CE, 3e et 8e sous-sect. réunies, 15 avril 2016, n° 390457
CONSEIL D'ÉTAT
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Compagnie des Gaz de Pétrole Primagaz (Sté)
Défendeur :
Vitogaz France (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Rapporteur :
M. Daumas
LE CONSEIL - : Vu la procédure suivante : 1° Par une requête, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés sous le n° 390457 les 27 mai, 23 octobre et 29 décembre 2015 et le 26 février 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Compagnie des gaz de pétrole Primagaz (Primagaz) demande au Conseil d'Etat : 1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision n° 15-DCC-53 de l'Autorité de la concurrence du 15 mai 2015 relative à la prise de contrôle exclusive de la société Totalgaz SAS par la société UGI Bordeaux Holding SAS (UGI) ; 2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative ; 2° Par une requête, trois nouveaux mémoires, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés sous le n° 390774 les 5, 18, 19 et 25 juin et le 8 décembre 2015 et le 8 mars 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Vitogaz France (Vitogaz) demande au Conseil d'Etat : 1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision n° 15-DCC-53 de l'Autorité de la concurrence du 15 mai 2015 relative à la prise de contrôle exclusive de la société Totalgaz SAS par la société UGI Bordeaux Holding SAS ; 2°) avant dire droit, d'enjoindre à l'Autorité de la concurrence de verser au débat contradictoire le contenu de deux engagements confidentiels souscrits par la société UGI ; 3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative. Vu les autres pièces des dossiers ; Vu : - le règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 ; - le Code de commerce ; - le Code de justice administrative ; Après avoir entendu en séance publique : - le rapport de M. Christophe Pourreau, maître des requêtes, - les conclusions de M. Vincent Daumas, rapporteur public ; La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Matuchansky, Vexliard, Poupot, avocat de la société Compagnie des gaz de pétrole Primagaz, à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, Texidor, avocat de la société UGI Bordeaux Holding, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Total Marketing Services, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la société Vitogaz France et à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, Texidor, avocat de la société UGI Bordeaux Holding SAS ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces des dossiers que, par une lettre d'intention du 2 juillet 2014, puis par un accord de cession d'actions du 11 novembre 2014, la société UGI Bordeaux Holding (UGI), qui contrôlait déjà la société Antargaz, active dans le secteur de la distribution de gaz de pétrole liquéfié (GPL), s'est engagée à acquérir la totalité du capital de la société Totalgaz SAS (Totalgaz), laquelle fait partie du groupe Total et est également active dans ce secteur ; que la Commission européenne, à laquelle l'opération de concentration avait été notifiée, en a renvoyé l'examen à l'Autorité de la concurrence, qui l'a autorisée par une décision n° 15-DCC-53 du 15 mai 2015, sous réserve de l'exécution de plusieurs engagements pris par les parties à la concentration et visant à remédier aux effets anticoncurrentiels de cette opération ; que les sociétés Compagnie des gaz de pétrole Primagaz (Primagaz) et Vitogaz France (Vitogaz), qui constituent, avec la société Butagaz, les principales entreprises concurrentes de l'entité issue de l'opération de concentration, demandent l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision ; que la société Vitogaz demande cependant au Conseil d'Etat, avant de statuer sur sa requête, d'ordonner à l'Autorité de la concurrence de verser au débat contradictoire deux " engagements alternatifs " dont elle a occulté le contenu dans sa décision ;
2. Considérant que, lorsque lui est notifiée une opération de concentration dont la réalisation est soumise à son autorisation, il incombe à l'Autorité de la concurrence d'user des pouvoirs d'interdiction, d'injonction, de prescription ou de subordination de son autorisation à la réalisation effective d'engagements pris devant elle par les parties, qui lui sont conférés par les articles L. 430-5 et suivants du Code de commerce, à proportion de ce qu'exige le maintien d'une concurrence suffisante sur les marchés affectés par l'opération ; que les engagements qu'elle accepte doivent être suffisamment certains et mesurables pour garantir que les effets anticoncurrentiels qu'ils ont pour finalité de prévenir ne seront pas susceptibles de se produire dans un avenir relativement proche ;
3. Considérant que, lorsqu'elle est saisie par les parties à une opération de concentration d'un engagement relatif à la cession d'un actif, l'Autorité de la concurrence peut être conduite, ainsi qu'il ressort des points 584 et 588 des lignes directrices relatives au contrôle des concentrations qu'elle a diffusées le 10 juillet 2013, à examiner s'il y a lieu d'accepter, " par exemple lorsqu'il existe des incertitudes sur la cessibilité, la viabilité ou la compétitivité " de l'actif dont la cession est proposée, que cet engagement soit assorti d'un " engagement alternatif " consistant en la cession d'un actif " dont la cessibilité et la viabilité posent a priori moins de difficultés " ; que, lorsqu'elle accepte un tel engagement alternatif, celui-ci constitue, tout autant que l'engagement auquel il est, le cas échéant, appelé à se substituer, un élément de sa décision d'autorisation, qui ne saurait, sans qu'il soit porté atteinte à la possibilité de contester la légalité de celle-ci devant le juge de l'excès de pouvoir, rester confidentiel ;
4. Considérant qu'il ressort tant des pièces des dossiers que de la décision attaquée elle-même que l'Autorité de la concurrence a accepté, pour l'engagement n° 2, relatif à la composition du capital et à la gouvernance du groupement d'intérêt économique qui exploite le dépôt d'importation de GPL de Norgal, en Seine-Maritime, et pour les engagements nos 5 et 6, relatifs à la cession par la société UGI de plusieurs dépôts de stockage secondaire et au maintien, durant la période de cession de ces dépôts, des contrats d'échange de volumes de GPL entre distributeurs, deux engagements alternatifs, dont le contenu est cependant occulté dans la décision d'autorisation ; que, dans ces conditions, le Conseil d'Etat n'est pas en mesure de statuer sur les requêtes dont il est saisi, en particulier d'apprécier si les engagements pris par les parties à la concentration sont de nature à garantir que les effets anticoncurrentiels qu'ils ont pour finalité de prévenir sont de nature à assurer le maintien d'une concurrence suffisante sur les marchés affectés par l'opération ; que, dès lors, il y a lieu, avant de statuer sur les requêtes, d'ordonner un supplément d'instruction afin de permettre à l'Autorité de la concurrence de produire, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente décision, le contenu des engagements alternatifs en cause en vue de le soumettre au débat contradictoire, sous réserve, le cas échéant, d'éléments couverts par le secret des affaires ;
Décide :
Article 1er : L'Autorité de la concurrence est invitée à verser au débat contradictoire, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de la présente décision, le contenu des deux engagements souscrits par la société UGI occultés dans la décision n° 15-DCC-53 du 15 mai 2015.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur les requêtes présentées par les sociétés Primagaz et Vitogaz jusqu'à ce que l'Autorité de la concurrence ait versé au débat contradictoire le contenu de ces deux engagements.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Compagnie des gaz de pétrole Primagaz, à la société Vitogaz France, à la société UGI Bordeaux Holding SAS, à la société Total Marketing Services et à l'Autorité de la concurrence.