CA Orléans, ch. com., économique et financière, 31 mars 2016, n° 15-01938
ORLÉANS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Éditions Atlas (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Raffejeaud
Conseillers :
Mme Hours, M. Monge
Avocats :
Mes Garnier, Landon, Desplanques, Morlon
Par acte sous seing privé en date du 29 août 1996, Madame X a conclu avec la société Éditions Atlas un contrat dénommé "d'agent commercial", à exécuter à l'origine exclusivement dans les départements d'Indre-et-Loire et de Loir-et-Cher, puis, à partir de 1998, dans les départements de Charente et de Charente-Maritime également.
Reprochant à Madame X de se désintéresser de l'exécution de son contrat, ce qui s'était traduit à partir de 2008 par une baisse, puis une absence totale de chiffre d'affaires, la société Éditions Atlas a révoqué le mandat, le 4 mars 2009, pour faute grave.
Madame X qui reprochait, au contraire, à la société Éditions Atlas d'avoir mis en place une politique " d'asphyxie économique " de ses agents afin de les contraindre à la démission, a saisi, le 17 mars 2010, le Tribunal de grande instance des Sables d'Olonne afin d'obtenir le paiement des indemnités auxquelles elle estimait avoir droit.
Par jugement en date du 18 mai 2012, le tribunal a dit que la rupture du contrat d'agent commercial était imputable à la société Éditions Atlas et l'a condamnée, en conséquence, à payer à Madame X les sommes de 334 525,39 euros au titre de l'indemnité de rupture et de 41 815,65 euros au titre de l'indemnité de préavis, outre intérêts au taux légal à compter du 4 mars 2009 et 2000 euros au titre des frais " irrépétibles ".
Sur appel de la société Éditions Atlas, la Cour d'appel de Poitiers, par arrêt en date du 21 février 2014, a déclaré irrecevable la demande de l'appelante en requalification du contrat, a confirmé le jugement déféré en toutes ses dispositions et, y ajoutant, a débouté Madame X de sa demande en remboursement des " décommissionnements ", a débouté la société Éditions Atlas de sa demande en restitution de commissions suite à des impayés et a condamné celle-ci à verser à celle-là la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Sur pourvoi de la société Éditions Atlas, la Cour de cassation, par arrêt en date du 19 mai 2015, a cassé et annulé l'arrêt de la cour d'appel en toutes ses dispositions, en ce qu'en retenant que le comportement procédural de la société Éditions Atlas relativement à la qualification du contrat constituait un estoppel rendant irrecevable son moyen de défense relatif à cette qualification, la cour d'appel avait violé les articles 72 et 563 du Code de procédure civile, alors que les défenses au fond peuvent être invoquées en tout état de cause et que, pour justifier les prétentions qu'elles ont soumises au premier juge, les parties peuvent, en cause d'appel, invoquer des moyens nouveaux.
La cour de céans a été désignée comme cour de renvoi et a été régulièrement saisie par déclaration au greffe en date du 29 mai 2015.
La société Éditions Atlas a fait valoir que Madame X sur qui reposait la charge de la preuve, sans qu'elle pût se retrancher derrière la qualification donnée par les parties au contrat, ne rapportait pas la preuve de l'existence d'un contrat d'agence commerciale, dès lors qu'elle ne démontrait pas avoir disposé d'un pouvoir de négociation et de représentation ; qu'au contraire, elle n'avait jamais proposé aux clients que des contrats d'abonnement à des éditions composées de plusieurs numéros ; qu'il résultait des articles 5-1 et 6-4 du contrat qu'elle ne disposait d'aucun pouvoir de négociation ; qu'elle n'avait produit aucun bon de commande mentionnant une remise ; que pas un seul élément de l'offre contractuelle de son mandant n'avait été modifié par elle.
Elle a soutenu qu'en réalité, le contrat s'analysait en une convention de courtage, dès lors qu'il ne pouvait être exécuté qu'à la condition que son cocontractant disposât de coupons qu'elle lui remettait, et qu'il pouvait ainsi être résilié sans motif.
