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Décisions

ADLC, 2 mai 2016, n° 16-MC-01

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Arrêt

relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société Direct Energie dans le secteur de l'énergie

ADLC n° 16-MC-01

2 mai 2016

L'Autorité de la concurrence (section IV),

Vu la saisine enregistrée le 13 octobre 2015 sous les numéros 15/0095 F et 15/0096 M par laquelle la société Direct Energie a saisi l'Autorité de la concurrence concernant des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l'énergie et a sollicité, en outre, le prononcé de mesures conservatoires ; Vu l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; Vu le livre IV du code de commerce ; Vu le code de l'énergie ; Vu l'avis du 8 décembre 2015 de la Commission de régulation de l'énergie rendu sur le fondement des dispositions de l'article R. 463-9 du code de commerce ; Vu les décisions de secret des affaires 15-DSA-343 du 20 octobre 2015, 15-DSA-363 du 10 novembre 2015, 15-DSA-402B du 1er décembre 2015, 15-DSA-403 du 1er décembre 2015, 15-DSA-413 du 4 décembre 2015, 15-DSA-415 du 4 décembre 2015, 15-DSA-422 du 9 décembre 2015, 15-DEC-54 du 11 décembre 2015, 15-DSA-424 du 11 décembre 2015, 15-DSA-425 du 11 décembre 2015, 15-DSA-426 du 11 décembre 2015, 15-DEC-55 du 14 décembre 2015, 15-DEC-59 du 23 décembre 2015, 15-DSA-447 du 28 décembre 2015, 16-DSA-18 du 19 janvier 2016, 16-DSA-19 du 21 janvier 2016, 16-DECR-02 du 26 janvier 2016, 16-DEC-03 du 28 janvier 2016, 16-DEC-04 du 28 janvier 2016 ; Vu les observations présentées par les sociétés Direct Energie et Engie ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la Commission de régulation de l'énergie ainsi que des sociétés Direct Energie et Engie entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 2 février 2016 ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

A. LA SAISINE

1. Par lettre enregistrée le 13 octobre 2015 sous le numéro 15/0095 F, l'Autorité de la concurrence a été saisie d'une plainte de la société Direct Energie dirigée contre des pratiques mises en œuvre par la société Engie dans le secteur de l'énergie.

2. La plaignante dénonce essentiellement des pratiques commerciales illicites concernant la clientèle résidentielle, des pratiques tarifaires d'éviction concernant la clientèle résidentielle et non résidentielle, ainsi que des pratiques de verrouillage concernant des copropriétés.

3. Accessoirement à la saisine au fond, par lettre enregistrée le 13 octobre 2015 sous le numéro 15/0096 M, Direct Energie a sollicité, sur le fondement de l'article L. 464-1 du code de commerce, le prononcé de mesures conservatoires.

4. Consultée en application des dispositions de l'article R. 463-9 du code de commerce, la Commission de Régulation de l'Energie (ci-après " CRE ") a rendu son avis le 8 décembre 2015.

5. La présente saisine fait suite à une première plainte de la société Direct Energie contre GDF Suez qui a donné lieu à la décision de mesures conservatoires n° 14-MC-02 en date du 9 septembre 2014, confirmée pour l'essentiel par la cour d'appel de Paris dans son arrêt du 31 octobre 2014 : le litige portait sur les conditions de commercialisation, par GDF Suez, de ses offres de marché et de ses offres aux TRV. Dans cette affaire qui fait l'objet d'une instruction en cours, Direct Energie reproche plus particulièrement à GDF Suez d'abuser de la position dominante sur les marchés de fourniture du gaz et du monopole qu'elle détient sur la distribution des offres au tarif réglementé pour favoriser indument la vente de ses propres offres de marché, en s'appuyant notamment sur le fichier d'abonnés détenu au titre de ses activités de fournisseur historique en monopole.

6. Dans sa décision, l'Autorité de la concurrence a notamment estimé que certaines des pratiques étaient susceptibles de relever d'une pratique de confusion entre les activités relevant de son activité de service public et les activités exercées en concurrence, et a enjoint à Engie de mettre à la disposition de ses concurrents certaines des informations contenues dans le fichier des abonnés aux TRV, sous réserve que ceux-ci ne s'opposent pas à la transmission de leurs données personnelles.

B. LES ENTREPRISES CONCERNÉES PAR LA SAISINE

1. LA SOCIÉTÉ DIRECT ENERGIE

7. La société Direct Energie est une société anonyme enregistrée au Registre du commerce et des sociétés de Paris sous le numéro 442 395 448, dont le siège social est situé 2 bis, rue Louis Armand, 75015 Paris(1).

8. Cette société est spécialisée dans le secteur de l'énergie. Elle revendique être le premier fournisseur alternatif d'énergie sur le marché de détail en France et le " troisième acteur français de l'électricité et du gaz "(2). Acteur intégré de l'énergie en France, la société Direct Energie intervient dans la production et la fourniture d'électricité, la fourniture de gaz, et la fourniture de services énergétiques(3). Elle est en particulier fournisseur de gaz au détail depuis 2009.

9. En 2014, le chiffre d'affaires annuel réalisé par la société Direct Energie en ce qui concerne la fourniture de gaz au détail était de 103 millions d'Euros (4).

2. LA SOCIÉTÉ ENGIE

10. L'organisation actuelle (5) des activités d'" Engie " est en grande partie le fruit de la libéralisation du secteur de l'énergie décrite infra en ce qui concerne les activités de fourniture de gaz au détail (6).

11. Gaz de France a été créé en 1946 sous la forme d'un EPIC, avant d'être transformée en société anonyme par la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité, du gaz et aux entreprises électriques et gazières. Le 7 juillet 2005, Gaz de France a ouvert son capital par voie d'introduction en bourse.

12. Le 22 juillet 2008, la société Gaz de France a absorbé Suez, groupe international actif également dans l'électricité, le gaz et les services de l'énergie, et a changé de raison sociale pour devenir GDF Suez.

13. Le 27 juillet 2015, la société GDF Suez est devenue la société Engie.

14. La société Engie et ses filiales sont organisées en cinq branches distinctes : Energie Europe, Energy International, Global Gaz et GNL, Infrastructure et Energie Services.

15. La société Engie est une société anonyme enregistrée au Registre du commerce et des sociétés de Nanterre sous le numéro 542 107 651, dont le siège social est situé 1 place Samuel de Champlain, 92400 Courbevoie (7). Cette société est tout d'abord chargée de l'activité de fourniture de gaz naturel au détail en France. Plus précisément encore, cette activité est réalisée par le métier Marketing et Vente (Marketing and Sales, M&S) (8). La société Engie est également chargée de la commercialisation de services liés au comptage d'énergie thermique permettant l'individualisation des consommations collectives de gaz naturel (9).

C. LE SECTEUR CONCERNÉ

16. La saisine et la demande de mesures conservatoires qui y est associée concernent deux types d'activités au sein du secteur de l'énergie. Il s'agit tout d'abord de la fourniture de gaz au détail (1) et, ensuite, de la fourniture de services de comptage d'énergie thermique (2).

1. LE CADRE JURIDIQUE DE LA FOURNITURE DE GAZ AU DÉTAIL

17. Le secteur du gaz naturel est organisé en France autour de six grands pôles : la production/importation, le transport, les terminaux méthaniers, le stockage, la distribution et la commercialisation. Parmi les activités de commercialisation, l'activité de commercialisation de gaz au consommateur final est seule ici concernée.

18. L'ouverture à la concurrence de l'activité de fourniture de gaz au détail a été engagée dès 1998 avec l'adoption de la directive 98/30/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998 concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel. La directive 2009/73/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel est la dernière directive encadrant l'activité de fourniture de gaz au détail.

19. Ces différentes directives ont en particulier mis en place un principe de libre choix du fournisseur au profit des consommateurs. En France, la transposition progressive des textes de droit dérivé s'est traduite par une ouverture par étapes de l'activité de fourniture de gaz au détail à la concurrence d'opérateurs autorisés10:

- 1er août 2000 : clients consommant plus de 237 GWh/an ;

- 1er août 2003 : clients consommant plus de 83 GWh/an ;

- 1er juillet 2004 : tous les clients non-résidentiels ;

- 1er juillet 2007 : tous les clients (clients résidentiels et non résidentiels).

20. Les pouvoirs publics français ont, en parallèle de cette ouverture à la concurrence, maintenu l'existence de tarifs réglementés de vente au détail.

21. Les tarifs réglementés de vente du gaz naturel (ci-après " TRV ") sont établis en application des articles L. 445-1 et suivants du code de l'énergie. Ces articles prévoient que les TRV sont arrêtés conjointement par les ministres chargés de l'énergie et de l'économie, après avis de la CRE. L'article L. 445-3 du code de l'énergie précise également que : " Les tarifs réglementés de vente du gaz naturel sont définis en fonction des caractéristiques intrinsèques des fournitures et des coûts liés à ces fournitures. Ils couvrent l'ensemble de ces coûts à l'exclusion de toute subvention en faveur des clients qui ont exercé leur droit prévu à l'article L. 441-1 ".

22. La fourniture de gaz aux TRV relève des fournisseurs dits " historiques ", c'est-à-dire présents avant l'ouverture des marchés du gaz : Engie, Total Energie Gaz et les entreprises locales de distribution (ci-après " ELD "). Engie est en particulier le seul fournisseur commercialisant les TRV sur la zone de desserte de GrDF (le gestionnaire du réseau de distribution de gaz desservant 95 % des consommateurs français) et de GRT Gaz (gestionnaire du réseau de transport de gaz) qui alimente en gaz une majorité des grands consommateurs industriels français.

23. Sur la quasi-totalité du territoire français (zones de desserte de GrDF et de GRT Gaz), les consommateurs pouvant bénéficier d'offres aux TRV ont donc actuellement le choix entre :

- les offres aux TRV qui sont proposées exclusivement par Engie et

- les offres dites " de marché " qui sont proposées à la fois par Engie mais également par les autres fournisseurs de gaz naturel, dits " fournisseurs alternatifs ".

24. Dans le cadre de son avis n° 13-A-09, l'Autorité de la concurrence avait recommandé au gouvernement de supprimer, par étapes, les TRV dans la mesure où ils ont " une influence défavorable sur le fonctionnement de la concurrence sans pour autant contribuer positivement à la compétitivité des entreprises françaises et au pouvoir d'achat des ménages " (11).

25. Afin de mettre un terme à la procédure d'infraction engagée contre la France par la Commission européenne depuis 2006 du fait du maintien des TRV pour les consommateurs non résidentiels (12), la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation a introduit à l'article L. 445-4 du code de l'énergie des dispositions prévoyant l'extinction progressive des TRV pour les clients non domestiques dont la consommation excède 30 MWh/an.

26. L'article L. 445-4 a prévu la suppression des TRV en trois étapes :

- le 19 juin 2014, pour les consommateurs raccordés au réseau de transport (grands clients industriels) et les entreprises locales de distribution dont la consommation est supérieure à 100 000 MWh/an ;

- le 31 décembre 2014 au plus tard, pour les consommateurs non domestiques (professionnels, propriétaires uniques d'un immeuble à usage principal d'habitation et syndicats de copropriétaires) dont la consommation annuelle est supérieure à 200 MWh/an ;

- le 31 décembre 2015 au plus tard, pour les consommateurs professionnels dont la consommation annuelle est supérieure à 30 MWh/an, pour les entreprises locales de distribution faisant encore l'objet de tarifs réglementés (dont la consommation est inférieure à 100 000 MWh/an) et pour les propriétaires uniques d'un immeuble à usage principal d'habitation consommant plus de 150 MWh/an par an ou le syndicat des copropriétaires d'un tel immeuble.

27. Pour l'instant, aucune suppression des TRV pour les autres consommateurs (clients résidentiels et petits professionnels) n'a été envisagée. Cependant, par un arrêt du 15 décembre 2014, le Conseil d'État a saisi la Cour de justice de l'Union européenne de questions préjudicielles portant sur la validité du maintien des TRV (13).

28. Afin que les consommateurs concernés par la suppression des TRV et n'ayant pas souscrit d'offre de marché ne subissent pas une interruption de leur fourniture de gaz à l'extinction de leur contrat au TRV, le législateur et la CRE ont prévu la mise en place temporaire d'une offre de marché du fournisseur " historique " pendant 6 mois (pour les clients non assujettis au code des marchés publics), suivie de mécanismes de fourniture temporaire par le gestionnaire de réseau (14) ou le fournisseur désigné par le régulateur sectoriel à l'issue d'une procédure de mise en concurrence (15).

2. LA FOURNITURE DE SERVICES DE COMPTAGE DE CONSOMMATION INDIVIDUELLE DE GAZ COLLECTIF

29. Depuis quelques années se sont développés des services de comptage évolué de consommation de gaz. Ces services sont généralement constitués des prestations suivantes (16) : la pose, la location et la maintenance du matériel de comptage, ainsi que la télé-relève périodique et la communication des relevés.

30. L'activité mise en cause par Direct Energie ne concerne pas les services de comptage évolué de consommation d'un point de raccordement au réseau de distribution de gaz, comme le nouveau compteur, appelé Gazpar, destiné à remplacer les compteurs traditionnels, mais les services de comptage permettant l'individualisation des consommations de gaz en aval d'un point de raccordement au réseau de distribution. Il s'agit de prestations permettant de décompter la consommation réelle de chacun des différents sites ou matériels d'un site relevant dudit point de raccordement. Ces derniers services sont en particulier ceux mis en place progressivement au sein des copropriétés alimentées en gaz naturel de manière collective pour le chauffage, l'eau chaude et, plus rarement, la cuisson.

31. Le développement des services de comptage de consommation individuelle de gaz collectif est favorisé par un cadre réglementaire qui l'encourage. La directive 2012/27/UE du 25 octobre 2012 impose qu'il soit mis à disposition des consommateurs finaux de gaz naturel, lorsque cela est possible, notamment dans le cadre du remplacement d'un compteur existant ou d'un nouveau raccordement, des compteurs individuels mesurant avec précision leur consommation effective et permettant des factures fondées sur la consommation réelle d'énergie (17).

32. Au niveau national, l'article R*131-2 du code de la construction et de l'habitation prévoit qu'à compter du 31 mars 2017 " Tout immeuble collectif à usage principal d'habitation, équipé d'un chauffage commun à tout ou partie des locaux occupés à titre privatif et fournissant à chacun de ces locaux une quantité de chaleur réglable par l'occupant doit être muni d'appareils permettant d'individualiser les frais de chauffage collectif. Ces appareils doivent permettre de mesurer la quantité de chaleur fournie ou une grandeur représentative de celle-ci ".

33. Engie fournit ce type de services de comptage, soit de manière isolée via l'offre Logivalys de sa filiale Ecometering (18) notamment, soit en les associant à des prestations de fourniture de gaz naturel via ses contrats Fideloconso et l'offre Vertuoz Habitat notamment.

D. LES PRATIQUES DÉNONCÉES

34. Direct Energie dénonce quatre types de pratiques imputées à la société Engie, qui enfreindraient les règles de concurrence (19) :

- des pratiques tarifaires d'éviction à destination des clients résidentiels ;

- une stratégie tarifaire de préemption du segment des copropriétés, par le moyen de contrats imposant des remises de fidélité, des exclusivités et des frais de sortie anti concurrentiels ;

- une stratégie prédatrice vis-à-vis des clients non résidentiels, notamment dans le cadre des appels d'offres ;

- un démarchage illicite des clients aux TRV, notamment ceux s'étant opposés à la communication de leurs coordonnées aux fournisseurs alternatifs.

35. Selon Direct Energie, en mettant en œuvre ces pratiques, la société Engie aurait abusé de sa position dominante sur les marchés de la fourniture de gaz naturel aux consommateurs français, pratique prohibée par les dispositions des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après " TFUE ").

E. LA DEMANDE DE MESURES CONSERVATOIRES

36. Accessoirement à sa saisine au fond, Direct Energie a déposé une demande de mesures conservatoires (20), pour obtenir que soit :

- neutralisée la captation des clients abusivement séduits par les offres à prix de marché résidentielles d'Engie en imposant à celle-ci de communiquer à ces clients les offres de ses concurrents et en lui interdisant de renouveler ses offres ;

- interdite à Engie la possibilité de proposer aux clients non résidentiels des tarifs de fourniture en dessous de ses coûts, sans discrimination, et comprenant une marge raisonnable rémunérant le capital engagé ;

- suspendue la commercialisation de toute offre de marché par Engie, sauf pour celle-ci à l'effectuer dans des conditions prévenant toute possibilité de subventions croisées et permettant à l'Autorité de vérifier ex-post l'intégration dans les tarifs de marché proposés de tous les coûts pertinents, en ce compris une rémunération normale des capitaux engagés ;

- imposé à Engie de communiquer les offres de ses concurrents aux entreprises devant perdre le bénéfice des TRV, de suspendre les effets des exclusivités de fait obtenues auprès des copropriétés résidentielles ayant conclu des contrats FideloConso et de suspendre les contrats issus des offres couplées gaz/services de comptage.

II. Discussion

37. L'article R. 464-1 du code de commerce énonce que " la demande de mesures conservatoires mentionnée à l'article L. 464-1 ne peut être formée qu'accessoirement à une saisine au fond de l'Autorité de la concurrence ".

38. Seront successivement examinés dans les développements suivants :

- l'application du droit européen (A),

- la définition des marchés en cause (B),

- les positions qu'Engie est susceptible de détenir sur ces marchés (C),

- l'existence de pratiques susceptibles d'être qualifiées d'abus de position dominante (D),

- la nécessité de prononcer des mesures conservatoires (E).

A. SUR L'APPLICABILITÉ DU DROIT DE L'UNION EUROPÉENNE

39. L'article 102 TFUE interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci. Se fondant sur la jurisprudence constante des juges européens, et à la lumière de la communication de la Commission européenne relative à la notion d'affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité CE (21) (devenus les articles 101 et 102 du TFUE), l'Autorité de la concurrence considère que trois éléments doivent être réunis pour que des pratiques soient susceptibles d'affecter sensiblement le commerce entre États membres : l'existence d'échanges, à tout le moins potentiels, entre États membres portant sur les services en cause (i), l'existence de pratiques susceptibles d'affecter ces échanges (ii) et le caractère sensible de cette possible affectation (iii).

40. Concernant le premier élément, la Commission précise dans ses lignes directrices que " la notion de " commerce " n'est pas limitée aux échanges transfrontaliers traditionnels de produits et de services, mais a une portée plus large qui recouvre toute activité économique internationale, y compris l'établissement. (..) D'après une jurisprudence constante, la notion de " commerce " englobe aussi les cas où des accords et pratiques affectent la structure de la concurrence sur le marché. Ainsi, les accords et pratiques qui affectent cette structure à l'intérieur de la Communauté en éliminant ou en menaçant d'éliminer un concurrent qui y opère peuvent tomber sous le coup des règles communautaires de concurrence. Lorsqu'une entreprise est ou risque d'être éliminée, la structure de la concurrence au sein de la Communauté est affectée, comme le sont les activités économiques que poursuit cette entreprise " (22).

41. Concernant le deuxième élément, pour être susceptibles d'affecter le commerce entre États membres, les accords ou les pratiques abusives " doivent sur la base d'un ensemble d'éléments de fait et de droit, permettre d'envisager avec un degré de probabilité suffisant qu'ils puissent exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d'échanges entre États membres " (23). La Cour de cassation a également rappelé que la constatation d'un effet réalisé sur le commerce intracommunautaire n'est pas exigée (24).

42. Enfin, concernant le troisième élément, la Commission précise dans ses lignes directrices que " L'appréciation du caractère sensible dépend des circonstances de chaque espèce, et notamment de la nature de l'accord ou de la pratique, de la nature des produits concernés et de la position de marché des entreprises en cause. Si les accords ou les pratiques sont, par leur nature même, susceptibles d'affecter le commerce entre États membres, le seuil du caractère sensible est inférieur à celui des accords et pratiques qui ne sont pas, par leur nature même, susceptibles d'affecter ce commerce. Plus la position de marché des entreprises en cause est forte, plus il est probable qu'un accord ou une pratique susceptible d'affecter le commerce entre États membres pourra être considéré comme le faisant de façon sensible " (25). Elle ajoute que " La conjonction de la position de marché de l'entreprise dominante et de la nature anticoncurrentielle de son comportement implique que, normalement, ces abus affectent sensiblement le commerce par leur nature même. En revanche, si la pratique abusive est purement de nature locale ou n'implique qu'une partie insignifiante des ventes de l'entreprise dominante dans l'État membre en cause, le commerce n'est guère susceptible d'être affecté de manière sensible " (26).

43. Dans le cas d'espèce, si les pratiques dénoncées par la plaignante étaient avérées, les entreprises dont les sièges sociaux sont établis dans d'autres États membres, telles qu'ENI par exemple, seraient susceptibles d'être dissuadées d'exercer une activité sur les marchés français du gaz et des services de comptage. Ces pratiques peuvent donc rendre plus difficile l'entrée de concurrents d'Engie sur le marché français et sont par conséquent susceptibles d'affecter le commerce entre États membres.

44. En outre, en permettant à Engie de s'assurer un volume important de fourniture de gaz au détail sur les marchés français, les pratiques dénoncées, si elles étaient avérées, seraient la source d'externalités susceptibles d'altérer également la position concurrentielle d'Engie et de ses concurrents actifs dans les autres États membres.

45. Par ailleurs, les pratiques dénoncées concernent un abus de position dominante d'Engie dans le secteur de l'énergie et couvrent l'ensemble du territoire national. Comme mentionné précédemment, Engie commercialise les offres aux TRV de gaz sur la zone de desserte de GRDF qui recouvre la quasi-totalité des consommateurs français de gaz (95 %). Les pratiques dénoncées seraient par conséquent susceptibles d'affecter de manière sensible le commerce entre États membres.

46. Sous réserve d'un examen au fond, il convient donc de considérer que les pratiques alléguées sont susceptibles d'affecter de manière sensible le commerce entre États membres et d'être qualifiées au regard de l'article 102 du TFUE, ce que les parties ne contestent d'ailleurs pas.

B. SUR LES MARCHÉS CONCERNÉS

47. L'analyse des comportements en cause au regard des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE requiert au préalable que les marchés pertinents soient définis. En effet, en matière d'abus de position dominante, " la définition adéquate du marché pertinent est une condition nécessaire et préalable au jugement porté sur un comportement prétendument anticoncurrentiel, puisque, avant d'établir l'existence d'un abus de position dominante, il faut établir l'existence d'une position dominante sur un marché donné, ce qui suppose que ce marché ait été préalablement délimité " (27). Au-delà de l'appréciation de la position dominante elle-même, la définition des marchés en cause est également nécessaire à l'analyse des effets d'une pratique d'éviction, qu'ils soient réels ou potentiels (28).

