Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 31 mars 2016, n° 14-14747

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

M. Moïse, Woop (SAS)

Défendeur :

Rad (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dabosville

Conseillers :

M. Loos, Mme Schaller

T. com. Paris, du 23 juin 2014

23 juin 2014

Faits et procédure

La société Rad vend depuis 2012 par le biais de son site internet www.raaad.fr, en collaboration avec des artistes, leurs créations sur divers produits dérivés.

M. Moïse E. a décidé de créer et d'exploiter son propre site internet d'Art Shop, il s'est immatriculé en qualité d'auto-entrepreneur le 1er avril 2013, puis il a mis en ligne, le 18 juin 2013 un site web à l'adresse www.Woop.fr dont la société Woop aurait repris l'exploitation le 23 janvier 2014.

La société Rad a reproché à M. Moïse E. d'avoir repris selon elle l'ensemble des caractéristiques du concept d'Art Shop exploité sur son propre site, d'avoir imité son nom de domaine sur internet, d'avoir choisi de collaborer avec les mêmes artistes qu'elle, d'avoir acquis le mot clé " Raad FR " sur l'outil adwords de Google et d'avoir utilisé les mêmes visuels promotionnels qu'elle dans le cadre de sa campagne publicitaire afin de détourner ses investissements.

M. E. ayant refusé de modifier son activité, Rad a demandé la réparation du préjudice subi selon elle de cette concurrence déloyale et parasitaire par assignation à bref délai du 18 décembre 2013.

M. E. a, quant à lui, reproché à la société Rad des actes de dénigrement.

Par jugement en date du 23 juin 2014 le Tribunal de commerce de Paris, a :

- condamné M. Moïse E. à payer à la SAS Rad les sommes de 100 000 euro en réparation du préjudice subi et 10 000 euro en application de l'article 700 CPC.

- ordonné l'exécution provisoire du jugement sans constitution de garantie.

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

- condamné M. E. aux dépens.

Vu l'appel interjeté par M. E. contre cette décision.

Vu les dernières conclusions signifiées par M. E. et la société Woop assignée en intervention forcée, le 11 décembre 2015, par lesquelles il est demandé à la cour de :

A titre préliminaire

- constater que la société Woop a été immatriculée au cours de la procédure de première instance et que le litige n'a pas évolué sur ce point au sens de l'article 555 du Code de procédure civile.

- déclarer irrecevable la demande en intervention forcée de la société Woop formulée par la société Rad.

A titre subsidiaire, si la demande en intervention forcée de la société Woop était déclarée recevable

- constater que la société Rad ne démontre pas l'existence de fautes de la société Woop et de M. E. ayant concouru à la réalisation du préjudice qu'elle allègue.

- rejeter la demande de condamnation in solidum de M. E. et de la société Woop.

Et

constater que

- le site Woop ne s'inscrit en aucune façon dans le sillage du site Rad et ne constitue qu'une autre plateforme de commerce concurrente de celle exploitée par la société Rad ;

- l'utilisation du terme " Woop " à titre de marque, nom de domaine et nom commercial par M. Moïse E. puis par la société Woop ne permet pas de caractériser un quelconque agissement déloyal ou parasitaire de leur part ;

- l'utilisation du terme Art Shop ne permet pas de caractériser un quelconque agissement déloyal ou parasitaire de M. Moïse E. et/ou de la société Woop ;

- le choix par M. Moïse E. et/ou la société Woop des artistes dont les produits sont vendus sur le Site Woop ne permet pas de caractériser un quelconque agissement déloyal ou parasitaire de sa part ;

- le choix par M. Moïse E. et/ou la société Woop des marques présentes sur le Site Woop ne permet pas de caractériser un quelconque agissement déloyal ou parasitaire de sa part ;

- le contenu tant textuel que visuel du site Woop ne permet pas de caractériser un quelconque agissement déloyal ou parasitaire de M. Moïse E. et/ou la société Woop ;

- M. Moïse E. n'a jamais détourné à son profit les campagnes publicitaires de la société Rad ;

- l'achat d'un mot-clé Google ne constitue pas un agissement déloyal ou parasitaire de la part de M. Moïse E. ;

