CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 13 avril 2016, n° 14-23775
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Electop Products (SAS)
Défendeur :
Etablissements Darty et Fils (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cocchiello
Conseillers :
Mme Mouthon Vidilles, M. Thomas
Avocats :
Mes Salhab, Legrain Beyssier, Boccon Gibod, Meyrier
Vu le jugement assorti de l'exécution provisoire rendu le 20 octobre 2014 par le Tribunal de commerce de Paris qui a :
- condamné la SAS Darty à payer à la société Electop products la somme de 68 658 euros au titre de la rupture brutale de leurs relations et celle de 2 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté les parties de toutes leurs autres demandes,
- condamné la SAS Darty aux dépens;
Vu l'appel relevé par la société Electop products et ses dernières conclusions notifiées le 4 janvier 2016 par lesquelles elle demande à la cour, au visa des articles L. 420-2 2° et L. 442-6 I 5° du Code de commerce, infirmant partiellement le jugement, de :
- dire que la SAS Darty a rompu brutalement les relations commerciales établies avec elle sans préavis tenant compte de la durée de ces relations,
- dire qu'elle avait l'obligation de lui notifier par écrit un préavis dont la durée peut être raisonnablement fixée à 15 mois,
- en conséquence, condamner la SAS Darty à lui payer la somme de 174 146,25 euros au titre de la rupture brutale des relations commerciales, correspondant à sa perte de marge bénéficiaire brute pendant 15 mois,
- dire que le montant de la condamnation de première instance réglé par la SAS Darty, soit 68 658 euros viendra en déduction de la somme à laquelle la SAS Darty sera condamnée suivant l'arrêt à intervenir,
- condamner la SAS Darty aux dépens et à lui payer la somme de 5 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions signifiées le 11 janvier 2016 par la société Etablissements Darty & fils qui demande à la cour, au visa de l'article L. 442-6 du Code de commerce, de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a dit que le préavis dont la société Electop products aurait dû bénéficier était de 6 mois,
- l'infirmer en ce qu'il a fixé le montant de la marge brute dont la société Electop products a été privée pendant le préavis de 6 mois à la somme de 68 658 euros et arrêter la marge brute dont elle aurait pu bénéficier pendant le cours d'exécution du préavis à la somme de 63 284 euros,
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Electop products de sa demande en paiement de la somme de 50 000 euros, à titre de dommages-intérêts,
- condamner la société Electop products aux dépens et à lui payer la somme de 5 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile;
Sur ce LA COUR,
Considérant qu'à partir du mois de décembre 2003, la société Electop products qui a pour activité l'achat et la revente de tous produits, a fourni à la société Darty divers produits de petit électroménager; qu'à compter du mois de mai 2011, la société Darty a fortement réduit ses commandes, le chiffre d'affaires réalisé avec elle par la société Electop products ne s'élevant plus qu'à 1 148 euros de mai à décembre 2011 ;
Que par lettre du 25 mai 2002, le conseil de la société Electop products a demandé à la société Darty de lui adresser une proposition pour l'indemniser du préjudice résultant de la rupture brutale de leurs relations commerciales ;
Que le 1er août 2012, la société Electop products a saisi le Tribunal de commerce de Paris qui, par le jugement déféré, a estimé que la société Darty aurait dû respecter un préavis de six mois et, tenant compte de la marge brute moyenne réalisée par la société Electop products avec la société Darty au cours des années 2008, 2009 et 2010, hors produits de marque Beurer, a fixé le montant des dommages-intérêts à la somme de 68 658 euros ;
Considérant que la société Electop products, appelante, expose :
- qu'elle a développé un courant d'affaires avec la société Darty à partir de décembre 2003, une convention de distribution ayant été conclue le 15 décembre 2003 pour la vente de produits de marque Koch et des prestations de service après-vente,
- que par la suite, elle a fourni à la société Darty une gamme de produits diversifiés et a toujours respecté ses engagements en particulier les exigences du service après-vente,
- qu'un contrat de service après-vente a été régularisé le 1er février 2009, prévoyant que tous les produits étaient garantis par elle pendant 2 ans et qu'ils étaient réparables en atelier Darty pour les produits Koch et, pour les autres, échangeables au comptoir des magasins Darty,
- que progressivement son chiffre d'affaires avec la société Darty a représenté 90 % de son activité en 2010, contre 50 % en 2004,
- qu'en avril 2011, la responsable des achats de la société Darty et l'équipe d'acheteurs de petit électroménager ont stoppé net toute commande auprès d'elle,
- que la société Darty ne remet en cause ni l'imputabilité, ni la brutalité de la rupture;
Que l'appelante, précisant avoir tenté de relancer les commandes pour la rentrée de septembre, reproche à la société Darty d'avoir tergiversé et de lui avoir laissé croire jusque fin décembre, soit pendant 7 mois, qu'il ne s'agissait que d'un ralentissement d'approvisionnement alors qu'elle lui proposait notamment de nouveaux produits d'un fabricant allemand ADE; qu'elle souligne qu'après la rupture de leurs relations, la société Darty a commercialisé des produits ADE sous sa propre marque de distributeur mais en contractant directement avec le fournisseur;
