CA Rennes, 2e ch., 25 mars 2016, n° 12-08172
RENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Sans (Consorts)
Défendeur :
Sans, Association pour l'information, la défense et le recours des accidentés de la circulation de l'Ouest, Association européenne d'aide aux victimes d'accidents corporels
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Christien
Conseillers :
Mmes Le Potier, Dotte-Charvy
Avocats :
Mes Brezulier, Bourges, Philiponet, Le Couls Bouvet
Faits et procédure :
Nicolas Sans, né le 27 février 1987 et alors âgé de 15 ans, a été victime le 27 juillet 2002 d'un grave accident de la circulation alors qu'il circulait à cyclomoteur.
Le 28 mars 2003, sa mère Mme Ginette Breugnot épouse Sans, agissant tant pour elle-même que pour tous les membres de la famille, a signé une "convention d'assistance et de gestion " avec l'Association pour l'information, la Défense et le Recours des Accidentés de la Circulation de l'Ouest (Adraco), lui donnant procuration pour soumettre son dossier de recours à ses avocats et médecins conseils pour lui permettre d'obtenir les indemnités auxquelles elle est en droit de prétendre concernant l'accident dont son fils Nicolas a été victime.
Par jugement en date du 21 juillet 2009, le Tribunal de grande instance de Vannes a fixé les préjudices de Nicolas Sans à la somme globale de 709 141,72 euro et a condamné in solidum le responsable de l'accident et son assureur à lui verser la somme globale de 553 865,39 euro, créance de la CPAM déduite et provision déduite, une somme provisionnelle de 100 000 euro ayant été allouée au cours d'une procédure de référé ; par ailleurs chacun des parents a obtenu une somme de 10 000 euro au titre de son préjudice d'affection et Mme Sans la somme de 2 500 euro au titre de frais de transport ; les sommes allouées ont été assorties d'un intérêt au double du taux légal à compter du 3 septembre 2006 jusqu'au 29 août 2008.
Par jugement en date du 26 avril 2010, le juge des tutelles du Tribunal d'instance de Vannes a placé Nicolas Sans sous le régime de la curatelle simple et a désigné Mme Sans sa mère en qualité de curateur.
Par acte en date du 26 avril 2011, les époux Sans en leur nom propre, et Nicolas Sans représenté par Mme Sans en qualité de curatrice ont fait assigner les Association pour l'information, la Défense et le Recours des Accidentés de la Circulation de l'Ouest et Association Européenne d'aide aux victimes d'Accidents Corporels (associations Adraco et Euraco) aux fins de voir constater la nullité de la convention d'assistance et de gestion et condamner in solidum les associations à leur rembourser la somme de 79 401,78 euro prélevée sur les fonds alloués, outre une somme sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par jugement en date du 24 avril 2012, le Tribunal de grande instance de Vannes a :
- faisant droit à l'exception de prescription, écarté comme irrecevables l'action en annulation de la convention du 28 mars 2003 et toutes les demandes des époux Sans dirigées de ce chef, tant en leur nom propre que pour le compte de leur fils Nicolas Sans,
- rejeté toutes les demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné solidairement les époux Sans aux entiers dépens,
- rejeté toute autre demande des parties plus ample ou contraire, y compris aux fins d'exécution provisoire.
Par déclaration déposée au greffe le 29 novembre 2012, Mme Sans, agissant en son nom personnel et en sa qualité de curatrice, et Nicolas Sans (les consorts Sans) ont relevé appel de cette décision.