- le grief tiré d'un prétendu dénigrement par M. Moïse E. du Site Rad n'est ni prouvé, ni fondé ;

- la société Rad ne démontre pas avoir subi un quelconque préjudice lié aux agissements qu'elle reproche à M. Moïse E. et/ou à la société Woop ;

En conséquence :

- Réformer entièrement le jugement déféré ;

Et, statuant à nouveau :

- Débouter la société Rad de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

A titre reconventionnel :

- constater qu'en dénigrant l'activité de M. Moïse E. tant auprès de ses artistes qu'auprès de sa clientèle constituée d'Internautes, tout en tentant d'en tirer une publicité malsaine, la société Rad a commis des actes de concurrence déloyale causant à M. Moïse E. un préjudice moral tiré de l'atteinte à son honneur et à sa réputation qu'il convient de faire cesser sans délai et d'indemniser ;

En conséquence :

- Condamner la société Rad à cesser tout acte de dénigrement de M. Moïse E. et/ou du Site Woop, et ce, sous astreinte de cinq mille euros (5 000 euro) par infraction constatée à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;

- Condamner la société Rad à verser à M. Moïse E. la somme de quatre cent mille euros (400 000 euro) à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral causé par les actes de dénigrement, de parasitisme et de concurrence déloyale de la société Rad ;

- Ordonner la publication par la société Rad et à ses frais de l'arrêt à intervenir sur la page d'accueil du Site Rad pendant trente (30) jours consécutifs dans les deux semaines qui suivent la signification de l'arrêt à intervenir ;

- Autoriser M. Moïse E. et/ou la société Woop à publier, en entier ou par extraits, le dispositif du jugement à intervenir dans trois revues ou journaux de leur choix, aux frais de la société Rad, dans la limite de 20 000 euros hors taxe par publication ;

En tout état de cause :

- Condamner la société Rad à verser à M. Moïse E. la somme de vingt mille euros (20 000 euro) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamner la société Rad à verser à la société Woop la somme de dix mille euros (10 000 euro) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamner la société Rad aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Vu les dernières conclusions signifiées par la société Rad le 6 janvier 2016, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a reconnu Monsieur E. coupable d'actes de concurrence déloyale et parasitaire à l'encontre de la société Rad,

- Recevoir la société Rad en son appel incident et la dire bien fondée,

- Donner acte à la société Rad de son appel en intervention forcée de la société Woop,

- Débouter Monsieur Moïse E. de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles, et l'en dire mal fondé,

- Dire et juger que Monsieur E. et la société Woop ont commis des agissements déloyaux et parasitaires à l'encontre de la société Rad.

statuant à nouveau,

- Condamner solidairement Monsieur Moïse E. et la société Woop en réparation du préjudice causé par les actes de concurrence déloyale dont ils se sont rendus coupables à l'égard de la société Rad, à lui régler la somme de 200 000 euro à titre de dommages et intérêts,

- Condamner solidairement Monsieur Moïse E. et la société Woop en réparation du préjudice causé par les actes de parasitisme dont ils se sont rendus coupables à l'égard de la société Rad, à lui régler la somme de 200 000 euro à titre de dommages et intérêts,

subsidiairement

- Condamner Monsieur Moïse E. en réparation du préjudice causé par les actes de concurrence déloyale et parasitaire dont il s'est rendu coupable à l'égard de la société Rad, à lui régler la somme de 400 000 euro à titre de dommages et intérêts,

- Condamner la société Woop en réparation du préjudice causé par les actes de concurrence déloyale et parasitaire dont elle s'est rendue coupable à l'égard de la société Rad, à lui régler la somme de 200 000 euro à titre de dommages et intérêts,

En tout état de cause

- Ordonner la publication de la décision à intervenir dans trois journaux, aux frais de Monsieur Moïse E. et de la société Woop, sans que le coût de chaque insertion ne puisse excéder la somme de 20 000 euro Hors Taxes,

- Ordonner la publication de la décision à intervenir sur la page d'accueil du site www.Woop.fr,

- Condamner solidairement Monsieur Moïse E. et la société Woop à payer à la société Rad la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du CPC,

- Condamner solidairement Monsieur Moïse E. et la société Woop aux entiers dépens de l'instance, y compris aux frais de constat d'Huissier.