Elle s'est par ailleurs opposée à la demande de dommages et intérêts formée par Madame X à raison du préjudice qu'elle lui aurait causé en lui faisant croire qu'elle bénéficiait du statut d'agent commercial, alors qu'une telle demande était irrecevable en ce qu'elle méconnaissait le principe de non cumul des ordres de responsabilité, et en ce que le fait de donner une qualification erronée à un contrat ne constituait pas une faute.
Subsidiairement, au cas où l'existence d'un contrat d'agence commerciale serait retenue par la cour, elle a justifié sa résiliation par l'insuffisance d'activité de Madame X, constitutive d'une faute grave.
Plus subsidiairement, elle a estimé qu'il serait, en tout cas, anormal que Madame X perçût une indemnité, alors que la quasi-totalité de son chiffre d'affaires avait été réalisée par ses collaborateurs auxquels elle n'avait versé aucune indemnité.
Elle a encore fait valoir que Madame X ne pouvait prétendre à aucune indemnité de préavis.
Elle a soulevé, par ailleurs, la prescription de la demande de Madame X, s'agissant des " décommissionnements " à hauteur de 175 813,55 euros.
Elle a conclu, en définitive, au débouté de toutes ses demandes et elle lui a réclamé le paiement de la somme de 24 009 euros en remboursement des commissions non acquises, ainsi que d'une somme de 7 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Madame X a répliqué que les dispositions contractuelles que la société Éditions Atlas avait elle-même rédigées et que les parties avaient acceptées, s'imposaient à elles.
Elle a soutenu qu'elle avait la qualité d'agent commercial, dès lors qu'elle était titulaire d'une convention écrite dont toutes les caractéristiques étaient celles d'un contrat d'agence commerciale, et que surtout, son activité au quotidien était celle d'un agent commercial.
Elle a, en particulier, fait valoir qu'elle n'était soumise à aucun lien de subordination et qu'elle disposait d'un pouvoir de négocier.
Si toutefois le contrat devait être requalifié, elle a estimé que la société Éditions Atlas aurait commis un dol en lui faisant signer un contrat faussement dénommé.
Elle a encore soutenu que la prétendue faute grave qui lui était reprochée ne répondait pas aux exigences légales, que le motif retenu par la société Éditions Atlas ne constituait pas une faute grave, mais qu'en réalité, la sanction prise contre elle, qui n'était pas isolée, s'inscrivait dans une vaste opération d'élimination par la société Éditions Atlas de son réseau d'agents commerciaux, tandis que ses mauvais résultats étaient en lien direct avec le choix de politique économique de sa mandante et les propres résultats de celle-ci.
Elle a conclu, en définitive, à la confirmation du jugement entrepris, sauf à lui allouer une somme de 50 011,52 euros TTC au titre de l'indemnité de préavis, ainsi qu'une somme de 236 808,25 euros au titre des décommissionnements injustifiés, outre intérêts au taux légal à compter du 4 mars 2009 et 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Sur ce,
Sur la nécessité de qualifier le contrat :
Attendu qu'il est de principe que l'application du statut d'agent commercial ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties dans le contrat, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leurs conventions mais des conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée ;
Qu'il importe dès lors peu qu'en l'espèce, le contrat qualifié d'agence commerciale ait été rédigé par la société Éditions Atlas elle-même, qu'il ait été exécuté pendant treize ans en tant que tel et que la société Éditions Atlas ait attendu, ainsi que l'y autorisait l'article 563 du Code de procédure civile, d'être devant la cour pour contester à Madame X sa qualité d'agent commercial ;
Que celle-ci fait vainement valoir que cette qualité importe peu pour l'obtention par elle des indemnités contractuellement prévues à l'article 9, dès lors que cette disposition contractuelle fait expressément référence " à la loi du 25 juin 1991 et au caractère d'intérêt commun du présent mandat ", ce dont il se déduit que Madame X ne peut prétendre aux indemnités contractuelles que s'il lui est reconnu la qualité d'agent commercial ;
