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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 8 avril 2016, n° 14-02562

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Sephora (SA)

Défendeur :

Nocibe France (SAS), Nocibe France Distribution (SASU)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mmes Nerot, Renard

T. com. Paris, 15e ch. du 20 déc. 2013

20 décembre 2013

Rappel des faits et de la procédure

La société Séphora, filiale du groupe LVMH, commercialise des parfums et produits cosmétiques et en outre a développé des produits sous marque propre dont une gamme de produits de bains.

La société Nocibé est une enseigne de distribution sélective de parfums et de cosmétiques qui a fait l'objet d'un rachat par la société mère du groupe, la société Douglas Advent International Corporation (ci-après " Advent "), constituant le nouvel ensemble Douglas-Nocibé qui lui-même a fait l'objet en juin 2015, d'un rachat par le fonds d'investissement CVC Capital Partners.

En 2008, la société Nocibé avait diversifié son activité en proposant à sa clientèle une ligne de produits à marque propre et avait créé tout un ensemble de produits cosmétiques pour le bain et le corps dénommé " Les Délices de Nocibé ". En 2010, elle a élaboré une autre gamme pour le corps et le bain, appelée " Plaisirs du bain ".

En 2012, sous l'impulsion d'un changement de direction, elle a poursuivi le développement de sa gamme propre et a notamment commercialisé une nouvelle gamme de bain sous marque propre venant se substituer à la gamme " Plaisirs du bain ".

Courant mai 2012, la société Séphora lui a adressé une mise en demeure, lui demandant de cesser toute commercialisation de sa ligne de produits de bain de la gamme Bain Nocibé, sur le fondement allégué d'une concurrence déloyale.

La société Nocibé a refusé de faire droit aux demandes de la société Séphora, estimant que les griefs invoqués n'étaient pas fondés; c'est dans ces conditions que par acte du 13 juillet 2012 la société Séphora l'a assignée devant le Tribunal de commerce de Paris.

Par jugement en date du 20 décembre 2013, le Tribunal de commerce de Paris a :

débouté la SA Séphora de l'ensemble de ses demandes ;

condamné la SA Séphora à payer la SAS Nocibé la somme de 50 000 euros pour

procédure abusive ;

condamné la SA Séphora à payer à la SAS Nocibé la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

condamné la SA Séphora aux dépens."

Vu l'appel interjeté le 5 février 2014 par la société Séphora contre cette décision.

Vu les dernières conclusions signifiées par la société Séphora le 16 décembre 2015 par lesquelles il est demandé à la cour de :

infirmer le jugement rendu le 20 décembre 2013 par le Tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions.

Et statuant de nouveau :

dire et juger que la concurrence parasitaire est caractérisée par la circonstance selon laquelle une personne physique ou morale, à titre lucratif et de façon injustifiée, s'inspire ou se place dans le sillage de la valeur économique d'un concurrent, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements.

dire et juger que les sociétés Nocibé France et Nocibé France Distribution (ci-après les sociétés Nocibé), pour la réalisation et la commercialisation de leurs produits pour le bain, se sont rattachées délibérément aux principaux éléments caractéristiques de l'identité visuelle et commerciale des produits de bain de la société Séphora, bénéficiant indûment de son travail et de ses investissements afin de s'immiscer dans son sillage et de bénéficier du succès rencontré par lesdits produits auprès des consommateurs et dire et juger que les sociétés Nocibé l'ont fait, à titre lucratif et de façon injustifiée, afin de se procurer un avantage concurrentiel.

