Cass. com., 12 avril 2016, n° 13-27.712
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
LGM Yachting (SAS) , Blanc (ès qual.) , Pernaud (ès qual.)
Défendeur :
SPBI (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Le Bras
Avocat général :
M. Debacq
Avocats :
SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, SCP Richard
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 octobre 2013), qu'à la suite d'un contrat de concession exclusif à durée indéterminée qu'elle lui avait consenti le 7 février 1992, la société Bénéteau, ayant pour activité la construction et la commercialisation de bateaux de plaisance, a conclu, le 31 août 2007, avec la société Thierry Hamel plaisance, devenue la société LGM Yachting, deux contrats de concession exclusive pour une durée de cinq ans ; que le 15 février 2011, la société SPBI, venant aux droits de la société Bénéteau, a dénoncé ces contrats en respectant le préavis contractuel de huit mois et a conclu un nouveau contrat de concession avec la société Chemin de l'Ouest ; qu'estimant la rupture brutale et abusive et invoquant un déséquilibre significatif, la société LGM Yachting a assigné en paiement de dommages-intérêts la société SPBI ; que la société LGM Yachting ayant été mise en liquidation judiciaire, M. Pernaud, désigné liquidateur, a repris l'instance ;
Sur le premier moyen : - Attendu que la société LGM Yachting fait grief à l'arrêt de limiter le montant de la condamnation de la société SPBI au titre de l'insuffisance de préavis alors, selon le moyen : 1°) qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au registre des métiers, de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; que ce déséquilibre doit s'apprécier en tenant compte de la situation de dépendance économique de l'une des parties à l'égard de l'autre ; qu'en l'espèce, la société LGM Yachting faisait valoir, dans ses conclusions d'appel, que compte tenu de sa dépendance économique à l'égard de la société SPBI, la faculté de résiliation anticipée du contrat de concession exclusive à durée déterminée, sans motif et moyennant un simple préavis de huit mois, ne bénéficiait qu'à cette dernière, en lui permettant de révoquer ad nutum son concessionnaire ; qu'en se bornant à retenir que la clause de résiliation anticipée ne créait pas de déséquilibre significatif entre les parties dans la mesure où elle bénéficiait aux deux parties, sans rechercher si, compte tenu de la dépendance économique de la société LGM Yachting à l'égard de la société SPBI, dont elle était le concessionnaire depuis 1992, avec une obligation d'exclusivité, cette clause n'avait pas été stipulée dans le seul intérêt de la société SPBI, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-5, I, 2° du Code de commerce ; 2°) qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au registre des métiers, de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; qu'en l'espèce, comme le faisait valoir la société LGM Yachting dans ses conclusions d'appel, un contrat à durée déterminée ne peut, en droit commun, être résilié de façon anticipée qu'en cas de faute grave ; que la clause accordant au concédant la faculté de résilier sans motif un contrat de concession exclusive à durée déterminée avant son terme, moyennant un simple préavis de huit mois, créait un déséquilibre significatif entre les parties, peu important que cette faculté soit théoriquement ouverte aux deux parties ; qu'en décidant que cette clause était licite, la cour d'appel a violé l'article L. 442-5, I, 2° du Code de commerce, ensemble l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt relève que la clause de résiliation anticipée confère au concédant comme au concessionnaire le même droit de mettre fin au contrat et dans les mêmes conditions, notamment sans justification d'une faute, et que les intérêts de l'un comme de l'autre peuvent varier en fonction de l'évolution de leurs situations et de la conjoncture économique ; qu'en cet état, la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer la recherche inopérante invoquée à la première branche, a pu retenir que la clause ne créait pas un déséquilibre significatif entre les parties ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen : - Attendu que la société LGM Yachting fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à voir juger que la rupture des contrats était brutale et abusive, de fixer à douze mois la durée du préavis à compter du 15 février 2011, de limiter le montant de la condamnation de la société SPBI au titre de l'insuffisance de préavis et celui au titre de la signalétique propre aux produits Bénéteau et de rejeter ses autres demandes alors, selon le moyen : 1°) que la contradiction entre les motifs et le dispositif, équivaut à un défaut de motifs ; qu'en retenant tout à la fois que la rupture ne pouvait être considérée comme brutale, et en déboutant la société LGM Yachting de sa demande tendant à voir dire que la rupture des contrats en cours signifiée le 15 février 2011 était brutale, tout en fixant la durée du préavis à douze mois au lieu de huit, ce qui impliquait que la rupture