Sur l'existence d'un contrat d'agence commerciale :
Attendu que, selon l'article L. 134-1 du Code de commerce, l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestations de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux ;
Que l'exercice par Madame X de son activité de façon indépendante et permanente est établie et n'est d'ailleurs pas discutée ;
Que la société Éditions Atlas lui conteste, en revanche, le pouvoir d'avoir pu négocier pour son compte, en se référant aux articles 5-1 et 6-4 du contrat dont il ressort que les conditions de prix et les formalités de paiement étaient définies par le mandant, lequel se réservait de refuser les commandes non conformes ;
Mais attendu que la négociation ne se limite pas à la discussion tarifaire, mais englobe l'ensemble des actes que l'agent est susceptible d'accomplir dans le cadre de la discussion engagée avec le client potentiel dans le but de le convaincre de signer le contrat ;
Que le simple fait que la société Éditions Atlas ait entendu encadrer strictement l'activité de ses agents, ne prive pas nécessairement ceux-ci de leur qualité d'agents commerciaux ;
Qu'il est, au demeurant, de règle que le mandant détermine la politique commerciale et notamment tarifaire qu'il entend mener, tandis que l'agent commercial qui est tenu de s'y conformer, l'adapte au cas par cas dans les limites qui lui sont fixées par son mandant ;
Qu'en l'espèce, il se déduit des dispositions de l'article 7-1 du contrat que Madame X avait la faculté de consentir des remises ;
Qu'elle avait encore, en vertu de la "charte label qualité", le pouvoir de consentir à certains clients des règlements sous forme de "revolving" à quarante mois ;
Que des documents émis par la société Éditions Atlas à destination exclusive de ses agents, il ressort encore que Madame X avait, dans certains cas, la possibilité de consentir des remises de 3 %, la gratuité des frais de port, la dispense d'agios, les mensualités de paiement différentes selon les articles, des perceptions forfaitaires différentes, des reprises de solde en cas de paiement à crédit etc.... ;
Qu'en outre, alors que le coupon " réponse que renvoyait le client potentiel ne portait que sur un seul produit ou sur un nombre limité de produits, Madame X, lors de son déplacement, ne se contentait pas d'évoquer le ou les seuls articles du coupon " réponse, mais proposait à son interlocuteur une gamme étendue d'articles, orientant ainsi son choix vers de nouveaux produits ;
Que donc, même strictement encadré par son mandant, le pouvoir de négociation de Madame X était réel et lui permettait d'accroître les chances de vente des produits de la société Éditions Atlas ;
Que la qualité d'agent commercial doit, en conséquence, lui être reconnue ;
Sur le droit à l'indemnité compensatrice :
Attendu que, selon l'article L. 134-13 du Code de commerce, l'agent n'a pas droit à une indemnité compensatrice, lorsque la cessation du contrat est provoquée par sa faute grave ;
Attendu que la société Éditions Atlas a résilié le contrat le 4 mars 2009, à raison d'une diminution importante de l'activité de Madame X à partir de juillet 2008, devenue une absence d'activité à partir de décembre 2008 ;
Attendu que cette situation a deux causes essentielles, la première étant le départ de plusieurs collaborateurs de Madame X sans que ce phénomène puisse être imputé à faute à cette dernière ;
Qu'il ne peut non plus lui être reproché de ne pas avoir su procéder rapidement au remplacement de ses collaborateurs, alors que, dans le même temps, " et il s'agit là de la seconde cause et de la plus importante de ses difficultés " la société Éditions Atlas avait entrepris en 2008 de modifier sa stratégie commerciale ;
Qu'il apparaît, en effet, que cette année-là, la société Éditions Atlas a cessé ses campagnes publicitaires, réduit fortement le nombre des coupons réponses qu'elle adressait à ses agents, cessé d'éditer de nouveaux produits et supprimé certaines collections, générant ainsi une pénurie qui a entraîné chez l'ensemble de ses agents, comme en témoignent les multiples procédures engagées par ces derniers à travers toute la France, une baisse importante du chiffre d'affaires ;