En conséquence :

recevoir la société Séphora en ses demandes, fins et prétentions

dire et juger que les sociétés Nocibé ont commis des actes de concurrence parasitaire à l'encontre de la société Séphora.

ordonner qu'il soit mis un terme aux actes de concurrence parasitaire par la cessation immédiate de la commercialisation des produits de bain Nocibé, ainsi que leur promotion, sous toutes ses formes, sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée et ce, à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, à savoir la gamme de produits de bain aux onze senteurs commercialisés par Nocibé sous la marque " Nocibé " (Senteurs Litchi Groseille, Mûre Cassis, Thé Vert Agrumes, Jasmin Tiaré, Ambre Patchouli, Miel Vanille, Cerise Amande ; Ylang Musc ; Mimosa Muguet ; Figue Pêche et Mangue Passion) et chacun des produits commercialisés sous ces gammes (gel douche 250 ml, gommage corps 150 ml, eau de toilette 10 ml, lait corps 250 ml, gel lavant mains 250 ml, cube effervescent 20g, fleur de douche et bougie parfumée, baume corps nourrissant 200 ml).

ordonner le rappel et la destruction des stocks des flacons des produits de bain Nocibé litigieux susmentionnés, sous contrôle d'huissier, à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard.

condamner in solidum les sociétés Nocibé au versement de la somme de 700 000 euros à parfaire en réparation du préjudice matériel de la société Séphora et d'une somme qui ne saurait être inférieure à 70 000 euros à parfaire en réparation du préjudice moral de Séphora.

ordonner la publication judiciaire de l'arrêt à intervenir, par extraits ou résumés, dans trois journaux au choix de la société Séphora et aux frais des sociétés Nocibé, sans que le coût de chaque publication ne puisse excéder la somme de 8 000 euros etordonner la publication de l'arrêt à intervenir, par extraits ou résumés, en police de caractères Times New Roman de taille 12 minimum sur une surface totale correspondant à un tiers de la page d'accueil du site Internet accessible à l'adresse suivante : <http://www.Nocibé.fr/>, pendant trois mois consécutifs à compter de la signification de l'arrêt à intervenir.

se réserver la liquidation des astreintes conformément aux dispositions des articles 35 et 36 de la loi du 9 juillet 1991.

En tout état de cause,

débouter les sociétés Nocibé de l'ensemble de leurs réclamations et notamment de leur demande reconventionnelle pour procédure abusive et à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où le jugement de première instance devait être confirmé en ce que l'action de la société Séphora est abusive, diminuer le montant à hauteur d'une somme symbolique.

débouter les sociétés Nocibé de l'ensemble de leurs réclamations et notamment de leur demande de publications judiciaires.

débouter les sociétés Nocibé de leur demande en première instance de condamnation au paiement des frais irrépétibles par la société Séphora et si le jugement de première instance devait être confirmé, diminuer la condamnation de première instance à de plus justes proportions.

condamner les sociétés Nocibé in solidum à payer à la société Séphora la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux entiers dépens, en ce compris les frais de constats d'huissier visés en pièces n°38, 39 et 45, qui pourront être recouvrés directement par le Cabinet Christophe C., conformément à l'article 699 du CPC.

Vu les dernières conclusions signifiées par la société Nocibé le 1er décembre 2015 par lesquelles il est demandé à la cour de :

confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

jugé que les sociétés Nocibé France et Nocibé France Distribution n'ont commis aucune faute constitutive de concurrence parasitaire par imitation de gamme ;

jugé que la procédure engagée par Séphora est abusive et condamné la société Séphora au paiement de 50 000 euros à ce titre.

condamné la société Séphora au paiement de 50 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens.

En conséquence :

débouter la société Séphora de toutes ses demandes et prétentions.