Cela étant expose la cour

Doivent être en préalable écartées des débats les pièces numérotés 11, 12 du dossier de la société Rad, qui sont en langue anglaise, non traduites ;

Sur l'assignation en intervention forcée de la société Woop aux fins de condamnation in solidum avec M. E.

M.E. soutient que cette demande est irrecevable en cause d'appel et qu'elle constituerait une atteinte au principe du double degré de juridiction ; que si l'article 555 du Code de procédure civile prévoit l'intervention forcée-qui doit être regardée comme une exception - il pose comme condition à cette dernière l'existence d'une évolution du litige, qui n'est caractérisée que par la révélation d'une circonstance de fait ou de droit née du jugement ou postérieure à celui-ci, modifiant les données juridiques du litige ; qu'en l'espèce, l'immatriculation de la société Woop (23 janvier 2014) est antérieure aux dernières conclusions de la société Rad - et donc au jugement du tribunal de commerce - et que la société Rad possédait des éléments lui permettant d'anticiper la création de cette société (immatriculation de M. E. en qualité d'auto entrepreneur, mention d'une société en cours de formation dans le PV d'enregistrement du signe Woop) ; qu'ainsi, cet événement ne constituerait pas une évolution du litige au sens de l'article 555 du Code de procédure civile ;

La société Rad fait valoir sur ce point que, avant le jugement, elle ne pouvait être informée de la création de la société Woop dont l'existence n'a été révélée que bien postérieurement, lors que M. E., qui en est le président, aurait dû en informer le tribunal, soit dans ses dernières conclusions de première instance, soit lors de l'audience de plaidoirie ; qu'au contraire il a préféré dissimuler la réalité de l'exploitation du site internet mis en cause dans le seul but d'organiser son insolvabilité ;

Force est de constater qu'effectivement l'immatriculation de la société Woop n'a jamais été mentionnée en première instance alors que ce faisant, cette société reprenait l'actif et le passif du site ;

Pour autant il n'est pas argué que la société Woop n'ait pas été régulièrement constituée et immatriculée au Registre du Commerce, ce qui rend son existence juridique opposable aux tiers ; cet élément ne saurait constituer une évolution du litige au sens de l'article 555 du Code de procédure civile dès lors que la société Rad était, en tout état de cause, à même de le connaître et que les dispositions de cet article n'ont pas pour objet de pallier la carence ou l'erreur d'une partie ;

S'évince de ce qui précède que l'intervention forcée de la société Woop est rejetée et que le litige est circonscrit aux seules activités de M. E. ;

De même, la société Rad réclame la condamnation solidaire de la société Woop et de Monsieur E. pour les actes de concurrence déloyale et parasitaire commis à son encontre, motif pris que la première a repris à son compte l'exploitation du site Woop.fr après Monsieur E. ce qui implique nécessairement une reprise de l'actif mais également du passif, que la société Woop est donc responsable des litiges en cours afférents à l'exploitation du site Internet Woop.fr, lors que les actes de concurrence déloyale reprochés initialement n'ont pas cessé avec l'immatriculation de la société Woop en janvier 2014, mais se sont poursuivis et ont perduré ;

Mais, dès lors que la société Woop n'est pas, comme il l'a été dit, parti au présent litige, aucune condamnation à son encontre ne peut d'évidence être prononcée.

Au fond

La société Rad, rappelle en préalable que l'exercice de la liberté du commerce et de l'industrie doit se faire dans le respect d'une concurrence saine et légitime qui impose à tout industriel, tout commerçant, d'avoir une stratégie commerciale visant à distinguer son entreprise, ses produits et services de ceux de ses concurrents ; et que selon la jurisprudence constante et établie en la matière, les actes de concurrence déloyale et parasitaires sont définis comme suit :

" le commerce est libre sous réserve de certaines conditions tenant notamment, à l'absence de faute par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit, préjudiciable à l'exercice paisible et loyal du commerce ;

le parasitisme est caractérisé dès lors qu'une personne physique ou morale, à titre lucratif et de façon injustifiée, s'inspire ou copie une valeur économique d'autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements ".