48. Dans sa Communication sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence, la Commission souligne qu'" un marché de produits en cause comprend tous les produits et/ou services que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l'usage auquel ils sont destinés " (29). Dans le même document, la Commission définit par ailleurs le marché d'un point de vue géographique, en précisant que " le marché géographique en cause comprend le territoire sur lequel les entreprises concernées sont engagées dans l'offre des biens et des services en cause, sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes et qui peut être distingué de zones géographiques voisines parce que, en particulier, les conditions de concurrence y diffèrent de manière appréciable " (30).

49. En France, l'Autorité a estimé que " le marché, au sens où l'entend le droit de la concurrence, est défini comme le lieu sur lequel se rencontrent l'offre et la demande pour un produit ou un service spécifique. [...] Une substituabilité parfaite entre produits ou services s'observant rarement, le Conseil regarde comme substituables et comme se trouvant sur un même marché les produits ou services dont on peut raisonnablement penser que les demandeurs les considèrent comme des moyens alternatifs entre lesquels ils peuvent arbitrer pour satisfaire une même demande " (31).

50. L'Autorité a par ailleurs retenu à plusieurs reprises qu'un marché se définit d'un point de vue géographique comme " la zone géographique sur laquelle un pouvoir de monopole pourrait effectivement être exercé, sans être exposé à la concurrence d'autres offreurs situés dans d'autres zones géographiques ou à celle d'autres biens ou services " (32).

51. En l'espèce, plusieurs marchés en lien avec les pratiques peuvent être définis : il s'agit d'une part des marchés de la fourniture de gaz au détail (1) et, d'autre part, du marché de la fourniture de services de comptage de consommation individuelle de gaz collectif (2).

1. LES MARCHÉS DE LA FOURNITURE DE GAZ AU DÉTAIL

a) La dimension matérielle des marchés

52. La pratique décisionnelle des autorités de concurrence distingue le secteur du gaz naturel des autres secteurs énergétiques tels que le secteur de l'électricité (33).

53. Au sein de la chaîne de valeur du secteur du gaz naturel, la Commission européenne comme l'Autorité de la concurrence ont identifié un certain nombre d'activités distinctes, au nombre desquelles figure la fourniture de gaz naturel concernée par la saisine de Direct Energie.

54. Au sein de cette activité, l'Autorité de la concurrence opère une distinction en fonction des critères suivants :

- le type de consommateur (i) ;

- le type d'offres commercialisées (ii) (34). Distinction selon le type de consommateurs

55. La Communication de la Commission européenne sur la définition du marché en cause précise qu'au sein d'un marché de produit, " l'existence de plusieurs groupes de clients peut inciter à définir le marché de produit de manière plus étroite " (35). C'est notamment le cas de la fourniture de gaz aux clients résidentiels, aux gros clients industriels et aux petits clients industriels et commerciaux.

56. La pratique décisionnelle des autorités de concurrence n'a pas défini le seuil précis de consommation permettant de distinguer un " gros client industriel ", d'une part, et un " petit client industriel et commercial ", d'autre part.

57. Cependant, se fondant sur les travaux de la CRE (36) et la position exprimée par la Commission européenne dans le cadre de l'examen de la fusion entre Gaz de France et Suez (37), l'Autorité de la concurrence a considéré dans le cadre de sa décision n° 14-MC-02 du 9 septembre 2014, relative à une demande de mesures conservatoires présentée par Direct Energie dans les secteurs du gaz et de l'électricité, confirmée sur ce point par la cour d'appel, qu'une distinction selon que les clients non résidentiels sont reliés au réseau de transport ou au réseau de distribution était pertinente (38).

58. Direct Energie reprend une telle distinction dans sa plainte (39) et Engie ne formule aucune observation sur ce point particulier (40). Au stade de l'examen des mesures conservatoires, une telle distinction peut donc être retenue.

59. La saisine ne portant pas sur la fourniture aux clients raccordés au réseau de transport, les marchés pertinents concernés par les pratiques dénoncées sont donc les suivants :

- la fourniture de gaz au détail aux clients résidentiels ;

- la fourniture de gaz au détail aux clients non résidentiels raccordés au réseau de distribution (hors clients connectés au réseau de transport donc) appelés ci-après " la clientèle non résidentielle ").

60. En ce qui concerne le segment de clientèle composé des copropriétés résidentielles, concerné par certaines pratiques reprochées par la plaignante, il est possible, au stade de l'examen des mesures conservatoires au moins, de considérer que le segment des copropriétés relève du marché des clients non résidentiels. Plusieurs éléments de fait plaident en ce sens :

- le besoin de gaz de ces copropriétés est similaire en termes de volume de gaz aux besoins exprimés par la clientèle non résidentielle et non à ceux des clients résidentiels ;

- la consommation d'une copropriété ne représente pas la somme des consommations individuelles des résidents mais amalgame aussi la consommation de gaz générée par les parties communes ;

- enfin, dans son rapport 2014-2015 sur le fonctionnement des marchés de détail français de l'électricité et du gaz naturel de novembre 2015, la CRE définit les sites non résidentiels de distribution comme incluant les copropriétés et précise que " Les copropriétés sont comptabilisées en tant que sites non résidentiels par les gestionnaires de réseau et présentées comme telles dans l'ensemble de ce rapport " (41).

Distinction selon le type d'offres (offres aux TRV et offres de marché)

61. Comme expliqué ci-avant (42), le secteur de la fourniture de gaz naturel en France se caractérise par la coexistence de deux types d'offres : les offres aux TRV qui ne sont commercialisées que par les fournisseurs historiques (et notamment uniquement par Engie sur la quasi-totalité du territoire), d'une part, et les offres de marché qui peuvent être proposées par l'ensemble des fournisseurs (fournisseurs historiques et fournisseurs alternatifs), d'autre part.

62. Dans sa décision n° 14-MC-02, l'Autorité de la concurrence, à titre provisoire et en reprenant la jurisprudence existante, a précisé qu'il était possible de douter que ces deux types d'offres appartiennent au même marché du fait de l'existence d'une réglementation spécifique pesant sur les offres aux TRV, et en particulier sur la régulation de leurs prix, et de la substituabilité asymétrique pour les clients dont la consommation annuelle est supérieure à 30 MWh/an puisque ceux-ci ne peuvent plus souscrire une offre aux TRV lorsqu'ils ont auparavant souscrit une offre au prix de marché ou s'ils procèdent à une nouvelle souscription.

63. Dans cette même décision, l'Autorité a considéré qu'à la lumière de ces éléments, il serait possible de distinguer un marché pour les offres aux TRV et un marché pour les offres de marché pour les consommateurs dont la consommation est supérieure au seuil de 30 Mwh. Elle a toutefois considéré que pour les clients dont la consommation annuelle est inférieure à 30 Mwh, il était possible, compte tenu de la réversibilité du choix entre offres de marché et offres aux TRV, de retenir, au stade des mesures conservatoires au moins, l'existence d'un marché unique (43).

64. Ce sont ces marchés qu'Engie considère pertinents pour l'examen de la demande de mesures conservatoires dans la présente affaire (44). À l'inverse, Direct Energie estime qu'il pourrait être pertinent de retenir, quel que soit le niveau de consommation, des marchés différents pour les offres aux TRV et pour les offres de marché (45).

65. L'évolution constatée depuis 2014 conduit toutefois à retenir, à ce stade de l'instruction, une définition des marchés pertinents incluant l'ensemble des consommateurs résidentiels, d'une part, et non résidentiels, d'autre part, sans considération pour le volume consommé (inférieur ou supérieur à 30 Mwh/an) et le type d'offres (offres aux TRV ou offres de marché).

66. En ce qui concerne la clientèle résidentielle, cette distinction est en effet peu pertinente dès lors que la très grande majorité des clients bénéficie d'une réversibilité totale du choix opéré entre offres de marché et offres aux TRV. Du côté de la demande des clients résidentiels, la substituabilité peut donc être considérée comme quasi totale.

67. En ce qui concerne la clientèle non résidentielle ensuite, on observe un mouvement important de basculement vers les offres de marché (46) et une diminution des offres aux TRV. Les offres aux TRV ont ainsi disparu au 31 décembre 2014 pour les clients dont la consommation excède 200 MWh/an et au 31 décembre 2015 pour les clients dont la consommation excède 30 Mwh/an (47).

68. D'une façon générale, la dynamique des marchés va donc dans le sens d'une conversion définitive des clients aux TRV en clients en offres de marché. Dans le cadre de l'affaire 14-MC-02, Engie faisait d'ailleurs valoir que, pour ces motifs, un marché unique était désormais pertinent en ce qui concerne les clients non résidentiels (48). L'évolution s'est accélérée depuis, notamment à partir de janvier 2015. Prendre en compte cette dynamique au stade de la définition de marché conduit à ce stade à retenir des marchés composés à la fois des offres aux TRV et des offres de marché.

69. Du reste, la CRE ne distingue pas parmi les consommateurs résidentiels, d'une part, et parmi les non résidentiels, d'autre part, ceux dont la consommation excéderait 30 Mwh/an ou, au contraire, serait inférieure à ce niveau. Les données disponibles pour apprécier les effets des pratiques en cause amalgament les clients sans considération de leur niveau de consommation et apparaissent difficilement mobilisables à ce stade.

70. En tout état de cause, une définition des marchés pertinents distinguant les offres de marché des TRV ou isolant les offres selon le niveau de consommation, comme le propose Engie, ne serait pas de nature à faire obstacle à l'examen de comportements susceptibles d'être qualifiés d'abus de position dominante. Engie fournit en effet en monopole les offres aux TRV, tout en disposant par ailleurs d'un pouvoir de marché important lorsque seules les offres de marché sont considérées. La connexité évidente (les services et les clients étant identiques) qui existerait entre un marché des offres aux TRV et un marché des offres de marché permettrait alors, en se basant sur une pratique décisionnelle et une jurisprudence constante (49), de rechercher un comportement susceptible d'être abusif sur ce second marché.

71. Selon cette jurisprudence, en présence de marchés distincts mais connexes, des circonstances particulières peuvent en effet justifier une application des règles prohibant les abus de position dominante à un comportement constaté sur le marché connexe, non dominé, et produisant des effets sur ce même marché. Compte tenu de la présence d'Engie sur l'ensemble des marchés de fourniture de gaz au détail, de sa position monopolistique sur les offres aux TRV et de son statut d'opérateur historique du secteur du gaz, de telles circonstances sont présentes en l'espèce.

b) La dimension géographique des marchés

72. Selon la pratique décisionnelle de la Commission européenne (50), les marchés de la fourniture de gaz sont en France de dimension infranationale. Plus précisément, la Commission a retenu plusieurs marchés correspondants aux zones d'équilibrage physique global du réseau (51), en raison des conditions de concurrence hétérogènes entre les différentes zones, reflétées notamment par les tarifs de transport du gaz naturel. Depuis le 1er janvier 2009, ces zones sont au nombre de trois : Nord, Sud et Sud-Ouest.

73. Dans son rapport sur le fonctionnement des marchés de détail français de l'électricité et du gaz naturel pour 2014-201552, la CRE a toutefois communiqué des données permettant de considérer que retenir des parts de marché en amalgamant l'ensemble des zones est plus favorable à Engie, puisqu'elle se traduit par des parts de marché inférieures, sans toutefois modifier la conclusion à laquelle il est possible de parvenir en ce qui concerne son pouvoir de marché. En d'autres termes, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeureront inchangées quelle que soit la délimitation géographique exacte des marchés de fourniture de gaz retenue.

74. Le marché sera donc considéré, à ce stade de l'instruction, au niveau national.

2. LE MARCHÉ DE LA FOURNITURE DE SERVICES DE COMPTAGE DES CONSOMMATIONS INDIVIDUELLES EN AVAL D'UN POINT DE RACCORDEMENT AU RÉSEAU DE DISTRIBUTION DE GAZ NATUREL

a) La dimension matérielle du marché

75. Les pratiques reprochées par Direct Energie à Engie portent sur des services de comptage des consommations individuelles au sein des copropriétés résidentielles.

76. Comme indiqué précédemment (53), dans le secteur du gaz, deux types de services de comptage existent : les services permettant un comptage évolué des consommations au niveau d'un point de raccordement ; les services de comptage permettant l'individualisation des consommations de gaz en aval d'un point de raccordement.

77. Au stade de l'examen de la demande de mesures conservatoires, le marché pertinent considéré ne comprend que les services en aval du point de raccordement, à l'exclusion donc des services permettant un comptage évolué des consommations au niveau d'un point de raccordement.

78. En effet, chacun des services répond à une réglementation qui lui est propre (54) ; le gestionnaire de réseau est en charge de la pose des compteurs en ce qui concerne les services de comptage au point de raccordement, tandis que les services de comptage en aval dudit point peuvent être proposés par toute entreprise ; enfin chaque type de services de comptage répond à un besoin distinct : connaître la consommation d'un point de raccordement/connaître la consommation spécifique de certains sites ou matériels en aval du point de raccordement.

79. Il résulte de ce qui précède que, à ce stade de l'instruction, le marché pertinent peut être défini d'un point de vue matériel comme le marché de la fourniture de services de comptage des consommations individuelles en aval d'un point de raccordement au réseau de distribution de gaz naturel.

b) La dimension géographique du marché

80. La réglementation relative aux compteurs individuels dans les immeubles collectifs à usage principal d'habitation étant nationale, et les fournisseurs des services en cause opérant sur l'ensemble du territoire national, il apparaît que le marché identifié ci-dessus est de dimension nationale.

3. LA CONNEXITÉ ENTRE LES MARCHÉS EN CAUSE

81. La connexité entre deux marchés peut notamment résulter d'un lien de nature verticale (55), mais aussi d'autres liens (56) tels que la similitude des agents économiques, et notamment des clients, ou encore la complémentarité entre les produits. Les liens que présentent les marchés en cause peuvent donc permettre à une entreprise présente sur un marché et y disposant d'un pouvoir de marché conséquent d'exploiter un effet de levier afin de se développer sur un autre marché et, éventuellement, d'y adopter des comportements ne relevant pas de la concurrence par les mérites (57).

82. En l'espèce, les prestations de fourniture de gaz naturel au détail aux clients résidentiels et aux clients non résidentiels sont des prestations connexes dans la mesure où ces prestations concernent un seul et même produit, le gaz naturel, utilisent la même infrastructure de stockage, de transport et de distribution, et requièrent pour l'essentiel la réalisation des mêmes activités par le fournisseur, à savoir à l'amont l'approvisionnement et à l'aval la commercialisation au détail.

83. Plus particulièrement encore, le gaz fourni aux clients résidentiels et aux clients non résidentiels, quel que soit le type d'offres concerné (offres aux TRV, offres de marché) est identique. Or, le coût de la molécule représente l'un des principaux postes de coût dans la fourniture de gaz au détail.

84. Compte tenu de ces éléments, une entreprise présente à la fois sur le marché de la fourniture de gaz au détail à destination des clients résidentiels et sur le marché de la fourniture de gaz au détail à destination des clients non résidentiels est susceptible d'utiliser le pouvoir de marché qu'elle détient sur l'un de ces marchés pour se développer sur l'autre. De façon analogue, si deux marchés distincts des offres en TRV, d'une part, et des offres de marché, d'autre part, étaient définis, un opérateur pourrait utiliser son pouvoir de marché sur un marché des TRV pour se développer sur un marché des offres de marché.

85. Par ailleurs, deux éléments supplémentaires permettent de considérer que les prestations de fourniture de gaz naturel et de services de comptage des consommations individuelles en aval d'un point de raccordement relèvent de marchés connexes. En premier lieu, les demandeurs pour ces deux types de prestations sont identiques : il s'agit en particulier des propriétaires ou copropriétaires de locaux utilisés à titre principal comme résidence et des bailleurs sociaux. En deuxième lieu, les deux prestations présentent un lien de complémentarité. Choisir une prestation de comptage des consommations individuelles n'a d'intérêt pour un client que s'il a déjà décidé de se fournir en gaz naturel et que son installation permet une prestation de comptage des consommations individuelles.

86. Par conséquent, les différents marchés de la fourniture de gaz au détail doivent être regardés, à ce stade de l'instruction, comme des marchés connexes les uns avec les autres, ainsi qu'avec le marché des services de comptage pertinents.

C. SUR LA POSITION DOMINANTE D'ENGIE SUR LES MARCHÉS DE FOURNITURE DE GAZ NATUREL IDENTIFIÉS

1. RAPPEL DE LA JURISPRUDENCE

87. Selon une jurisprudence constante de la cour de justice, la position dominante visée par l'article 102 du TFUE concerne une situation de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause, en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients, et finalement des consommateurs58. Dans son rapport d'activité pour l'année 2010, l'Autorité de la concurrence a rappelé que " la jurisprudence, tant interne que communautaire, définit la position dominante comme étant la situation dans laquelle une entreprise est susceptible de s'abstraire des conditions du marché et d'agir à peu près librement sans tenir compte du comportement et de la réaction de ses concurrents " (59).

88. La preuve de la position détenue par une entreprise sur un marché se fait par la méthode du faisceau d'indices. La Commission comme l'Autorité ont en particulier recours à des indices de nature structurelle. Il s'agit des parts de marché de l'entreprise concernée et de ses concurrents sur le marché, de l'absence de contrainte concurrentielle exercée par ses concurrents (actuels et potentiels), et de l'absence de pouvoir compensateur à l'achat exercé par la demande (60).

89. En ce qui concerne plus particulièrement les parts de marché, comme l'Autorité de la concurrence l'a souligné dans son rapport d'activité 2010, " de manière générale, l'examen des parts de marché constitue un paramètre essentiel dans l'appréciation de la dominance éventuelle d'une entreprise sur son marché. (...) Il ressort de la jurisprudence des juridictions communautaires et nationales que des parts de marché extrêmement importantes constituent par elles-mêmes, et sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l'existence d'une position dominante " (61).

90. À cet égard, la cour de Justice considère qu'une part de marché significative permet de présumer l'existence d'une position dominante : " S'agissant des parts de marché, la Cour a jugé (arrêt du 13 février 1979, Hoffmann La Roche, point 4l, 85/76, Rec. p. 461) que des parts extrêmement importantes constituent par elles-mêmes, et sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l'existence d'une position dominante. Tel est le cas d'une part de marché de 50 % comme celle constatée en l'espèce " (62). Cette présomption, qui a été retenue à plusieurs reprises par l'Autorité de concurrence (63), s'explique par le fait que " la possession d'une part de marché extrêmement importante met l'entreprise qui la détient pendant une période d'une certaine durée, par le volume de production et d'offre qu'elle représente - sans que les détenteurs de parts sensiblement plus réduites soient en mesure de satisfaire rapidement la demande qui désirerait se détourner de l'entreprise détenant la part la plus considérable -, dans une situation de force qui fait d'elle un partenaire obligatoire et qui, déjà de ce fait, lui assure, tout au moins pendant des périodes relativement longues, l'indépendance de comportement caractéristique de la position dominante " (64).

91. Enfin, les juges européens considèrent que la baisse des parts de marché au cours de la période concernée par les pratiques n'exclut pas l'existence d'une position dominante, la réduction de parts de marché encore très importantes ne pouvant constituer, en elle-même, la preuve de l'absence de position dominante (65).

92. L'Autorité de la concurrence a également retenu que des parts de marché qui diminueraient mais resteraient significatives peuvent constituer un élément pertinent pour qualifier une position dominante (66).

93. En l'espèce, l'instruction menée à ce stade confirme qu'Engie est susceptible d'être en position dominante à la fois sur le marché de la fourniture de gaz aux clients résidentiels (3) et sur le marché de la fourniture de gaz aux clients non résidentiels (4). Les parties ayant mis en avant des données de natures différentes lors de l'instruction et en séance, il apparaît cependant nécessaire, avant d'examiner le pouvoir de marché d'Engie sur ces deux marchés, de définir les données pertinentes à retenir pour l'analyse en l'espèce (2).

2. LES PARAMÈTRES PERTINENTS À RETENIR POUR L'ANALYSE

94. Les données disponibles pour apprécier les parts de marché d'Engie sont des données en termes de nombre de sites et en termes de volumes de gaz consommé.

95. Si Engie fait valoir que seules des données en termes de volumes de consommation seraient pertinentes (uniquement en ce qui concerne le marché de la clientèle non résidentielle toutefois) (67), Direct Energie relève que les volumes de consommation ne constituent pas une approximation du chiffre d'affaires ou de la valeur, critère d'évaluation des parts de marché traditionnellement utilisé en plus du volume de prestations fournies, puisque le chiffre d'affaires pour un Mwh consommé est bien plus important pour les petits professionnels et les clients résidentiels que pour les plus gros clients non résidentiels (68).

96. Une approche en termes de sites est en effet pertinente pour apprécier les parts de marché d'Engie, au stade de l'examen de la demande de mesures conservatoires, au-delà de l'argument soulevé par Direct Energie, pour les raisons suivantes :

- les volumes de consommation sont soumis à des variations liées à des facteurs exogènes, tel le climat, contrairement au nombre de sites ;

- dans sa pratique décisionnelle la plus récente sur le secteur du gaz, c'est-à-dire dans l'affaire 14-MC-02, l'Autorité de la concurrence a considéré que la détermination des parts de marché en nombre de sites était pertinente, et ce point n'a pas été remis en cause devant la cour d'appel de Paris.

97. Par conséquent, il est pertinent, au stade de l'examen de la demande de mesures conservatoires, d'apprécier les parts de marché d'Engie principalement en termes de nombre de sites, et ce pour l'ensemble des marchés pertinents.

98. En complément, il est également possible d'observer, comme le suggère Engie, la façon dont chaque concurrent profite de la dynamique concurrentielle qui s'opère sur le segment des offres de marché, dès lors qu'il s'agit du seul segment sur lequel les concurrents peuvent proposer des offres aux clients.

99. Pour ce faire, les données de ventes brutes mises en avant par Engie ne sauraient cependant être pertinentes. En effet, la CRE entend par " ventes brutes " le " nombre de sites ayant conclu un contrat au cours du mois considéré à l'occasion d'une mise en service ou d'un changement de fournisseur " (69). Sont donc exclues des " ventes brutes " l'ensemble des ventes se traduisant par un simple changement d'offre auprès du même fournisseur, au premier rang desquelles se situent les ventes d'offres de marché d'Engie aux clients qui étaient jusqu'alors aux TRV, qui sont pourtant aujourd'hui au cœur de la stratégie de conversion menée par Engie dans le cadre de l'ouverture du marché à la concurrence.

100. La cour d'appel de Paris dans l'affaire 14-MC-02, dans laquelle Engie faisait valoir ces mêmes ventes brutes pour arguer de ce que ses concurrents gagneraient plus de nouveaux clients en offres de marché qu'elle-même, et ainsi échapper à l'imposition de mesures provisoires, a sans ambiguïté indiqué que " (...) ces données " mesurent l'efficacité commerciale du fournisseur en termes d'acquisition de nouveaux sites " pendant le trimestre considéré ; qu'elles ne donnent donc pas une mesure de progression en termes de parts de marché que ce soit en stock de clients ou en volume de ventes qui permettent de quantifier la situation des concurrents sur le secteur ou le marché concerné (...) " (70). Seuls les gains de clients en offres de marché dans leur ensemble, en incluant ceux qui étaient aux TRV, sont donc pertinents pour apprécier les variations de pouvoir de marché des concurrents et d'Engie.