Aux termes de leurs conclusions récapitulatives déposées le 22 octobre 2015, ils demandent à la cour de réformer le jugement et de :
- déclarer recevable l'action en nullité et prononcer la nullité de la convention d'assistance et de gestion signée le 28 mars 2003,
- condamner solidairement les associations Adraco et Euraco à leur payer la somme totale de 78 504,78 euro,
- condamner solidairement les associations Adraco et Euraco à payer la somme de 502,32 euro à Mme Sans et la somme de 394,68 euro à M. Sans- condamner solidairement les associations Adraco et Euraco à payer la somme de 502,32 euro à Mme Sans et la somme de 394,68 euro à M. Sans,
- en toute hypothèse, les condamner solidairement à la somme de 5 000 euro au titre des frais irrépétibles d'appel et aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Aux termes de leurs conclusions déposées le 10 avril 2013, les associations Adraco et Euraco demandent à la cour de :
- confirmer le jugement et débouter les consorts Sans de l'intégralité de leurs demandes, fins et prétentions,
- subsidiairement : dire que la convention conclue le 28 mars 2003 ne relève pas du démarchage à domicile régi par les articles L. 121-21 et suivants du Code de la consommation et que l'article L. 122-8 du même code sur l'abus de faiblesse leur est inopposable,
- très subsidiairement : dire que la convention n'est pas intervenue sous couvert d'un abus de faiblesse, qu'aucun dol ou autre vice du consentement n'a entaché la substance de la convention ni n'a été la cause déterminante de son consentement, et en conséquence juger que la convention est valable et régulière et débouter les consorts Sans de l'intégralité de leurs demandes, fins et prétentions,
- infiniment subsidiairement : dire que les consorts Sans ont bénéficié de réelles prestations de la part des associations Adraco et Euraco, qui sont intervenues en exécution conforme de la convention, que les sommes payées par les consorts Sans à l'association Euraco sont bien fondées et justifiées, mettre hors de cause l'association Adraco et en conséquence débouter les consorts Sans de l'intégralité de leurs demandes, fins et prétentions,
- en tout état de cause : condamner les consorts Sans solidairement à payer à chacune des défenderesses la somme de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Aux termes de ses conclusions n° 2 déposées le 22 octobre 2015, M. Daniel Sans demande à la cour de :
- lui donner acte de ce qu'il s'en rapporte à justice sur la recevabilité et le bien-fondé de l'appel interjeté par Mme Sans,
- constater que sa présence à la procédure résulte d'une erreur,
- réformer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné M. Sans aux dépens,
- débouter les associations intimées de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
- condamner Mme Sans au paiement d'une somme de 1 000 euro à titre de dommages et intérêts,
- la condamner au paiement d'une somme de 1 000 euro sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 outre les entiers dépens.
Il est renvoyé aux écritures des parties pour l'exposé de leurs moyens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 novembre 2015.
SUR CE :
Sur la prescription de l'action :
En première instance et aux termes de l'acte introductif d'instance délivré le 26 avril 2011, les époux Sans fondaient leur action en nullité de la convention sur les articles L. 121-21 et suivants du Code de la consommation, à savoir les dispositions sur le démarchage à domicile.
Pour faire droit à l'exception de prescription opposée en défense, le premier juge a considéré que le délai de cinq ans prévu par l'article 1304 du Code civil était applicable et qu'en l'espèce le point de départ de cette prescription concernant l'action engagée par Mme Sans en son nom propre, avec ou sans son époux, se situait au jour de la signature de l'acte à savoir le 28 mars 2003, et concernant celle engagée pour le compte de Nicolas, pour autant qu'on puisse admettre, en l'absence de contestation adverse, leur capacité à le représenter, qu'elle encourait également la sanction de la prescription faute d'avoir été engagée, sauf interruption ou suspension, dans les cinq ans écoulés après la majorité du jeune homme, intervenue le 27 février 2005.
En effet et aux termes de l'article 1304 du Code civil :
Dans tous les cas où l'action en nullité ou en rescision d'une convention n'est pas limitée à un moindre temps par une loi particulière, cette action dure cinq ans.
Ce temps ne court dans le cas de violence que du jour où elle a cessé ; dans le cas d'erreur ou de dol, du jour où ils ont été découverts.
Le temps ne court, à l'égard des actes faits par un mineur, que du jour de la majorité ou de l'émancipation ; et à l'égard des actes faits par un majeur protégé, que du jour où il en a eu connaissance, alors qu'il était en situation de les refaire valablement. (...)