La société Rad soutient en conséquence que, en l'espèce, il est avéré qu'après avoir pu apprécier le succès du site Internet de vente en ligne www.raaad.fr -concept innovant, associant pour la première fois par le biais de la vente en ligne la collaboration avec de jeunes artistes et le merchandising de leurs créations sur divers supports (textile, coques iPhones...) - Monsieur E. puis la société Woop, exploitant le site www.Woop.fr, se sont immiscés de manière tout à fait déloyale dans le sillage de la société Rad, en créant une confusion évidente entre ces deux sites Internet concurrents ; qu'ainsi Monsieur E. a procédé à l'achat du mot clé " Raaad FR " pour détourner les clients internautes de la société Rad, et les diriger vers son site Internet concurrent présentant une confusion avérée pour l'internaute dès lors que sur le site Woop on retrouve un nom de domaine similaire (visuellement et intellectuellement), les mêmes artistes, le vocable Artshop, à l'instar du site Internet de Rad dans le sillage de laquelle M. E. s'est placé en profitant de ses efforts pour développer son activité, commettant ainsi une faute constitutive de concurrence parasitaire ;

Qu'en attesteraient, selon elle, les faits suivants :

- l'utilisation du mot clé Raaad : Woop a fait référencer son site internet au moyen du mot clé Raaad FR et dès lors l'internaute qui souhaite se rendre sur le site www.raaad.fr et qui tape dans la barre de recherche Google le mot " Rad " aura nécessairement en bandeau d'accueil le lien sponsorisé du site www.Woop.fr le renvoyant exactement aux mêmes produits, et le détournant nécessairement du site de la société Rad, ainsi que n'a pas manqué de relever le Tribunal ; la société Rad souligne que Woop a procédé à cet achat au moment de la campagne publicitaire de grande envergure lancée par Rad à la fin du mois de juin 2013, ce qui avait nécessairement pour but de détourner le nouveau trafic d'internautes généré par la campagne publicitaire et souhaitant se rendre sur le site de Rad et que M. E. ne démontre pas avoir fait usage du mot clé litigieux sur un temps limité ; que, mis en demeure, M. E. a invité Rad à se plaindre auprès de Google ;

Que la jurisprudence dont il se prévaut est inapplicable aux faits de l'espèce en ce qu'elle repose sur l'absence de " circonstances caractérisant un risque de confusion entre les sites Internet de deux entreprises ", lors que, en l'espèce, nombreuses circonstances caractérisent la confusion entre les sites des deux sociétés, que l'usage du mot clé " Raad FR " prouve la volonté fautive de M. E. de continuer à entretenir cette confusion, cet usage se combinant à un faisceau d'autres agissements déloyaux de Woop à l'encontre de Rad :

- le choix de la dénomination Woop : dénomination imite de manière assez grossière le nom commercial "raaad" aussi bien sur le plan intellectuel que sur le plan sémantique (triplement de la voyelle, signification similaire dans le langage familier de la jeunesse américaine, etc).

La société Rad précise que si elle ne formule aucune demande au titre de sa marque, elle articule son grief à partir de la confusion née de la construction sémantique et de la ressemblance intellectuelle de ces deux noms.

- le vocable "art shop" : ce vocable est à la base du concept du site internet de Rad : bien que celle-ci n'entende pas revendiquer un monopole sur le terme Art Shop, le fait que Woop le reprenne à son compte renforce d'autant plus la confusion entre les deux sites internet, d'autant que Woop a choisi, d'une manière qui ne peut être attribuée au hasard, d'exploiter les créations des mêmes artistes reproduites sur les mêmes produits ;

En outre, Woop décrit son site comme " le nouvel Artshop ", à peine implicite, selon la société Rad, l'ancien qui ne peut être que le site Internet de la société Rad, laquelle ne fait du reste plus usage du vocable Art Shop pour s'extraire des ressemblances qui pourraient être faites entre les deux sites ;