3. LES PARTS D'ENGIE SUR LE MARCHÉ DE LA FOURNITURE DE GAZ À LA CLIENTÈLE RÉSIDENTIELLE

101. Sur la base des données ainsi définies, il convient de constater que bien qu'en recul depuis l'ouverture du marché à la concurrence, les parts de marché d'Engie restent très significatives sur le marché de la clientèle résidentielle comme l'atteste le tableau ci-dessous.

102. Entre 2014 et 2015, le poids d'Engie sur le segment concurrentiel a augmenté. Comme le note la CRE, sur le segment des offres de marché où s'exerce la dynamique concurrentielle du marché, Engie bénéficie même d'une croissance de son parc d'abonnés plus dynamique que celle de ses concurrents puisqu'entre janvier 2013 et juillet 2015, Engie a acquis plus de [60-70]% des nouveaux sites résidentiels en offres de marché (71).

<EMPLACEMENT TABLEAU>

103. L'application de la présomption résultant de la pratique décisionnelle et de la jurisprudence précitée conduit par conséquent à considérer, au stade de l'examen de la demande de mesures conservatoires au moins, qu'Engie est susceptible d'être en position dominante sur le marché de la fourniture de gaz à la clientèle résidentielle, quelle que soit la définition de marché retenue.

104. Sur les deux segments du marché, Engie est en effet en monopole sur celui relatif aux TRV et est susceptible d'être en position dominante sur celui relatif aux offres de marché, compte tenu de sa part de marché proche ou supérieure à 50 % en 2014 et 2015, de la dynamique de marché en sa faveur, et des autres indices de position dominante examinés ci-dessous.

4. LES PARTS D'ENGIE SUR LE MARCHÉ DE LA FOURNITURE DE GAZ À LA CLIENTÈLE NON RÉSIDENTIELLE

105. Engie souligne la baisse continuelle de ses parts de marché sur le marché de la clientèle non résidentielle, toutes offres confondues, notamment sur la base des volumes de consommation (72).

106. En nombre de sites, comme raisonne traditionnellement la jurisprudence, s'il est vrai que la part de marché d'Engie s'est érodée au cours de ces dernières années, ce n'est pas parce que ses concurrents gagnent plus de nouveaux clients qu'elle, mais parce qu'elle perd plus de clients aux TRV qu'elle n'en gagne en offres de marché (73). Comme le relève encore la CRE, sur le segment où s'exerce la dynamique concurrentielle, c'est-à-dire le segment des offres de marché, Engie bénéficie d'une croissance de son parc d'abonnés plus rapide que celle de ses concurrents (74).

107. Bien qu'en recul depuis l'ouverture du marché à la concurrence, les parts de marché globales d'Engie restent très significatives sur le marché de la clientèle non résidentielle comme l'atteste le tableau ci-dessous. Entre 2014 et 2015 le poids d'Engie sur le segment concurrentiel a même augmenté.

<EMPLACEMENT TABLEAU>

108. Compte tenu de la pratique décisionnelle et de la jurisprudence précitées (75), de telles parts de marché, supérieures à 60 % pour l'ensemble du marché, sont suffisantes pour considérer, au stade de l'examen de la demande de mesures conservatoires, qu'Engie est susceptible d'être en position dominante sur le marché de la fourniture de gaz à la clientèle non résidentielle.

109. Une définition de marché distinguant les offres de marché des offres aux TRV ne serait pas de nature à remettre en cause l'existence d'une position dominante de l'opérateur historique. Engie reste en monopole sur le marché des offres aux TRV et est susceptible de se trouver en position dominante sur le marché des offres de marché, avec des parts de marché proches ou supérieures à 50 %, et une dynamique de conquête de parts de marché très favorable entre 2014 et 2015, puisque sa part de marché sur le segment est passée de 45 à 52 %.

110. En tout état de cause, s'agissant d'un marché connexe aux marchés en monopole des offres aux TRV aux clients résidentiels et non résidentiels, la position dominante dont elle pourrait éventuellement abuser en adoptant un comportement sur ce marché des offres de marché serait établie. En effet, et comme indiqué supra (76), la connexité entre ces marchés permettrait à Engie de préempter le marché récent et en pleine expansion des offres de marché en se reposant sur les avantages de coût qu'elle détient du fait de la fourniture des offres aux TRV ainsi que la rémunération dont elle bénéficie du fait de cette activité.

5. AUTRES ÉLÉMENTS D'APPRÉCIATION DES POSITIONS DOMINANTES

111. La jurisprudence retient également au titre des autres éléments d'appréciation d'une position dominante la différence de parts de marché entre le dominant et ses plus proches concurrents. En l'occurrence, en ce qui concerne le marché de la clientèle résidentielle, on relèvera qu'Engie distance de très loin les parts de marché de ses concurrents en termes de sites. En effet, la CRE recense au 30 juin 2015 vingt-et-un fournisseurs alternatifs (en ce compris EDF) actifs sur le marché pertinent (77), jouissant d'une part de marché cumulée de 35 % au 30 septembre 2015 (78).

112. À titre d'exemple, EDF qui est un acteur économique important du marché dispose d'une part de marché quatre fois inférieure à celle d'Engie si l'on retient l'ensemble du marché, et 2,5 fois inférieure si l'on ne considère que le segment offre de marché. Les autres fournisseurs alternatifs ne représentent ensemble au 30 juin 2015 que moins de la moitié du poids d'Engie en nombre de sites sur le segment concurrentiel. Le marché de la clientèle non résidentielle est donc particulièrement concentré au bénéfice d'Engie (le HHI est estimé par la CRE au 3ème trimestre de 2015 à plus de 3500 en termes de sites et à 1800 en termes de volume de consommation (79).

113. Engie bénéficie par ailleurs de la forte position ou du monopole de filiales du groupe sur les infrastructures amont de transport, de distribution ou de stockage. Elle bénéficie aussi, ainsi qu'il a été montré dans la décision n° 14-MC-02, de sa notoriété et de la force de son image de marque, liée au service public, du fait du maintien des TRV, qui l'avantagent particulièrement vis-à-vis des particuliers et petits professionnels.

114. Enfin, la connexité entre le marché résidentiel, sur lequel sa position est très forte, et le marché non résidentiel lui confère un avantage concurrentiel significatif.

115. Il résulte de ce qui précède qu'est réuni le faisceau d'indices permettant de considérer, au stade de l'examen de la demande de mesures conservatoires au moins, qu'Engie est susceptible d'être en position dominante sur les marchés de la clientèle résidentielle et non résidentielle.

D. SUR LES PRATIQUES DÉNONCÉES

116. Selon la Cour de cassation, " des mesures conservatoires peuvent être décidées, sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce, par le Conseil de la concurrence, dans les limites de ce qui est justifié par l'urgence, en cas d'atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante, dès lors que les faits dénoncés, et visés par l'instruction dans la procédure au fond, apparaissent susceptibles, en l'état des éléments produits aux débats, de constituer une pratique contraire aux articles L. 420-1 ou L. 420-2 du Code de commerce, pratique à l'origine directe et certaine de l'atteinte relevée " (80).

117. Afin d'apprécier si, en l'état des éléments produits aux débats, les faits dénoncés dans la procédure au fond et visés par la demande de mesures conservatoires apparaissent susceptibles de constituer une pratique contraire à l'article L. 420-2 du code de commerce et à l'article 102 TFUE, sont successivement analysées les pratiques tarifaires concernant les clients résidentiels et non résidentiels (1), les pratiques concernant les copropriétés (2) et, enfin, les pratiques de démarchage par Engie des clients aux TRV (3).

1. SUR LES PRATIQUES TARIFAIRES CONCERNANT LES CLIENTS RÉSIDENTIELS ET NON RÉSIDENTIELS

118. Direct Energie dénonce des pratiques tarifaires susceptibles d'être anticoncurrentielles. Les arguments développés par les parties seront exposés dans un premier temps (a), puis, seront présentés les principes que la jurisprudence applique en pareil cas (b). Sur cette base seront examinées les analyses de profitabilité fournies par Engie pour ses offres résidentielles (c) et non résidentielles (d). À la suite de la conclusion de cet examen (e), l'existence d'autres indices de prédation ou d'éviction sera finalement recherchée (f).

a) Les analyses de Direct Energie et d'Engie

Les arguments de Direct Energie

119. Dans sa demande de mesures conservatoires, Direct Energie fait valoir qu'Engie mettrait en œuvre des pratiques tarifaires d'éviction à destination des clients résidentiels et non résidentiels.

120. Sur le marché de la fourniture de gaz à la clientèle résidentielle, en effet, la baisse au cours des 3ème et 4ème trimestres 2014 " aussi considérable que soudaine " des prix de ses offres de marché, qui ont suivi une trajectoire atypique par rapport aux offres des concurrents au point d'être dorénavant parmi les moins chères du marché, serait caractéristique d'une stratégie d'éviction (81).

121. La plaignante relève en particulier que, depuis le quatrième trimestre de 2014, Engie propose plusieurs offres de marché à prix fixe à des tarifs inférieurs aux TRV en ce qui concerne le segment des offres de type B1 (consommation annuelle de référence de 17 MWh) (82).

122. Selon la plaignante, le fait qu'Engie pratique des prix bas sur les offres de type B1 serait un indice du caractère anticoncurrentiel de la pratique puisqu'il s'agit du seul segment sur lequel les fournisseurs alternatifs pourraient proposer des offres compétitives tout en étant profitables compte tenu du nombre de clients en offres de type B1 et des volumes de consommation concernés (83). Direct Energie considère donc qu'Engie pratique une stratégie sélective de prix agressifs en visant le segment de clientèle le plus susceptible de se tourner vers des offres de marché de ses concurrents. Pour Direct Energie, ce comportement est constitutif d'une pratique de " navire de combat " visant à restreindre le développement de la concurrence.

123. Selon la plaignante, Engie ferait plus de profits si elle conservait au sein des TRV ses clients résidentiels de l'offre B1 dans la mesure où les prix régulés sont plus élevés que les prix de ses offres de marché (84) : Engie subirait donc un manque à gagner en proposant des offres de marché à un prix inférieur au TRV (85). Selon Direct Energie, la preuve d'un sacrifice de profit serait, au stade des mesures conservatoires au moins, un élément suffisant pour retenir l'existence d'une pratique susceptible de constituer un abus de position dominante (86).

124. Enfin, constituerait également un indice de la stratégie anticoncurrentielle d'Engie le fait que l'entreprise dominante peut opérer un subventionnement croisé en faisant supporter aux offres aux TRV une partie importance des coûts commerciaux liés à la promotion des offres de marché par application de la clé de répartition de la comptabilité réglementaire. L'absence de prise en compte dans le coût des offres de marché des actifs immatériels (et notamment la marque et la notoriété) dont bénéficient ces offres augmenterait encore l'impact de ce subventionnement croisé (87).

125. En ce qui concerne en second lieu la clientèle non résidentielle, Direct Energie fait valoir que dans le contexte de suppression des TRV pour cette clientèle, Engie aurait développé une politique de prix particulièrement agressive (88). Elle met en avant dans sa plainte, à laquelle elle renvoie dans sa demande de mesures conservatoires, quatre exemples qu'elle estime illustratifs de la stratégie d'Engie :

- un appel d'offres lancé par le Syndicat Intercommunal d'Energie de la Marne (SIEM) à la fin de l'année 2014, remporté par Engie avec un prix que n'aurait pas pu répliquer Direct Energie (89) ;

- une proposition commerciale faite à une copropriété située à Montrouge dans le cadre d'un groupement de commande négocié avec un syndic, pour laquelle Engie a proposé le 15 décembre 2014 une offre à prix fixe sur 3 ans avec un rabais de 20 % par rapport aux TRV gaz (90) ;

- un appel d'offres lancé par le Syndicat départemental des énergies de Seine et Marne (SDESM) et remporté par Engie en janvier 2015, avec un prix inférieur d'environ 15 à 20 % par rapport aux TRV (91) ;

- un appel d'offres lancé par la centrale d'achat public UGAP, remporté à l'été 2014 par Engie avec un prix inférieur de 25 % au TRV (92).

126. Selon Direct Energie, aucune de ces offres à prix fixe ne peut être répliquée par un concurrent hypothétique aussi efficient ou raisonnablement efficient (93).

Les arguments en réponse d'Engie

Sur le marché de la clientèle résidentielle

127. Engie fait valoir qu'en l'absence de prix inférieur aux coûts, ou d'une intention anticoncurrentielle établie, il n'existe pas de pratique susceptible d'être anticoncurrentielle (94). Or, ses prix seraient supérieurs à ses coûts complets, qu'Engie estime être le standard de coût pertinent, sauf en ce qui concerne l'offre à prix fixe 1 an qui ne représente que 2 % environ de son portefeuille de clients résidentiels et dont le prix serait toutefois supérieur au coût incrémental moyen à long terme (95).

128. Elle précise également que si sa comptabilité dissociée montre un résultat légèrement négatif pour les offres de marché des clients raccordés au réseau de distribution, ce résultat serait limité à l'année 2014 uniquement et s'expliquerait par la douceur du climat de l'hiver 2014 qui a affecté à la baisse les ventes de gaz. Une fois corrigé de l'effet climatique, le résultat serait positif (96).

129. Engie fait également valoir qu'elle peut pratiquer un prix d'une offre de marché inférieur au TRV au jour de la souscription de l'offre tout en étant profitable car le coût d'approvisionnement, calculé sur la durée du contrat, intègre nécessairement les anticipations d'Engie concernant les variations de coût d'approvisionnement sur cette période. Ces anticipations peuvent la conduire à fixer un prix inférieur au prix du TRV applicable sur le mois de la souscription de l'offre de marché. Le prix de l'offre de marché pourrait tout à fait être globalement, c'est-à-dire sur la durée de la période de souscription, supérieur à la moyenne des TRV sur la même période (97).

130. Engie note encore qu'elle ne se livre à aucune pratique de prix sélectif puisque sa stratégie tarifaire concernerait l'ensemble des clients de type B1 qui ne constitue pas un client ou un groupe de clients désignés mais l'essentiel des ventes sur le marché résidentiel, de sorte que toute ambition de récupération du sacrifice consenti auprès d'autres clients serait impossible (98).

131. Engie relève qu'en tout état de cause, elle ne sacrifie aucun profit en vendant des offres de marché et non des offres aux TRV dans la mesure où elle n'a pas le choix de se positionner sur l'une ou l'autre de ces offres dès lors (i) que les clients quittent massivement les offres aux TRV pour les offres de marché (ii) qu'ils privilégient les offres à prix fixe par rapport aux offres à prix variables comme le sont les offres aux TRV et, enfin (iii) que les offres aux TRV présentent pour Engie des risques importants, leurs prix et leur existence même relevant des pouvoirs publics (99).

132. Enfin, Engie précise qu'elle ne pratique aucune subvention croisée, laquelle ne serait en tout état de cause problématique que si elle servait un comportement anticoncurrentiel par ailleurs (100). Selon Engie, les règles d'allocation des coûts commerciaux entre offres aux TRV et offres de marché garantissent l'absence de subventions croisées dès lors (i) que la prévention de telles subventions est inscrite dans les règles relatives à la séparation comptable (101), (ii) qu'Engie applique, pour ses coûts commerciaux, des clés d'allocation conformes à ces règles et validées par l'Autorité et la CRE (102), (iii) que la CRE n'a jamais mis en évidence une quelconque subvention croisée à l'occasion du contrôle exercé sur la mise en œuvre de ces clés d'allocation, les retraitements demandés par celle-ci ayant d'ailleurs toujours été opérés par Engie (103), et (iv) que la pertinence de ces clés est auditée par la CRE qui ne l'a jamais remise en cause avant mai 2015 (104).

Sur le marché de la clientèle non résidentielle

133. Dans ses observations, Engie considère à titre principal que ses prix ne sauraient être constitutifs d'une pratique susceptible de constituer un abus de position dominante dès lors qu'elle n'est plus dominante sur le marché de la clientèle non résidentielle (105).

134. À titre subsidiaire, Engie explique que ses prix ne relèvent pas d'une stratégie susceptible d'être anticoncurrentielle. Sa politique tarifaire s'inscrit dans le contexte de la fin des offres aux TRV pour un nombre très important de clients non résidentiels représentant des volumes considérables pour lesquels elle fait face à une pression concurrentielle importante de la part des fournisseurs alternatifs (106).

135. Engie fait également valoir que, comme pour les prix de ses offres de marché destinées à la clientèle résidentielle, les prix de ses offres de marché aux clients non résidentiels doivent être appréciés à partir de la grille de lecture de la pratique décisionnelle et de la jurisprudence qui imposerait de caractériser une absence de couverture des coûts pertinents (107). C'est également dans ce cadre que doit être examiné l'effet d'une éventuelle subvention croisée, qui n'est pas par elle-même une infraction.

136. Or, si l'analyse individuelle des appels d'offres mentionnés par Direct Energie dans sa plainte montre qu'Engie ne couvrait pas nécessairement ses coûts totaux, Engie fait valoir qu'elle a chaque fois couvert au moins le coût évitable moyen correspondant à chaque appel d'offres (108).

b) Les principes applicables à l'examen des pratiques tarifaires

L'impossibilité au stade des mesures conservatoires de qualifier une pratique à partir de la comparaison des offres de marché aux TRV

137. Contrairement à ce que la plaignante fait valoir dans sa demande de mesures conservatoires (109), il n'est pas possible de caractériser, même au stade de l'examen de sa demande de mesures conservatoires, l'existence d'une stratégie d'Engie susceptible d'être anticoncurrentielle à partir du ciblage tarifaire sur le segment concurrentiel de type B1 et d'un manque à gagner pour Engie résultant du recours aux offres de marché à la place d'offres aux TRV.

138. Le ciblage tarifaire, c'est-à-dire le fait que les prix bas constatés par Direct Energie concernent essentiellement le segment concurrentiel de type B1, ne saurait être un indice d'une intention anticoncurrentielle. En effet, comme le note Direct Energie elle-même (110), ce segment est constitué de la majorité des clients résidentiels d'une part, et des clients qui représentent la majeure partie des volumes de gaz consommés par les clients résidentiels d'autre part. Une entreprise qui anticiperait une diminution ou une disparition de son parc de clients aux TRV peut alors rationnellement viser en premier lieu ces clients en mettant en place une stratégie sélective de prix bas.

139. Il n'est pas non plus possible de considérer que vendre des offres à un prix inférieur au prix des TRV constitue en tant que tel nécessairement un manque à gagner pour Engie et un indice clair d'une intention anticoncurrentielle. Un tel comportement peut être économiquement justifié par exemple si, en l'absence de telles offres à un prix inférieur au TRV, une fraction significative des clients d'Engie changeait de fournisseur de gaz pour souscrire une offre de marché chez un concurrent.

140. Au-delà, trois caractéristiques des TRV empêchent de considérer que le prix d'une offre de marché inférieur au TRV est nécessairement inférieur à son coût ou que la fourniture de cette offre de marché et non d'une offre au TRV constitue nécessairement un manque à gagner pour Engie :

- comme le note Engie, les TRV varient mensuellement en fonction de la variation des coûts d'approvisionnement d'Engie, tandis que le niveau de prix d'une offre à prix fixe repose sur une estimation par Engie de ses coûts d'approvisionnement sur la période couverte par l'offre. Il n'est donc pas possible d'affirmer à partir du seul constat d'un prix d'une offre de marché inférieur au prix des TRV depuis octobre 2014 que le coût total moyen de cette offre n'est pas couvert au terme du contrat ;

- les TRV prennent en compte une marge raisonnable fixée par les pouvoirs publics, laquelle peut très bien être supérieure à la marge qui doit résulter du jeu concurrentiel pour les offres de marché ;

- les TRV reposent sur un principe de couverture du coût total moyen. Pour un appel d'offres donné cependant, il peut être légitime pour Engie d'utiliser un standard de coût différent (le coût évitable notamment). Les prix de l'offre de marché et de l'offre au TRV ne reposant pas nécessairement sur le même standard de coût, ils ne sont pas automatiquement comparables.

141. Le raisonnement suivi par Direct Energie ne peut donc permettre de démontrer au stade de l'examen de la demande de mesures conservatoires que le comportement d'Engie est susceptible de constituer une pratique anticoncurrentielle. Pour qu'une pratique anticoncurrentielle soit susceptible d'être démontrée, il convient, comme le relève Engie, de se référer au cadre d'analyse des pratiques tarifaires d'éviction ou de prédation tel que défini par la jurisprudence.

Le cadre d'analyse des pratiques tarifaires de prédation ou d'éviction

142. Une pratique de prix bas mise en œuvre par une entreprise en position dominante peut être qualifiée de prix prédateurs lorsque les prix pratiqués ne permettent pas à l'entreprise dominante de couvrir ses coûts pertinents. Au-delà, la Commission, confirmée par les juges européens, a également estimé qu'un prix supérieur aux coûts pertinents de l'entreprise peut être qualifié de prix prédateur lorsque l'intention anticoncurrentielle peut être établie, notamment par des preuves documentaires d'une stratégie ayant pour objectif d'évincer un concurrent du marché.

143. Ainsi que le rappelle la cour d'appel dans son arrêt du 6 novembre 2014 (Fret SNCF) (111)," le fait de pratiquer des prix prédateurs ne saurait cependant pas être considéré comme l'unique comportement d'une entreprise en position dominante fondé sur une pratique de prix bas qui serait interdit par les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce ; que cela peut aussi être le cas, notamment, de pratiques de prix qui, à la différence de prix prédateurs, ne s'inscrivent pas dans une logique de sacrifice à court terme, mais tendent néanmoins à restreindre la concurrence par un effet d'éviction ; que ces pratiques peuvent notamment prendre la forme de prix d'éviction tendant à entraver de manière artificielle l'accès au marché des concurrents et ainsi à maintenir ou renforcer la position dominante de l'entreprise qui les met en œuvre (...) " (112).

144. Une pratique de prix bas peut donc également être qualifiée de prix d'éviction en raison de ses effets potentiels sur la concurrence. La pratique décisionnelle et la jurisprudence, tant françaises qu'européennes, considèrent que la preuve d'un effet d'éviction d'une pratique tarifaire d'une entreprise en position dominante en dehors de toute stratégie de prédation peut, notamment (113), être rapportée en recourant à un test de couverture du coût pertinent par le prix. Comme la Cour de Justice l'a rappelé, " la Cour a eu recours à des critères fondés sur une comparaison des prix concernés et de certains coûts encourus par l'entreprise dominante ainsi que sur la stratégie de celle-ci (voir arrêts précités AKZO/Commission, point 74, et France Télécom/Commission, point 108) " (114).

145. Ainsi que le rappelle également la Cour d'appel, dans son arrêt du 6 novembre 2014 précité, " la Cour de justice a, dans [l'arrêt Post Danmark A/S contre Konkurrencerådet, aff. C-23/14, point 27] estimé que cette grille de lecture n'est pas seulement pertinente pour apprécier la licéité de pratiques de prix prédateurs, en se fondant sur une comparaison des prix concernés et de certains des coûts encourus par l'entreprise dominante ainsi que sur la stratégie objectivement menée par celle-ci, mais aussi, plus largement, pour apprécier la légalité de toute pratique de prix bas mise en œuvre par une entreprise occupant une position dominante au regard de la prohibition des abus de position dominante " (115).