Y ajoutant :

condamner la société Séphora à verser aux sociétés Nocibé France et Nocibé France Distribution la somme de 300 000 euros pour procédure abusive ;

ordonner la publication judiciaire de l'arrêt à intervenir, par extraits ou résumés, dans trois journaux au choix des sociétés Nocibé France et Nocibé France Distribution et aux frais de la société Séphora.

condamner la société Séphora à verser aux sociétés Nocibé France et Nocibé France Distribution la somme de 100 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

condamner la société Séphora aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront directement recouvrés par la Selas W. et Associés, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

Motifs

Considérant que la société Séphora soutient qu'elle a réalisé un travail intellectuel et de lourds investissements qui lui ont permis de concevoir une gamme de produits de bain qui se distingue totalement à la fois des produits concurrents et des précédentes gammes de produits de bain de la société Nocibé et qu'en 2012 la société Nocibé s'est inspirée de son identité visuelle et de sa communication auprès des consommateurs pour créer une ligne reprenant les caractéristiques de sa gamme de produits de bain, se plaçant ainsi dans son sillage et se rattachant à son succès.

Considérant que la société Nocibé soutient que la société Séphora ne démontre pas l'antériorité de son produit sur le marché, ni qu'il est original et présente un caractère distinctif, alors que la concurrence parasitaire appliquée à une gamme de produits suppose la démonstration d'une confusion possible dans l'esprit de la clientèle; qu'elle affirme avoir pour sa part réalisé des investissements de sorte qu'elle ne s'est pas placée dans le sillage de la société Séphora

Considérant que le parasitisme se caractérise par l'intention de promouvoir sa propre activité commerciale en profitant gratuitement et sans risque du fruit des efforts de toute nature et des investissements d'autrui en imitant son produit avec suffisamment de différences pour éviter le plagiat ;

Considérant que la société Séphora a mis sa première gamme de produits de bain sous marque propre sur le marché en 1995, gamme se caractérisant par l'association de senteurs et de couleurs ; qu'il ne saurait être contesté que cette mise sur le marché est bien antérieure à celle de la société Nocibé et qu'elle a connu un succès commercial ; que, si la société Nocibé ne pouvait ignorer l'existence des produits Séphora, la liberté du commerce fait qu'elle pouvait développer une gamme de produits de bains sous marque propre; qu'il résulte des éléments produits que la tendance du marché a été de développer des lignes de produits de bain comportant une gamme variée de produits.

Considérant que la société Séphora reproche à la société Nocibé d'avoir, pour vendre une gamme de produits concurrents aux siens, combiné de multiples caractéristiques de sa gamme qu'elle identifie comme étant l'impression visuelle de la gamme à savoir le nombre de produits, la déclinaison des produits couleurs / senteurs, des conditionnements extrêmement similaires, et même l'esprit véhiculé par la gamme dans sa présentation en rayons ou dans les publicités, se procurant de la sorte un avantage concurrentiel.

Sur la présence de neuf produits de bain

Considérant que la société Séphora soutient que la société Nocibé a fait le choix de proposer dans sa gamme 9 des produits qui figurent dans la gamme Séphora, à savoir un cube effervescent, une eau de toilette, une crème lavante pour les mains, un bain douche moussant, un lait corps hydratant, un gommage corps lissant, un baume corps raffermissant, une fleur de douche et une bougie parfumée, alors que ces produits ne se retrouvent pas globalement à l'identique dans les marques concurrentes qui commercialisent des gammes de produits bain.

Considérant qu'en 1995, la gamme de la société Séphora se composait de quatre produits, un gel douche, du savon, un bain moussant, des perles de bain et de l'eau de toilette, évoluant en 2007, puis en 2011 pour atteindre alors 10 produits déclinés en plusieurs couleurs et senteurs de sorte qu'elle propose une gamme de 140 références.

Considérant que la société Nocibé ne conteste pas le fait qu'aucune autre marque ne commercialise dans sa gamme de produits de bain les 9 produits en cause ; que, néanmoins, ceux-ci se retrouvent dans des marques concurrentes dans le cadre de gammes de produits de bain de façon individualisée; qu'il convient de noter que la société Séphora ne distingue dans sa gamme aucun produit qui ne serait commercialisé que par elle et qui figurerait dans la gamme de la société Nocibé ; qu'il s'agit dès lors de produits usuels figurant dans diverses marques, la société Séphora n'ayant d'ailleurs constitué sa gamme complète qu'en 2011.

