CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 13 avril 2016, n° 13-22388
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Continental France (SNC)
Défendeur :
Binder Magnetic (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cocchiello
Conseillers :
M. Thomas, Mme Mouthon Vidilles
Avocats :
Mes Regnier, Geyer, Brander, Boursier, Poupet
Faits et procédure
La SNC Continental France (société Continental) est un manufacturier de pneumatiques. La SARL Binder Magnetic (société Binder) a pour activité le négoce, sur l'ensemble du territoire français et à l'étranger, d'organes de transmission mécaniques, électriques et électromécaniques, et notamment de courroies. Les deux sociétés sont entrées en relation commerciale au début des années 1990 ; la société Binder fournissant des courroies à la société Continental qui les lui commandait, à partir de l'année 2006, par l'intermédiaire de sa centrale d'achat, la société Setec.
La société Continental adressait à la société Binder des commandes fermées donnant lieu à la livraison immédiate de matériel et des commandes ouvertes correspondant à des ordres d'achat portant sur un montant et une quantité déterminés et dont la livraison devait s'étaler sur une certaine période convenue entre les parties.
Estimant que le nombre des commandes que lui adresse la société Continental a sérieusement baissé depuis le mois de septembre 2011 et soutenant ne pas obtenir d'explications de la société Continental, la société Binder a adressé le 5 avril 2012 une lettre recommandée avec accusé réception à la société Continental pour dénoncer une rupture brutale de la relation commerciale et solliciter l'indemnisation de son préjudice.
Par courrier en réponse du 17 avril 2012, la société Continental contestait toute rupture de la relation commerciale en faisant état d'une augmentation du chiffre d'affaires réalisé par la société Binder en 2011 et en mettant en cause la qualité des produits vendus par la société Binder pour la gamme spécifique des courroies par "pin joint".
Par courriel du 12 juin 2012, la société Continental annonçait une diminution sensible du niveau des commandes à l'issue d'un période de dix-huit mois et demandait à la société Binder d'adapter ses prix et ses produits.
C'est dans ce contexte que la société Binder a assigné la société Continental par acte du 20 juillet 2012 devant le Tribunal de commerce de Nancy.
Par jugement du 25 octobre 2013, le Tribunal de commerce de Nancy a :
- déclaré la société Continental responsable à l'égard de la société Binder d'une inexécution partielle du préavis donné lors de la rupture des relations commerciales établies ;
- condamné la société Continental à payer à la société Binder la somme de 79 548 euros à titre d'indemnité pour inexécution partielle du préavis ;
- condamné la société Continental à payer à la société Binder la somme 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamné la société Continental aux dépens du présent jugement,
- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement.
Par déclaration du 22 novembre 2013, la société Continental a interjeté appel de ce jugement.
Vu les dernières conclusions du 18 janvier 2016 par lesquelles la société Continental, France demande à la cour de :
- Déclarer la société Continental recevable et bien fondée en son appel du jugement rendu le 25 octobre 2013 par le Tribunal de Commerce de Nancy,
Y faisant droit
- Constater que la société Continental a rompu ses relations commerciales avec la société Binder, par courrier électronique du 12 juin 2012, prévoyant un préavis de 18 mois,
- Constater que la rupture des relations commerciales prenait effet le 13 décembre 2013,
- Constater que la société Continental a passé des commandes durant la durée du préavis de 18 mois pour un montant total de 224 665 euros,
- Constater que la société Binder a réalisé auprès de la société Continental durant la durée du préavis de 18 mois un chiffre d'affaires pour un montant total de 236 150 euros,
- Dire et juger que la société Continental a respecté son préavis de 18 mois,
- Dire et juger que la rupture brutale partielle de la relation commerciale n'est pas établie,
- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il condamne la société Continental à payer la somme de 79 548 euros à la société Binder,
- Condamner la société Binder au paiement d'une indemnité de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Condamner la société Binder aux entiers frais et dépens de la procédure.