146. En effet, dans le cas de l'affaire Post Danmark, les autorités danoises de la concurrence n'avaient pu identifier l'existence d'un plan ayant pour but d'éliminer un concurrent. Relevant ce fait, la Cour n'en conclut pas moins qu'" afin d'apprécier l'existence d'effets anticoncurrentiels dans des circonstances telles que celles de ladite affaire, il y a lieu d'examiner si cette politique de prix, sans justification objective, a pour résultat l'éviction effective ou probable de ce concurrent, au détriment du jeu de la concurrence et, de ce fait, des intérêts des consommateurs ".

147. Selon les conclusions de l'avocat général Mengozzi, cela pourrait être le cas, dans cette même affaire, en présence d'un subventionnement croisé permettant à l'entreprise de ne pas subir les effets de la politique tarifaire qu'elle impose à ses concurrents : " Eu égard à la responsabilité particulière d'une entreprise en position dominante quant au maintien de la structure concurrentielle du marché, le recours à de telles subventions croisées entraînerait, à terme, un risque réel d'éviction du concurrent et légitimerait donc, (..) l'intervention préventive des autorités de la concurrence. "

148. En pratique, en droit interne comme en droit européen (116), la mise en œuvre du test de coût, qu'il s'agisse d'apprécier l'existence d'un prix prédateur ou d'une pratique ayant un effet d'éviction, mobilise un double standard de coût et s'articule ainsi :

- zone blanche : lorsque les prix pratiqués par l'entreprise en position dominante sont supérieurs aux coûts totaux moyens (CTM, défini comme la moyenne de tous les coûts qu'une entreprise supporte) dans l'hypothèse d'une entreprise mono-produit, la pratique peut être présumée licite. Le prix couvre en effet le coût à long terme, de sorte que l'entreprise dont on examine le coût peut être profitable. Le standard de coût incrémental moyen (CIM habituellement, défini comme la moyenne de tous les coûts qui auraient pu être évités en ne produisant pas du tout un produit déterminé), peut être un substitut adéquat au standard de coût total moyen dans l'hypothèse d'une entreprise multi-produits (117) ;

- zone noire (ou rouge) : lorsque les prix pratiqués par l'entreprise en position dominante sont inférieurs à la moyenne des coûts évitables (CEM, défini comme la moyenne des coûts qui auraient pu être évités si l'entreprise n'avait pas produit la quantité de produit qui fait l'objet de l'analyse) (118) en principe (119), la pratique peut être présumée abusive. En effet, le prix ne couvre pas le CEM, c'est-à-dire le coût à court terme, de sorte que l'entreprise dont on examine le coût subit une perte supplémentaire pour toute vente ;

- zone grise : lorsque les prix sont inférieurs au standard de coût à long terme (CTM/CIM) mais supérieurs au standard de coût à court terme (CEM en principe), la pratique doit être considérée comme abusive s'il peut être prouvé soit que les prix sont fixés dans le cadre d'un plan ayant pour but d'éliminer un ou des concurrent(s), soit que les prix sont susceptibles de provoquer des effets, potentiels ou réels, d'éviction. Cette preuve peut être apportée, notamment mais non exclusivement (120), à partir d'éléments de preuve documentaire attestant une stratégie anticoncurrentielle de la part de l'entreprise dominante (prédation) (121). Cette preuve peut également être apportée à partir de l'existence d'un subventionnement croisé, en ce qu'il atteste que l'entreprise en position dominante est en mesure de conserver sur une longue période des prix inférieurs à ses coûts à long terme et par conséquent d'exclure ses concurrents (prédation ou effet d'éviction) (122).

149. En l'espèce, c'est donc d'abord à partir de l'examen de la couverture des coûts totaux moyens ou des coûts moyens évitables par les prix des offres d'Engie que peut être discutée l'existence de prix prédateurs ou de prix d'éviction.

150. À titre préalable cependant, dans la présente affaire qui porte sur un secteur régulé, la méthode d'appréciation des coûts, qui font l'objet d'une répartition par l'autorité sectorielle entre offres de marché et offres aux TRV, doit faire l'objet d'un examen particulier.

L'interaction entre droit de la concurrence et régulation sectorielle dans la détermination des coûts pertinents

Principes applicables

151. D'une manière générale, l'existence d'un cadre réglementaire spécifique assurant la régulation d'un secteur ouvert à la concurrence ne place pas celui-ci en dehors du champ d'application des règles de droit de la concurrence, ni ne contraint les solutions que pourrait adopter l'Autorité de la concurrence lorsque l'entreprise en cause dispose, dans ce cadre réglementaire, d'une autonomie de conduite (123). La Commission européenne a, par exemple, souligné ce point dans sa décision Telefónica, confortée par la Cour de justice, qui a indiqué que " le fait que le comportement d'une entreprise soit conforme à un cadre réglementaire n'implique pas que ce comportement soit conforme à l'article 102 TFUE " (124).

152. Compte tenu de cette articulation entre régulation sectorielle et droit de la concurrence, le coût d'un service déterminé par la comptabilité réglementaire tenue par une entreprise dominante en application des règles sectorielles ne saurait être, à titre général, l'étalon à l'aune duquel doivent nécessairement être appréciées les pratiques tarifaires de cette entreprise au regard des règles de droit de la concurrence.

153. Toutefois, rien n'empêche les autorités de concurrence de retenir des données résultant de l'application de règles sectorielles pour mener leurs analyses, dès lors que ces données permettent d'établir l'existence ou non d'une violation des règles du droit de la concurrence.

154. À cet égard, la comptabilité réglementaire d'un opérateur établie par application des règles sectorielles visant, comme le prévoient les articles L. 111-86 et L. 111-89 du code de l'énergie, à limiter les risques de discriminations, de subventions croisées et de distorsions de concurrence entre les activités protégées et les activités concurrentielles peut être d'une grande utilité. Dans l'affaire Telefónica précitée, la Commission a ainsi retenu certaines données de la comptabilité réglementaire dans son test de ciseau. Elle a en effet considéré que les coûts de commercialisation affectés au service en cause dans la comptabilité réglementaire, même s'ils étaient à l'évidence inférieurs aux coûts réellement subis, pouvaient constituer en l'espèce un élément pertinent à défaut de données plus précises disponibles puisqu'ils permettaient de conclure à l'existence d'une pratique anticoncurrentielle (125). Application à l'espèce

155. Afin de prévenir les risques de discriminations, de subventions croisées et de distorsions de concurrence entre les activités protégées de fourniture aux TRV et les activités concurrentielles en offres de marché, l'article L. 111-88 du code de l'énergie a prévu une obligation de dissociation comptable pour les fournisseurs historiques, dont les principes sont approuvés par la CRE. La délibération de la CRE du 11 février 201009-A-54 de l'Autorité de la concurrence, a en conséquence approuvé les principes proposés par Engie pour l'établissement de comptes dissociés. (126), qui a donné lieu à l'avis n°

156. Les comptes séparés établis pour éviter les subventions croisées, et qui n'imposent une régulation qu'aux TRV, n'ont aucunement vocation à fixer l'allocation des coûts aux offres de marché d'Engie ni à fixer les prix de celles-ci. Ils ne déterminent pas ce que sont les coûts réellement encourus par Engie pour construire ses offres de marché prises ensemble ou isolément et ne réduisent pas l'autonomie de conduite d'Engie dans la détermination du prix de ces dernières.

157. En effet, la comptabilité dissociée ne prévoit pas d'affectation directe des coûts commerciaux, qui sont considérés comme une charge commune aux deux types d'offres, au même titre que les fonctions support comme les frais de siège ou la recherche-développement. Les coûts commerciaux enregistrés dans leur globalité ne sont donc pas distingués, que ce soit selon leur nature (gestion des abonnés, campagnes publicitaires, mailings, activité des centres d'appels...), ou selon le type d'offre, réglementée ou de marché. Il n'existe pas non plus de distinction selon la ventilation des ces coûts entre les clients résidentiels et les petits professionnels (rassemblés par Engie dans la catégorie unique " clientèle de masse ").

158. Afin d'identifier les postes de coût devant faire l'objet d'une imputation aux offres de marché, il aurait été intéressant d'isoler les coûts réellement liés à ces offres. L'Autorité de la concurrence avait estimé, lors de l'appréciation des règles d'allocation soumises par Engie dans l'avis n° 09-A-54 du 3 novembre 2009 relatif aux principes d'établissement de comptes séparés pour les ventes de gaz au client final de GDF que, " S'agissant d'une activité de négoce, ces charges [commerciales] constituent, aux côtés des conditions d'achat du gaz aux pays producteurs, le facteur déterminant dans le résultat dégagé par GDF. Il s'agit également du point clé, sur lequel peuvent se différencier les offres des fournisseurs en concurrence " (127).

159. En l'absence d'une telle analyse, la charge commune des coûts commerciaux est répartie entre TRV et offres de marché pour établir la comptabilité dissociée en fonction de clés de répartition réglementaires, définies par la délibération de la CRE du 11 février 2010. Les coûts commerciaux sont répartis entre les offres de marché et les TRV à 40 % au prorata du chiffre d'affaires et à 60 % au prorata du nombre de clients pour la clientèle de masse, et à 35 % au prorata du nombre de clients et 65 % au prorata du chiffre d'affaires pour les gros clients non résidentiels (Entreprises et Collectivités).

160. Ces clés de répartition réglementaires, fixées en 2010, ne reflètent plus de façon satisfaisante la réalité des coûts subis aujourd'hui par Engie pour les TRV, dans la mesure où elles ont été fixées avant qu'Engie ne développe considérablement sa politique de promotion commerciale des offres de marché, et donc le coût de la promotion de ces nouvelles offres.

161. La CRE a souligné les limites de cette clé de répartition dans son rapport d'audit sur les tarifs réglementés de vente de gaz d'Engie de 2014 en insistant sur la nécessité de soustraire, aux fins du calcul de la part attribuable aux TRV, les coûts commerciaux spécifiquement dédiés au développement des offres de marché des coûts communs afférents aux différents types d'offres (128).

162. En effet compte tenu de l'accélération de la stratégie de conversion des clients aux TRV vers les offres de marché évoquée supra, cette répartition apparaît sans rapport avec la réalité des coûts subis par Engie pour fournir les offres de marché sur la totalité de leur durée. En effet, les données communiquées par Engie montrent que les nouveaux contrats souscrits par des clients résidentiels auprès de l'opérateur historique concernent pour [80-90]% en 2014 et [90-100]% en 2015 des offres de marché et non des offres aux TRV (129). Engie alloue donc comptablement des sommes significatives aux offres aux TRV pour des dépenses de communication et des dépenses liées à des prestataires de centres d'appels alors que, manifestement, ces offres ne font plus l'objet d'une promotion auprès du public.

163. Dès son rapport d'audit de mai 2014, la CRE a recommandé que certains de ces coûts, pour une assiette globale d'environ 5 millions d'euros, soient retirés des TRV. Un an plus tard, la CRE a considéré, dans sa délibération du 18 juin 2015, que, pour refléter la réalité des coûts sur la période mi 2015- mi 2016, au minimum 9 millions d'euros au titre d'actions commerciales spécifiques aux offres de marché et 4,5 millions d'euros au titre des coûts de plateformes téléphoniques dédiées aux offres de marché devaient ne pas être affectés aux offres aux TRV (130).

164. Cependant, la CRE a également relevé que la réaffectation demandée en 2015 n'épuisait pas la totalité des reclassements qui devraient être effectués pour refléter la réalité des coûts commerciaux (131). Le régulateur a considéré que compte tenu de l'inadéquation de la clé, de nouvelles règles de comptabilité réglementaire devaient être adoptées, ce qui fait actuellement l'objet de travaux. Il a envisagé dans son avis sur la présente affaire que, pour les coûts qui ne pourraient être alloués directement, une répartition en fonction du nombre de nouveaux contrats vendus sur une période permettrait de mieux refléter la réalité (132)

165. Ainsi, dans son rapport d'audit de 2015, la CRE a noté que " Le portefeuille de clientèle de GDF SUEZ a sensiblement évolué lors de ces derniers exercices. Les volumes de vente aux clients aux tarifs réglementés ont significativement diminué au profit des offres de marché, dans un contexte de fin de certains tarifs réglementés (...). Des actions commerciales menées par GDF SUEZ sont ainsi principalement dédiées au développement de son portefeuille de clients en offres de marché (exemples : campagnes de publicité ciblées, plateforme téléphonique). S'agissant des coûts associés à ces actions, les clés de répartition précédemment décrites conduisent à affecter pour partie ces coûts aux clients aux tarifs réglementés. La CRE considère qu'il n'est pas pertinent d'affecter aux clients aux tarifs réglementés les coûts de ces actions " (133).

166. Il résulte de ces différents éléments que l'affectation des coûts commerciaux résultant de l'application des règles de la comptabilité réglementaire, qu'Engie a choisi d'utiliser pour fixer ses prix, ne peut que conduire Engie à sous-estimer les coûts qu'elle encourt réellement pour fournir ses offres de marché. L'appréciation de la couverture des coûts des offres de marché par les prix devra donc systématiquement prendre en considération cette donnée.

c) L'analyse des documents fournis par Engie en ce qui concerne la clientèle résidentielle

167. Selon la CRE, " lors des deuxième et troisième trimestres 2014, l'offre à prix fixe d'Engie est momentanément à un niveau supérieur à celui du tarif réglementé, avant de redevenir bien plus attractive fin 2014. Au cours des trois premiers trimestres de l'année 2015, l'offre à prix fixe d'Engie est devenue la plus basse du marché juste derrière l'offre de Lampiris ", sachant qu'" à partir de fin 2014, l'offre à prix fixe d'Engie devient moins chère que l'offre à prix variable de Direct Energie pour le client type B1 et les deux offres sont à peu près au même niveau au cours de l'année 2015. Sur le segment résidentiel, Engie ne commercialise pas d'offre de marché à prix variable. " (134)

168. À ce stade de l'instruction, il apparaît qu'Engie a adopté sur le marché résidentiel une nouvelle stratégie tarifaire, plus agressive, à compter de la mi-2014.

169. Engie a fourni pour l'analyse de la couverture des coûts des offres à la clientèle résidentielle des documents portant respectivement sur la profitabilité ex post et ex ante :

- une analyse ex post portant sur l'EBITDA et le ROC (résultat opérationnel courant) issus de ces offres ;

- un document depuis une perspective ex ante sur la couverture de l'ensemble des offres.

170. La couverture des coûts à long terme de ces offres par les prix depuis ces deux perspectives est examinée successivement.

L'analyse ex post

171. L'analyse ex post de l'EBITDA (bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement) et du ROC (résultat opérationnel courant) contenue dans le document " V2- PL [...] CHP - REPARTITION PART PRO vDEF OM " (135) fait apparaître un résultat opérationnel courant légèrement négatif pour la seule année 2014, qu'Engie explique principalement par le fait que les conditions climatiques plus clémentes cette année-là auraient eu un impact significatif sur les volumes consommés par la clientèle résidentielle et, partant, sur les résultats (136). Ce document ex post ne permet cependant pas d'apprécier la couverture de ses coûts par Engie pour trois motifs.

172. Cette analyse présente en premier lieu un défaut intrinsèque à sa nature ex post : les données qu'elle contient sont soumises à des aléas, et en particulier à un effet climatique dont l'impact sur les résultats d'un test de couverture de coût est délicat à examiner au stade d'une demande de mesures conservatoires. Engie ne précise pas en effet comment et dans quelle proportion une correction de cet effet impacterait la profitabilité de ses offres de marché destinées aux clients résidentiels.

173. En deuxième lieu, et surtout, l'analyse ex post communiquée par Engie amalgame le résultat de l'ensemble des fournitures de gaz sans distinguer selon que l'offre a été conclue durant l'année ou les années précédentes. Compte tenu de la forte baisse des prix des offres de marché intervenue fin 2014, la dégradation du résultat entre 2013 et 2014, même en tenant compte de l'effet climatique, montre que les offres souscrites par les clients durant l'année 2014 pourraient ne pas avoir été rentables pour l'entreprise, dans la mesure où il est établi que le résultat global d'Engie pour l'ensemble de ses offres de marché, tous types de clients confondus, corrigé de l'effet climatique, s'est considérablement dégradé entre 2013 et 2014 : le résultat d'exploitation hors coûts financiers rapporté au volume de gaz vendu a ainsi diminué de près de 75 % entre 2013 et 2014 (137).

174. Enfin, cette analyse ex post repose sur des données de coûts commerciaux minorées puisqu'Engie détermine son résultat à partir, notamment, d'une répartition des coûts commerciaux entre offres de marché et offres aux TRV fondée sur la clé d'allocation de la comptabilité réglementaire, qui reflète incorrectement, comme il a été dit aux paragraphes 160 et suivants, la réalité actuelle des coûts commerciaux engagés par Engie pour ses offres de marché aux clients résidentiels.

175. En conclusion, l'analyse ex post des offres résidentielles à partir des documents fournis par Engie ne permet pas de conclure sur la profitabilité de ces offres. La perspective ex ante

176. Engie a communiqué aux services d'instruction le 5 novembre 2015 un document intitulé " PnL par offres Volume prévisionnel (Résidentiels) " (138), qui contient une analyse de la profitabilité des offres de marché aux clients résidentiels par type d'offres (prix fixe 1 an, 2 ans, 3 ans, 4 ans et prix ajustable 3 ans) et une analyse pour l'ensemble de ces offres. Cette analyse est prévisionnelle dans la mesure où les données de volume reposent sur les consommations annuelles de références et les données pour les mois de septembre, octobre et novembre 2015 sont les données prévisionnelles issues du reporting de ventes (et non les données constatées) (139). Cette analyse repose en outre sur un raisonnement en cohorte d'abonnés, les données pour chaque période correspondant aux données des clients souscrivant l'offre sur cette période et représentant les revenus et les coûts liés à la fourniture de gaz sur la totalité de la durée de l'offre (140).

177. L'examen de la profitabilité annuelle déterminée à partir d'un standard de coût total moyen de chacune des offres d'Engie présentée dans ce document permet de constater, et Engie le reconnaît dans ses observations (141), que l'entreprise anticipait ne pas être profitable pour l'année 2015 sur son offre prix fixe 1 an.

<EMPLACEMENT TABLEAU>

178. Engie précise dans ses observations que les prix de son offre 1 an seraient toujours restés à un niveau supérieur au coût incrémental moyen à long terme. Invitée à fournir, à la suite d'une demande du collège formulée en séance, une note en délibéré justifiant la couverture du CIMLT, elle n'a présenté de données que pour le mois de novembre 2015. (142)

179. L'examen des autres offres (prix fixe 2 ans, 3 ans, 4 ans et prix ajustable 3 ans) présentées dans le document consacré à la profitabilité des offres intitulé " PnL par offres Volume prévisionnel (Résidentiels) " (143) montre qu'Engie couvrirait globalement son coût total moyen (c'est-à-dire, dans le vocable d'Engie, le coût complet (144) sur la période octobre 2014-novembre 2015 (145).

180. Cette analyse ex ante prend en considération les montants de coûts commerciaux issus de l'application de la clé d'allocation entre offres de marché et offres aux TRV de la comptabilité réglementaire. L'analyse de la CRE

181. Comme il a été précisé plus haut, dans la comptabilité réglementaire, les coûts commerciaux sont répartis entre les offres en application d'une clé d'allocation à 40 % au prorata du chiffre d'affaires et à 60 % au prorata du nombre de clients. Sur cette base, la mise en œuvre de la clé de répartition conduit à faire supporter aux offres de marché environ [16-27] % du total des coûts commerciaux de la clientèle résidentielle en 2015, et [9-20] % en 2014 (146).

182. La CRE a précisé dans sa délibération portant avis sur l'affaire en cause, que les travaux en cours sur l'évolution de la comptabilité réglementaire d'Engie visaient " à refléter plus fidèlement la répartition des coûts commerciaux entre les activités TRV et offres de marché, y compris les coûts des plateformes téléphoniques " et que, dans cette perspective, " une répartition des coûts de promotion et de traitement des appels entrants en fonction

Les contrats en offres de marché représentent, comme on l'a vu plus haut [90-100 %] de nouveaux contrats souscrits en 2015

d) L'analyse des documents fournis par Engie en ce qui concerne la clientèle non résidentielle 188. Engie a communiqué dans le cadre de l'instruction les analyses de profitabilité (ou P&L pour Profit and Loss analyses) établies depuis le 1er janvier 2012 pour chacune des offres de marché aux clients non résidentiels selon une périodicité trimestrielle, ainsi que l'ensemble des analyses de profitabilité ex post établies depuis la même date et portant sur tout ou partie des offres de marché aux clients non résidentiels (152). L'analyse ex post

189. À titre préliminaire, il convient de relever que les trois analyses ex post portant sur la clientèle non résidentielle communiquées par Engie (153) ne permettent, pas plus que dans le cas de la clientèle résidentielle, d'apprécier la couverture de ses coûts par Engie pour plusieurs motifs.

190. Le premier tient au périmètre inadéquat de l'analyse : les analyses relatives aux plus gros professionnels amalgament les données relatives aux offres de marché des clients non résidentiels raccordés au réseau de distribution avec celles des clients non résidentiels raccordés au réseau de transport (154), qui n'appartiennent pas au même marché.

191. Par ailleurs, ces analyses ex post souffrent des mêmes limites que celles évoquées précédemment dans le cas des offres résidentielles : elles combinent le résultat de l'ensemble des fournitures de gaz sans distinguer selon que l'offre a été conclue durant l'année ou les années précédentes ; elles minorent les coûts commerciaux dans les mêmes conditions que décrites ci-dessus. La perspective ex ante

192. Le 25 novembre 2015, Engie a communiqué aux services d'instruction un premier document intitulé " V3 Diffusion marges nettes ex ante non résidentiel " (155). Il s'agit d'une " estimation ex ante de marge nette établie pour les OM vendues aux clients non résidentiels. Ces données sont fondées sur les quantités prévisionnelles des contrats effectivement conclus et sur les marges associées, desquelles ont été soustraites les coûts commerciaux évalués ex ante à la date de contractualisation " (156).

193. Ce document, qui concerne l'ensemble des offres non résidentielles considérées dans une perspective ex ante, fait apparaître qu'Engie pouvait anticiper une marge nette ex ante négative pour l'année 2014 et pour la période janvier-octobre 2015.

