CA Lyon, 1re ch. civ. A, 31 mars 2016, n° 14-06403
LYON
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Albingia (SA), Auchan France (SA), CPAM de la Loire, Harmonie Mutuelle
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gaget
Conseillers :
Mme Clément, M. Nicolas
Avocats :
SCP Ligier de Mauroy, Ligier, SCP Crochet Dimier, Selarl Bost Avril, Me Beurey, SCP Tudela, Associés
Christian X a acheté le 1er avril 2005 à la SA Auchan France (la société Auchan), dans son magasin de Villars (42), un lot de machines portatives comprenant notamment une meuleuse.
Cet appareil avait été acheté par la société Auchan à la SA Contra International France.
La SA Albingia est l'assureur de responsabilité civile de la société Contra International France.
Le 4 juillet 2005, alors que Christian X utilisait la meuleuse, celle-ci est tombée sur sa cuisse en lui causant une blessure.
Au vu d'un rapport d'un expert désigné par son assureur, le cabinet Seri, en date du 10 juin 2008, Christian X, par acte du 17 novembre 2009, a assigné en référé la société Auchan, la CPAM de la Loire et la Mutuelle Santé en toute liberté, aux droits de laquelle vient Harmonie Mutuelle, pour voir désigner un expert médical et un expert technique. La société Auchan a appelé en cause la société Albingia et par une ordonnance ultérieure, les opérations d'expertise ont été déclarées communes à la société Contra International France.
Par ordonnance du 11 mars 2010, le juge des référés a désigné le docteur Y, en vue de la détermination du préjudice corporel de Christian X, et M. Z pour procéder à une expertise technique de la meuleuse.
M. Z a déposé son rapport le 10 mai 2011, et le docteur Y a déposé le sien le 21 juin 2010.
Christian X a ensuite fait assigner devant le Tribunal de grande instance de Saint-Etienne, par actes des 1er et 2 août 2011, la société Auchan, pour la voir déclarer responsable de son dommage.
La société Auchan a appelé en garantie la société Albingia qui elle-même a appelé en garantie la société Contra International France, mise en liquidation judiciaire, et représentée par son liquidateur, Me A.
Par jugement du 23 avril 2014, le tribunal de grande instance a déclaré irrecevables les demandes de Christian X, en raison de la prescription.
Par déclaration transmise au greffe le 29 juillet 2014, Christian X a interjeté appel de ce jugement, appel dirigé contre la société Auchan, la société Albingia, la CPAM de la Loire et la Mutuelle Santé en toute liberté.
Vu les conclusions du 16 octobre 2014 de Christian X, déposées et notifiées, par lesquelles il demande à la cour de :
- infirmer le jugement ;
- déclarer ses demandes recevables ;
- déclarer la société Auchan entièrement responsable de l'accident survenu le 4 juillet 2005 ;
- la condamner en conséquence à lui payer la somme de 15 195 euro en réparation de son préjudice corporel ;
- déclarer l'arrêt à intervenir opposable à la CPAM de la Loire et à la Mutuelle Santé en toute liberté.
Vu les conclusions du 15 décembre 2014 de la société Auchan, déposées et notifiées, par lesquelles elle demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il déclare irrecevable la demande de Christian X ;
- subsidiairement, renvoyer l'examen de ses demandes au fond devant le Tribunal de grande instance de Saint-Etienne ;
- plus subsidiairement, débouter Christian X de toutes ses demandes ;
- condamner la société Albingia à la garantir de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées contre elle ;
- réduire les demandes de dommages-intérêts formées par Christian X au titre du déficit fonctionnel temporaire, du pretium doloris, du déficit fonctionnel permanent et du préjudice esthétique permanent, et le débouter de sa demande de réparation d'un préjudice d'agrément ;
- le condamner à lui payer la somme de 5.000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ou à défaut tout succombant.
Vu les conclusions du 15 décembre 2014 de la société Albingia, déposées et notifiées, par lesquelles elle demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il déclare l'action de Christian X prescrite ;
- débouter la société Auchan de son appel en garantie dirigé contre elle ;
- débouter la société Contra International France de sa demande en garantie formée contre elle ;
- subsidiairement, débouter Christian X de toutes ses demandes ;
- plus subsidiairement, réduire les demandes de dommages-intérêts formées par ce dernier au titre du déficit fonctionnel temporaire, du pretium doloris, du déficit fonctionnel permanent et du préjudice esthétique permanent, et le débouter de sa demande de réparation d'un préjudice d'agrément ;
- condamner les parties perdantes à lui verser la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par actes des 17 et 21 octobre 2014, Christian X a fait signifier à la CPAM de la Loire et la Mutuelle Santé en toute liberté sa déclaration d'appel ainsi que ses conclusions.
