CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 13 avril 2016, n° 13-24813
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Biba (SARL)
Défendeur :
Aaron (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cocchiello
Conseillers :
M. Thomas, Mme Mouthon Vidilles
Avocats :
Mes Cadiot, Brunet, Grappotte-Benetreau, Amsellem
Faits et procédure :
La SARL Aaron (société Aaron), implantée dans le Var, commercialise des produits textiles sous la marque American Vintage ; elle distribue ses produits par un réseau de boutiques multimarques grâce à des agents commerciaux et par un réseau de boutiques détenues par une autre société dont elle est l'associée majoritaire. A Toulouse, la marque est distribuée dans quatre magasins multimarques et à l'enseigne American Vintage en centre-ville.
L'EURL Biba (société Biba) a pour activité le commerce de détail de vêtements de prêt-à-porter et autres accessoires. Elle exploite six fonds de commerce à Toulouse. Elle commercialise des vêtements de la marque American Vintage, que lui fournit la société Aaron, notamment dans un magasin sous l'enseigne Poesy à Toulouse, 19 place Saint-Georges qu'elle a ouvert en 2009.
Le 14 décembre 2010, la société Biba a passé une commande de vêtements concernant la collection été 2011 auprès de la société Aaron pour un montant de 72 195,20 euros HT ; cette commande a été suivie par des commandes complémentaires en février et mars 2011.
Le 9 avril 2011, un point de vente sous l'enseigne American Vintage a été ouvert à Toulouse, 5, rue de la Pomme, à quelques dizaines de mètres de la boutique Poesy.
Exposant ne pas avoir été prévenue de l'ouverture de ce point de vente et éprouvant des difficultés à écouler son stock de la collection été 2011, la société Biba n'a pas procédé au règlement de la facture de décembre 2010 et par acte du 24 juin 2011, a cité la société Aaron devant le Tribunal de commerce de Marseille.
Par jugement du 3 juin 2013, le Tribunal de commerce de Marseille a :
- Débouté la société Biba de l'ensemble de ses demandes ;
- Condamné la société Biba à payer à la société Aaron la somme de 71 669,56 euros avec intérêt aux taux légal à compter du 13 juin 2011 et celle de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;
- Condamné la Société Biba aux dépens ;
- Rejetté pour le surplus toutes autres demandes.
La cour est saisie de l'appel interjeté par la société Biba de ce jugement.
Vu les dernières conclusions du 1er février 2016 par lesquelles la société Biba demande à la cour de :
- Reformer la décision du Tribunal de commerce de Marseille en date du 3 juin 2013 en ce qu'elle a débouté la société Biba de l'ensemble de ses demandes et condamné la société Biba au paiement de la somme de 71 669,56 euros avec intérêts au taux légal à compter du 13 juin 2011 et de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
Statuant à nouveau :
- Condamner la société Aaron à verser à la société Biba la somme de 200 000 euros en réparation du préjudice subi,
- Ordonner la compensation avec toutes sommes pouvant être dues à la société Aaron,
- Condamner la société Aaron à payer à la société Biba la somme de 8 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Condamner la société Aaron aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Bernard Cadiot, Avocat, en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions du 2 février 2016 par lesquelles la société Aaron demande à la cour de :
- Confirmer la décision rendue par le Tribunal de commerce de Marseille le 3 juin 2013,
- Dire et juger que la société Aaron n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité,
- Débouter la société Biba de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
Y ajoutant, sur l'appel incident de la société Aaron :
- Condamner la société Biba à payer à la société Aaron la somme de 5 000 euros à titre de dommages intérêts pour résistance abusive,
- Condamner la société Biba à payer à la société Aaron la somme de 8 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais irrépétibles d'appel, ainsi que les entiers dépens de première instance et d'appel, ces derniers distraits au profit de la SCP Grappotte - Benetreau sur son affirmation de droit.