- le choix des artistes : Rad exploite de manière intensive les visuels de deux artistes, Jamie M. et Kris T., sur lesquels se base sa communication promotionnelle de ces deux artistes, auquels Woop a fait appel et les a décrits quasi mot à mot de la même manière sur sa page Facebook que sur le site de Rad ; Woop reconnait elle-même que les descriptions sont similaires, tout en soutenant mauvaise foi que ressemblances seraient dues au positionnement des artistes sur le marché de l'Art shop ;

Est en conséquence avérée, selon la société Rad, la description des produits d'une autre entreprise concurrente située sur le même marché, Woop ayant de surcroît choisi comme emblème de son site les mêmes visuels de ces artistes que ceux qui sont exploités par Rad, et continué à se placer systématiquement dans le sillage de Rad en cherchant à collaborer avec d'autres artistes lancés par Rad ;

La société Rad souligne que les sites concurrents invoqués par Woop sont anglais ou américains, entièrement rédigés en langue anglaise, et qu'ils indiquent leurs prix dans des devises étrangères, mais qu'aucun site présent sur le marché français n'a repris à son compte les 8 artistes en cause, ce qui démontre d'autant plus la volonté de suivisme de Woop ; que les emails entre les artistes et M. E. qui sont versés aux débats démontrent bien que ce dernier était conscient du risque de confusion entre les deux sites et de leurs liens avec Rad ; M. E. aurait d'ailleurs demandé à une salariée de Rad, qui postulait chez Woop, avec quels artistes elle avait collaboré ;

Cependant la société Rad mentionne que l'ensemble de ces agissements sont intervenus postérieurement au jugement du Tribunal de Commerce de Paris ; il conviendra dès lors de relever s'il s'agit de faits imputables à M. E. et non à la société Woop, dont la mise en cause a été rejetée ;

Sur le détournement de la campagne publicitaire de Rad

La société Rad rappelle qu'elle a lancé à la fin du mois de juin et au début de juillet 2013 une campagne publicitaire d'envergure dans les stations de métro et qu'à cette fin, elle a utilisé les visuels de l'artiste Jamie M. ; elle reproche à Woop d'avoir choisi " avec une concordance de date remarquable " d'illustrer la page d'accueil de son site et sa page facebook au moyen de visuels strictement identiques, profitant ainsi indûment des lourds investissements de la société Rad pour sa promotion ;

La société Rad fait également état de ce qu'elle engage des sommes importantes afin d'assurer sa promotion auprès du jeune public sur les réseaux sociaux, et notamment sur Facebook. et qu'elle a ainsi fait la publicité d'une paire de Basket dessinée par Nick C. ; elle prétend que, avec une concomitance volontaire, quelques jours après les premières diffusions sur Facebook de cette publicité, Woop a modifié sa page d'accueil pour y faire figurer un bandeau de taille importante représentant le visuel de basket par l'artiste Nick C., et que si Woop oppose que d'autres sites internet utiliseraient les visuels revendiqués par la société Rad pour leur propre communication, elle ne cite qu'un seul site, qui a utilisé ces visuels près d'un an et demi après la société Rad ;

Sur le positionnement des sites Rad et Woop

La société Rad soutient que, au rebours de ce que lui oppose M. E., les deux sites ont le même positionnement - ce qui rend sans portée l'invocation de sites concurrents - et qu'aucun parrainage n'est nécessaire pour accéder aux produits de Rad, dont l'inscription est libre ; elle mentionne qu'il faut également créer un compte sur le site de Woop afin de passer commande ;

La société Rad en conclut que l'appréciation de son préjudice exclut d'isoler chaque grief qu'elle formule au détriment de l'ensemble et du résultat global produit, et qu'il résulte de la globalité de ces griefs que l'acte fautif exigé par l'article 1382 du Code civil est en l'espèce tout à fait caractérisé, puisque M.E. a créé sciemment la confusion entre les sites Internet, et a opéré un détournement évident de la clientèle de Rad à son profit ; que Monsieur E. et la société Woop ont commis des actes de concurrence contraires aux usages honnêtes et loyaux propres à la matière industrielle et commerciale, sanctionnés au titre de l'article 1382 du Code civil et, en outre, ont incontestablement copié, de façon injustifiée et à titre lucratif, une valeur économique d'autrui pour se procurer un avantage concurrentiel identifiant des actes parasitaires susceptibles d'être sanctionnés par ce même article ;