avait été brutale, la cour d'appel a entaché sa décision de contradiction entre les motifs et le dispositif, et a violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 2°) que la durée du préavis doit être appréciée au regard de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances au moment de la notification de la rupture, notamment de la situation de dépendance économique de l'entreprise évincée et des investissements réalisés ; que le préavis accordé doit être d'une durée suffisante pour permettre au partenaire commercial victime de la rupture d'organiser sa reconversion et de retrouver d'autres partenaires commerciaux ; qu'en retenant, en l'espèce, qu'eu égard à l'ancienneté des relations entre les parties, soit dix-neuf ans, à l'obligation d'exclusivité pesant sur le concessionnaire et à la notoriété et la spécificité des produits Bénéteau, le préavis aurait dû être de douze mois, sans rechercher si, comme le soutenait la société LGM Yachting qui demandait un préavis total de trente mois, ce délai de douze mois n'était pas insuffisant pour lui permettre d'effectuer sa nécessaire reconversion, compte tenu de l'ancienneté de la relation contractuelle, de sa situation de dépendance économique et des investissements effectués, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;
Mais attendu, d'une part, qu'une interprétation entre deux chefs de dispositif pouvant, en application de l'article 461 du Code de procédure civile, donner lieu à une requête en interprétation, elle ne peut ouvrir la voie de la cassation ; que le moyen n'est pas recevable ;
Et attendu, d'autre part, qu'après avoir énoncé qu'il devait être vérifié si le délai contractuel de huit mois était assez long pour permettre à la société LGM Yachting de disposer d'un temps suffisant pour se reconvertir, l'arrêt relève l'ancienneté des relations entre les parties qui avaient duré dix-neuf ans, l'obligation d'exclusivité pesant sur le concessionnaire et la notoriété ainsi que la spécificité des produits Beneteau, et en déduit, dans l'exercice de son pouvoir souverain, qu'au regard de ces éléments, le préavis aurait dû être de douze mois ; qu'ainsi la cour d'appel, qui a effectué les recherches prétendument omises, a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen, qui ne peut être accueilli en sa première branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Et sur le troisième moyen : - Attendu que la société LGM Yachting fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à voir juger que la rupture des contrats était brutale et abusive, de limiter le montant de la condamnation de la société SPBI au titre de l'insuffisance de préavis et celui au titre de la signalétique propre aux produits Bénéteau et de rejeter ses autres demandes alors, selon le moyen : 1°) que la rupture prématurée et sans motif d'un contrat à durée déterminée revêt un caractère abusif lorsque la victime de la rupture pouvait légitimement penser que le contrat irait jusqu'à son terme ; qu'en l'espèce, la société LGM Yachting faisait valoir que compte tenu de l'ancienneté des relations entretenues avec la société SPBI, des restructurations effectuées et des investissements réalisés sur les incitations de la société SPBI, elle pouvait légitimement espérer que le contrat irait jusqu'à son terme, soit jusqu'au 31 août 2012 ; qu'en retenant que la rupture prématurée du contrat intervenue le 8 février 2011 avec un préavis de huit mois n'était pas abusive sans rechercher si la société LGM Yachting pouvait légitimement penser que le contrat irait jusqu'à son terme du 31 août 2012, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; 2°) que la rupture prématurée et sans motif d'un contrat à durée déterminée revêt un caractère abusif lorsque la victime de la rupture pouvait légitimement penser que le contrat irait jusqu'à son terme ; qu'en l'espèce, la société LGM Yachting faisait valoir que compte tenu de l'ancienneté des relations entretenues avec la société SPBI, des restructurations effectuées et des investissements réalisés sur les incitations de la société SPBI, elle pouvait légitimement espérer que le contrat irait jusqu'à son terme, soit jusqu'au 31 août 2012 ; qu'en retenant que la rupture prématurée du contrat intervenue le 8 février 2011 avec un préavis de huit mois n'était pas abusive, dès lors que la société SPBI était en droit de résilier le contrat sans motif, que la société LGM Yachting savait que les contrats venaient à échéance soixante mois plus tard et ne seraient pas renouvelés automatiquement et que l'attitude de la société SPBI n'était pas de nature à laisser croire à la société LGM Yachting que la relation contractuelle serait poursuivie après le 31 août 2012, la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs inopérants, a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; 3°) que la rupture prématurée d'un contrat de concession exclusive à durée déterminée revêt un caractère abusif lorsqu'elle permet au concédant, informé des pourparlers entre son concessionnaire et un éventuel repreneur, de priver de toute valeur le fonds de commerce du