Devant la cour, les consorts Sans sollicitent la nullité de la convention d'une part sur le fondement des articles 1108 et 1116 du Code civil, à savoir le dol, et d'autre part sur le fondement des articles L. 122-8 du Code de la consommation, à savoir l'abus de faiblesse, et 1109 du Code civil.
Ils ne contestent pas l'application des dispositions de l'article 1304 du Code civil, à savoir un délai de prescription de cinq ans, pour l'action fondée sur le dol, mais font valoir que le point de départ du délai est le 10 juin 2008, jour de la réception de la quittance émise par Adraco, où ils se sont aperçus que des sommes étaient prélevées sur les fonds alloués à Nicolas Sans
Il ressort des pièces produites que sur le montant total de 688 638,10 euro réellement obtenu par Nicolas Sans (créance de la CPAM déduite et intérêts au double du taux légal du 3 septembre 2006 au 29 août 2008) les intimées ont obtenu la somme de 78 504,78 euro, soit 11,4 %, que sur l'indemnisation de 12 500 euro allouée à Mme Sans elles ont obtenu 502,32 euro soit 4 %, et sur celle de 10 000 euro allouée à Daniel Sans celle de 394,68 euro soit 3,95 %.
La convention litigieuse d'assistance et de gestion, qui est dactylographiée, prévoit que la signataire donne procuration à Adraco pour soumettre son dossier de recours à ses avocats conseils et ses médecins conseils, experts en réparations du dommage corporel, pour lui permettre d'obtenir les indemnités auxquelles elle est en droit de prétendre concernant l'accident dont son fils Nicolas a été victime.
Le deuxième paragraphe prévoit qu'Adraco fera pour moi l'avance de tous les frais nécessaires à la bonne fin de mon recours et que, tant à la conclusion favorable du dossier contentieux qu'au fur et à mesure du versement des indemnités, je rembourserai cette partie des frais engagés pour mon compte, partie fixée à ce moment-là, et acceptée d'un commun accord ; le troisième paragraphe précise qu'en cas d'échec d'Adraco et ses avocats conseils, les frais et débours ne seront pas à la charge de la signataire ; enfin le quatrième et dernier paragraphe prévoit qu'en cas de rétractation alors que des débours ont été engagés, tant en frais de gestion qu'en terme d'intervention juridique, la signataire remboursera ces frais.
À côté de la signature de Mme Sans et sous la date du 28 mars 2003, il est écrit "lu et approuvé " et en dessous "entre 10 et 15 % ".
Mme Sans conteste avoir écrit cette dernière mention, alors que la comparaison des écritures et des guillemets inclinent manifestement vers un seul rédacteur pour les deux mentions, de même que celles portées sur l'attestation du même jour par laquelle Mme Sans "démissionne la GMF (...) " et a signé également "lu et approuvé " ; au surplus peu important que cette mention contestée par Mme Sans ne soit pas de sa main dans la mesure où elle figure sur la convention produite par Mme Sans et a donc été apposée le jour de la signature.
Il ressort ainsi clairement de la convention litigieuse que Mme Sans, dans le cadre de l'assistance et de la gestion apportée par l'association Adraco pour obtenir des indemnités suite à l'accident de son fils Nicolas, tant pour elle-même que tous les membres de la famille, bénéficiait des avocats et médecins conseils spécialisés en réparation du dommage corporel de l'association, qui faisait l'avance de tous les frais nécessaires, remboursables au fur et à mesure du versement des indemnités, selon une proportion prévue dès l'origine entre 10 et 15 % des indemnités obtenues.
L'action de Mme Sans fondée sur le dol est par conséquent prescrite, la convention étant du 28 mars 2003 et l'assignation délivrée le 26 avril 2011.
Nicolas Sans, né le 27 février 1987, est par conséquent devenu majeur le 27 février 2005 ; il a été placé sous le régime de la curatelle simple par jugement en date du 26 avril 2010 ; par conséquent son action est également prescrite.