Considérant que, si la société Séphora prétend que le cube effervescent, la fleur de douche et la bougie font l'originalité et la diversité de sa gamme, il convient de relever que le cube effervescent se retrouve dans les offres de neuf opérateurs du marché sous différentes formes et couleurs et que ces trois produits sont associés avec d'autres produits de bain chez Yves Rocher et Body Shop notamment.

Considérant que chacune des deux sociétés propose au demeurant des produits différents, la société Nocibé une huile de massage, des " perlines de bain " et un savon et la société Séphora un baume nourrissant, une capsule de bain douche et une crème douche de sorte qu'il n'y a pas identité de produits entre les deux gammes, la société Séphora proposant au demeurant 12 produits et la société Nocibé 15 ; qu'au cours de la procédure chacune des deux sociétés a introduit dans sa gamme une crème pour les mains, la société Séphora ayant suivi en cela la société Nocibé ; que dès lors le nombre de produits relève de la liberté commerciale et ne saurait être revendiqué par la société Séphora comme un élément propre de sa gamme.

Sur l'impression d'ensemble donné par " l'effet chromatique "

Considérant que la société Séphora fait valoir que le point d'entrée de sa gamme est la couleur et que les mêmes gammes chromatiques ont été reprises par la société Nocibé de façon visuellement proche, voire identique, et cela également avec un conditionnement similaire qui joue sur les teintes d'une seule couleur par gamme ; qu'elle ajoute avoir fait le choix d'un conditionnement épuré sans décor additionnel pour privilégier cet effet de couleur en rupture avec les codes habituel du marché et que ces caractéristiques ont été reprises à l'identique par la société Nocibé.

Considérant que la société Nocibé fait valoir qu'elle n'a fait que reprendre une idée développée depuis longtemps par d'autres marques qui est d'associer couleur et parfum.

Considérant que la société Tahiti a lancé en 1973 une ligne de gels douche colorés et parfumés et la société Body Shop, en 1988, une gamme de bain associant 8 couleurs à des senteurs ; qu'en 1994 ; que la société Yves Rocher a créé une gamme de gels douche dans des bouteilles transparentes associant 18 couleurs à des senteurs de fleurs, de fruits ou d'épices; que cette tendance a été développée par de nombreuse marques ; que la société Nocibé a développé en 2008 une gamme de produits de bain colorés dénommée " les délices du bain " associant 5 couleurs à 5 senteurs de l'univers culinaire; que dès lors l'idée de l'association couleur:/senteur est une idée qui a été exploitée par différentes marques et dont la société Séphora ne peut revendiquer le monopole.

Considérant que la société Séphora ne saurait s'approprier l'usage de couleurs qui sont des couleurs primaires donc d'un usage banal quand bien même celles-ci ont été déclinées en différentes nuances ; que la marque Yves Rocher décline également le vert, le violet, l'orange, le jaune et le rouge soit cinq couleurs communes aux sociétés Séphora et Nocibé; que, si les deux sociétés ont procédé à des déclinaisons à partir de ces couleurs basiques pour créer des couleurs aux nuances pastel, la gamme de Séphora avec 14 nuances et Nocibé avec 11, il n'en demeure pas moins qu'il s'agit de l'utilisation de nuanciers parfaitement usuels.

Considérant que la société Nocibé offre onze déclinaisons de senteurs ," Mûre Cassis ", " Figue Pêche "," Mangue Passion ", " Ambre Patchouli ", " Mimosa Muguet " " Miel Vanille ", " Litchi Groseille ", " Cerise, Amande ", " Ylang Musc ", " Jasmin Tiaré " et " Thé vert agrume ", chacune étant associée à six couleurs différentes violet, orange, jaune, rose, bleu et vert pâle.