Motifs :
Sur la demande en réparation de la société Biba :
Considérant que la société Biba soutient :
Que la société Aaron a commis des fautes ; qu'elle a commis une réticence dolosive en accueillant et honorant la commande pour la saison 2011 passée par la société Biba en décembre 2010 tout en lui taisant l'ouverture imminente de la boutique American Vintage ; qu'elle a manqué à son obligation de garantie d'éviction prévue par les articles 1626 et 1628 du Code civil en l'empêchant de réaliser son stock dans de bonnes conditions ; qu'elle a manqué à son obligation de bonne foi qui s'imposait à elle en application de l'article 1134 du Code civil, démontrant un comportement incohérent et "parasitaire", s'appropriant la clientèle que la société Poesy avait constituée par son "travail d'implantation" ;
Que par ailleurs, la société Aaron est l'auteur de la rupture des relations commerciales consacrée par l'article L. 442-6 5° du Code de commerce, qu'elle rappelle que le courant d'affaires entre les deux sociétés remonte à l'année 2006, que les commandes passées représentaient des sommes importantes et toujours croissantes, que l'installation du magasin rue de la Pomme imposait de fait "sournoisement" une cessation des activités de Poesy qui ne pouvait coexister en vendant la même marque de vêtements, qu'elle-même n'a pas eu l'initiative de la rupture dès lors que la cessation des commandes s'imposait à elle ; que vendant des vêtements sous la marque American Vintage, elle aurait dû bénéficier d'un préavis par écrit d'un délai doublé, de douze mois,
Que son préjudice doit être évalué à 200 000 euros ; qu'il doit en effet être tenu compte de la marge brute que la société Biba aurait pu réaliser si la société Aaron n'avait pas manqué aux obligations qui lui incombaient et avait mis la société Biba en mesure de retrouver un fournisseur lui permettant de réaliser des marges similaires,
Considérant que la société Aaron fait valoir :
Qu'elle a respecté ses obligations de loyauté et de bonne foi ; que la société Biba était informée du projet d'ouverture d'une boutique American Vintage à Toulouse au moment où elle a passé sa commande auprès de la société Aaron en décembre 2010 et produit à cet effet une attestation de M. Filippini, agent commercial, que la société Biba ne critique pas utilement ; que selon elle, la société Biba était parfaitement en mesure au mois de mars 2011 de constater qu'une boutique de cette marque était en cours de construction et pouvait alors décider de s'approvisionner ailleurs, ce qu'elle n'a pas fait ; qu'elle n'a commis aucune faute contractuelle au sens de l'article 1134 du Code civil, ayant toujours respecté les commandes passées, notamment celle du 14 décembre 2010 qui n'a pas été payée intégralement à ce jour par la société Biba et n'ayant pas modifié sa politique commerciale et les conditions de règlement nonobstant l'ouverture d'un autre point de vente,
Que le dol ne se présume pas mais doit être prouvé et que la société Biba n'apporte aucunement la preuve de manœuvres frauduleuses ; qu'aucune éviction n'a eu lieu, puisque la société Biba de son propre aveu, a bien reçu les marchandises commandées et qu'il n'existait aucune exclusivité contractuelle au profit de la société Biba,
Qu'il n'existe factuellement et dans l'intention des parties, aucune rupture du contrat et qu'à ce titre toutes les commandes passées par la société Biba depuis celle du 14 décembre 2010 ont été entièrement exécutées par la société Aaron, qui a respecté les délais de livraisons, honoré les commandes de "réassort", respecté les prix pratiqués, n'a pas procédé à une augmentation brutale des prix et n'a violé aucune clause d'exclusivité ; que la rupture est d'autant moins avérée dans la mesure où, si elle l'avait souhaité, la société Biba, qui est multi-marques, aurait pu s'approvisionner auprès d'un autre fournisseur, et transférer une partie de ses stocks American Vintage détenus dans sa boutique Poesy vers ses autres boutiques, qu'elle remarque que c'est précisément ce qu'il s'est passé puisque dès novembre 2011, la société Biba exploitait sa boutique Poesy sous une nouvelle enseigne "'La Petite Mendigote'", ce qui prouve qu'elle avait trouvé un autre fournisseur à qui acheter de la marchandise,
Que n'ayant commis aucune faute à l'égard de la société Biba, elle ne peut être tenue à la réparation 4 d'un préjudice qui n'est ni fondé ni démontré, qu'il apparaît que Biba a vendu son stock et que la fermeture du magasin de la place Saint-Georges, intervenue deux ans après les faits critiqués, ne peut lui être imputée, qu'elle rappelle n'avoir reçu aucune commande de la société Biba qui est à l'initiative de la rupture et que la part du chiffre d'affaires réalisé par Biba avec la marque American Vintage est de 8 %,
Mais considérant que les deux sociétés entretiennent depuis 2006 des relations qui ne sont régies par aucun contrat-cadre qui, notamment préciserait l'existence d'une exclusivité d'approvisionnement de la part de Biba auprès de la société Aaron ou encore l'existence d'une exclusivité territoriale consentie par Aaron à la société Biba ; que l'appelante qui déclare vendre les seuls produits American Vintage dans le magasin de la place Saint-Georges a cru bon de ne plus passer de commandes après les mois de janvier et février 2011 à la société Aaron,
Considérant que la liberté d'établissement est un principe du droit français, qu'il appartient à la société Biba de justifier en quoi l'établissement du magasin American Vintage rue de la Pomme constitue de la part de la société Aaron une faute lui causant un préjudice ;