Les consorts Sans font valoir que leur action en nullité est d'autre part fondée sur les articles L. 122-8 du Code de la consommation, à savoir l'abus de faiblesse, et 1109 du Code civil, à savoir l'absence de consentement en raison de l'erreur, la violence ou le dol, et qu'elle n'est pas prescrite au vu d'une jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle la prescription des infractions pour abus de faiblesse ne commence à courir que du jour du dernier acte abusif, soit en l'espèce le 10 novembre 2009, jour du dernier versement des consorts Sans au profit de l'association.
Dans ses arguments au fond, Mme Sans développe la législation sur le démarchage à domicile, qu'elle a été sollicitée alors que le grave accident dont a été victime Nicolas avait eu lieu quelques mois auparavant et qu'il n'était pas encore consolidé, que les parents étaient indéniablement dans une situation de grande vulnérabilité et de faiblesse dont l'association a voulu profiter, et qu'en conséquence Mme Sans en sa qualité d'administratrice légale de son fils n'a pas saisi la portée des engagements souscrits.
Les associations Adraco et Euraco font valoir en défense que l'abus de faiblesse est un délit défini et réprimé à l'article L. 122-8 du Code de la consommation, et la cour observe que la jurisprudence de la Cour de cassation citée par les appelants a été rendue par la Chambre criminelle, statuant sur l'application d'articles du Code pénal et de procédure pénale pour la prescription de l'action publique.
L'action sur le fondement des articles 1109 et suivants du Code civil est soumise aux dispositions de l'article 1304 du Code civil précité, et dans le cas précis que semblent évoquer les appelants, à savoir l'état de faiblesse de Mme Sans lors de la souscription de la convention, il sera rappelé que l'action dure cinq ans. Ce temps ne court dans le cas de violence que du jour où elle a cessé.
L'action de Mme Sans est par conséquent également prescrite, de même que celle de Nicolas Sans pour les mêmes motifs que précédemment développés.
Le jugement entrepris sera confirmé, et les demandes de M. Nicolas Sans, non comparant en première instance, rejetées.
Sur l'appel incident de M. Daniel Sans :
M. Sans indique qu'il était détenu à l'époque de la convention, n'a pas été informé des démarches de son épouse, que courant 2007 il a fait la connaissance d'une personne de l'association Adraco et qu'il n'existait aucune dissension entre elle et son épouse, qu'il ignore pourquoi son épouse a saisi le Tribunal de grande instance de Vannes en nullité de la convention, et qu'en tout état de cause il n'aurait jamais dû être considéré comme demandeur à l'instance car il n'a pas été associé à la décision, étant détenu à la date de l'acte introductif d'instance.
Il évoque des troubles et tracas en lien avec la présente procédure, qu'il a été contraint de faire valoir sa position, ce qui a généré du stress.
Les demandes de M. Sans n'ont fait l'objet d'aucune réponse de la part des appelants et des intimées.
M. Sans ne verse aucune pièce ; la cour ne peut qu'observer, pour rejeter l'ensemble des demandes de M. Sans, qu'il ressort du jugement entrepris que les époux Sans résident à la même adresse et sont représentés par le même conseil, s'agissant d'une procédure devant le tribunal de grande instance où la représentation par avocat est obligatoire.
Sur les dépens et frais :
Les consorts Sans succombent à l'appel qu'ils ont interjeté, ainsi que Daniel Sans à son appel incident ; aussi les dépens de première instance seront confirmés, les consorts Sans condamnés aux dépens d'appel, sauf en ce qui concerne Daniel Sans qui conservera la charge de ses propres dépens.
Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement du Tribunal de grande instance de Vannes en date du 24 avril 2012 dans toutes ses dispositions ; Y ajoutant, Déboute M. Daniel Sans de l'ensemble de ses demandes ainsi que M. Nicolas Sans; Condamne M. Daniel Sans à supporter les dépens d'appel qu'il a exposé, et Mme Ginette Breugnot épouse Sans et M. Nicolas Sans au surplus des dépens d'appel ; Déboute les parties de toutes autres demandes.