Cependant, doit être relevé que le sigle Woop ne constitue pas une imitation grossière de raaad dès lors que si la phonétique s'en rapproche en ce qu'elle repose sur une accentuation des voyelles, elle ne s'appuie pour autant pas sur la même prononciation, raad ayant une consonance nettement plus gutturale que Woop qui accentue l'aspect " cool " destiné à la même clientèle ;

S'agissant du vocable "art shop" M.E. est fondé à faire valoir que Rad ne démontre pas que le vocable ART SHOP ait été la base du concept de son site internet, la seule mention de ce terme sur sa page Facebook de lancement n'étant pas un élément suffisant pour dénier à un autre site internet concurrent le droit de mentionner ce terme qui relève d'une désignation générique du service de plate-forme de commerce - ce que Rad ne discute du reste pas en mentionnant qu'elle n'a aucun monopole sur ce point ;

La société Rad ne peut en définitive pas asseoir ce grief sur le fait qu'il s'agit d'une commercialisation parasitaire de deux commerces identiques, cette constatation relevant de la simple concurrence entre deux entreprises basées sur de mêmes concepts et, de fait un consommateur n'est pas susceptible de penser que les produits ou services désignés par le terme art shop seraient proposés exclusivement par la société Rad ;

Cette dernière est du reste conduite à relever que c'est la conjonction de cet élément avec les autres qu'elle mentionne qui justifie son action ;

S'y ajoutent, notamment les visuels de deux artistes, Jamie M. et Kris T. auxquels Woop a fait appel et qu'elle aurait décrits quasi mot à mot de la même manière sur sa page Facebook que sur le site de Rad ;

La société Rad précise que ce n'est pas le choix en lui-même mais cette présentation qui est en cause-et de fait, elle ne dispose d'aucune clause d'exclusivité la liant à ces artistes ; Or, la libre concurrence autorisait M.E. à solliciter ces artistes - Jamie M. et Kris T., et d'autres sous contrat avec Rad, partant à utiliser leurs visuels qui constituent leur propre référence marchande, dès lors qu'ils en acceptaient le principe ; la société Rad ne saurait prétendre à exclure toute collaboration entre une société concurrente et ces artistes au motif qu'elle les a découverts ou en tout cas associés la première, dès lors qu'elle n'a pris aucun moyen juridique et financier de garantir cette collaboration et s'est exposée au risque naturel de la concurrence ;

M.E. reconnait effectivement que les descriptions sont similaires, mais il est fondé à relever que pour autant ce procédé n'est pas condamnable ; dès lors en effet que chacun des deux sites ne fait que se focaliser sur ce qui constitue les visuels des artistes eux-mêmes et, partant, leur propre force de vente, il est dans la logique de deux entreprises concurrentes de les mettre en exergue : ainsi de l'ours, du tigre, du chat et du gorille, emblématiques des produits de Jamie M., qui ont vocation à se présenter naturellement de manière similaire sur des sites concurrents ; il en est de même, accessoirement, pour la présentation de ces artistes, Jamie M. et Kris T., également similaire sur les deux sites mais qui n'est que le résumé de renseignements ciblés sur la spécificité de ces artistes, précis mais banal sur leur origine et leur parcours : nationalité, culture sud-américaine et vintage, visuels d'animaux... ;

En conséquence le moyen n'est pas fondé ;

S'agissant du détournement de la campagne publicitaire de la société Rad :