Que la ligne de la société Séphora est constituée de douze couleurs sous lesquelles elle propose les senteurs " Pivoine, myrtille, thé vert, Lagon, Monoï, fleur de coton, vanille, fleur d'oranger, fraise, verveine citron, mangue " ; qu'il y a lieu d'observer qu'elle utilise elle-même plusieurs nuances d'une même couleur de base pour différentes senteurs ; qu'ainsi sous trois nuances de jaune elle a créé une ligne Monoï, une ligne vanille et une ligne verveine muguet qu'elle rapproche pour les deux premières de la ligne Miel Vanille et pour la troisième de la ligne Mimosa Muguet de la société Nocibé, que sous trois nuances de rose elle a développé les lignes pivoine, fleur de coton et fraise qu'elle rapproche pour les deux premières de la ligne Litchi Groseille et pour la troisième de la ligne cerise amande de la société Nocibé; qu'il résulte de ces éléments, d'une part, que la déclinaison d'une même couleur offre de multiples variantes, d'autre part, que la société Séphora ne craint pas la confusion entre ses lignes de produits du seul fait d'une différence de nuance ; que, si la présentation de plusieurs produits déclinés sous une même nuance peut certes créer une similarité visuelle par la juxtaposition des produits, il convient de relever qu'il n'en demeure pas moins des différences permettant de dissocier les gammes par la référence à la senteur; que, de plus, au sein de la nuance choisie pour accompagner une senteur, il existe encore des différences en fonction de chaque produit et de son contenant; que la société Séphora invoque ainsi pour le flacon contenant le bain douche moussant, objet phare de chacune de ses lignes, une couleur distincte par effet de transparence; qu'elle présente ses produits comme comportant des dégradés de couleur à savoir une nuance moyenne pour certains produits, claire pour d'autres; qu'elle établit ainsi une comparaison entre les produits de couleur orange, " Mangue " et " Patchouli " de chacune des deux sociétés sans pour autant qu'il résulte de ce rapprochement une identité visuelle des différentes nuances d'orange utilisés chacune des deux marques ; qu'il ne saurait dès lors être retenu une identité visuelle entre la gamme Séphora et la gamme Nocibé sur le seul critère de couleurs au demeurant usuelles bien que déclinées en nuances.; que les photos produites et les présentant groupées en rayonnage, couleur par couleur, mettant en évidence la prépondérance de la couleur dans l'une et l'autre gamme n'en constitue qu'une présentation banale.

Considérant qu'il résulte de ces éléments que ce qui constitue l'identité des produits et leur originalité est l'association de la couleur et de la senteur ; que sur ce point il n'est pas contesté que les deux gammes n'associent pas les mêmes senteurs et couleur quand bien même certaines fragrances se retrouvent tels que la vanille et le thé vert; que néanmoins chez Nocibé elles sont associées à d'autres fragrances le miel pour la vanille et les agrumes pour le thé vert; que par ailleurs outre que l'association n'est pas la même, il convient d'observer que la société Nocibé associe systématiquement deux sources de fragrance pour chaque ligne de produits, ce qui n'est pas le cas de la société Séphora.

Sur les conditionnements des produits

Considérant que la société Séphora soutient que la société Nocibé s'est inspirée du conditionnement de certains de ses produits.

Que, pour son " bain douche moussant ", objet phare de sa gamme, elle explique que son flacon présente de face une forme concave, et une face arrière convexe ce qui donne un aspect visuel évoquant celui d'une loupe, et qu'il se caractérise par une couleur distincte par effet de transparence ; qu'elle affirme que cette forme a été reprise par la société Nocibé pour son " lait corps hydratant " et qu'elle l'aurait été abandonnée en 2014.

Considérant que la société Nocibé affirme n'avoir jamais utilisé de forme convexe/concave contrairement à la société Séphora qui a depuis lors abandonné cette forme.

Considérant que, si le design du produit bain moussant de la société Séphora présente une forme innovante qui a nécessité une technique particulière dite du thermo-chauffage, il importe peu qu'il ait été abandonné dans la mesure où il résulte des pièces produites qu'il a été commercialisé par la société Séphora dans le cadre de sa gamme de produits de bain.