Par acte des 5 et 13 janvier 2015, la société Albingia a fait signifier aux mêmes parties, ainsi qu'à la société Contra International France, représentée par son liquidateur judiciaire, ses conclusions d'intimée et d'appel incident.
Les significations ayant été faites à personne, l'arrêt sera réputé contradictoire.
Vu l'ordonnance de clôture du 10 mars 2015.
Sur quoi, LA COUR :
Sur la recevabilité des demandes de Christian X :
Attendu que la société Auchan et la société Albingia prétendent que ces demandes sont prescrites, motifs pris de ce que seule la prescription de trois ans prévue par l'article 1386-17 du Code civil est applicable, et que celle-ci ayant couru à compter du 4 juillet 2005, l'action de Christian X fondée sur régime de la responsabilité du fait des produits défectueux était prescrite lors de la saisine du juge des référés ;
Attendu que Christian X, en invoquant les dispositions des articles 1386-17, 1386-18, 1648 et 2226 du Code civil, soutient au contraire que :
- dans la mesure où le dommage est corporel, l'action en réparation de son préjudice est soumise à la prescription de 10 ans prévue par l'article 2226 du Code civil ;
- l'action en responsabilité contractuelle exercée contre le vendeur en cas de manquement à son obligation de sécurité n'est pas soumise au bref délai de l'article 1648 du même Code, de même que l'action en responsabilité exercée contre le vendeur professionnel par la victime d'un produit défectueux ;
- il a pris connaissance du défaut qui affectait la meuleuse seulement le 10 juin 2008, date de rédaction du rapport du cabinet Seri ;
- son assureur ayant choisi l'option de l'organisation d'une expertise amiable, contradictoirement avec la société Auchan et la société Contra International France, les parties ont eu recours à la conciliation, de sorte qu'en vertu de l'article 2238 du Code civil, la prescription a été suspendue ;
Mais attendu que le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux exclut l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extra contractuelle de droit commun fondés sur le défaut d'un produit qui n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, à l'exception de la responsabilité pour faute et de la garantie des vices cachés ; que l'article 2226 du Code civil n'est donc pas applicable en la cause ; que selon l'article 1386-17 du Code civil, l'action en réparation fondée sur les dispositions relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage ; que Christian X a eu connaissance de son dommage le 4 juillet 2005, jour de l'accident ; que le juge des référés ayant été saisi le 17 novembre 2009, c'est à bon droit que le premier juge énonce que l'action fondée sur les articles 1386-1 et suivants du Code civil est irrecevable ;
Attendu que les sociétés Auchan et Albingia prétendent que l'action de Christian X fondée sur la garantie des vices cachés est prescrite aux motifs qu'elle n'a pas été exercée dans le bref délai de l'article 1648 du Code civil ;
Mais attendu qu'aux termes de cet article, dans sa rédaction issue de l'article 3 de l'ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005, l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice ; que les dispositions de cette ordonnance sont applicables aux contrats conclus postérieurement à son entrée en vigueur ; que la vente de la meuleuse par la société Auchan à Christian X étant du 1er avril 2005, il en résulte que son action en garantie contre les vices cachés, dirigée contre la société Auchan, se prescrit dans un délai de deux ans ; qu'il ressort du rapport de son assureur de protection juridique, en date du 10 juin 2008, que la meuleuse aurait présenté un défaut de sécurité ; que l'expert judiciaire, M. Z, dans son rapport, est plus précis sur les causes de la défectuosité de la meuleuse ; qu'ainsi, Christian X ayant été mis en mesure de connaître l'origine exacte de cette défectuosité seulement à compter du dépôt du rapport de l'expert, il est fondé à faire courir le délai pour agir à compter du 10 juin 2008, de sorte que la prescription de deux ans n'était pas acquise à la société Auchan lors de la saisine du juge des référés le 17 novembre 2009 ; que dans ces conditions, son action fondée sur les articles 1641 et suivants du Code civil est recevable ;
Sur le bien-fondé des demandes de Christian X :
a) sur la garantie des vices cachés :