Qu'elle observe que les usages, entérinés par un accord interprofessionnel passé entre la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France et la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution, dont fait partie la société Darty, ont fixé à 10 mois la durée du préavis selon la part que représente la rupture dans le chiffre d'affaires total du partenaire commercial et selon la durée des relations de plus de 5 ans jusqu'à 10 ans;
Qu'elle ajoute avoir fourni à la société Darty des produits sous la marque distributeur Proline qui sont venus compléter la gamme d'électroménagers et qui n'étaient pas commercialisés par la société Darty auparavant; qu'elle en déduit pouvoir bénéficier du doublement du préavis conformément à l'article L. 442-6 5 I° qui dispose que lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque distributeur;
Qu'en réponse aux arguments opposés par la société Darty, la société Electop products fait valoir :
- qu'elle n'a jamais anticipé sa reconversion dans un autre secteur avant la rupture des relations commerciales, son dirigeant M. Daby n'ayant créé une nouvelle société dénommée La route du sucre que le 10 septembre 2014, avec un début d'activité le 15 septembre 2014, et que cette reconversion ne peut être prise en compte pour l'indemnisation du préjudice découlant de la brutalité de la rupture,
- que seule une dépendance économique fautive pourrait fonder une réduction de l'indemnisation, ce qui n'est pas le cas,
- qu'elle n'a commis aucune faute, n'ayant jamais voulu rompre ses relations avec la société Beurer et que pour le calcul de l'indemnisation réclamée à la société Darty elle a volontairement exclu le chiffre d'affaire qu'aurait pu générer la poursuite de ses relations avec la société Beurer si un préavis raisonnable lui avait été notifié:
Que l'appelante demande qu'au regard de ces éléments, de la durée des relations commerciales de 7 ans et 5 mois ainsi que des circonstances de la rupture brutale, le préavis soit fixé à 15 mois; qu'elle réclame la somme de 174 146,25 euros calculée sur la base de la marge bénéficiaire brute moyenne réalisée au cours des années 2008, 2009 et 2010, déduction faite de la marge moyenne réalisée sur les produits Beurer;
Considérant que la société Darty rappelle longuement et à plusieurs reprises que la société Electop products a varié en cours de procédure dans ses demandes au titre de la durée du préavis, mais précise ne soulever aucune irrecevabilité de ses demandes; qu'elle indique :
- que les produits de marque Beurer représentaient 53 % en moyenne de ses commandes auprès de la société Electop products qui lui avait affirmé être distributeur exclusif de cette marque en France,
- que le 31 mai 2011, M. Gautheron, se présentant comme président d'une société Beurer France, l'a informée de la réorganisation de la commercialisation des produits Beurer en France par la création d'une filiale pour travailler directement avec les acteurs de la distribution d'électroménagers,
- qu'elle a demandé des explications à la société Electop products, mais a souhaité ne pas s'immiscer dans les relations de cette société avec Beurer,
- que depuis plusieurs mois, la société Electop products avait cessé d'honorer les commandes de produits Beurer qu'elle lui avait passées, sans qu'elle en tire de conséquence pour mettre un terme à leurs relations;
Qu'elle allègue que la société Electop products aurait de façon synchronisée mis en œuvre le projet consistant :
- dans un premier temps, à ne plus honorer ses commandes portant sur les produits Beurer,
- dans un deuxième temps, à ne pas donner suite à des propositions de partenariat de Beurer, lesquelles lui aurait permis de poursuivre ses relations avec Darty,
- puis lors d'une réunion du 8 octobre 2011 et par courrier du 12 octobre suivant, à lui annoncer l'arrêt de ses activités en électroménager et lui faire part de ses nouveaux projets impliquant 2 à 3 années pour leur mise en place,
- enfin, après l'avoir ainsi induite en erreur, à lui faire grief de l'absence de nouvelles commandes, artificiellement qualifiée de rupture brutale afin de pouvoir solliciter des dommages-intérêts lui permettant de financer sa reconversion ;
Considérant que la société Darty soutient, en droit :
- qu'un préavis de 6 mois, au demeurant revendiqué par la société Electop products dans son assignation, doit être retenu eu égard à la durée des relations commerciales,
- que la société Electop products, qui n'était tenue envers elle par aucune clause d'exclusivité, s'est volontairement placée en situation de dépendance à son égard, en choisissant de ne pas diversifier sa clientèle et en refusant toute embauche qui lui aurait permis de démarcher de nouveaux clients et de conclure des contrats avec eux ;
- que Darty n'ayant jamais été en position monopolistique sur le marché de la distribution du petit électroménager, la société Electop products pouvait étendre sa clientèle en s'adressant à Boulanger et à tous les hypermarchés, étant relevé qu'elle déclare elle-même avoir eu comme clients Métro et BHV,
- que dans le cadre du contrat de service après-vente, qui a été négocié entre les parties, c'est Darty qui disposant d'une équipe dédiée de techniciens, effectuait les réparations et échanges nécessaires, ce qui évitait tout investissement à ce titre pour la société Electop products,
