manquement de son obligation contractuelle d'information et en ce qu'il l'a déboutée de son action en garantie à l'encontre de la société Galva 60.
Elle demande à la cour de débouter le GAEC Paris de l'intégralité de ses demandes.
À titre subsidiaire, elle sollicite la condamnation de la société Galva 60 à la relever et garantir de toutes condamnations en principal, intérêts, dommages et intérêts, frais de l'article 700 du Code de procédure civile et dépens qui viendraient à être prononcées contre elles au profit du GAEC Paris.
En toute hypothèse, la société Renault Equipements demande à la cour de condamner le GAEC Paris à lui verser la somme de 10 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Le GAEC Paris sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a déclaré la société Renault Equipements responsable des désordres affectant les boxes mais de porter la condamnation fixée par le tribunal à 35 885 euro avec intérêts de droit à compter du jugement à la somme de 70 000 euro correspondant au prix moyen des travaux nécessaires à la remise en état des boxes modulables.
Elle demande en outre la condamnation de la société Renault Equipements à lui payer une somme de 20 000 euro au titre de son préjudice d'exploitation ainsi qu'une indemnité de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR,
Sur le manquement à l'obligation d'information et de conseil
Pour retenir la responsabilité de la société Renault Equipements sur le fondement de l'article 1147 du Code civil, les premiers juges ont constaté qu'aucune spécification ou recommandation d'entretien ou d'exploitation n'avait été faite par cette dernière à l'attention du GAEC Paris lors de la vente litigieuse, alors que l'acquéreur, spécialisé dans l'élevage de chevaux de sport, n'était pas un professionnel en matière de fourniture et installation d'équipements équestres.
Il a en outre retenu les conclusions du laboratoire Cete Apave en qualité de sapiteur de l'expert judiciaire, selon lesquelles "l'attaque intensive du fumier, de l'urine, de l'eau, des résidus de fourrage peut empêcher le développement des couches protectrices stables sur la surface du zinc... qui se produit encore pendant 6 à 12 mois après le traitement de galvanisation" et en a déduit qu'il appartenait à la société Renault Equipements en qualité de professionnel et de fournisseur de matériel destiné à un usage spécifique et aux propriétés particulières d'informer le GAEC Paris sur les conditions d'utilisation du matériel et sur les risques encourus s'il ne se conformait pas aux indications fournies.
Toutefois, s'il est constant que la corrosion est liée aux conditions d'utilisation des installations telles que décrites par le laboratoire Cete Apave, les boxes destinés à des chevaux doivent être conçus et notamment galvanisés de telle façon que ce phénomène de corrosion dû aux déjections des animaux ne puisse se développer.
Comme le souligne l'appelante, il n'est d'ailleurs nullement précisé quelles informations auraient dues être données à l'acquéreur quant aux conditions d'utilisation des boxes livrés, alors que la GAEC Paris affirme et justifie que ses installations étaient parfaitement entretenues de façon quotidienne mais aussi que les boxes plus anciens situés en face de ceux livrés par la société Renault Equipements, entretenus de la même façon, ne sont pas affectés des mêmes désordres.
Il s'ensuit que ce n'est pas le défaut d'entretien qui est en cause, mais la qualité de la galvanisation, comme l'a relevé l'expert judiciaire et comme l'avait admis la société Renault Equipements elle-même qui avait proposé par courrier du 23 juin 2006 au GAEC Paris de démonter les parties affectées des désordres pour faire effectuer avant remontage une nouvelle galvanisation par la société Galva 60.
Il n'est donc pas établi de lien de causalité entre un manquement de la société Renault Equipements à son obligation d'information et de conseil, à le supposer avéré, et le préjudice constaté relatif à l'importante corrosion affectant les boxes. Le jugement sera infirmé en ce qu'il a déclaré la société venderesse responsable envers le GAEC Paris pour manquement à son obligation d'information et de conseil sur le fondement de l'article 1147 du Code civil.
Sur l'existence d'un vice caché
Pour écarter le fondement pris de l'application de l'article 1641 du Code civil, les premiers juges, après avoir admis l'existence d'un vice rendant les boxes impropres à l'usage auquel ils sont destinés, ont relevé qu'il n'était pas démontré que ce vice soit imputable à la société Galva 60, les épaisseurs de galvanisation étant acceptables au regard de la norme applicable, ni qu'il soit imputable à la société Renault Equipements, laquelle contestait, comme elle en était suspectée, avoir utilisé un produit anti-adhérent pour les projections de soudure qui aurait pu empêcher la bonne galvanisation là où ce produit aurait été apposé.