Attendu que la cour étant saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, elle est tenue de statuer au fond ;
Attendu que Christian X, au sujet des circonstances de l'accident, a déclaré dans un premier temps à l'expert de son assureur que le disque avait cassé, le protecteur également, avant de voir revenir la machine sur lui ; qu'il a déclaré ensuite au même expert que le carter de protection s'est désolidarisé de son collier de fixation avant de tomber sur le disque ;
Attendu que pour conclure au débouté des demandes formées contre elle, la société Auchan fait valoir que :
- selon les déclarations de Christian X le disque de la meuleuse serait à l'origine de l'accident ;
- ce disque ne faisait pas partie du matériel vendu et il n'a pas été conservé ;
- les expertises amiables et judiciaires n'ont pas permis de savoir s'il est ou non à l'origine du dommage, ou si sa rupture est imputable à l'appelant ;
- dans ces conditions le lien de causalité entre l'accident et l'insuffisance de la fixation du capot protecteur alléguée par la victime ne peut être établie et les causes de l'accident restent indéterminées ;
Attendu cependant qu'au regard du rapport de l'expert judiciaire, l'appareil était équipé d'un carter protecteur couvrant partiellement la meule fixé par soudure à un collier ; qu'il a constaté une rupture sans arrachement de métal ni déformation, au niveau de la collerette de ce carter, et que l'épaisseur de la tôle de celui-ci était deux fois plus faible que celle des protecteurs équipant les meuleuses d'autres fabricants ; qu'il en a déduit que ce protecteur n'était pas de construction robuste, et que cette faiblesse est à l'origine de son décrochement de son collier de fixation ;
Attendu qu'il résulte ainsi du rapport de l'expert que la machine, lors de sa livraison à Christian X, présentait un défaut de sécurité de nature à créer un danger pour les personnes, qui le rendait impropre à l'usage auquelle il le destinait, vice antérieur à la vente, et qu'il ne pouvait découvrir, même après une vérification élémentaire ; que dans ces conditions, il est fondé, en application de l'article 1645 du Code civil à demander à la société Auchan la réparation de son préjudice corporel, dès lors que celle-ci, en sa qualité de vendeur professionnel, ne pouvait ignorer les vices de la chose ;
b) sur le préjudice de Christian X :
Attendu qu'il demande une indemnité au titre de son préjudice extra-patrimonial temporaire (déficit fonctionnel, souffrances endurées) et au titre de son préjudice extra-patrimonial permanent (déficit permanent, préjudice esthétique et préjudice d'agrément) ;
Attendu que la société Auchan conclut au débouté de sa demande tendant à la réparation de son préjudice d'agrément, et offre en réparation des autres préjudices la somme de 6 996 euro ;
Attendu qu'il ressort du rapport du docteur Y que Christian X, suite à l'accident du 4 juillet 2005, a présenté une plaie profonde de la racine de la cuisse gauche - qu'il a conclu comme suit :
- déficit fonctionnel temporaire total, du 4 au 6 juillet 2005 ;
- déficit fonctionnel temporaire 50 %, du 7 au 16 juillet 2005 ;
- déficit fonctionnel temporaire 20 % du 17 juillet au 4 août 2005 ;
- souffrances endurées : 2,5/7
- date de consolidation : le 4 janvier 2006 ;
- déficit fonctionnel permanent 3 %
- préjudice esthétique permanent, 1/7
Attendu qu'il expose que les blessures de Christian X ont nécessité une intervention chirurgicale sous anesthésie générale, qu'il subsiste une cicatrice normochrome de la racine, des paresthésies douloureuses autour de cette cicatrice, une hypoesthésie sur la face antérieure de la cuisse gauche ; que son estimation des souffrances endurées prend en compte le fait que la plaie se situe à proximité de l'axe vasculaire fémoral ; que le taux du déficit fonctionnel permanent est motivé par les douleurs résiduelles et les abcédassions récurrentes ;
Attendu que Christian X ne justifie pas de son impossibilité de pratiquer régulièrement des activités sportives, ludiques ou culturelles, en raison des séquelles de son accident ; qu'il y a donc lieu de le débouter de sa demande en réparation d'un préjudice d'agrément ;
Attendu que compte tenu de ces éléments, il y a lieu d'évaluer son préjudice corporel comme suit :
- déficit fonctionnel temporaire 250 euro
- souffrances endurées 4 000 euro
- déficit fonctionnel permanent 3 900 euro