<EMPLACEMENT TABLEAU>

194. Engie a reconnu durant la séance être en zone grise sur l'ensemble de ces offres.

195. Deux autres documents communiqués le 25 novembre 2015 aux services d'instruction permettent d'identifier les deux types d'offres qui sont, au sein de ce marché, à l'origine de l'absence de profitabilité globale, l'offre catalogue à prix fixe 3 ans à certaines périodes, d'une part, les offres individualisées aux entreprises, d'autre part. ? Les offres catalogue

196. En ce qui concerne les offres catalogue, Engie a communiqué le 25 novembre 2015 un document intitulé " Offres grille non résidentiels " (157). Ce document contient une analyse ex ante de la marge nette (marge sur coût total moyen) de chacune des offres de marché d'Engie sur catalogue réalisée en cohorte d'abonnés, c'est-à-dire en tenant compte sur le mois de souscription de l'offre par le client de l'ensemble des revenus et des coûts générés par la fourniture de gaz sur l'entière durée de cette offre (158).

197. Les analyses par type d'offres montrent que la marge nette ex ante pour les offres 1 an et 2 ans, qui représentent une part limitée (moins de 20 % à elles deux) des offres souscrites par les petits professionnels, est toujours assez nettement positive.

198. En revanche, en ce qui concerne l'offre à prix fixe 3 ans, qui est souscrite par [70-90] des clients petits professionnels (159), il apparaît que la marge nette ex ante est négative pour plusieurs campagnes mensuelles de commercialisation de l'offre, ce qu'Engie a confirmé lors de la séance devant l'Autorité.

<EMPLACEMENT TABLEAU>

199. Les résultats de ces analyses montrent qu'Engie, qui le reconnaît, n'a pas couvert le coût total moyen de fourniture de son offre de marché à prix fixe 3 ans sur plusieurs campagnes mensuelles de commercialisation de l'offre. Ces campagnes mensuelles représentent une proportion limitée du portefeuille de clients d'Engie mais, compte tenu du fait que les données de coût utilisées dans ces analyses reposent en partie sur l'application de la comptabilité réglementaire, il n'est pas exclu qu'un nombre plus important de campagnes mensuelles soit concerné par une absence de couverture des coûts (160).

L'absence de couverture du coût à court terme des offres dites " individualisées "

- La méthodologie suivie par Engie

200. Les offres individualisées, c'est-à-dire les offres de marché aux clients non résidentiels ne faisant pas l'objet d'un prix préétabli (offres catalogue ou de la grille), représentent, en volume, plus de 80 % du marché non résidentiel.

201. Dans ses observations, Engie explique que le prix de ses offres " individualisées ", s'il est inférieur au coût total moyen, est toujours supérieur au coût évitable subi pour fournir ces offres.

202. Engie explicite ainsi la construction de ses offres : " Afin de préparer la réponse à un appel d'offres ENGIE est conduite à évaluer les différentes briques de coûts qui seront prises en considération pour l'élaboration de son offre, et en particulier les différents postes de coûts liés à une fourniture donnée, celle-ci étant définie en fonction d'un ensemble de paramètres tenant aux quantités de gaz naturel, à la durée des contrats, aux profils de consommation ou encore à la localisation de chacun des différents sites qui entrent dans le périmètre de consommation affecté par l'appel d'offres.

La somme de ces différentes briques de coûts permet d'identifier un coût total propre à chaque appel d'offres. Ensuite, en fonction de la situation concurrentielle à laquelle elle doit faire face, ENGIE décide de participer ou non à l'appel d'offres considéré et, le cas échéant, d'opérer un ensemble d'ajustements lui permettant d'adapter son offre au contexte concurrentiel tout en s'assurant que cette offre lui permette a minima de couvrir les coûts qu'elle serait amenée à encourir spécifiquement en cas de succès à cet appel d'offres " (161).

203. Dans cette perspective, plusieurs briques de coût peuvent selon l'entreprise être considérées comme totalement ou partiellement inévitables, que l'offre d'Engie soit acceptée par le client ou pas, et peuvent donc ne pas être totalement prises en compte lorsque le standard de coût utilisé est un standard de coût à court terme. Afin d'adapter l'offre au contexte concurrentiel, ces postes de coût peuvent donc être " neutralisés " par Engie pour la construction du prix d'une offre (" ajustements " cités supra). Il s'agit des postes suivants :

- le coût de la molécule. Engie ferait face à des engagements d'achat sur ses contrats à long terme trop importants par rapport aux volumes vendus en 2014. Dès lors, qu'elle participe ou non aux appels d'offres, le coût de la molécule serait inévitable. Comme ce gaz excédentaire peut néanmoins être revendu sur le marché de gros, Engie le valorise au niveau du prix moyen sur les marchés de gros dans une logique de coût d'opportunité (162) ;

- le coût du stockage. Le calendrier de réservations de capacité de stockage par Engie ne s'opérant qu'à quelques moments de l'année, Engie peut avoir déjà souscrit des capacités de stockage correspondant à des volumes remis en concurrence, de sorte qu'au moment de l'appel d'offres le coût de ces capacités serait un coût inévitable (163) ;

- les coûts commerciaux et de structure. Selon Engie, ces coûts sont inévitables à l'échelle d'un appel d'offres individuel (164), et peuvent donc ne pas être pris en compte dans la construction des prix d'une offre ;

- les certificats d'économie d'énergie (ou CEE), qui sont valorisés par Engie au prix de marché à la date de dépôt de l'offre, et non au prix moyen d'obtention de ces certificats constaté dans ses comptes, qui est plus élevé (165).

- L'analyse des documents fournis par Engie : les documents globaux.

204. Le document intitulé " Diffusion marges ex ante Prix individualisés " (166), permet, outre une analyse de la couverture du coût total moyen, l'analyse de la marge sur coût évitable des offres individualisées proposées aux clients non résidentiels. Cette analyse repose sur un raisonnement en cohorte d'abonnés, les données pour chaque période correspondant aux données des clients souscrivant l'offre sur cette période et représentant les revenus et les coûts liés à la fourniture de gaz sur la totalité de la durée de l'offre (167).

205. En séance, Engie a reconnu être en " zone grise " dans une perspective ex ante, pour les offres individualisées prises dans leur ensemble depuis le mois de juillet 2014 (l'analyse s'arrêtant au mois de septembre 2015) (168). Le document présenté par Engie confirme que le prix des offres individualisées d'Engie a été fixé à un niveau ne permettant pas la couverture du coût à long terme de fourniture de ces offres.

206. La question de la profitabilité à court terme de l'ensemble de l'activité de fourniture d'offres individualisées se pose également.

207. Si le document cité ci-dessus (" Diffusion marges ex ante Prix individualisés ") ne repose pas expressément sur un standard de coût évitable, il propose une analyse en termes de marges brutes qui peut, au stade de l'examen de la demande de mesures conservatoires au moins, être considérée comme la meilleure approximation d'une marge sur coût évitable et reste, en tout état de cause, l'indicateur de profitabilité à court terme retenu par Engie elle-même comme pertinent.

208. Pour 2014 comme pour la période janvier-septembre 2015 renseignée, cette marge est positive mais faible (en moyenne inférieure à [...] euros/Mwh) (169).

209. Cependant, contrairement à la méthodologie exposée ci-dessus (§200), la " marge pricée ex ante " contenue dans ce document est définie par Engie comme la marge brute ex ante, " sans déduction de la part des recettes estimées destinées à couvrir les coûts liés aux CEE " (170), les certificats d'économie d'énergie, et sans déduction des coûts commerciaux (171).

210. Il convient cependant de tenir compte au moins de ces deux derniers postes de coûts.

211. Il ne fait en effet aucun doute que le coût des certificats d'économie d'énergie constitue un coût évitable, puisqu'en l'absence de fourniture de l'offre, Engie ne subit pas le coût du certificat associé à la fourniture des volumes de gaz. Il convient donc de prendre en compte le coût des certificats d'énergie, valorisé à environ [...] euro/Mwh pour 2014 et 2015 dans les analyses de profitabilité soumises aux services d'instruction dans lesquelles il est indiqué (172), ce qui conduit à retenir une marge brute inférieure à [...] euro/Mwh.

212. Par ailleurs, alors que la marge brute estimée par Engie ne prend en compte aucun coût commercial, le processus d'élaboration des offres individualisées, qui exige le recours à des compétences particulières pour des études non reproductibles, et les démarches commerciales nécessaires pour obtenir ces contrats très disputés, exclut que l'ensemble de ces coûts puissent relever uniquement de coûts fixes non évitables. Il en va de même au niveau de la fourniture de l'ensemble des offres individualisées, qui représentent la majeure partie de l'activité d'Engie sur le marché non-résidentiel, et dont au moins une partie des coûts commerciaux, sur un horizon temporel d'une année, doivent être considérés comme évitables.

213. De fait, Engie elle-même valorise à d'autres occasions ce coût commercial. En effet, en réponse à une question du rapporteur sur les indemnités imposées aux clients non résidentiels en cas de résiliation anticipée, Engie précise, sans exclure de sa réponse les appels d'offres, que " Le niveau des frais de résiliation reflète une réalité économique. En effet, le calcul de ces frais reflète les coûts de stockage, les coûts commerciaux et les coûts liés aux couvertures financières sur les volumes de ventes prévisionnels qui doivent être acquittés par ENGIE en cas de résiliation anticipée du contrat " (173).

214. Surtout, dans sa délibération portant avis sur l'affaire en cause, la CRE a étudié plus particulièrement le cas de l'appel d'offres du SIEM cité par Direct Energie (§125). Elle relève que " tandis que les ajustements finaux concernant les coûts de stockage et les coûts des CE doivent faire l'objet d'investigations supplémentaires, ENGIE n'a pris en compte aucun coût commercial pour déterminer son coût de vente final. (...) Les coûts commerciaux variables, qui sont fonction du nombre de kilowattheures vendus, et n'auraient pas été supportés en l'absence de fourniture de ces sites, s'élèvent à plusieurs euros par mégawatheure ". La CRE relève également que, selon les déclarations d'ENGIE, la méthodologie appliquée dans le cas de l'appel d'offres SIEM reflète celle généralement retenue dans la détermination des prix qu'elle propose aux clients professionnels raccordés au réseau de distribution.

215. Or, la réintégration même d'une quote-part seulement des coûts commerciaux de " plusieurs euros par mégawattheure " au niveau de l'ensemble de l'activité de fourniture d'offres individualisées se traduirait par une marge brute négative, compte tenu de la faiblesse de la marge définie ci-dessus au paragraphe 211.

- L'analyse des 50 plus gros appels d'offres

216. Les conclusions précédentes sont confirmées par l'analyse des documents fournis sur les 50 appels d'offres les plus importants en volume remportés par Engie sur la période 2013-2015 (174), qui représentent une fraction significative de l'activité d'Engie (pour 2014 [...] des volumes des offres individualisées fournis par l'opérateur historique (175).

217. De ces documents peuvent être extraites la marge brute et, lorsqu'elle est indiquée, la marge nette. Engie a dégagé sur ces contrats des marges brutes très faibles, en général et en moyenne inférieures à 1 euro/Mwh (176) et inférieures aux objectifs de marges brutes (177), ainsi que des marges nettes constamment négatives lorsqu'elles sont indiquées (178).

218. Pour environ [...] des cinquante appels d'offres analysés (179), la seule prise en compte du coût des certificats d'énergie (180) priverait Engie de toute marge sur coût évitable à court terme.

219. La prise en compte d'une quote-part des coûts commerciaux, même sous la forme d'un minorant arbitrairement fixé à un euro seulement, entraînerait une absence de marge sur coûts à court terme pour plus de 80 % de l'échantillon de 50 appels d'offres.

220. Si cette quote part était portée à deux euros, ce qui reste le bas de la fourchette évoquée par la CRE (cf. supra), la quasi-totalité des offres, à l'exception d'une voire deux, ne couvriraient pas leurs coûts évitables à court terme.

221. Il y a donc lieu de considérer que les prix proposés par Engie pour l'ensemble de son activité de fourniture d'offres individualisées aux clients non résidentiels sont susceptibles de ne pas lui permettre de couvrir ses coûts évitables.

e) Conclusion sur l'analyse des documents fournis par Engie

222. En conclusion de l'examen des pratiques tarifaires auquel il vient d'être procédé, il peut être retenu que sur le marché non résidentiel, les offres individualisées sont susceptibles de ne pas couvrir leurs coûts à court terme. Ces offres en " zone noire " peuvent de ce fait être présumées illicites.

223. Ceci est suffisant pour considérer que la stratégie tarifaire mise en place par Engie pour ces offres est susceptible de constituer, en l'état des éléments produits aux débats, une pratique contraire aux articles L. 420-2 du code de commerce et 102 TFUE. Celle-ci nécessite la poursuite de l'instruction au fond.

224. Sur le marché des offres résidentielles, Engie ne couvre vraisemblablement pas sur l'ensemble des offres 2014-2015 le coût total moyen de l'ensemble de ces offres, compte tenu notamment de l'absence de retraitement des coûts commerciaux issus de la comptabilité réglementaire ; ces offres sont en conséquence susceptibles de se situer en zone grise.

225. Engie reconnaît par ailleurs que l'ensemble de son offre non résidentielle se situe en zone grise, notamment en ne couvrant pas sur toutes les périodes le coût total moyen ex ante de fourniture de ses offres de marché à prix fixe trois ans, c'est-à-dire l'offre souscrite auprès d'Engie par plus de [...] % des clients petits professionnels d'Engie (181).

226. Pour l'ensemble de ces offres en " zone grise ", il convient de rechercher si d'autres indices au dossier confirment que les prix pratiqués sont effectivement susceptibles de constituer des prix de prédation ou d'éviction.

f) Sur les autres indices de prédation ou d'effets d'éviction concernant les offres catalogue en zone grise

227. Ainsi qu'il est rappelé ci-dessus (182), lorsque les prix sont inférieurs au standard de coût à long terme (CTM/CIM) mais supérieurs au standard de coût à court terme (CEM en principe), la pratique peut être considérée comme abusive s'il peut être prouvé soit que les prix sont susceptibles d'être fixés dans le cadre d'un plan ayant pour but d'éliminer un ou des concurrent(s), soit que les prix sont susceptibles de provoquer des effets, potentiels ou réels, d'éviction. La question se pose ici pour les offres " catalogue " résidentielles et non résidentielles, comme il a été vu plus haut.

228. En l'occurrence, deux constats pourraient, à ce stade de l'instruction, appuyer l'existence d'une prédation ou d'effets d'éviction pour les offres dont la couverture des coûts relève de la " zone grise ", en ce qu'ils attestent qu'Engie est en mesure de conserver sur une longue période des prix inférieurs à ses coûts à long terme : l'existence d'un subventionnement croisé et l'absence de détermination raisonnable de ses prix par Engie. L'allocation des coûts commerciaux comme source de subventionnement croisé au profit des offres de marché

229. Dans ses décisions EDF/Citélum (183), Gaz et Electricité de Grenoble (184) et Française des Jeux (185), le Conseil de la concurrence a considéré que si " une entreprise publique disposant d'un monopole légal, qui utilise les ressources de son activité monopolistique pour subventionner une nouvelle activité, ne méconnaît pas, de ce seul fait, les dispositions de l'article L. 420-2 du code de commerce, (...) en revanche (...) est susceptible de constituer un abus le fait, pour une entreprise disposant d'un monopole légal, c'est-à-dire un monopole dont l'acquisition n'a supposé aucune dépense et est insusceptible d'être contesté, d'utiliser tout ou partie de l'excédent des ressources que lui procure son activité sous monopole pour subventionner une offre présentée sur un marché concurrentiel lorsque la subvention est utilisée pour pratiquer des prix prédateurs ou lorsqu'elle a conditionné une pratique commerciale qui, sans être prédatrice, a entraîné une perturbation durable du marché qui n'aurait pas eu lieu sans elle " (186).

230. Il ressort de cette pratique décisionnelle, confirmée par la cour d'appel de Paris et la Cour de cassation148), l'existence d'une subvention croisée peut donc constituer un élément factuel pertinent pour apprécier un effet d'éviction ou l'existence d'une prédation (187), que le subventionnement croisé d'activités peut être un moyen mis en œuvre par une entreprise dominante pour supporter un prix bas sur une longue durée sur un marché concurrentiel. Comme il a été précisé plus haut (§ (188).

231. Au cas d'espèce, comme indiqué ci-avant, Engie n'a pas réintégré dans le coût de ses offres de marché, au moins jusqu'en janvier 2016, les coûts commerciaux identifiés par la CRE en mai 2014 puis en mai 2015 comme devant être exclus des coûts pris en compte pour le calcul des TRV. Ainsi que le précise la CRE dans son avis (p.24), " par ces révisions, la CRE souhaitait prévenir les risques de subventions croisées entre les activités de fourniture aux TRV et en offres de marché " (189).

232. Au-delà de ces révisions, la CRE n'a pas identifié, de son propre aveu, l'ensemble des coûts commerciaux affectés aux offres aux TRV alors qu'ils devraient être imputés aux offres de marché. Il en résulte que les coûts commerciaux pris en compte par Engie pour déterminer le prix de ses offres de marché sont minorés et qu'une partie des coûts réellement subis par Engie pour lesdites offres pèsent sur les offres aux TRV.

233. Dans ce contexte, et même s'il n'est pas possible dans le cadre de l'examen de la demande de mesures conservatoires de quantifier précisément les sommes en cause, Engie pourrait utiliser les ressources tirées de la vente de ses offres au TRV pour subventionner ses offres de marché, dont les prix sont inférieurs au coût à long terme subi par Engie pour les fournir.

234. En ce qui concerne les offres aux TRV à la clientèle non résidentielle, celles-ci ne concernent plus que les consommateurs de moins de 30 MW/an. Il n'en demeure pas moins qu'elles sont toujours commercialisées. Les ressources tirées de la vente d'offres au TRV aux clients non-résidentiels viennent s'ajouter à celles en provenance des offres aux TRV résidentielles et à celles dont a pu profiter Engie les années précédant l'extinction des TRV pour une partie de la clientèle non résidentielle.

235. Le fait qu'Engie ait déclaré en séance et écrit dans ses observations en délibéré (190) qu'elle a décidé d'appliquer depuis le 1er janvier 2016 une nouvelle clé d'allocation pour déterminer le prix des offres de marché établi après cette date confirme cette analyse pour la période d'octobre 2014 à décembre 2015 et ne l'affecte pas pour l'avenir. En effet, il ne peut être garanti que la clé aujourd'hui proposée par Engie dans le cadre de ses échanges avec la CRE permette de refléter la réalité des coûts commerciaux engagés pour fournir les offres de marché. À cet égard, il faut relever que la CRE a considéré lors de la séance devant l'Autorité que la clé proposée à ce jour par Engie conduisait toujours à minorer les coûts commerciaux liés aux offres de marché.

236. Dans ce contexte, les offres au TRV pourraient ainsi subventionner les offres de marché, facilitant le maintien d'une tarification à un prix inférieur aux coûts. Le fait que ces deux types d'offres seraient susceptibles de se situer sur un seul et même marché par type de clientèle pourrait relativiser l'efficacité de ce subventionnement, les clients des offres TRV pouvant être tentés de les quitter au profit d'offres de marché plus compétitives. Cependant, il convient de relever qu'en dépit du prix généralement inférieur des offres de marché, une proportion importante des consommateurs sont susceptibles de rester attachés aux TRV tant qu'ils seront proposés à la vente. Selon le baromètre Energie-info du médiateur national de l'énergie 2015, p.2, 40 % des consommateurs ne savent pas qu'ils ont le droit de changer de fournisseur de gaz et sont donc susceptibles de rester durablement aux TRV. Environ 75 % des sites résidentiels d'Engie étaient fin 2015 au TRV, contre un peu plus de 85% fin 2013 et 80% fin 2014. L'existence d'un subventionnement des offres de marché par les offres aux TRV et l'ampleur de ses effets compte tenu des offres tarifaires d'Engie susceptibles de se trouver en " zone grise " devront faire l'objet d'une instruction au fond. L'absence d'analyse fiable par Engie de la profitabilité de ses offres

237. Il apparaît que, ni a priori, ni a posteriori, sur les offres catalogue résidentielles et non résidentielles, Engie ne vérifie de façon fiable la profitabilité de ses offres.

La détermination des prix a priori

- En ce qui concerne les clients résidentiels

238. Engie a, à plusieurs reprises, fait valoir que ses prix sont déterminés à partir des analyses ex ante qui, utilisant un standard de coût total moyen (191), reposent sur la comptabilité réglementaire en ce qui concerne notamment les coûts commerciaux (192).

239. Engie ne pouvait cependant ignorer, depuis le mois de mai 2014 au moins, que la clé d'allocation des coûts commerciaux entre offres aux TRV et offres de marché ne reflétait plus correctement les coûts qu'elle subissait du fait de sa stratégie commerciale. C'est pourtant sur cette règle d'allocation qu'Engie s'est fondée pour déterminer ex ante ses prix pour chaque mois de l'année 2014 et 2015.

240. À la suite de la demande de la CRE en mai 2015 de ne pas faire supporter aux offres aux TRV, au moins jusqu'en juillet 2016, certains coûts commerciaux uniquement engagés pour la promotion des offres de marché, Engie n'a pour autant pas réintégré ces coûts dans le coût subi pour la fourniture de ses offres de marché aux fins d'établissement de ses prix (193).

241. Engie justifie l'absence de réintégration par le fait que ses prix ne pourraient pas être adaptés à l'évolution des coûts commerciaux en cours d'année194. Pourtant, Engie est en mesure d'adapter ses prix mensuellement pour les TRV, notamment afin de tenir compte des variations des coûts d'approvisionnement.

- En ce qui concerne les clients non résidentiels

242. Les documents fournis ne permettent pas d'apprécier la profitabilité ex ante des offres de marché aux clients non résidentiels et ne peuvent donc être considérés comme des outils d'analyse fiable aux fins de se positionner sur le marché.

243. En ce qui concerne les offres catalogue, les documents fournis soit ignorent les coûts commerciaux, soit comptabilisent ces coûts commerciaux de façon discutable, puisqu'ils se basent sur les clés d'allocation de la comptabilité réglementaire, ce qui conduit à sous-estimer les coûts commerciaux imputables aux offres de marché.

244. Le 5 novembre 2015, il a été demandé à Engie la confirmation de ce qu'elle ne disposait pas d'autres P&L (ou analyses de profitabilité, qu'elles soient ex post ou ex ante, ou tout document similaire) établis depuis le 1er janvier 2012 concernant tout ou partie des offres de marché aux clients non résidentiels195.

245. Engie a répondu que " Pour les offres catalogue, les documents communiqués à l'Autorité contiennent ainsi l'ensemble des éléments de P&L des offres gaz commercialisées par ENGIE. ENGIE précise toutefois qu'elle dispose par ailleurs en interne de documents (notamment de travail) pouvant présenter des analyses de profitabilité de telle ou telle offre. Toutefois, les données communiquées à l'Autorité reprennent les données figurant dans ces études internes " (196).

246. Il doit par conséquent être considéré qu'Engie ne détermine pas de façon fiable la profitabilité ex ante de son activité de fourniture d'offres catalogue sur le marché des clients non résidentiels.

Le suivi de la profitabilité ex post

247. Au titre des analyses ex post de profitabilité (197) des offres résidentielles, Engie a communiqué un document inexploitable, car globalisant TRV et offres de marché sur plusieurs marchés.