La société Renault Equipements, pour écarter ce fondement, soutient en outre que le critère d'antériorité du vice n'est pas établi dès lors que les boxes ont été installés en janvier 2002 et que le premier constat d'huissier n'a été établi que le 5 décembre 2005, soit bien après le transfert de propriété.
Toutefois, les premiers juges ne pouvaient écarter l'application de l'article 1641 du Code civil au motif qu'ils ne pouvaient déterminer si le vice provenait de l'intervention, au stade de la fabrication, de la société venderesse ou de son sous-traitant la société Galva 60.
Il est à cet égard inopérant de la part de l'appelante de faire valoir qu'elle n'est pas une spécialiste de la galvanisation, dès lors qu'en sa qualité de venderesse elle est tenue de garantir son acquéreur contre les vices cachés.
Il résulte en effet des opérations d'expertise judiciaire, ainsi que relatées ci-dessus, que le processus de corrosion est lié non à un défaut d'entretien des installations mais à une galvanisation qui, quels qu'en soient les motifs précis, évoqués par M. Terpereau dans son rapport, s'est avérée inefficace pour, comme c'est pourtant son objectif, protéger l'acier de la corrosion.
Si les désordres ne sont apparus qu'après une période d'ailleurs assez courte d'utilisation, il est établi que ce vice de fabrication était antérieur à la vente.
Dans son appel subsidiaire en garantie, l'appelante soutient elle-même que la galvanisation était " défectueuse ou pour le moins inadaptée ".
La cour, réformant le jugement entrepris, retiendra en conséquence la responsabilité de la société Renault Equipements sur le fondement de l'article 1641 du Code civil.
Sur le préjudice du GAEC Paris
L'expert judiciaire a fixé le préjudice correspondant aux travaux de reprise à la somme de 35 885 euro comprenant le traitement des parties rouillées, le remplacement de certains éléments irrécupérables et aux opérations de démontage et remontage des parties affectées par les désordres.
Le GAEC Paris, invoquant l'ancienneté du rapport d'expertise et l'aggravation des désordres, sollicite sur la base de nouveaux devis que le coût des travaux de reprise soit évalué à la somme de 70 000 euro TTC et qu'il lui soit alloué en outre une somme de 20 000 euro au titre de son préjudice d'exploitation actuel et futur.
Pour contester l'intégralité de ces demandes, la société Renault Equipements soutient qu'il s'agit de préjudices purement hypothétiques.
Toutefois, la nécessité de procéder aux travaux de reprise pour remédier aux désordres constitue un préjudice réel, actuel et certain.
Si l'existence d'un préjudice actuel d'exploitation n'est pas établie, il existera un tel préjudice lors de l'exécution des travaux de reprise, que la cour évalue à la somme de 5 000 euro.
S'agissant de l'importance des travaux de reprise, il ne résulte pas du constat d'huissier établi le 20 mai 2015 qu'il existe une aggravation des désordres, depuis le dépôt du rapport d'expertise, justifiant que le préjudice lié aux travaux de reprise soit fixé à une somme supérieure à 35 885 euro, la pièce ainsi versée aux débats n'étant pas démonstratrice à cet égard alors que le traitement à appliquer reste le même.
Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a condamné la société Renault Equipements à payer au GAEC Paris la somme de 35 885 euro avec intérêts au taux légal à compter de son prononcé ainsi que la somme de 5 000 euro au titre du préjudice futur.
Sur les autres demandes
Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions relatives à l'application de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'appelante sera déboutée de son appel incident à l'encontre de la société Galva 60, faute d'avoir assigné cette dernière devant la présente cour,
Elle sera déboutée de sa demande faite sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et sera condamnée à payer au GAEC Paris à ce titre la somme mentionnée au dispositif.
Par ces motifs, Statuant publiquement, par défaut, et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en celle ayant déclaré la société Renault Equipements responsable envers le GAEC Paris pour manquement à son obligation d'information et de conseil sur le fondement de l'article 1147 du Code civil, Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant, Déclare la société Renault Equipements responsable du préjudice subi par le GAEC Paris sur le fondement de la garantie des vices cachés, Déboute la société Renault Equipements de sa demande faite sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Renault Equipements à payer au GAEC Paris une somme de 8 000 euro au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel, Condamne la société Renault Equipements à payer les dépens de première instance et d'appel, comprenant les frais de référé et d'expertise judiciaire, avec droit de recouvrement direct au profit des avocats en ayant fait la demande, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.