Vu les dernières conclusions du 15 janvier 2016 par lesquelles la société Binder Magnetic demande à la cour de :
- Confirmer le Jugement du Tribunal de Commerce de Nancy en ce qu'il a condamné la société Continental à payer des dommages-intérêts à la société Binder, en actualisant le montant de la condamnation à la somme de 65 600 euros,
- Infirmer toutefois le Jugement concernant les motifs retenus à l'appui de la condamnation,
- Dire et juger que la société Continental a procédé à une rupture brutale partielle sans préavis de la relation commerciale établie entretenue avec la société Binder, et ce, en violation de l'article L. 442-6 I 5° du Code de Commerce,
- Dire et juger que la société Continental aurait dû respecter un préavis de vingt-quatre mois au titre de la rupture des relations commerciales,
En conséquence,
- Condamner la société Continental à payer à la société Binder une somme de 65 600 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale partielle de la relation commerciale, ce montant tenant compte du chiffre d'affaires réalisé par la société Binder au titre du préavis notifié postérieurement à la rupture effective des relations,
A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour retiendrait un préavis de 18 mois,
- Condamner la société Continental à payer à la société Binder une somme de 35 000 euros à titre de dommages-intérêts,
A titre encore plus subsidiaire :
- Confirmer la motivation du Tribunal ayant retenu l'inexécution partielle par la société Continental du préavis notifié par écrit et, l'existence d'un préjudice pour la société Binder,
- Condamner la société Continental à payer une somme de 25 600 euros à la société Binder à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale partielle de la relation commerciale en cours de préavis,
En tout état de cause :
- Débouter la société Continental de l'ensemble de ses demandes,
- Condamner la société Continental à payer une somme de 6 000 euros à la société Binder au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- Condamner la société Continental aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Motifs :
Sur la rupture brutale des relations commerciales :
Considérant que la société Continental demande à la cour de confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Nancy en ce qu'il a écarté la rupture brutale des relations commerciales établies, qu'elle relève que le chiffre d'affaires réalisé par la société Binder avec la société Continental a dépassé le seuil de 200 000 euros avant 2011, " qu'aucune rupture brutale ne saurait résulter de la baisse de commandes ouvertes en 2011 dans la mesure où le montant total des commandes ouvertes de 2011 est bien supérieur à celui de l'année précédente, et même équivalent à celui de 2009 " et alors qu'aucun niveau minimum mensuel de commandes n'a jamais été convenu entre les parties ; que la baisse de commandes imputée à la société Continental par la société Binder n'était pas substantielle ;
Considérant que la société Binder demande l'infirmation du jugement en ce qu'il a refusé de reconnaître le caractère brutal de la rupture de la relation commerciale par la société Continental alors pourtant que cette rupture a affecté les commandes ainsi que le chiffre d'affaires de la société Binder dès l'année 2011 et que la signification par la société Continental dans son courrier du 11 juin 2012 de son intention de mettre un terme à ces relations commerciales dans un délai de dix-huit mois est intervenue postérieurement à cette rupture déjà consommée,
Mais considérant qu'il n'est pas discuté qu'après la prise en charge directe par Setech de l'approvisionnement en matériel de la société Continental France, ce sont malgré tout les relations commerciales entretenues par Binder et Continental directement ou via la centrale d'achat qui donnent lieu au présent litige, dès lors qu'aucune fin de non-recevoir de la demande formée contre la société Continental n'a été soulevée,
Considérant que le chiffre d'affaires réalisé par la société Binder avec la société Continental a connu un mouvement général de progression mais avec des variations à la hausse et à la baisse parfois importantes entre 1995 et 2011 : de 70 311 en 1995, de 81 473 en 1999, de 57 435 en 2000, de 246 406 en 2007, de 227 308 en 2008 et de 178 396 en 2009, de 189 628 en 2010 et de 202 500 en 2011, de 156 980 en 2012, de 181 652 euros en 2013 ; qu'il ne peut être sérieusement soutenu qu'il y a eu en 2011 une rupture brutale des relations commerciales, que l'impact des commandes ouvertes qui est ressenti, comme le soutient Binder, en grande partie l'année suivante, a été pris en compte pour une période correspondant à chaque année civile, seule méthode possible pour établir des comparaisons qui aient un sens ; qu'en outre, les variations de chiffre d'affaires sur les années 1999-2000, 2007-2008-2009 permettent de remarquer que le chiffre d'affaires ne progressait pas linéairement ; que la baisse observée du chiffre d'affaires réalisé en 2012 par rapport à 2011 dont il n'est pas établi par Binder qu'elle résulte d'une volonté délibérée de Continental n'apparaît pas substantielle ; que la rupture partielle des relations commerciales n'est pas établie,