248. Dans un deuxième questionnaire, adressé à Engie le 5 novembre 2015, le rapporteur a demandé à Engie la confirmation de ce qu'elle ne disposait pas d'autres analyses de profitabilité concernant tout ou partie des offres de marché aux clients résidentiels (198), ce qu'Engie a, en substance, confirmé dans son courrier du 24 novembre 2015.

249. En ce qui concerne les clients non résidentiels, en réponse à la première demande de communication de l'ensemble des analyses de profitabilité (ou P&L pour Profit and Loss analyses) formulée par le rapporteur (199), Engie a transmis aux services d'instruction un document contenant des données de marge tenant compte des coûts commerciaux déterminés par application de la clé d'allocation de la comptabilité réglementaire. Néanmoins, ces éléments ne permettent pas de connaître le détail des postes de coût pris en compte (200). Surtout, Engie a précisé (i) que ce document avait été établi pour les besoins de l'instruction (ii) qu'il était, à sa date de transmission le 5 novembre, incomplet et (iii) qu'il combinait les données relatives aux offres de marché des clients non résidentiels raccordés au réseau de distribution avec celles des clients non résidentiels raccordés au réseau de transport, lesquelles sont en dehors du marché pertinent (201).

250. Dans un deuxième questionnaire, adressé à Engie le 5 novembre 2015, le rapporteur a demandé à Engie la confirmation de ce qu'elle ne disposait pas d'autres analyses de profitabilité ex post, ce qu'Engie a confirmé (202).

251. Il résulte de ce qui précède qu'Engie, tant pour sa clientèle résidentielle que non résidentielle, ne réalise pas un suivi fiable de la profitabilité de ses offres, ni ex post ni a priori. Conclusion après l'analyse des autres indices

252. L'absence de couverture des coûts moyens totaux des offres de marché d'Engie, telle qu'elle ressort des éléments analysés à ce stade de l'instruction, combinée à un possible subventionnement croisé entre les offres au TRV et les offres de marché et à l'absence d'analyse fiable de la profitabilité des offres de marché ex ante et ex post constituent ensemble des éléments suffisamment sérieux pour justifier la poursuite de l'instruction au fond afin de vérifier si la stratégie tarifaire mise en place par Engie pour les offres se situant en " zone grise " est contraire aux articles L. 420-2 du code de commerce et 102 TFUE.

2. SUR LA DURÉE ET LES CONDITIONS DE SORTIE DES CONTRATS DE SERVICES DE COMPTAGE INDIVIDUEL ET DE FOURNITURE DE GAZ CONCLUS AVEC LES COPROPRIÉTÉS

a) Les arguments de Direct Energie

253. Dans sa plainte et sa demande de mesures conservatoires203, Direct Energie dénonce le fait qu'Engie proposerait des contrats à des copropriétés en subordonnant le niveau d'une remise sur des prestations de comptage individuel des consommations d'eau chaude sanitaire à la condition de s'approvisionner en gaz naturel auprès du fournisseur historique pendant une certaine durée. En cas de résiliation anticipée du contrat, le client devrait verser rétroactivement à Engie une partie de la remise, au prorata du temps restant à courir.

254. En outre, Direct Energie fait valoir que face à des copropriétés souhaitant sortir de manière anticipée de leurs contrats, Engie aurait proposé l'absence de remboursement de la remise anticipée et des frais de dépose du matériel en contrepartie de la souscription par la copropriété d'une offre couplée constituée d'un contrat de gaz naturel sur trois ans auprès d'Engie et d'un contrat de service de comptage avec Ecometering, filiale d'Engie (204).

255. Pour Direct Energie, " ces pratiques ont ainsi pour objet et pour effet de coupler la prestation d'installation d'équipements avec celle de fourniture de gaz naturel et de faire en sorte que le contrat soit exécuté jusqu'à son terme ou en tout cas de dissuader toute sortie anticipée " (205). Non seulement les contrats permettraient d'obtenir la gratuité d'une prestation de services de comptage à la condition de s'approvisionner dans la durée auprès de l'opérateur historique, mais les copropriétaires ayant souscrit ces contrats seraient soumis à des frais de sortie élevés très dissuasifs (206). Pour Direct Energie, ces pratiques sont également prédatrices lorsque les tarifs proposés sont des TRV ou indicatrices de subventions croisées lorsqu'il s'agit d'offres de marché.

b) Les arguments en réponse d'Engie

256. Dans ses observations, Engie fait valoir que les contrats FideloConso ne sont plus proposés depuis 2013 et qu'ils n'ont été souscrits que par [0-5] % des sites non résidentiels. Engie estime par conséquent que faute d'effet d'éviction possible sur le marché, aucune pratique ne pourrait être reprochée à Engie, a fortiori au stade d'une demande de mesures conservatoires, en ce qui concerne les copropriétés (208).

257. Engie précise encore que le prix de l'offre FideloConso, qu'il s'agisse du TRV ou du prix de l'offre de marché, comprend à la fois le prix de la fourniture de gaz et le prix de la fourniture des services de comptage. Pour Engie, il n'existe donc pas de remise fidélisante.

258. Les indemnités de résiliation anticipée seraient justifiées selon Engie par la nécessité de couvrir les investissements non amortis dans l'hypothèse d'une durée de contrat inférieure à celle fixée au contrat, laquelle serait justifiée au regard du montant des investissements consentis par Engie (209). Engie fait enfin valoir que les frais de sortie des contrats qui correspondent aux frais de dépose du matériel sont parfaitement standards et ne sauraient par conséquent être considérés comme abusifs (210). Engie ajoute que les copropriétés pourraient toujours racheter les équipements à leur valeur nette comptable et ainsi de ne pas payer ces sommes (211).

259. Engie précise enfin qu'aucune indemnité de résiliation, ni aucun frais de sortie n'ont été facturés aux copropriétés dont le contrat a été résilié du fait de la fin des TRV et, plus généralement, qu'aucun frais de sortie n'est appliqué en pratique aux copropriétés mettant fin à des contrats reposant sur une fourniture de gaz naturel au TRV (212).

c) Sur l'existence d'une pratique susceptible d'être anticoncurrentielle

260. Les contrats FideloConso, aujourd'hui remplacés par les contrats commercialisés sous le nom de Virtuoz Habitat, (213) non cités par la plaignante dans sa demande de mesures conservatoires, contiennent des clauses en termes de conditions de sortie, de durée, et d'exclusivité qui, pratiquées par un opérateur dominant, peuvent dans certaines conditions revêtir un aspect anti concurrentiel.

261. En effet, la pratique décisionnelle et la jurisprudence constantes considèrent que les clauses par lesquelles une entreprise en position dominante lie ses clients pour l'achat de ses produits ou la fourniture de ses services peuvent être anticoncurrentielles si elles ont pour effet de conduire à un verrouillage d'une partie significative de la demande sur le marché. Comme le note le Conseil de la concurrence dans son rapport annuel 2007, si les exclusivités et les contrats de long terme ne sont pas anticoncurrentiels per se, ils peuvent être problématiques lorsque, compte tenu de leur champ d'application, de leur portée et de leur durée, ainsi que du contexte dans lequel ils prennent place, ils entraînent un verrouillage du marché au détriment des concurrents et, in fine, des consommateurs.

262. En l'espèce, en ce qui concerne en premier lieu les conditions de sortie des contrats, la CRE indique dans sa délibération portant avis sur l'affaire qu'elle a " pu recueillir des éléments de fournisseurs alternatifs montrant leur difficulté à conclure des contrats avec ce type de client à l'occasion de la fin des tarifs réglementés de vente, du fait des frais de sortie du contrat ", lesquels comprennent selon la CRE non seulement la dépose des installations mais également la somme due en cas de résiliation anticipée (215).

263. L'obligation imposée par Engie, en cas de rupture anticipée à l'initiative du client, de rembourser à la fois la partie non amortie des investissements et les frais de dépose des équipements (216) n'apparaît en particulier pas justifiée dans la mesure où Engie peut par définition réutiliser les équipements non amortis restitués par le client et donc poursuivre cet amortissement. Elle pourrait de surcroît être problématique en ce qui concerne les contrats portant sur la fourniture de gaz au tarif réglementé dans la mesure où, comme le souligne la CRE, " le tarif couvrant (...) l'ensemble des coûts des services associés, l'application de frais de sortie au contrat FideloConso constitue une indemnité alors même que l'article L.441-4 du code de l'énergie prévoit que, lorsqu'un consommateur choisi(t) un fournisseur pour un site, "le contrat de fourniture et de transport pour ce site, conclu à un prix réglementé, est résilié de plein droit, sans qu'il y ait lieu à indemnité à la charge de l'une ou l'autre partie" (217).

264. En deuxième lieu, la durée des contrats liant services de comptage individuel et fourniture de gaz naturel semble excessive. Ces contrats sont proposés pour une durée de dix années à la fois en ce qui concerne les services de comptage individuel et la fourniture de gaz naturel (218). L'amortissement des installations de comptage individuel pourrait éventuellement justifier une telle durée de contrat pour ce qui concerne les installations elles-mêmes. En revanche, il n'apparaît pas possible de justifier par l'amortissement des installations la durée de 10 ans en ce qu'elle concerne la fourniture de gaz.

265. Comme le relève la CRE dans sa délibération portant avis sur l'affaire en cause (219), cette durée de 10 ans s'applique au surplus non seulement aux contrats conclus en offres de marché mais également aux contrats conclus en offres aux TRV (l'offre 3UR Grand Confort). Une telle clause apparaît contraire à la réglementation dans la mesure où le législateur a prévu à l'article L.441-4 du code de l'énergie que les offres aux TRV peuvent être résiliées à tout moment à l'initiative du client souhaitant opter pour une offre de marché.

266. Même si Engie a précisé que, malgré la rédaction de ses contrats, elle n'a imposé ni indemnité de résiliation ni frais de sortie aux copropriétés et bailleurs sociaux lorsque la rupture du contrat est intervenue à la suite de la disparition du TRV (220), une telle clause reste problématique dans la mesure où son rôle dissuasif vis-à-vis de la recherche d'une alternative concurrentielle est indéniable pour les copropriétés ignorant la réglementation.

267. Enfin, il est possible de s'interroger sur les clauses des contrats contraignant les copropriétés à s'engager à n'utiliser que le gaz comme source d'énergie pour le chauffage et, le cas échéant, la production d'eau chaude (221). Une telle clause pourrait constituer une clause d'exclusivité susceptible d'être illicite lorsqu'elle est imposée par un opérateur historique susceptible de se trouver encore en position de dominance.

268. Sur les effets anticoncurrentiels potentiels de la pratique, Engie relève que les contrats-cadres FideloConso ne sont plus commercialisés depuis 2013, et qu'elle ne fournit qu'une part très faible des copropriétés avec ses contrats FideloConso et les contrats Virtuoz Habitat (222) qui ont succédé aux premiers.

269. Toutefois, une proportion importante des contrats de mise en œuvre de FideloConso est toujours en cours, voire même à conclure (223), dans la mesure où ces contrats sont signés avant la construction et ne prennent effet qu'à la mise en service.

270. Même si les copropriétés ne représentent que [4,4 - 4,9] % du marché des clients non résidentiels en termes de sites, la CRE relève dans son avis que "selon des données recueillies auprès de GRDF, sur 781 sites en vente de gaz répartie concernés à mi-2014 par la suppression des tarifs réglementés de vente, 721 sont passés en offre de marché chez Engie et les 60 autres ont basculé chez 9 autres fournisseurs alternatifs. GRDF a également identifié, à mi-2014, 807 sites en vente de gaz répartie aux tarifs réglementés de vente mais non concernés par leur suppression" (224).

271. Dans ces conditions, les clauses des contrats Fidelo Conso sont susceptibles de constituer, en l'état des éléments produits aux débats, une pratique dont les objectifs ou les effets sont contraires aux articles L. 420-2 du code de commerce et 102 TFUE.

3. SUR LE DÉMARCHAGE DES CLIENTS AUX TRV EN AYANT RECOURS À DES MOYENS NON REPRODUCTIBLES PAR LES CONCURRENTS

a) Les arguments de Direct Energie

272. Direct Energie soutient dans sa saisine qu'Engie ferait la promotion de ses offres de marché y compris auprès des clients qui se sont opposés à la communication de leurs données aux concurrents par application de la décision 14-MC-02 du 9 septembre 2014 par laquelle l'Autorité a imposé en urgence et à titre conservatoire, à GDF (devenue Engie) de rendre accessible à ses concurrents une partie des données de son fichier clients aux TRV (225). Selon Direct Energie, "l'égalité des armes" ou "la concurrence effective entre les opérateurs" requéraient que l'opérateur dominant, porteur d'une responsabilité particulière et ayant constitué cette base sur les fonds du service public ne puisse les considérer comme sa "chasse gardée". Il appartenait à GDF Suez de s'abstenir de commercialiser ses offres de marché à ses clients aux TRV ne figurant pas sur les listes communiquées aux fournisseurs alternatifs (...) " (226).

273. La plaignante fait également valoir qu'Engie aurait " vidé " de sa substance la base de données clients transmise à ses concurrents en convertissant une partie de ses clients en offres de marché et en incitant les clients restant aux TRV à s'opposer à la transmission de leurs données (227).

274. Direct Energie relève également qu'Engie aurait démarché postérieurement à la décision n° 14-MC-02 des clients aux TRV en utilisant des données qui ne seraient pas transmises aux opérateurs alternatifs (numéro de téléphone mobile par exemple) alors que ces données ont été collectées dans le cadre du service public (228), et aurait incité ses clients aux TRV à refuser la communication de leurs données aux concurrents (229).

b) Les arguments en réponse d'Engie

275. Dans ses observations, Engie fait valoir que si des pratiques pouvaient lui être reprochées, elles seraient en tout état de cause dans le champ de la procédure ayant donné lieu à la décision n° 14-MC-02 du 9 septembre 2014, en ce qu'il s'agirait soit d'une problématique liée au non-respect de la décision, soit d'une problématique liée à l'utilisation par Engie de son fichier de clients, qui n'est pas nouvelle et fait l'objet de l'instruction au fond (230).

276. Au surplus, Engie fait valoir que les mesures conservatoires imposées par la décision n° 14-MC-02 ont été respectées (231) :

- Engie a respecté l'obligation d'information qui lui a été imposée ;

- si 44 % des clients se sont opposés à cette communication, ce n'est pas tant parce qu'Engie les aurait incités à s'opposer à la communication de leurs données aux concurrents alternatifs, que parce que les associations de consommateurs les ont publiquement invités à le faire ;

- le processus d'identification des clients s'étant opposés à la communication de leurs données est transparent et vérifiable ;

- le fichier mis à disposition correspond exactement à celui dont l'Autorité a imposé la communication et réplique fidèlement les informations dont Engie dispose.

277. Engie ajoute encore concernant les arguments relatifs à sa communication commerciale que :

- la communication radiophonique du mois de décembre 2014 critiquée par Direct Energie n'est pas un élément nouveau et visait l'ensemble des auditeurs et non, en ayant recours aux informations dont Engie dispose du fait de son statut de fournisseurs d'offres aux TRV, les seuls clients aux TRV (232) ;

- la campagne de décembre 2014 fait également l'objet de l'instruction au fond du dossier ayant donné lieu à la décision n° 14-MC-02, qu'elle n'est donc pas un élément nouveau, et qu'elle est intervenue avant la mise à disposition effective de la base de données clients aux concurrents (233) ;

- la campagne menée entre septembre et novembre 2015 n'a ciblé que les clients aux TRV ne s'étant pas opposés à la transmission de leurs données aux fournisseurs alternatifs, contrairement aux affirmations de la CRE et de Direct Energie (234) ;

- si les adresses emails des clients ont pu être utilisées par Engie, celle-ci fait valoir que la communication des informations relatives aux clients telle que paramétrée par l'Autorité et excluant notamment les emails et numéro de téléphone portable, était suffisante pour " assurer les conditions d'une concurrence effective " entre tous les fournisseurs (235).

c) Sur l'existence d'une pratique susceptible d'être anticoncurrentielle

278. Dans sa décision n° 14-MC-02 du 9 septembre 2014, l'Autorité de la concurrence a imposé à GDF SUEZ (devenue Engie), en urgence et à titre conservatoire, de rendre accessible à ses concurrents le 15 décembre 2014 au plus tard une partie des données de son fichier clients aux TRV (236). En ce qui concerne l'accès aux données de la clientèle résidentielle, cette décision a été confirmée par un arrêt de la cour d'appel de Paris qui a seulement reculé d'un mois la date de cette communication (237). C'est dans ce cadre que s'inscrivent les arguments évoqués par les parties portant sur le démarchage des clients aux TRV par Engie.

279. Avant même de déterminer si les pratiques dénoncées peuvent ou non recevoir une qualification à ce stade de l'instruction, il convient de souligner que l'existence d'une première décision de mesures conservatoires et l'instruction au fond de pratiques ne font pas obstacle à ce qu'une nouvelle demande de mesures conservatoires soit formulée en cas de survenance de faits nouveaux (238). Partant, la demande de Direct Energie n'est pas irrecevable du seul fait que la problématique qu'elle soulève concerne des sujets qui ont été traités par la décision n° 14-MC-02 du 9 septembre 2014.

280. Direct Energie dénonce en premier lieu le fait qu'Engie aurait " vidé " la base de données clients aux TRV en incitant ses clients à exercer leur droit d'opposition à communication de leurs données d'une part et en convertissant largement ses clients aux offres de marché d'autre part.

281. Ces faits nécessiteraient d'être vérifiés par une instruction au fond. Mais, quand bien même ils seraient confirmés, il convient en tout état de cause de constater qu'ils ne sont pertinents que pour la période courant de l'adoption de la décision n° 14-MC-02 le 9 septembre 2014 au jour de sa mise en œuvre effective, c'est-à-dire le 15 janvier 2015. Partant, ces faits seraient limités à une période précise s'étant terminée il y a plus d'une année.

282. Direct Energie dénonce ensuite le fait qu'Engie démarcherait ses clients aux TRV sans exclure ceux qui ont refusé la communication de leurs données aux fournisseurs alternatifs.

Compte tenu des termes de la décision n° 14-MC-04, un tel comportement, qui accorderait à Engie un avantage concurrentiel sur la base de l'utilisation des fichiers qu'elle détient du fait de la gestion des tarifs réglementés, serait susceptible, à l'issue d'un examen au fond d'être qualifié au titre de l'article 102 du traité et de l'article L-420-2 du code de commerce.

283. Enfin, Direct Energie fait valoir qu'Engie utiliserait des données non accessibles aux concurrents pour démarcher les clients ayant accepté la communication de leurs données.

284. Si tel est le cas, il convient de constater que l'appréciation de ces faits relève en premier lieu d'une interprétation de la décision n° 14-MC-02, afin de déterminer si l'Autorité de la concurrence a permis à Engie d'adopter, dans le cadre de la période provisoire ouverte par les mesures conservatoires, ce type de comportements.

285. Sans se prononcer sur la question au fond, l'Autorité a considéré dans sa décision n° 14-MC-02 précitée que la mise à disposition des données clients aux concurrents à l'exclusion, notamment, des adresses emails et des numéros de téléphone mobile, était la solution la plus proportionnée et appropriée pour répondre, dans l'urgence qu'implique une mesure conservatoire, à la problématique de l'absence d'accès des concurrents à la base de données clients aux TRV.

286. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, il apparaît que certains comportements sont susceptibles d'apparaître contraires à l'article L.420-2 du code de commerce et à l'article 102 du TFUE, ce que l'instruction au fond devra vérifier.

E. SUR LA DEMANDE DE MESURES CONSERVATOIRES

287. Selon une jurisprudence constante, " des mesures conservatoires peuvent être décidées (...) dans les limites de ce qui est justifié par l'urgence, en cas d'atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante, dès lorsque les faits dénoncés, et visés par l'instruction, dans la procédure au fond, apparaissent susceptibles, en l'état des éléments produits aux débats, de constituer une pratique contraire aux articles L. 420-1 ou L. 420-2 du code de commerce, pratique à l'origine directe et certaine de l'atteinte relevée " (239).

288. Pour déterminer si les pratiques tarifaires décrites ci-dessus permettent de prononcer des mesures conservatoires, il convient d'apprécier, pour les trois pratiques analysées plus haut, le caractère grave et immédiat de l'atteinte portée à l'économie générale, au secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante. Ces différentes atteintes ne constituent toutefois pas des conditions cumulatives, mais alternatives : une atteinte grave et immédiate relevée dans un seul de ces cas suffit à permettre l'attribution de mesures conservatoires.

289. En revanche, la gravité de l'atteinte, son immédiateté et l'existence d'un lien de causalité entre les faits dénoncés et l'atteinte sont trois critères cumulatifs (240).

59 1. SUR L'EXISTENCE D'UNE ATTEINTE GRAVE ET IMMÉDIATE EN CE QUI CONCERNE LES COPROPRIÉTÉS

290. Sur les contrats Fidelo Conso, Direct Energie demande " à l'Autorité d'enjoindre à [Engie] de suspendre la commercialisation de ces offres et d'informer l'ensemble des copropriétés concernées qu'elles ont la possibilité de résilier sans frais leur contrat, et d'enjoindre à [Engie] de leur proposer de racheter les équipements installés par GDF SUEZ à leur valeur nette comptable (...) sans avoir à les désinstaller ainsi que le prévoient les conditions actuelles [d'Engie] et en ayant la liberté de choisir l'entreprise de leur choix pour la maintenance de ses équipements " (241).

291. Sur ce point, la CRE a formulé les observations suivantes : " La CRE considère que la demande de suspension de la commercialisation du contrat FideloConso formulée par Direct Energie est justifiée afin que les copropriétés encore aux tarifs réglementés puissent pleinement bénéficier de la concurrence entre les fournisseurs de gaz naturel et entre les fournisseurs de prestation d'installation et de relève de comptage thermiques individuels " (242).

292. Engie fait cependant observer que le petit nombre de copropriétés concernées, et a fortiori le petit nombre de contrats susceptibles d'être encore signés ne permet pas de caractériser une atteinte " grave " et " immédiate ", compte tenu notamment des adaptations dont ces contrats font l'objet.

293. L'opérateur historique a également fait valoir qu'en pratique un rachat à la valeur nette comptable du matériel est possible à la place du paiement des sommes dues au titre de la résiliation anticipée et des frais de dépose des installations, tandis que les nouveaux contrats FideloConso par lesquels Engie propose dans la même offre à la fois des prestations de fourniture de gaz et des prestations de comptage individuel ne contiennent plus ce type de frais de sortie. (243)

294. Engie fait enfin observer que l'offre Virtuoz Habitat prévoit des durées de fourniture de gaz bien inférieures à la durée de 10 ans fixée pour les anciens contrats (244).

295. Il résulte de ces déclarations que les pratiques décrites ne semblent plus susceptibles, à ce jour, de produire des effets anticoncurrentiels de nature à créer une atteinte grave et immédiate au secteur, aux consommateurs ou à l'entreprise plaignante.