Considérant que, pour autant la société Nocibé, qui indique n'avoir pas de bain moussant dans sa gamme ce qui n'est pas contesté, justifie avoir développé un conditionnement spécifique pour son gel douche afin de rappeler la forme d'une bouteille de parfum, forme qui a été reproduite pour le lait corporel et l'huile de massage; qu'elle fait état d'un travail de conception pour lequel elle a investi des sommes importantes et qui a abouti à la création d'un moule spécifique en exclusivité pour elle ; qu'elle expose qu'une partie de la bouteille a été conçue avec une forme plane pour permettre d'apposer le nom et la fonction du produit en cause en sérigraphie ;

Considérant que la bouteille de la société Nocibé présente une forme ovale, allongée et non concave comme celle de la société Séphora.

Considérant de plus que la société Séphora a utilisé la forme concave pour un seul produit alors que la société Nocibé a conçu une même bouteille pour plusieurs produits créant ainsi une uniformité de formes entre plusieurs produits de la gamme alors que la société Séphora a distingué un produit au sein de la sienne par une forme particulière qui au demeurant ne se confond pas avec celle adoptée par la société Nocibé.

Considérant que la société Séphora évoque la ressemblance des bouchons, évoquant le fait que le fait que la société Nocibé aurait modifié le sien suite à la présente procédure sans en rapporter la preuve; qu'enfin elle fait état de ce Nocibé a repris en avant, par effet de transparence, la dénomination de la senteur du produit, la marque " Nocibé " étant discrètement gravée, comme le fait Séphora, sur le bouchon.

Considérant que la société Nocibé expose que le bouchon de sa ligne est un bouchon à charnière qui une fois fermé produit l'effet à vis d'une bouteille de parfum et qu'il a été créé par la société MP2 et l'agence Omedia ; qu'au surplus, son bouchon est de couleur marron alors que celui de la société Séphora est de couleur noire laquée et que la mention de la marque sur chacun d'eux contribue également à les distinguer.

Considérant que la société Nocibé justifie d'un investissement pour la création tant de ses flacons que de de ce bouchon qui ne peuvent être confondus avec le flacon figurant dans la gamme Séphora.

Considérant que la société Séphora soutient que la société Nocibé s'est inspirée de son conditionnement pour réaliser la forme de son " eau de toilette " en ce que celle-ci est présentée dans un tube fin, tout en longueur dont le diamètre et la longueur sont parfaitement identiques.

Considérant que, si la société Séphora procède à une comparaison avec 6 flacons d'eau de toilette, la société Nocibé produit les photographies de conditionnements similaires développés par un certain nombre d'opérateurs dont certains dans le cadre d'un ligne de bains, ainsi dans la ligne de bains complète de la société l'Occitane mais aussi de celles de Marionnaud et de Beauty Success ; que par ailleurs le tube en cause ne fait que reprendre la forme agrandie des échantillons distribués par certains parfumeurs.

Considérant que la société Séphora fait état d'un aspect visuel identique en ce qui concerne le " gommage corps " outre une quantité quasi identique (140 et 150 ml) en ce qu'il est présenté sous forme d'un tube plastifié et coloré tout en longueur avec un bouchon sur lequel le produit se pose et qui s'ouvre de manière identique; que la société Nocibé présente 13 produits gommage présentés par ses différents opérateurs sous la forme d'un tube plastique similaire.

Considérant en conséquence qu'il ne résulte ni de l'examen des produits composant chacune des gammes ni de la combinaison de ceux au sein de chacune d'elles des éléments démontrant que la société Nocibé se serait inspirée d'un travail spécifique de la société Séphora ayant donné une valeur économique à sa gamme de produits de bain.