Il a été dit ci-dessus que l'utilisation des visuels de Jamie M. ne relevait pas d'une démarche déloyale ; la campagne de publicité diligentée par la société Rad concernait essentiellement les stations de métro et la mise en place de ces visuels ne relevait pas d'une démarche originale dès lors que les affiches se bornaient à reproduire, évidemment en gros plans, le tigre, le chat et le gorille figurant déjà sur le site de Woop ; il n'est peut-être pas exclu que cette campagne ait eu, indirectement, un impact positif sur ce site mais force est de constater qu'elle a eu lieu au cours de la semaine du 2 au 8 juillet 2013 soit postérieurement à l'utilisation sur le site Woop des visuels incriminés qui y figuraient dès le 22 mai 2013, et qu'il n'est de surcroît pas avéré que M.E. ait dans ce laps de temps ou dans un temps voisin initié une campagne spécifique sur son site ;

En réalité ce grief relève de la conséquence de la libre concurrence entre les sites et M.E. est fondé à souligner que dès lors que Rad ne s'est pas assuré d'avoir l'exclusivité des produits qu'elle choisissait de présenter lors de cette campagne, elle s'exposait pour ce faire à utiliser les mêmes visuels que ses concurrents utilisaient déjà, sans être en mesure de prétendre leur interdire de le faire à cette occasion ;

S'agissant de l'utilisation du mot clé Raad.FR " sur le moteur de recherche Google

Le constat d'huissier du 15 juillet 2013 a permis de constater que lorsqu'une recherche Google de raaad fr était faite, le site Woop apparaissait comme une annonce publicitaire, et, à ce jour le site Woop n'apparaît plus lors d'une recherche google des termes Rad fr ou raad fr ou raaad fr. ;

E. ne nie pas avoir acheté pendant un laps de temps qu'il prétend très court (moins de 10 jours), le mot clé " raad fr " mais il juge que cet achat ne saurait constituer une faute relevant d'un acte de concurrence déloyale dès lors que les circonstances ne permettent pas de caractériser un risque de confusion entre les sites internet des deux entreprises ;

Ce moyen n'est pas fondé dès lors que, au rebours de ce qui est ainsi soutenu, ce risque est parfaitement avéré, l'internaute étant nécessairement, dans une telle configuration, incapable de déceler l'existence de deux sites concurrents et étant parfaitement enclin à une réelle confusion au préjudice de Rad ;

Pour autant Rad n'entend pas faire de ce procédé un acte isolé mais l'inclut dans un faisceau global d'agissements déloyaux dont il vient d'être dit, et notamment pour cette campagne de juillet 2013, qu'ils ne relevaient pas de cette qualification ; et il n'est pas sollicité de réparation spécifique découlant de cette confusion sur ce laps de temps ;

S'agissant de l'utilisation du visuel de basket de l'artiste Nick C. Rad produit un constat du 4 décembre 2013 sur la mise en place sur chaque site d'un basket - du reste manifestement de marque différente ; pour autant Rad ne justifie pas de l'antériorité ni de la réalité de ce qu'elle qualifie de campagne(aucun prix n'étant mentionné à la différence de Woop), lors que M.E. justifie quant à lui que le même modèle présenté par Rad l'était déjà sur son propre site le 16 septembre précédent ; la société admet du reste ce fait mais elle oppose que ce qu'elle met en avant correspond à une campagne promotionnelle initiée par Woop dans le sillage de la sienne, or les éléments relevés ci-dessus n'apportent pas cette preuve ;

En conséquence le moyen n'est pas fondé ;

S'agissant de la campagne " Shaman " la date -décembre 2014-à laquelle elle a eu lieu ne concerne que la société Woop dont la mise en cause a été rejetée ; il en est de même pour les autres griefs allégués (Dma Clothing, Escobar, Libertine...) postérieurs à la création de Woop ;

N'est pas réellement en débat le fait que M. E. aurait écrit " Echaudé par l'expérience de nombreux clients avec une marque dorénavant concurrente où la livraison était tombée en Rade, Woop s'applique à envoyer en 48 heures les produits commandés", Rad ne faisant elle-même pas été de ce courrier du 19 juin 2013 ;

S'évince de ce qui précède que la société Rad ne justifie pas d'un préjudice qui ne découlerait que du seul constat d'huissier du 15 juillet 2013 ; elle ne justifie du reste pas d'une quelconque perte de son chiffre d'affaires ;