2. SUR L'EXISTENCE D'UNE MENACE GRAVE ET IMMÉDIATE EN CE QUI CONCERNE LE DÉMARCHAGE DES CLIENTS AUX TRV

296. Direct Energie soutient qu'Engie continue à démarcher commercialement les consommateurs ayant refusé la transmission de leurs données aux entreprises du secteur.

297. Toutefois, Engie a précisé aux services d'instruction n'avoir ciblé, lors de sa dernière campagne commerciale menée de fin septembre 2015 à fin novembre 2015, " à titre de précaution ", que les clients aux TRV ne s'étant pas opposés à la transmission de leurs données aux fournisseurs alternatifs (245).

298. Il convient de prendre acte dès à présent de ce qu'Engie a considéré pertinent lors de cette campagne de ne cibler que les clients aux TRV ne s'étant pas opposés à la transmission de leurs données aux fournisseurs alternatifs. En d'autres termes, la pratique dénoncée aurait été arrêtée par Engie depuis septembre 2015 au plus tard, ce qui fait qu'aucune décision de mesures conservatoires adoptée aujourd'hui ne pourrait remédier à l'éventuelle atteinte causée par cette pratique passée, ni n'apparaît nécessaire si cette abstention d'Engie est confirmée pour l'avenir.

299. En revanche, si des éléments factuels étaient apportés, montrant la poursuite ou la reprise du démarchage par Engie des clients s'étant opposés à la communication de leurs données, l'adoption de mesures conservatoires pourrait être demandée par Direct Energie.

3. SUR L'EXISTENCE D'UNE ATTEINTE GRAVE ET IMMÉDIATE EN CE QUI CONCERNE LES PRATIQUES TARIFAIRES

a) Les arguments des parties et de la CRE

300. Selon Direct Energie, la stratégie tarifaire " agressive et fidélisante " d'Engie consiste " à préempter la clientèle (...) pour empêcher ses concurrents d'acquérir l'échelle minimale d'efficacité nécessaire pour qu'ils puissent contraindre ses prix " (246) et pour " dissuader les nouveaux entrants potentiels d'entrer sur le marché " (247). Cette stratégie entraverait le développement des concurrents et le processus d'ouverture des marchés à de nouveaux acteurs, et ce d'autant plus qu'elle s'inscrit dans un contexte spécifique, caractérisé (i) par l'extinction progressive des offres aux TRV, qui constitue une opportunité sans précédent pour les fournisseurs alternatifs de pénétrer les marchés (248), (ii) par une faible connaissance des consommateurs particuliers de la possibilité qu'ils ont de changer de fournisseurs (249) et (iii) par des marchés fortement concentrés (250) et toujours dominés par Engie qui dispose désormais d'un nombre de clients en offres de marché plus important que tous les fournisseurs alternatifs réunis (251).

301. Direct Energie fait valoir que l'atteinte est immédiate. En ce qui concerne la clientèle résidentielle tout d'abord, l'urgence serait renforcée par le fait que les TRV risqueraient de disparaître bientôt puisqu'ils sont actuellement remis en cause dans le cadre du litige faisant l'objet de la saisine préjudicielle de la Cour (252). En ce qui concerne la clientèle non résidentielle ensuite, les appels d'offres remportés par Engie grâce à ses pratiques tarifaires d'éviction priveraient les fournisseurs alternatifs pendant toute la durée du contrat de la possibilité de satisfaire les besoins des clients.

302. Engie fait au contraire valoir que les pratiques ne sauraient être la cause d'une atteinte grave au secteur. En ce qui concerne la clientèle résidentielle, son comportement serait " (...) insusceptible d'affecter le jeu de la concurrence compte tenu du nombre marginal de clients concernés " par son offre un an (253). En ce qui concerne la clientèle non résidentielle, Engie relève que Direct Energie s'appuie uniquement sur quatre appels d'offres, dont trois seulement ont été remportés par Engie et concernent des volumes très faibles par rapport à l'ensemble du marché (254).

303. Quant à l'immédiateté de l'atteinte, celle-ci ne pourrait résulter de la disparition des TRV, dès lors que cette disparition est aléatoire en ce qui concerne les clients résidentiels, car conditionnée à la position qu'adoptera la Cour de Justice, et déjà effective en ce qui concerne les clients non résidentiels du fait de la disparition des TRV pour les clients consommant plus de 30 Mwh/an au 1er janvier 2016 (255).

304. Enfin, les pratiques dénoncées par Direct Energie, si elles étaient établies, seraient en tout état de cause trop anciennes pour justifier l'adoption de mesures conservatoires : la baisse des prix des offres aux clients résidentiels, et en particulier du prix de son offre fixe 1 an, en dessous du prix des TRV remonterait au premier trimestre 2013 (256), tandis que les appels d'offres dont les prix ont été dénoncés par Direct Energie seraient terminés et les contrats afférents déjà en cours d'exécution (257).

305. La CRE enfin estime pour sa part que les dynamiques de marché ayant fondé la décision 14-MC-02 de l'Autorité de la concurrence, approuvée par la Cour d'appel de Paris, se poursuivent sous l'effet des pratiques tarifaires susceptibles d'être qualifiées d'éviction qu'elle relève dans la délibération portant avis du 9 décembre 2015 et risquent de porter une atteinte grave et immédiate à l'économie du secteur, au consommateur et à l'entreprise plaignante , au surplus dans un contexte d'incertitude quant à l'avenir des tarifs au TRV (258).

b) Discussion

306. Dans ses décisions n° 09-MC-01 du 8 avril 2009 et 14-MC-02 du 9 septembre 2014, intéressant toutes deux le secteur de l'énergie, l'Autorité a noté que " des pratiques anticoncurrentielles émanant d'un opérateur historique susceptibles de fausser le libre jeu de la concurrence sur un marché émergent, connexe de celui sur lequel il détient une position dominante héritée de son monopole légal, intervenant lors d'une étape clé de développement de ce marché, peuvent causer une atteinte grave et immédiate aux intérêts des concurrents, au secteur et, in fine, aux consommateurs finals " (259).

307. La Cour d'appel a intégralement confirmé la position de l'Autorité dans son arrêt du 31 octobre 2014 en jugeant que " les effets d'une pratique d'obstruction au jeu de la concurrence dans un secteur pour lequel il a été récemment mis fin à un monopole, sont de nature à structurer le marché de façon durable et (...) pour cette raison, de telles pratiques causent un trouble grave et immédiat au secteur économique concerné " (260).

308. La Cour d'appel poursuit en notant que : " indépendamment de la fin des tarifs réglementés de vente pour les abonnés non résidentiels (..), il ressort des éléments chiffrés repris dans la décision (..) que le développement des fournisseurs alternatifs est entravé de façon générale, ce qui ne peut que renforcer la position dominante de la société GDF Suez en dépit de l'ouverture du secteur de la fourniture de gaz à la concurrence ; qu'en conséquence, indépendamment de la question de la fin très prochaine des TRV pour les entreprises ayant la consommation sus énoncée, l'urgence résulte du fait de la faible influence des fournisseurs alternatifs sur l'ensemble du secteur et du risque de structuration durable du marché dans sa configuration actuelle " (261).

309. L'analyse de la Cour d'appel peut être reprise dans le cas présent et appliquée aux offres individualisées sur le marché non résidentiel, dont les prix se situent en " zone noire ".

310. Il convient donc d'analyser la réalité et la gravité de l'atteinte au secteur causée par les caractéristiques de ces offres individualisées, le caractère immédiat de cette atteinte et la causalité entre celle-ci et les pratiques concernées.

Sur l'urgence au regard du fonctionnement de la concurrence dans le secteur économique considéré

311. Contrairement à ce qu'estime Engie, sur le marché non résidentiel, même si la pression concurrentielle exercée par les concurrents est plus forte que sur le marché de la clientèle résidentielle, en particulier en ce qui concerne les offres aux plus gros clients, Engie dispose encore d'une part de marché supérieure à 60 % au 30 juin 2015 en nombre de sites et le HHI est évalué par la CRE au 3ème trimestre 2015 à 1800 en volume et à plus de 3500 en termes de sites (262).

312. Le nombre de sites non résidentiels en offre de marché est passé chez les fournisseurs historiques, d'octobre 2014 à septembre 2015, d'environ 190 000 à 287 000, soit un gain de près de 100 000 sites sur la période. Sur cette même période, les fournisseurs alternatifs sont passés d'environ 180 000 à 230 000 sites, soit un gain de seulement 50 000 sites. Les parts de marché d'Engie et des autres petits fournisseurs historiques (comme, par exemple, Energies Strasbourg ou Gaz de Bordeaux) sur ce segment de marché s'accroissent donc rapidement, surtout à partir de décembre 2014, comme le montre le graphique ci-dessus.

Sur la gravité de l'atteinte

313. Il a été vu qu'Engie, en construisant les prix de ces offres individualisées, n'intègre pas certains coûts évitables, et en particulier les coûts des certificats d'économie d'énergie et des coûts commerciaux. En particulier, et comme précisé supra, parmi les cinquante plus importants appels d'offres communiqués aux services d'instruction, plus de 80 % se situent en " zone noire " si l'on réintègre les coûts des certificats d'économie d'énergie (même évalués de façon conservatrice) ainsi qu'un minorant faible de ce que la CRE, sur la base des déclarations d'Engie, a estimé être les coûts commerciaux évitables dans le cas d'un appel d'offres, celui du SIEM. Engie enregistrerait donc des pertes sur chacune des offres concernées.

314. Les offres individualisées représentent en volume plus de 80% de l'ensemble du marché des offres non résidentielles.

315. Dans un marché en cours d'ouverture sur lequel les clients individuels sont difficiles à cibler pour les fournisseurs alternatifs, qui ne bénéficient pas de l'historique de clientèle que détient Engie, les plus gros clients non résidentiels représentent pour les fournisseurs alternatifs la possibilité d'entrer rapidement sur le marché et d'acquérir la masse critique dont ils ont besoin. En effet, comme il était relevé dans la décision n° 14-MC-02, " en raison du coût d'entrée élevé qu'implique la pénétration d'un marché de masse, d'une part, et des marges relativement faibles du secteur, d'autre part, les portefeuilles des nouveaux entrants doivent impérativement bénéficier d'une taille critique, sous peine de compromettre leur maintien sur le marché " (264).

316. Il s'en déduit que les prix des offres individualisées, susceptibles de ne pas couvrir leurs coûts variables, créent ainsi un puissant effet d'éviction pour les fournisseurs alternatifs dans une période particulièrement sensible pendant laquelle le marché risque de se structurer durablement dans sa configuration actuelle, comme le notait la cour d'appel de Paris (265), causant une atteinte grave et immédiate au fonctionnement de la concurrence dans le secteur. L'immédiateté de l'atteinte

317. Contrairement à ce que soutient Engie, le fait que les appels d'offres en cause soient déjà en cours d'exécution ne fait pas obstacle à l'urgence d'une mesure conservatoire. En effet ces marchés, généralement d'une durée de deux ans, se renouvellent continuellement et il convient de remédier à la poursuite de l'atteinte identifiée.

318. De plus, les pratiques d'Engie constituent un comportement récent auquel il convient de mettre fin avant que le dommage qu'elles causent ne prenne encore plus d'ampleur. La mise en œuvre des pratiques tarifaires constatées remonte ainsi qu'il a été vu plus haut au deuxième semestre 2014. C'est à cette date que l'on constate également sur les graphiques présentés plus haut l'accélération du rythme de conquête en offres de marché de la part d'Engie, pour les offres non résidentielles. Comme le notait la cour d'appel de Paris, il convient de relever qu'ici aussi " à la date de la saisine, cette évolution était récente au regard des dates d'ouverture du marché de la fourniture du gaz à la concurrence qui remontent à 2004 et 2007 " (266).

Le lien de causalité

319. Sur la période, du fait des pratiques de prix d'éviction susceptibles d'être qualifiées, Engie a pu prendre des positions significatives sur le segment des offres individualisées de marché, au détriment des fournisseurs alternatifs. Le lien avec les pratiques relevées est donc établi. L'atteinte grave et immédiate à la situation de l'entreprise plaignante

320. Cette condition, alternative à la précédente pour le prononcé des mesures conservatoires, a également été constatée par la Cour d'appel lorsqu'elle a confirmé la décision n° 14-MC-02, qui a établi la réalité de l'atteinte grave et immédiate que les pratiques en cause à l'époque causaient à l'entreprise plaignante.

321. La Cour d'appel a noté à cette occasion que " le fait qu'une entreprise connaisse des résultats positifs ne fait pas obstacle, contrairement à ce que soutient Engie, à ce qu'elle puisse subir un trouble grave et immédiat du fait des pratiques susceptibles de constituer un comportement anticoncurrentiel ; que (...) la CRE a constaté , dans son avis du 28 mai 2014, que les parts de marché de la société Direct Energie "sur le marché résidentiel" reculaient sensiblement depuis la fin de l'année 2012, du fait, notamment, des conversions des clients aux TRV vers des contrats en offres de marché (..) que ces pertes de clientèle (..) montrent que la pratique retenue en l'espèce, et susceptible d'avoir pour effet de faire obstacle au développement d'une concurrence efficace et effective sur un marché longtemps exploité en monopole, cause un trouble grave et immédiat à la société Direct Energie entravée dans son développement lui permettant de se maintenir sur le marché ".

322. L'atteinte grave et immédiate au secteur évoquée ci-dessus impacte également Direct Energie. Direct Energie relève dans ses écritures la perte d'un certain nombre de marchés sur lesquels elle concourait avec Engie, du fait des prix bas proposés par son concurrent. D'une manière générale, la CRE note dans son avis en date du 9 décembre 2015 que les parts de marché de la société Direct Energie continuent d'être orientées à la baisse, passant de 14 % en juillet 2012 à [5-10] % en juillet 2015 (267).

323. Cette baisse est d'autant plus notable qu'elle intervient dans un contexte où la décision de mesure conservatoire intervenue en janvier 2015, mettant les fichiers de clientèle aux TRV à la disposition des fournisseurs alternatifs et coïncidant avec la fin des TRV pour la plus grande partie de la clientèle non résidentielle, aurait pu permettre à Direct Energie de gagner à nouveau des parts de marché.

324. Cette nouvelle baisse de part de marché est concomitante des offres tarifaires d'Engie du deuxième semestre 2014, dont certaines sont susceptibles d'être qualifiées de prix d'éviction ou de prédation. Comme il a été expliqué ci-dessus, une politique de prix d'éviction dans le contexte du secteur analysé ci-dessus prive immédiatement les fournisseurs alternatifs de tous leurs avantages différentiels. Le lien de causalité entre les pratiques et l'atteinte constatée est donc établi. Conclusion

325. Il résulte de l'ensemble ce qui précède qu'en ce qui concerne les offres individualisées, les conditions posées par les dispositions de l'article L. 464-1 du code de commerce pour le prononcé de mesures conservatoires sont remplies.

4. SUR LA NATURE DES MESURES CONSERVATOIRES

326. Aux termes du troisième alinéa de l'article L. 464-1 du code de commerce, les mesures conservatoires " peuvent comporter la suspension de la pratique concernée ainsi qu'une injonction aux parties de revenir à l'état antérieur. Elles doivent rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence ".

a) Les mesures conservatoires sollicitées

327. Pour répondre à la problématique du comportement tarifaire d'Engie sur le marché de la clientèle résidentielle, Direct Energie estime que l'Autorité devrait imposer à Engie une séparation fonctionnelle entre offres de marché et offres aux TRV, dès lors qu'aucune clé comptable ne pourrait virtuellement dissocier des coûts communs étroitement imbriqués du fait de l'existence de personnels et de moyens partagés (268).

328. Direct Energie soutient que dans l'attente de la mise en place d'une séparation fonctionnelle effective, Engie devrait suspendre la commercialisation de ses offres de marché, c'est-à-dire ne plus utiliser les moyens retenus comptablement dans le calcul des TRV pour commercialiser également ses offres de marché (269).

329. Pour répondre à la problématique du comportement tarifaire d'Engie sur le marché de la clientèle non résidentielle, Direct Energie demande à l'Autorité d'imposer que toute offre de marché couvre ses coûts, et notamment les coûts d'approvisionnement comptabilisés de manière identique pour les offres aux TRV et les offres de marché (270), sans discrimination quant aux conditions d'approvisionnement et en tenant compte d'une marge raisonnable rémunérant le capital engagé (271).

330. La CRE considère pour sa part qu'il conviendrait d'enjoindre à Engie de ne pas commercialiser d'offres dont le prix a été établi à un niveau inférieur à son coût évitable de fourniture, et, dans l'hypothèse où une stratégie d'éviction serait qualifiée sur un segment du marché, il conviendrait d'enjoindre à Engie de ne pas commercialiser, sur ce segment du marché, d'offres dont le prix aurait été établi à un niveau inférieur à son coût total moyen de fourniture.

b) Les mesures conservatoires nécessaires

331. Aux termes de l'article L. 464-1 du code de commerce, l'Autorité de la concurrence peut " prendre les mesures conservatoires qui lui sont demandées ou celles qui lui apparaissent nécessaires ". Elle n'est donc pas liée par les mesures demandées par la partie saisissante, et dispose de la faculté de prononcer toute autre mesure qui lui apparaîtrait à la fois nécessaire et proportionnée.

Sur la séparation structurelle demandée

332. Des mesures, comme celles demandées par Direct Energie, de séparation structurelle des équipes et moyens de commercialisation des offres de marché et des offres aux TRV ne répondent pas à l'atteinte identifiée. Par ailleurs, cette séparation serait une opération lourde, en termes financiers et logistiques, qui par son ampleur ne remplit pas le critère de proportionnalité, au moment même où Direct Energie souligne le risque qui pèse sur le maintien à court terme des TRV, à la suite du recours qu'elle a introduit devant le Conseil d'État, et de la question préjudicielle en cours d'examen devant la Cour de Justice.

Sur la couverture du coût évitable et du coût total moyen des offres

333. Une mesure par laquelle Engie recevrait l'injonction, sans autre précision, de couvrir, à court terme, son coût évitable moyen et, à long terme, son coût total moyen remédierait théoriquement directement au problème identifié plus haut. Mais, formulée de façon aussi générale, elle reviendrait, peu ou prou, à enjoindre à Engie de respecter le droit de la concurrence, évidence qui n'a pas sa place au sein d'une mesure conservatoire.

334. Il est en revanche possible de préciser la mesure, en imposant à Engie de couvrir au minimum le coût évitable moyen pour les offres individualisées, en comptabilisant pour ce faire notamment les coûts évitables relatifs aux certificats d'économie d'énergie et les coûts commerciaux qu'Engie ignore quasi systématiquement à ce stade. Il sera de la responsabilité d'Engie de procéder aux ajustements organisationnels nécessaires pour empêcher que, dans les faits, les outils à la disposition des opérationnels ne permettent que certains coûts évitables puissent être ignorés dans les offres individualisées qui sont proposées.

Les mesures retenues par l'Autorité

335. Il convient donc d'enjoindre à Engie que les offres individualisées destinées aux clients non résidentiels couvrent leurs coûts évitables, y compris les coûts évitables relatifs aux certificats d'économie d'énergie et ceux relatifs aux coûts commerciaux, qu'elle ignore quasi systématiquement aujourd'hui. Ces coûts évitables devront tenir compte des éléments déjà identifiés par la CRE comme devant être exclus des coûts des offres aux TRV, auxquels il est fait référence au paragraphe 162, et qui auraient trait aux offres individualisées, ainsi que, par la suite, des conséquences pour les offres individualisées des règles, clés d'allocation et retraitements opérés par la CRE au titre de la comptabilité réglementaire en ce qui concerne les coûts des TRV.

336. À partir du troisième trimestre 2016, Engie devra couvrir, ex ante comme ex post, ses coûts évitables par cohorte d'offres individualisées souscrites chaque trimestre. Elle devra également les couvrir, ex ante comme ex post, pour chacune des dix plus importantes offres individualisées en valeur souscrites chaque trimestre.

337. Au plus tard trente jours après la fin de chaque trimestre, Engie tiendra, sur demande, à la disposition de l'Autorité et de la CRE les éléments détaillés ayant servi au calcul des coûts évitables, en ce compris la liste précise des coûts pris en compte, la méthode d'évaluation suivie et l'horizon temporel retenu.

338. Il convient de préciser ici la portée précise des mesures édictées. La liberté laissée à Engie de fixer des prix à un niveau éventuellement inférieur au coût à long terme pertinent ne saurait être considérée comme la reconnaissance de ce qu'Engie peut se placer en dehors de l'application de la pratique décisionnelle et la jurisprudence relatives aux conditions de licéité des pratiques tarifaires qui ont été rappelées dans la présente décision (272). Il n'appartient simplement pas à l'Autorité de fixer les prix des offres de marché à la place d'Engie, y compris au titre de mesures provisoires.

339. Par ailleurs, l'injonction énoncée supra de tenir compte, pour l'appréciation de la couverture du coût, des coûts attribuables aux offres de marché par application des règles, clés d'allocation et retraitements résultant de la mise en œuvre de la comptabilité réglementaire n'induit en aucune manière, tout spécialement au stade des mesures conservatoires, que ces règles, clés et retraitements ont un caractère pertinent pour définir le coût devant être couvert au sens du droit de la concurrence. Une telle mesure n'exonère donc pas Engie de l'obligation de déterminer ses prix en fonction de ses coûts réels, en conformité avec les règles de droit de la concurrence.

DÉCISION

Article 1er : Il est enjoint à Engie, à titre conservatoire et dans l'attente d'une décision au fond, de fixer les prix des offres individualisées qu'elle propose aux clients non résidentiels à un niveau permettant de couvrir les coûts évitables de ces offres, en ce compris les coûts évitables relatifs aux certificats d'économie d'énergie et aux coûts commerciaux, en tenant compte de tous les coûts que les règles, clés d'allocation et retraitements, que la Commission de régulation de l'énergie a déjà identifiés ou identifiera dans le futur au titre de la comptabilité réglementaire comme devant être exclus des coûts des offres aux TRV, dans la mesure où ils ont trait aux offres individualisées.

Article 2 : Pour l'application de l'article 1er, il est enjoint à Engie, à titre conservatoire et dans l'attente d'une décision au fond, de couvrir, ex ante comme ex post, ses coûts évitables par cohorte d'offres individualisées souscrites chaque trimestre et pour chacune des dix plus importantes offres individualisées en valeur souscrites chaque trimestre, à partir du troisième trimestre 2016.

Article 3 : Il est enjoint à Engie, à titre conservatoire et dans l'attente d'une décision au fond, de tenir à la disposition de l'Autorité et de la Commission de régulation de l'énergie ( CRE), sur demande, les éléments détaillés ayant servi au calcul des coûts évitables, en ce compris la liste précise des coûts pris en compte, la méthode d'évaluation suivie et l'horizon temporel retenu, et ce au plus tard trente jours après la fin de chaque trimestre.

Article 4 : L'instruction au fond se poursuit sur les pratiques dénoncées par Direct Energie.