concessionnaire évincé et d'accorder au candidat repreneur un nouveau contrat de concession dans des conditions financières privilégiées ; qu'en l'espèce, la société LGM Yachting versait aux débats un " plan de développement " en date du 23 septembre 2010 établi par la société Chemins d'océans décrivant de façon détaillée le projet de rachat de son fonds de commerce et de l'amodiation ; que la société SPBI reconnaissait expressément dans ses conclusions d'appel avoir été informée des discussions en cours entre la société LGM Yachting et la société Chemins de l'océan et avoir donné son accord de principe compte tenu du plan d'affaires proposé par cette société ; qu'en retenant, pour débouter la société LGM Yachting de sa demande tendant à voir juger que la résiliation était abusive, qu'elle n'apportait aucune information sur le déroulement de ses négociations avec la société Chemin de l'océan et la société SPBI, sans s'expliquer sur ces éléments démontrant l'existence et le degré d'avancement de ces négociations, auxquelles la société SPBI reconnaissait avoir été associée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; 4°) que la rupture prématurée d'un contrat de concession exclusive à durée déterminée revêt un caractère abusif lorsqu'elle permet au concédant, informé des pourparlers entre son concessionnaire et un éventuel repreneur, de priver de toute valeur le fonds de commerce du concessionnaire évincé et d'accorder au candidat repreneur un nouveau contrat de concession dans des conditions financières privilégiées ; qu'en retenant en l'espèce que la société LGM Yachting ne démontrait aucune collusion frauduleuse de la société SPBI avec la société Chemins d'océans en vue de l'évincer et de lui faire perdre son fonds de commerce, sans rechercher si la concomitance des négociations entre la société LGM Yachting et la société Chemins d'océans, dont la société SPBI était pleinement informée, avec la reprise le 11 février 2011 par la société Chemins d'océans de l'amodiation consentie par la commune de la Grande-Motte et la rupture prématurée du contrat de concession le 15 février 2011, ainsi que le fait que la société Chemins d'océans était devenue le nouveau concessionnaire de la société SPBI, ne démontraient pas cette collusion frauduleuse, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard des articles L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; 5°) que l'abus dans la résiliation d'une convention ne résulte pas exclusivement dans la volonté de nuire de celui qui résilie ; qu'en retenant, pour écarter tout abus dans la résiliation anticipée du contrat de concession à durée déterminée litigieux, que la société LGM Yachting ne démontrait pas la collusion frauduleuse de la société SPBI avec la société Chemin de l'océan en vue d'évincer la société LGM Yachting et de lui faire perdre son fonds de commerce, quand la société SPBI reconnaissait expressément dans ses conclusions d'appel avoir été informée des discussions en cours entre la société LGM Yachting et la société Chemins de l'océan et avoir donné son accord de principe compte tenu du plan d'affaires proposé par cette société, et qu'elle ne pouvait ignorer que la résiliation prématurée du contrat de concession faisait perdre toute valeur au fonds de commerce de la société LGM Yachting, ce qui suffisait à rendre cette rupture abusive, la cour d'appel a violé les articles L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, ensemble l'article 1184 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt constate que la société LGM Yachting savait dès la conclusion des contrats le 31 août 2007 que ceux-ci viendraient à échéance soixante mois plus tard et ne seraient pas renouvelés automatiquement et qu'une faculté de résiliation avant terme était stipulée au profit de chacune des parties ; qu'il retient que les demandes et encouragements à investir, l'incitation à recruter un nouveau partenaire avec promesse d'une aide et l'assurance d'un soutien pour la réalisation des animations et événements importants à mettre en œuvre, éléments selon lesquels la société SPBI aurait donné à la société LGM Yachting des signes forts de continuité des contrats après leur terme, n'étaient pas de nature à laisser croire à cette dernière, trois ans avant la date d'échéance normale des contrats le 31 août 2012, à la possibilité d'une poursuite de la relation contractuelle après cette date ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche invoquée à la première branche, a légalement justifié sa décision ;
Et attendu, en second lieu, qu'ayant retenu dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve que la société LGM Yachting, qui n'apportait aucune information sur le déroulement de ses négociations avec la société Chemins de l'océan, ne démontrait aucune collusion frauduleuse de la société SPBI avec cette dernière en vue de l'évincer et de lui faire perdre son fonds de commerce, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de s'expliquer sur les éléments de preuve qu'elle décidait d'écarter, ni de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.