Sur l'inexécution partielle du préavis :
Considérant que la société Continental soutient que la variation des commandes à partir de 2012 s'explique par des difficultés techniques sur certains produits rencontrées par la société Continental (notamment avec le dispositif de jonctionnement - pin joint - et les courroies à dos rugueux) depuis 2011, qui ont donné lieu à de multiples échanges et réunions entre les parties, sans solution satisfaisante de la part de la société Binder ; qu'elle a également rencontré d'autres difficultés : des délais de livraisons importants au cours de ses relations avec la société Binder, la récupération du stock de courroies de son ancienne usine de Clairox à partir de 2010 qu'elle a dû écouler, la baisse par la société Binder d'une partie de ses prix en 2012 qui expliquerait la baisse du chiffre d'affaires de cette dernière, l'achat de nouvelles confectionneuses, qui par leur caractère neuf, ne nécessitaient pas un renouvellement de courroie, enfin, un contexte de crise économique ayant entrainé une baisse des ventes de pneumatiques depuis 2011 ; que ces éléments expliquent la teneur de son courrier du 11 juin 2012,
Qu'elle reproche au jugement de première instance d'être entaché d'erreur dans la mesure où ce dernier a été rendu le 25 octobre 2013, soit un mois et demi avant la date d'expiration du préavis de rupture qui devait avoir lieu le 12 décembre 2013, et que le juge a limité son analyse aux seules commandes passées jusqu'au 28 février 2013, alors qu'elle a poursuivi ses commandes après le 7 mai 2013 et qu'aucune baisse de commandes n'est intervenue durant la période de préavis de 18 mois, que le préavis de rupture a été parfaitement respecté par la société Continental,
Que dans l'hypothèse où la cour devait retenir malgré tout une inexécution partielle du préavis de 18 mois de la part de la société Continental, cette dernière fait valoir que le préjudice ne peut être évalué à la somme de 79 548 euros mais à celle de 19 645 euros,
Considérant que la société Binder soutient que la rupture n'est justifiée par aucune circonstance : qu'elle expose que les griefs sont opposés par Continental postérieurement à la rupture, mais y répond et conteste tout impact de la crise économique invoqué par Continental,
Considérant enfin que la société Binder estime que la durée du délai de préavis aurait dû être de vingt-quatre mois, compte tenu de l'ancienneté et de l'importance des relations commerciales liant les deux sociétés, ainsi que la dépendance de son établissement situé dans l'Est ; que la société Continental doit donc être condamnée à indemniser la société Binder à hauteur de la marge brute qu'elle aurait pu réaliser pendant un préavis de 24 mois, soustraction faite de la marge réalisée pendant le préavis notifiée postérieurement par écrit, que cette marge brute doit être évaluée à 65 600 euros et à 35 059 euros dans l'hypothèse où la cour retiendrait un préavis de 18 mois,
Mais considérant selon les pièces versées que dès février 2011, les parties ont discuté des difficultés techniques de fonctionnement de la courroie dentée polyurethane, qu'il apparaît que des courroies non conformes ont été retournées à la fin de l'année 2011, que des discussions sur les coûts, l'approvisionnement existaient, que par courrier du 11 juin 2012, la société Continental annonçait une diminution sensible de son niveau de commandes à l'expiration d'un délai de dix-huit mois,
Considérant que les parties entretiennent des relations commerciales depuis le début des années 1990 ; que la société Binder réalisait le 14 % de son chiffre d'affaires avec l'agence Continental ; qu'elle ne peut faire état d'une dépendance de son établissement dans l'est de la France, laquelle ne résulte que de son organisation interne ; que le préavis de 18 mois donné à la société Binder était d'une durée suffisante pour lui permettre de se redéployer avant l'expiration du délai de préavis le 12 décembre 2013,
Considérant encore que le chiffre d'affaire réalisé en 2013 par la société Binder avec la société Continental n'a pas présenté de fléchissement par rapport à l'année précédente ; qu'il apparaît que la société Continental a continué tout au long de l'année 2013 à passer des commandes auprès de la société Binder et selon la pièce 12 de la société Continental, les commandes d'une valeur de 144 039,43 euros, ont facturées pour 128 333,94 euros,
Considérant que la société Binder ne fait pas la preuve qui lui incombe que la société Continental n'a pas respecté le préavis de dix-huit mois qu'elle lui avait consenti ; que, par conséquent, il ne peut être constaté une quelconque inexécution partielle du préavis ; que la décision du premier juge sera infirmée et la société Binder déboutée de sa demande ;
Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement en ce qui concerne l'inexécution partielle du préavis, Déboute la société Binder Magnetic de ses demandes, Condamne la société Binder Magnetic à payer à la société Continental France la somme de 65 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles, Condamne la société Binder Magnetic aux dépens.