Considérant que le dol invoqué ne peut être apprécié qu'au regard du contrat selon lequel la société Biba a passé en décembre 2010 des commandes pour la collection été 2011 et la société Aaron lui a livré les marchandises commandées ; que selon l'attestation de Monsieur Filippini, agent commercial multi-marques qui était en relation habituelle avec la société Biba à l'époque et qui a continué à l'être par la suite, la société Biba savait en décembre 2010 qu'un magasin American Vintage devait ouvrir à Toulouse ; que certes, rien ne permet de déterminer toutefois si la société Biba avait connaissance du lieu exact d'implantation de ce magasin mais qu'en commerçant avisé, la société Biba pouvait se renseigner sur celui-ci ; que par ailleurs, si la société Biba n'a plus commandé quoi que ce soit à la société Aaron après janvier 2011, elle ne justifie pas que l'ouverture de ce magasin ait eu pour effet de l'empêcher désormais de vendre les produits American Vintage sur la ville de Toulouse, de sorte que si elle avait été parfaitement informée, elle n'aurait commandé aucun produit American Vintage à partir du mois de décembre 2010 ; qu'il doit être constaté que la société Biba est défaillante dans l'administration de la preuve du dol qu'elle invoque,
Considérant encore que la société Biba avait cinq magasins sur la ville de Toulouse en 2011 ; que c'est en vertu de son organisation interne et non en raison de directives qui lui auraient été données par Aaron, qu'elle a, comme elle l'expose, consacré le magasin de la place Saint-Georges à la seule vente des produits American Vintage ; qu'elle ne justifie pas qu'elle n'a pu, par la suite, vendre les marchandises que lui avait livrées la société Aaron en début d'année 2011 ou qu'elle les a vendues dans de mauvaises conditions ; que la cour observe en effet qu'elle a écoulé son stock, et qu'elle ne forme aucune demande à cet égard ; qu'elle ne peut ici mettre en jeu l'obligation de garantie d'éviction qui incombe au vendeur,
Considérant que la société Biba ne peut faire état d'aucune violation, de la part de la société Aaron de l'obligation de bonne foi qui doit être respectée dans les rapports entre commerçants, qu'elle ne justifie pas que le fruit de son travail, sa clientèle ont été détournés,
Considérant enfin, que la société Biba avait en 2011 cinq points de vente dans le centre-ville de Toulouse ; qu'elle a cru bon ne plus passer de commandes à la société Aaron après l'ouverture du magasin de la rue de la Pomme ; qu'elle ne soutient pas qu'elle ne pouvait vendre ces produits dans ses autres magasins ce qu'elle a pourtant manifestement fait puisqu'elle ne possède plus de stock American Vintage ; qu'elle ne démontre nullement, alors qu'elle a la charge de la preuve, que l'ouverture du magasin American Vintage révélait l'intention de la société Aaron de mettre fin aux relations commerciales que les parties entretenaient, ce qui aurait justifié qu'elle ne lui passe plus désormais aucune commande ; que le préjudice dont elle fait état soit la perte de marge brute sur l'année 2012, est directement lié à sa décision de ne plus passer de commandes à la société Aaron ; qu'elle ne justifie pas que les conditions d'application de l'article L. 442-6 I 5 ° du Code de commerce sont réunies,
Considérant en définitive que la preuve de la faute de la société Aaron n'est établie par Biba ; que celle-ci sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts,
Sur le règlement de la commande du 14 décembre 2010 :
Considérant que la société Aaron, qui expose verser aux débats les commandes et bons de livraisons et remarque que la société Biba ne fait aucune demande à propos du stock qu'elle a écoulé, demande la confirmation du jugement du Tribunal de commerce de Marseille qui a condamné la société Biba à procéder au règlement de la commande du 14 décembre 2010 d'un montant de 71 669,56 euros outre les intérêts à compter de la mise en demeure du 13 juin 2011 et sollicite au titre de l'article 1147 du Code civil la condamnation de la société Biba à la somme de 5 000 euros justifiée par le fait que le débiteur aurait dû s'acquitter de cette somme depuis 5 ans,
Considérant que la société Biba demande une compensation entre les créances,
Mais considérant que les documents versés aux débats par la société Aaron établissent la réalité des sommes dues par la société Biba, que la société Biba ne rapporte pas la preuve de ce qu'elle s'est libérée du paiement des sommes dues en raison des livraisons de marchandises qui lui ont été faites à la suite de ses commandes, que les sommes dues porteront intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 13 juin 2012 ; qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande formée en application de l''article 1147 par Aaron dès lors que le retard apporté dans le paiement des sommes dues est indemnisé par les intérêts au taux légal ; que le jugement sera confirmé sur ces points,
Sur la résistance abusive de la société Biba :
Considérant enfin que la société Biba pouvait organiser sa défense sans pour autant que sa succombance puisse caractériser de sa part un quelconque abus de sa part ; que la demande de la société Aaron sera rejetée,
Par ces motifs : LA COUR, confirme le jugement, condamne la société Biba à payer à la société Aaron la somme de 5 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles, condamne la société Biba aux entiers dépens qui seront recouvrés pour ceux d'appel avec le bénéfice des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.