- préjudice esthétique permanent 1 500 euro
Total 9 650 euro
Sur l'appel en garantie dirigé par la société Auchan contre la société Albingia :
Attendu que la société Auchan soutient que :
- les défauts de sécurité ou vices cachés de la meuleuse, allégués par Christian X, à les supposer établis, relèvent de la seule responsabilité de la société Contra International France ;
- la société Albingia au moment de l'accident était l'assureur responsabilité civile de cette dernière ;
- en conséquence, elle doit la garantir des condamnations susceptibles d'être prononcées contre elle ;
Attendu que la société Albingia oppose à la société Auchan un refus de garantie, motifs pris de ce que :
- la preuve de la chronologie exacte des circonstances et des causes de l'accident n'étant pas rapportée, l'insuffisance de fixation ou d'épaisseur du capot protecteur n'établit pas la responsabilité de la société Contra International France ;
- la garantie du contrat d'assurance est subordonnée aux respects de plusieurs conditions cumulatives ;
- la société Contra International France ne démontre pas en sa qualité d'assurée avoir obtenu pour la meuleuse la certification " normes européenne CE ", et ne produit pas le certificat de conformité ;
- la mention sur l'étiquetage de l'appareil des sigles CE3 et TUV ne fait pas cette preuve ;
- elle ne prouve pas davantage que la condition relative à la mise en place d'un contrôle systématique par un laboratoire européen certifié est remplie ;
Mais attendu d'abord que la société Auchan a la faculté de se prévaloir de la garantie transmise avec la chose vendue, dès lors qu'elle a un intérêt direct et certain à le faire, en raison de l'action exercée contre elle par Christian X ; qu'il ressort du rapport de l'expert judiciaire B. que la meuleuse était affectée d'un vice liée à la structure du carter de protection, vice caché antérieur à sa livraison à la société Auchan, et qui rendait l'appareil impropre à son usage normal ; que la société Contra International France est donc tenue envers elle de la garantie légale des vices cachés ;
Attendu ensuite que la police d'assurance " responsabilité civile des entreprises " souscrite par la société Contra International France auprès de la société Albingia stipule les conditions de garantie suivantes :
- tous les produits distribués sont certifiés normes européennes et sont titulaires d'un certificat de conformité ;
- mise en place d'un contrôle systématique des produits distribués par des laboratoires européens certifiés contre lesquels tous recours sont conservés ;
Attendu cependant que le bénéfice de l'assurance étant invoqué par la société Auchan, victime des dommages, et qui un tiers au contrat d'assurance, il incombe à la société Albingia de prouver la non-assurance de ces dommages, en raison du non-respect des conditions de la garantie ; qu'elle ne peut refuser sa garantie au seul motif que la preuve de la réalisation de certaines de ces conditions ne serait pas rapportée ; qu'il y a donc lieu de la condamner à garantir la société Auchan de toutes les condamnations prononcées contre elle au profit de Christian X ;
Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement ; Et statuant à nouveau, Déclare la demande de Christian X recevable ; Condamne la société Auchan France à lui payer la somme de 9.650 euro en réparation de son préjudice corporel, avec les intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ; Vu l'article 700 du Code de procédure civile, condamne la société Auchan France à payer à Christian X la somme de 2.500 euro ; Déclare l'arrêt opposable à la CPAM de la Loire et à la Mutuelle Santé en toute liberté, actuellement Harmonie Mutuelle ; Déclare l'appel en garantie de la société Auchan France recevable et bien fondé ; Condamne la société Albingia à la garantir de toutes les condamnations prononcées contre elle au profit de Christian X, en principal, intérêts et frais ; Vu l'article 700 du Code de procédure civile, rejette les demandes de la société Auchan France et de la société Albingia ; Condamne la société Auchan aux dépens de première instance et d'appel, afférents à l'instance principale ; Condamne la société Albingia aux dépens de l'appel en garantie et à garantir la société Auchan France de sa condamnation au paiement des dépens de l'instance principale ; Dit que ces dépens seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.