Sur " l'esprit gourmand, jovial et ludique"

Considérant que la société Séphora fait état d'articles de presse ou d'articles sur internet à propos des produits de bain sous marque de la société Nocibé ; que, si ceux-ci sont décrits comme des " produits fruités et colorés ", il ne saurait en être déduit que la société Nocibé serait à l'origine de ses descriptions et qu'elle aurait repris des thèmes développés par la société Séphora, à savoir un " esprit gourmand, jovial et ludique " dont se prévaut la société Séphora pour sa gamme.

Sur les caractéristiques typographiques

Considérant que la société Séphora indique que des caractéristiques concernant les textes figurant sur les conditionnements ont été repris à l'identique à savoir le texte des marques en noir et les textes des descriptifs des produits dans les mêmes couleurs que le produit mais un ton au-dessus.

Considérant que la société Nocibé fait valoir que l'inscription du texte est soit plus claire que celle du produit, soit plus foncée et dans une teinte qui peut être différente, son choix ayant été de privilégier la lisibilité et l'esthétique, le nom de la marque et de celui du produit étant de la couleur du bouchon soit marron, le nom de la senteur reprenant en plus foncée la couleur du produit, mentions qui chez la société Séphora sont de la même couleur.

Considérant que l'usage d'une dualité de couleurs dont l'une reprenant dans un ton plus foncé celui du produit est une caractéristique qui se retrouve sur de nombreux produits concurrents des deux marques.

Considérant que si les deux sociétés ont utilisé une même déclinaison de nuances de couleurs basiques, celles-ci demeurent des nuances usuelles déterminées par les senteurs auxquelles elles sont associées sans qu'il soit démontré une association similaire couleurs/senteurs par la société Nocibé ; que la société Sephora ne démontre pas que les caractéristiques qu'elle a mis en avant et qu'elle avait développées avant la société Nocibé, soit individuellement, soit de façon combinée, constituent une valeur économique individualisée qui aurait fait l'objet d'une imitation par la société Nocibé.

Sur les supports de communication

Considérant que la société Séphora soutient que la société Nocibé a commis des actes de parasitisme en ce qu'elle a imité ses supports de communication tant auprès de la presse que des clients ;

Qu'elle évoque les visuels qu'elle a créés comme comportant :

des éclaboussures d'eau

des illustrations de la gamme par couleur et dans son intégralité

une présentation avec une baignoire

une présentation sous forme d'une diagonale ou d'un ligne d'un seul type de produit

une présentation à l'intérieur d'une vasque transparentes

une mise en avant des produits e, magasin

la personnalisation de la gamme en fonction d'événements précis.

Considérant que s'agissant d'une gamme de bains, la présence d'une baignoire dans un visuel ne saurait être retenue comme un élément susceptible d'appropriation.

Considérant que si la société Séphora présente un visuel comportant une impression d'éclaboussures, et affirme que la société Nocibé a repris cette présentation, il convient de relever que le visuel de la société Nocibé présente sur un linéaire 6 flacons de même forme colorés, placés dans l'eau dont les quatre du centre sont en position inclinée ; que ce visuel ne reprend aucun des éléments de celui de la société Séphora.

Considérant que la société Séphora évoque la réalisation par la société Nocibé de coffrets cadeaux qui évoqueraient l'esprit des siens ; que toutefois pour illustrer cette affirmation elle produit la photographie d'un coffret qu'elle a créé pour Noël 2011 dénommé 'oh ma chérie' comportant deux produits, l'un étant son flacon, l'autre un tube dans des couleurs de noir et de blanc avec un ruban rouge qu'elle ne saurait rapprocher efficacement d'une présentation par la société Nocibé de cinq produits dans un chapeau noir avec un ruban et des plumes de couleur rouge, intitulée " Pou Pou Piou "

Considérant qu'elle invoque enfin la pratique de la customisation; que si cette pratique est novatrice dans le secteur concerné, la société Séphora ne saurait s'en attribuer l'usage ; qu'elle présente des photographies de produits customisés sans caractériser d'éléments des produits Nocibé qui de par cette pratique auraient pu être confondus avec les siens.