Que, dans le cas de Madame X, la réduction de ses résultats s'est déroulée en trois temps ;
Que, dans un premier temps, par un avenant en date du 6 février 2008, la société Éditions Atlas a réduit le secteur de prospection de Madame X, faisant perdre 150 000 habitants à son territoire, tandis que l'on notait une baisse du chiffre d'affaires, passé de 60 000 à 40 000 euros entre février et mars 2008 ;
Qu'à cette occasion, la société Éditions Atlas n'émettait aucune critique à l'égard de Madame X, puisqu'au contraire, elle lui témoignait de la satisfaction qu'elle avait à collaborer avec elle ;
Que, dans un deuxième temps, en mai 2008, la société Éditions Atlas a mis en place sa nouvelle politique commerciale, ce qui s'est traduit pour Madame X par une nouvelle baisse de son chiffre d'affaires, passé à 20 000 euros en juin 2008, puis au-dessous de 10 000 euros à partir de juillet 2008 ;
Que, dans un troisième temps, le 16 janvier 2009, la société Éditions Atlas a retiré à Madame X la vente de nouveaux produits, tandis qu'à partir de cette date, Madame X n'a plus réalisé de chiffre d'affaires ;
Qu'il est ainsi clair que les difficultés de Madame X sont le fait essentiellement de la société Éditions Atlas et, en aucune façon, d'une faute, a fortiori grave, qu'elle aurait commise ;
Que le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a dit que la rupture du contrat était imputable à la société Éditions Atlas ;
Sur le montant des indemnités :
Attendu que Madame X a droit, conformément aux dispositions des articles L. 134-11 et L 134-12 du Code de commerce à une indemnité de préavis et à une indemnité compensatrice ;
Que la circonstance qu'elle n'aurait versé aucune indemnité à ses collaborateurs est indifférente ;
Et attendu que le montant des indemnités tel que fixé par les premiers juges n'appelle pas d'observations particulières et sera donc confirmé ;
Sur les " décommissionnements " :
Attendu que le contrat prévoit en ses articles 7-7 et 7-8 :
La partie des commissions payées d'avance sera reprise dès que l'analyse du compte d'un client fera apparaître un retard de paiement qui sera considéré comme une absence de paiement définitive à partir de 60 jours de retard ;
"Le mandant établira alors un avoir des commissions trop perçues, avoir qui sera déduit des commissions nouvelles à régler. Lorsque l'agent, pour quelque raison que ce soit, aura cessé ses fonctions, il sera tenu de restituer les commissions indûment perçues d'avance";
" Si l'intervention du service contentieux du mandant auprès du client s'avère positive, l'agent sera recrédité de la commission, déduction faite des frais de recouvrement engagés " ;
Attendu que la société Éditions Atlas verse aux débats les attestations des sociétés Secep et Intrum Justicia dont il ressort que les actions en recouvrement dirigées contre des clients de Madame X, clairement identifiés par leur nom, leur numéro, le numéro du contrat et la date de signature, se sont révélées vaines ;
Qu'il s'ensuit que Madame X ne peut prétendre à aucun remboursement au titre des " décommissionnements ", lesquels étaient justifiés ;
Attendu qu'en revanche, la société Éditions Atlas ne produit aucune pièce probante permettant d'apprécier le bien-fondé de sa demande de restitution de commissionnements versés prétendument à tort ;
Qu'elle sera donc déboutée de sa demande ;
Sur l'article 700 et les dépens :
Attendu que la société Éditions Atlas qui succombe en son appel, paiera une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et supportera les dépens ;
Par ces motifs, confirme le jugement entrepris ; y ajoutant, condamne la société Éditions Atlas à payer à Madame Josiane X une somme de cinq mille (5 000) euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; la condamne aux dépens, en ce compris ceux afférents à l'arrêt cassé, et accorde à la SCP d'avocats Desplanques Devauchelle le bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile ; rejette toutes autres demandes comme étant non fondées ou sans objet.