Sur la demande reconventionnelle

Selon M.E., la société Rad aurait lancé une campagne de dénigrement contre Woop, auprès des artistes avec lesquels M. E. travaille ainsi qu'auprès de sa clientèle, ce au mépris des articles L. 420-1 et suivants du Code de commerce qui prohibent les pratiques anticoncurrentielles, et notamment, dès lors qu'elles sont susceptibles d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, et qu'elle interdisent de même l'exploitation abusive par une entreprise de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard son fournisseur ; et il ressortirait des dires des fournisseurs, artistes avec lesquels M. Moïse E. a travaillé, que la société Rad s'est livrée à de telles pratiques en tentant de jeter le discrédit sur l'activité de M. E. et sur le site Woop : ces agissements seraient en conséquence constitutifs d'actes de concurrence déloyale causant à M. E. un préjudice moral, dont il évalue la réparation à 400 000 euro ;

Ainsi que l'oppose à juste titre la société Rad, les dispositions visées par l'appelant ne sont pas ici applicables : l'article L. 420-1 du Code de commerce prohibe des actions concertées des conventions ou des ententes ce qui n'a pas été le cas en l'espèce, dès lors que Rad aurait unilatéralement tenté de faire pression sur ses partenaires afin d'évincer M.E. ; ces mêmes partenaires ne sont pas représentés en la cause et M.E. ne saurait s'approprier leurs droits éventuels en se prévalant des dispositions de L. 420-2 du Code de commerce qui prohibent, dès lors qu'elle est susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l'exploitation abusive par une entreprise de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard fournisseur ; M.E. n'est lui-même pas dans cette situation puisqu'il n'avait aucune relation contractuelle avec la société Rad ;

Sont en conséquence exclusivement en cause les dispositions de l'article 1382 du Code civil.

S'agissant des faits de dénigrement avancés M.E. n'est pas recevable à se prévaloir de ceux dont la société Woop aurait été victime, soit des éléments postérieurs au 24 janvier 2014 ;

Les pièces concernant la période antérieure visent les mails adressés par la société Rad à ses partenaires ayant contracté avec M.E., afin de les inciter fortement - ou leur réclamer clairement dans d'autres cas - à cesser cette collaboration, motif pris de pratiques de contrefaçon : ainsi, parmi d'autres pièces, la conclusion d'un mail de David S. (Rad) à Kris T. " merci de me confirmer que tu arrêtes de travailler avec Woop " L'exemple de Nick C. est, sur ce point, significatif : l'intéressé écrit le 22 novembre 2013 à M.E. qu'après avoir reçu un mail de Rad " mécontent du fait que je travaille avec toi, je dois malheureusement mettre un terme à notre collaboration le plus rapidement possible... je suis très déçu d'avoir à faire ça mais... en tant que travailleur indépendant... c'est mon seul moyen de survie " ;

Il est indéniable que ces pratiques de dénigrement ont freiné M.E. dans ses activités et lui ont causé un préjudice moral ; lui est attribuée de ce chef la somme de 20 000 euro ;

La demande d'astreinte ne serait éventuellement susceptible d'intérêt que pour la société Woop ;

De même, les demandes de publication n'apparaissent pas indispensables à la réparation de ce préjudice, ce d'autant que les artistes visés n'ont manifestement rompu que sous la pression de la société Rad et non en prenant à leur compte des actes imputés à M.E. ;

La solution donnée au litige conduit logiquement au rejet des demandes reconventionnelles de la société Rad ;

L'équité commande d'allouer à M.E. la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du CPC et de rejeter la demande de la société Rad de ce chef ;

Par ces motifs, Ecarte des débats pièces numérotées 11, 12 du dossier de la société Rad. Infirme le jugement en toutes ses dispositions. Statuant à nouveau, Dit irrecevable la demande en intervention forcée de la société Woop formulée par la société Rad. Déboute la société Rad de ses demandes envers M.E.. La condamne à payer à M.E. la somme de 20 000 euro à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral. Et celle de 5000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile. Rejette toutes autres demandes. Condamne la société Rad aux dépens.