- qu'il convient de prendre en considération le fait que la société Electop products a décidé de ne pas permettre la poursuite de ses relations avec Beurer alors que des propositions lui avaient été faites en ce sens
- et de réorienter ses activités,
- que l'accord interprofessionnel invoqué par la société Electop products a été régularisé seulement en 2013 et que, quand bien même il serait applicable aux relations entre les parties, les indications qu'il donne laisse entier le pouvoir d'appréciation du juge,
- qu'elle n'a jamais conclu avec la société Electop products d'accord en vue de lui commander la fabrication de produits conformes à un cahier des charges qu'elle aurait élaboré et que cette société ne lui a jamais fourni de produits sous marque de distributeur répondant à la définition de l'article L. 112-6 du Code de la consommation ;
Considérant qu'en dernier lieu, la société Darty conteste le calcul de la marge brute retenu par le tribunal, la soustraction de la marge brute et des commissions réalisées avec les produits Beurer devant être faite, non pas de façon pondérée, mais à partir des chiffres fournis par la société Electop products elle-même, ce qui aboutit à la moyenne des 3 années de marges brute retraitée de 126 568 euros, soit un préjudice de 63 284 euros pour non-respect d'un préavis de 6 mois ;
Considérant, cela exposé, que la société Darty ne conteste pas avoir rompu brutalement et sans préavis écrit les relations commerciales établies qu'elle entretenait avec la société Electop products depuis 7 ans et 5 mois ;
Que le délai de préavis doit s'apprécier en fonction de la durée des relations commerciales et des circonstances de l'espèce, le délai prévu par les usages ou accords interprofessionnels ne s'imposant pas au juge ;
Qu'en l'espèce, aucune clause d'exclusivité ne la liant à la société Darty, la société Electop products pouvait exercer son activité avec d'autres distributeurs d'appareils de petit électroménager; qu'elle a choisi au fil du temps de privilégier ses relations avec la société Darty, sans pouvoir maintenant invoquer une dépendance économique à son égard ;
Que la société Electop products ne démontre pas avoir fourni à la société Darty des produits de marque distributeur qui, conformément à l'article L. 112-6 du Code de la consommation, sont des produits dont les caractéristiques ont été définies par l'entreprise ou le groupe d'entreprises qui en assure la vente au détail et qui est propriétaire de la marque sous laquelle ils sont vendus; qu'elle ne verse aux débats aucune pièce justifiant que la société Darty aurait élaboré un cahier des charges qu'elle lui aurait imposé pour la fourniture de produits ;
Qu'il était possible à la société Electop products, après la rupture, de redéployer son activité de vente de petit électroménager en trouvant d'autres partenaires ; qu'elle a préféré envisager une reconversion vers d'autres activités ;
Que cette société ne démontre pas que la société Darty lui aurait laissé croire jusqu'en décembre 2011 à une poursuite de leurs relations, alors que dès octobre 2011, elle lui a transmis des documents relatifs à sa reconversion dans le domaine de l'importation d'une boisson dénommée KGB Vodka ;
Qu'indépendamment des circonstances de la rupture des relations de la société Electop products avec la société Beurer, il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société Darty aurait dû respecter un préavis de six mois, temps nécessaire à sa partenaire évincée pour retrouver une clientèle sur le marché du petit électroménager ;
Considérant, sur le préjudice, qu'il convient de prendre en compte la marge brute moyenne réalisée par la société Electop products au cours des années 2008, 2009 et 2010 et d'en déduire la part correspondant aux produits Beurer que cette société ne pouvait plus vendre à partir d'avril 2011 ; qu'au regard des pièces versées aux débats par la société Electop products et des calculs de la société Darty, non critiqués par la partie adverse, la marge brute à retenir pour l'année 2008 est de 147 885 euros, celle au titre de l'année 2009 de 133 916 euros et celle au titre de l'année 2010 de 97 903 euros ; que la marge brute moyenne annuelle s'élevant à 126 568 euros, le préjudice pour perte de marge brute pendant six mois sera fixé à 63 284 euros ;
Considérant que la société Electop products, qui succombe en son appel, devra supporter les dépens d'appel ; que vu les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, elle devra payer la somme de 2 000 euros à la société Darty, sa demande de ce chef étant rejetée.
Par ces motifs : infirme le jugement seulement en ce qu'il a condamné la SAS Darty à payer à la société Electop products la somme de 68 658 euros pour rupture brutale de leurs relations, statuant à nouveau, condamne la société Etablissements Darty & fils à payer à la société Electop products la somme de 63 284 euros, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice résultant de la rupture brutale de leurs relations commerciales, Confirme le jugement pour le surplus, Y Ajoutant, Condamne la société Electop products à payer à la société Etablissements Darty & fils la somme de 2.000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette toutes autres demandes, Condamne la société Electop products aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.