Considérant en conséquence que la société Nocibé a créé une ligne de bain qui combine des caractéristiques banales et des caractéristiques dont elle est l'auteur de sorte qu'elle a créé une gamme concurrente de la société Séphora sans se placer dans son sillage.

Sur les investissements

Considérant que la société Séphora soutient que son chiffre d'affaires sur les produits de bain n'a pas cessé de progresser depuis sa mise sur le marché sauf en 2012, date de l'arrivée des produits Nocibé.

Considérant que la société Nocibé justifie de certains coûts supportés à l'occasion de la mise au point de sa gamme de bains et verse en cause d'appel des factures qui permettent d'identifier des produits de la gamme bain ; qu'elle justifie avoir investi près de 600 000 euro pour développer des boutiques proposant uniquement des produits de bain , de maquillage et de soins ainsi que des services de soins sous la marque Nocibé, développant ainsi un mode de commercialisation distinct de celui de la société Séphora.

Considérant que la société Nocibe fait état d'investissements à hauteur de 7 millions d'euros dédiés au développement de ses produits sous marque dont fait partie sa gamme de produits de bains, ceux-ci ont concerné la mise sous le marché de près de 400 produits notamment de soins, de maquillage, de parfums, sans qu'il soit possible à l'évidence d'individualiser les investissements produit par produit ce qui ne remet pas en cause leur caractère certain.

Considérant qu'en conséquence, la société Séphora ne rapporte pas la preuve que la société Nocibé aurait tiré avantage des investissements qu'elle-même a réalisés; que c'est à juste titre que la société Séphora a été déboutée de ses demandes au titre d'actes de parasitisme.

Sur la demande reconventionnelle de la société Nocibé

Considérant que le tribunal a retenu que la procédure engagée par la société Séphora était abusive en ce qu'elle avait pour objet de faire pression sur la société Nocibé en l'empêchant de développer sa marque propre et alors qu'elle était en pourparlers avec des acquéreurs et dans l'impossibilité de provisionner la somme réclamée soit 700 000 euro.

Considérant que la société Séphora a abandonné en cause d'appel une partie essentielle de ses demandes, reconnaissant ainsi qu'elles n'étaient pas fondées; qu'elle n'en a pas moins développé des arguments dignes d'intérêt en cause d'appel ; que, si l'action de la société Séphora a été engagée alors que la société Nocibé avait largement communiqué sur ses intentions qui étaient de développer des produits sous marque propre et devenir le numéro 2 sur le marché des produits de beauté, elle ne démontre pas que l'action de la société Séphora était destinée à faire obstacle à son développement, la société Séphora étant fondée à protéger ses droits au regard même de cette nouvelle démarche commerciale.

Considérant de plus que la société Nocibé ne rapporte pas la preuve d'un préjudice résultant de la provision qu'elle affirme avait dû constituer dès lors que l'opération de cession a normalement suivi son cours.

Considérant en conséquence qu'il y a lieu de réformer le jugement entrepris et de débouter la société Nocibé de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Sur la demande de publication

Considérant que chacune des parties demande à la Cour de prononcer une mesure de publication de l'arrêt à intervenir.

Considérant que la cour, confirmant en cela le jugement, retient que les faits de parasitisme ne sont pas établis ; que dès lors il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de publication, une telle mesure étant destinée à réparer des agissements fautifs.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile

Considérant que l'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile comme il sera précisé dans le dispositif.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, confirme le jugement déféré sauf en ce qui concerne la condamnation de la société Séphora pour procédure abusive, Et statuant à nouveau de ce chef, déboute la société Nocibé de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, rejette toute autre demande, fin ou conclusion plus ample ou contraire, condamne la société Séphora à payer à la société Nocibé la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, condamne la société Séphora aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.