Délibéré sur le rapport oral de Mme Élise Provost, rapporteure et l'intervention de M. Umberto Berkani, rapporteur général adjoint, par Mme Élisabeth Flüry-Hérard, vice-présidente, présidente de séance, Mme Séverine Larère, Mme Pierrette Pinot et M. Noël Diricq, membres. La secrétaire de séance,

Caroline Chéron

La présidente de séance,

Elisabeth Flüry-Hérard

1 Cotes 3977-3980.

2 http://groupe.direct-energie.com/qui-sommes-nous/nous-decouvrir/direct-energie-en-bref/

3 http://groupe.direct-energie.com/nos-activites/produire/nouvelles-capacites-de-production/

4 Direct Energie, Comptes annuels 2014, p. 14 (http://groupe.direct-energie.com/fileadmin/Metiers/Groupe/Investisseurs/rapports_annuels/2014/20153003-comptes-sociaux-2014.pdf).

5 Sur cette organisation, voir Engie, Document de Référence 2014. http://www.connaissancedesenergies.org/sites/default/files/pdf-actualites/pod_gdfsuez_document-reference-2014_fr_rev01_bd.pdf

6 Voir ci-dessous, §17et s.

7 Cotes 915-919.

8 Cote 4343.

9 Cote 4343.

10 Article L.443-1 du code de l'énergie.

11 Avis n° 13-A-09 du 25 mars 2013 concernant un projet de décret relatif aux tarifs réglementés de vente de gaz naturel, point 55.

12 Voir les communiqués de presse de la Commission disponibles aux adresses suivantes : http://europa.eu/rapid/press-release_IP-06-1768_fr.htm?locale=en et http://europa.eu/rapid/press-release_IP-12-542_fr.htm.

13 Conseil d'Etat, arrêt du 15 décembre 2014, n° 370321, ECLI:FR:CESSR:2014:370321.20141215.

14 Délibération de la Commission de régulation de l'énergie du 28 mai 2015 portant décision sur les missions des gestionnaires de réseaux de distribution de gaz naturel relatives à la sortie des offres transitoires prévues par les dispositions de l'article 25 de la loi n°2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation.

15 Ordonnance n° 2016-129 du 10 février 2016 portant sur un dispositif de continuité de fourniture succédant à la fin des offres de marché transitoires de gaz et d'électricité.

16 Voir notamment cote 16, voir http://www.ecometering-gdfsuez.com/solutions/residentiel-collectif/pilotage-energies-habitat-collectif; https://www.ista.com/fr/solutions/repartition-des-frais-de-chauffage/quelles-solutions-dindividualisation/; http://www.proxiserve.fr/maitrise-consommations/consommation-energie-rfc.htm; http://www.techem.fr/; https://www.itron.com/fr/productsAndServices/gas/Pages/gas-meters-and-modules.aspx.

Graphique 1- Calendrier de l'ouverture de l'activité de fourniture de gaz au détail en France

Source : http://www.cre.fr/marches/marche-de-detail/marche-du-gaz

17 Article 9 de la directive 2012/27/UE du 25 octobre 2012 du Parlement européen et du Conseil relative à l'efficacité énergétique, qui a abrogé la directive 2006/32/CE du 5 avril 2006, du Parlement européen et du Conseil relative à l'efficacité énergétique dans les utilisations finales et aux services énergétiques. Voir également, concernant les copropriétés, les considérants 28 et 29.

18 http://www.ecometering-gdfsuez.com/solutions/residentiel-collectif/pilotage-energies-habitat-collectif.

19 Cotes 511-568.

20 Cotes 581-609.

21 Communication de la Commission européenne sur les lignes directrices de la Commission européenne relatives à la notion d'affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité, JOCE 2004/C101/07, 27 avril 2004, pages 81-96.

22 Ibid., paragraphes 19-20.

23 Cour de Justice, arrêts du 21 janvier 1999, Bagnasco e.a., aff. C-215/96 P et C-216/96, Rec. 1999 I-00135, ECLI:EU:C:1999:12, paragraphe 47 ; et du 25 octobre 2001, Ambulanz Glöckner, aff. C-475-99, Rec. 2001 I-08089, ECLI:EU:C:2001:577, paragraphe 48.

24 Cour de cassation, arrêt du 31 janvier 2012, France Télécom, n° 10-25.772, 10-25.775 et 10-25.882, p. 6.

25 Lignes directrices sur la notion d'affectation du commerce entre États membres, paragraphe 45.

26 Lignes directrices sur la notion d'affectation du commerce entre États membres, paragraphe 96.

27 Tribunal, arrêt du 6 juillet 2000, aff. T-62/98, Volkswagen AG / Com., Rec. 2000 II-02707, ECLI:EU:T:2000:180, paragraphe 230.

28 Voir par exemple, le soulignant, Conseil de la concurrence, rapport annuel 2001, étude thématique sur le marché pertinent, p. 3-4.

29 Communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence du 9 décembre 1997, JO C 372, paragraphe 7.

30 Ibid., paragraphe 8.

31 Voir en particulier la décision n° 10-D-19 de l'Autorité de la concurrence du 24 juin 2010 relative à des pratiques mises en œuvre sur les marchés de la fourniture de gaz, des installations de chauffage et de la gestion de réseaux de chaleur et de chaufferies collectives, paragraphes 158-159 ; décision n° 10-D-13 du 15 avril 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la manutention pour le transport de conteneurs au port du Havre, paragraphe 220.

32 Voir en particulier la décision n° 06-D-18 du Conseil de la concurrence du 28 juin 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la publicité cinématographique, paragraphe 144.

33 Voir notamment la décision de l'Autorité n° 12-DCC-20 du 7 février 2012 relative à la prise de contrôle exclusif d'Enerest par Electricité de Strasbourg, paragraphe 6 et la pratique décisionnelle citée. Voir également, Autorité, décision n° 14-MC-02 précitée, paragraphe 42.

34 Voir notamment la décision de l'Autorité n° 11-DCC-142 du 22 septembre 2011 relative à la prise de contrôle de la société Poweo par la société Direct Énergie, paragraphes 27-34. Voir aussi la décision de l'Autorité n° 12-DCC-20 précitée, paragraphes 19-26.

35 Communication de la Commission sur la définition du marché en cause, paragraphe 43.

36 Voir par exemple CRE, Le fonctionnement des marchés de détail français de l'électricité et du gaz naturel, Rapport 2012-2013, janvier 2014, p. 37 ; CRE, Observatoire des marchés de l'électricité et du gaz naturel, 2ème trimestre 2015, p.22, 26 et 42.

37 Décision de la Commission européenne n°COMP/M.4180, Gaz de France/Suez, 14 novembre 2006, paragraphe 356.

38 Autorité, décision n° 14-MC-02 précitée, paragraphes 45-48 et 61.

39 Cote 13.

40 Cote 3592.

41 CRE, rapport 2014-2015 sur le fonctionnement des marchés de détail français de l'électricité et du gaz naturel de novembre 2015, p. 26 et 47.

42 Voir ci-dessus, §17 et s.

43 Autorité, décision n° 14-MC-02 précitée, paragraphes 50-62.

44 Cote 3593.

45 Cotes 14-15.

46 Voir ci-dessous, §101 et 107.

47 Voir ci-dessus, §26.

48 Autorité, décision n° 14-MC-02 précitée, paragraphe 53.

49 Voir en particulier Cour de justice, arrêt du 14 novembre 1996, Tetra Pak International SA/ Com., aff. C-333/94 P, Rec. 1996 I-05951, ECLI:EU:C:1996:436, paragraphes 21-33 ; Décision n° 13-D-16 du 27 juin 2013 relative à une demande de mesures conservatoires concernant des pratiques mises en œuvre par le groupe SNCF dans le secteur du transport de personnes, paragraphes 149 et s.

50 Voir Commission, décision n° COMP/M.4180, Gaz de France/Suez, 14 novembre 2006, § 380-385. Voir également, Autorité, décision n° 12-DCC-20 précitée, § 27-29.

51 http://www.cre.fr/reseaux/infrastructures-gazieres/equilibrage

52 CRE, Le fonctionnement des marchés de détail français de l'électricité et du gaz naturel, Rapport 2014-2015-2013, novembre 2015, p. 50-51.

53 Voir ci-dessus, §30.

54 Pour le comptage individuel, voir notamment la délibération de la Commission de régulation de l'énergie du 17 juillet 2014 portant décision sur le cadre de régulation incitative du système de comptage évolué de GRDF. Pour le comptage en aval du point de raccordement, voir les articles R*131-1 et suivants du code de la construction et de l'habitation.

55 Voir par exemple l'arrêt du Tribunal, 17 décembre 2003, British Airways plc/ Com., aff. T-219/99, Rec. 2003 II-05917, ECLI:EU:T:2003:343, paragraphes 127-136.

56 Voir par exemple, la décision n° 04-D-44 du 15 septembre 2004 relative à une saisine présentée par le Ciné-Théâtre du Lamentin dans le secteur de la distribution et de l'exploitation de films, paragraphes 80 et s ; la décision n° 04-D-32 du 8 juillet 2004 relative à la saisine de la société More group France contre les pratiques du groupe Decaux.

57 Voir par exemple Autorité de la concurrence, Lignes directrices de l'Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations, 10 juillet 2013, paragraphe 476.

58 Cour de Justice, arrêt du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche & Co. AG/Com., aff. 85/76, Rec. 1979 00461, ECLI:EU:C:1979:36, paragraphe 38. Voir encore, récemment, Cour de Justice, arrêt du 6 décembre 2012, AstraZeneca e.a./Com., C-457/10 P, ECLI:EU:C:2012:770, paragraphe 175.

59 Autorité de la concurrence, Rapport annuel pour l'année 2010, page 239, citant comme référence française récente les décisions n° 10-D-02 du 14 janvier 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des héparines à bas poids moléculaire, et n° 10-D-39 du 22 décembre 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la signalisation routière verticale.

60 Voir notamment, Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l'application de l'article 82 du traité CE aux pratiques d'éviction abusives des entreprises dominantes, JO C045, 24 février 2009, paragraphes 12 et s.

61 Autorité de la concurrence, Rapport annuel pour l'année 2010, p. 239, faisant référence à l'arrêt de la Cour de Justice du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche & Co. AG/Com., aff. 85/76, Rec. 1979 00461, ECLI:EU:C:1979:36, paragraphe 41.

62 Cour de Justice, arrêt du 3 juillet 1991, Akzo Chemie BV / Com., C-62/86, Rec. 1991 I-03359, ECLI:EU:C:1991:286, paragraphe 60. Voir également, par exemple, Tribunal, arrêt du 1er juillet 2010, AstraZeneca AB e.a./Com., T-321/05, Rec. 2010 II-02805, ECLI:EU:T:2010:266, paragraphe 288.

63 Voir, par exemple, la décision n° 10-D-02 précitée, paragraphe 58, et la décision n° 10-D-32 du 16 novembre 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la télévision payante, paragraphes 265-266.

64 Cour de Justice, arrêt du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche & Co. AG/Com., aff. 85/76, Rec. 1979 00461, ECLI:EU:C:1979:36, paragraphe 41.

65 Tribunal, arrêt du 30 janvier 2007, France Télécom SA/Com., T-340/03, Rec. 2007 II-00107, ECLI:EU:T:2007:22, paragraphe 104. Voir également, Tribunal, Tribunal, arrêt du 1er juillet 2010, AstraZeneca AB e.a./Com., T-321/05, Rec. 2010 II-02805, ECLI:EU:T:2010:266, paragraphe 288.

66 Voir en particulier, la décision n° 10-D-32 précitée, paragraphes 274-275.

67 Cotes 2981-2982 et 4005-4006.

68 Cotes 3426-3427.

69 CRE, Observatoire des marchés de l'électricité et du gaz naturel, 2ème trimestre 2015, p.31.

70 Cour d'appel de Paris, arrêt du 31 octobre 2014, GDF, RG 2014/19335, p. 14.

71 Cote 3095.

72 Cotes 4001 et 4004 et s.

73 Voir cote 3094.

74 CRE, Observatoire des marchés de l'électricité et du gaz naturel, Marchés de détail, 3ème trimestre 2015, p. 26.

75 Voir ci-dessus, §87 à 92.

76 Voir ci-dessus §84.

77 CRE, Observatoire des marchés de l'électricité et du gaz naturel, 2ème trimestre 2015, p. 29 et 30.

78 CRE, Observatoire des marchés de l'électricité et du gaz naturel, 3ème trimestre 2015, p. 27.

79 CRE, Observatoire des marchés de l'électricité et du gaz naturel, Marchés de détail, 3ème trimestre 2015 p. 29.

80 Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 9 octobre 2012.

81 Cote 3451.

82 Cote 70.

83 Cotes 70, 3450-3451 et 3453.

84 Cotes 71, 3441 et 3452-3453.

85 Cotes 3445-3447

86 Cotes 3440-3444.

87 Cotes 71-72, 3454-3455.

88 Voir cotes 74 et s.

89 Cotes 559-561.

90 Cote 492.

91 Cotes 494-495. Le chiffre de 25 % évoqué par Direct Energie dans sa plainte (cote 54) n'est pas justifié à la lecture des annexes communiquées, celles-ci faisant état d'une réduction de 15 à 20 %.

92 Cote 54.

93 Cote 74.

94 Cotes 3623 et 4030-4032.

95 Cotes 3626-4267 et 4270.

96 Cote 4269.

97 Cote 3631.

98 Cote 4038.

99 Cotes 4035-4037.

100 Cotes 4038-4039.

101 Cotes 4039-4040.

102 Cotes 4039-4043.

103 Cotes 4043-4044.

104 Cotes 4044-4046.

105 Cotes 4066-4067.

106 Cotes 4067-4068.

107 Cotes 4019-4020.

108 Cotes 4068-4072 et 4272-4273.

109 Cotes 70-71.

110 Cote 70.

111 Cour d'appel de Paris, 6 novembre 2014, RG n° 2013/01128, p. 45-46.

112 Ibid., p. 46.

113 Voir la position développée par l'Avocat Général Kokott dans ses conclusions du 21 mai 2015 dans l'affaire Post Danmark A/S contre Konkurrencerådet, aff. C-23/14, ECLI:EU:C:2015:343, paragraphes 56-74.Voir également, en matière de rabais, Tribunal, arrêt du 12 juin 2014, Intel Corp., aff. T-286/09, ECLI:EU:T:2014:547, paragraphe 150 ; Cour, arrêt du 19 avril 2012, Tomra Systems e.a., aff. C-549/10 P, ECLI:EU:C:2012:221, paragraphe 80.

114 Arrêt Cour de Justice, arrêt du 27 mars 2012, Post Danmark A/S contre Konkurrencerådet, aff. C-209/10, ECLI:EU:C:2012:172, paragraphe 28 ; voir également arrêt du 17 février 2011, TeliaSonera Sverige AB contre Konkurrensverket, aff. 52/09, ECLI:EU:C:2011:83, paragraphe 41.

115 Arrêt du 6 novembre 2014 précité, p. 47.

116 Voir notamment arrêt Post Danmark précité, paragraphe 27. Voir également, par exemple, Autorité, décision n° 12-D-25 du 18 décembre 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport ferroviaire de marchandises paragraphes 500-514.

117 Voir, par exemple, décision n° 12-D-25 précitée, paragraphes 513-514 ; Orientations de la Commission, paragraphe 26 note de bas de page 2.

118 Voir Commission, DG Competition discussion paper on the application of Article 82 of the Treaty to exclusionary abuses, décembre 2005, paragraphe 107 et Orientations de la Commission, paragraphe 64 note de bas de page 3. Voir également, Commission, décision du 13 mai 2009, Intel, aff. COMP/C-3 /37.990, paragraphes 1036 et s. et Autorité, décision n° 12-D-25 précitée, paragraphes 514 et 533 et s.

119 La pratique décisionnelle prévoit en effet que dans les hypothèses dans lesquelles les coûts fixes sont importants, il peut être nécessaire d'adapter ce standard. Voir par exemple : Commission, décision Intel précitée, paragraphe 1036 ; discussion paper précité, paragraphe 126 ; Communication relative à l'application des règles de concurrence aux accords d'accès dans le secteur des télécommunications, JO C 265, paragraphes 110-115 ; Commission, décision du 4 juillet 2007, Wanadoo España/Telefónica, aff. COMP/38.784, paragraphes 316 et s. Conclusions de l'Avocat Général Mengozzi du 24 mai 2011 dans l'affaire Post Danmark, aff. C-209/10, ECLI:EU:C:2011:342, paragraphe 34.

120 Arrêt Post Danmark précité, paragraphes 37-44.

121 Voir, par exemple, arrêt Akzo Chemie BV / Com. précité, paragraphe 72.

122 Voir, par exemple, conclusions de l'Avocat Général Mengozzi dans l'affaire Post Danmark précitées, paragraphe 114.

123 Voir, par exemple, Conseil de la concurrence, Avis n° 04-A-17 du 14 octobre 2004 relatif à une demande d'avis présentée par l'Autorité de Régulation des Télécommunications en application de l'article L. 37-1 du code des postes et communications électroniques, paragraphe 8 ; Conseil de la concurrence, décision n° 04-D-48 du 14 octobre 2004 relative à des pratiques mises en œuvre par France Télécom, SFR Cegetel et Bouygues Télécom, paragraphes 200-201 ; Décision n° 07-MC-04 du 28 juin 2007 relative à une demande de mesures conservatoires de la société Direct Energie, paragraphe 88 ; décision n° 07-D-43 du 10 décembre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre par Electricité de France, paragraphes 122-131.

124 Cour, arrêt du 10 juillet 2014, Telefónica SA/Com., aff. C-295/12 P, ECLI:EU:C:2014:2062, paragraphe 133.

125 Commission, décision du 4 juillet 2007, Wanadoo España/Telefónica, aff. COMP/38.784, paragraphes 472-473. A l'inverse, la Commission a estimé que les données retenues par le régulateur sectoriel pour mener un test de ciseau tarifaire n'étaient pas pertinentes pour apprécier l'existence d'un ciseau tarifaire au sens du droit de la concurrence dès lors qu'il s'agissait d'estimations de coût et qu'elles étaient largement inférieures aux coûts constatés comme aux coûts envisagés par Telefónica elle-même (paragraphes 492-511).

126 CRE, délibération du 11 février 2010 portant approbation des principes de tenue des comptes séparés de GDF SUEZ pour les activités de fourniture entre clients finals aux tarifs réglementés et clients finals en offre de marché.

127 Avis n° 09-A-54 du 3 novembre 2009 relatif aux principes d'établissement de comptes séparés pour les ventes de gaz au client final de GDF, paragraphe 73.

128 CRE, rapport d'audit sur les coûts d'approvisionnement et hors approvisionnement de GDF Suez dans les tarifs réglementés de vente de gaz naturel, mai 2014, p. 25-26.

129 Cote 4235.

130 CRE, délibération du 18 juin 2015 portant avis sur le projet d'arrêté relatif aux tarifs réglementés de vente de gaz naturel en distribution publique de GDF Suez, p. 4-5; et CRE, Rapport sur les tarifs réglementés de vente de gaz de GDF SUEZ, Audit des coûts d'approvisionnement et hors approvisionnement, mai 2015, p. 33.

131 CRE, délibération du 18 juin 2015 portant avis sur le projet d'arrêté relatif aux tarifs réglementés de vente de gaz naturel en distribution publique de GDF Suez, page 5.

132 Cote 3112.

133 CRE, rapport sur les tarifs réglementés de vente de gaz de GDF SUEZ, Audit des coûts d'approvisionnement et hors approvisionnement, mai 2015, p. 33.

134 Cotes 3101 et 3104.

135 Cote 4215.

136 Cote 4224.

137 Cote 4341.

138 Cote 4339.

139 Cotes 2582 et 3274.

140 Cote 4185.

141 Cote 4270.

142 Cotes 4480-4482.

143 Cote 4339.

144 Cote 4270.

145 Cotes 4339 et 4270.

146 Cote 1029 (VC), cote 4233 (VNC).

147 Cote 3112.

148 Cote 4235.

149 Cote 658 (VC).

150 Cotes 658 et 1029 (VC).

151 Ibid.

152 Questions 5 à 9 du questionnaire du 26 octobre 2015, cotes 633-634.

153 Document Excel intitulé " PL (...) (ex post) résidentiels et petits professionnels " (cote 4201), document Excel intitulé " Ex Post EC " (cotes 4211, 4222 et 4252) ; et document Excel intitulé " V2PNL non résidentiel fin de période retraité par typologie d'offres v2 " (cote 4231).

154 Cotes 2616, 4197 et 4184.

155 Cote 4217.

156 Cote 4226.

157 Cotes 4346-4347.

158 Cote 4262.

159 Cotes 4346-4347.

160 Voir ci-dessus, §155 et s.

161 Cote 4069.

162 Cotes 4069-4070.

163 Cotes 4070-4071.

164 Cote 4071.

165 Cotes 4071-4072.

166 Cote 4219-4220.

167 Cote 4185.

168 Document Excel intitulé " Diffusion marges ex ante Prix individualisés " (cotes 4219-4220).

169 Cotes 1280-1281 (VC), 4219-4220 (VNC).

170 Cote 4129.

171 Cote 4226.

172 Cotes 1246-1278 et 2805 (VC).

173 Cote 4250.

174 Cote 3086.

175 Cotes 2805, 2808 et 1279-1281 (VC).

176 Cote 4354.

177 Cote 4354.

178 Cote 4354.

179 Cote 2805 (VC).

180 La valeur retenue est celle présente aux cotes 1246-1278 et 2805 (VC).

181 Cotes 1254, 1263, 1272 et 1277 (VC).

182 Voir ci-dessus, § 142 et s.

183 Conseil, décision n° 00-D-47 du 22 novembre 2000 relative aux pratiques mises en œuvre par EDF et sa filiale Citélum sur le marché de l'éclairage public.

184 Conseil, décision n° 00-D-57 du 6 décembre 2000 relative à des pratiques mises en œuvre par la SEM Gaz et Electricité de Grenoble et les sociétés GESTE et GEG Achats sur le marché des prestations de services dans le domaine de l'énergie et du bâtiment.

185 Conseil, décision n° 00-D-50 du 5 mars 2001 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Française des Jeux dans les secteurs de la maintenance informatique et du mobilier de comptoir.

186 Conseil, décision n° 00-D-47 précitée, p. 13.

187 Cour d'appel de Paris, arrêt du 20 novembre 2001, RG n°2001/06665 ; Cour de cassation, arrêt du 10 décembre 2003, RG n°01-17493, La Française des jeux.

188 Voir, sur ce point, la position développée par l'Avocat Général Mengozzi dans ses conclusions dans l'affaire Post Danmark, précitées, paragraphes 113-114 : " un tel niveau de prix [peut] comporter un risque d'éviction du concurrent de cette entreprise, dès lors que ce prix est susceptible d'être subventionné par les revenus tirés de l'activité, en partie réservée, de l'entreprise dominante sur le marché sur lequel elle opère en supportant des obligations de service universel ".

189 Cote 3112.

190 Cote 4515.

191 Voir par exemple les cotes 3623 et 4270.

192 Voir par exemple les cotes 3632 et 4040-4044.

193 Cote 4254.

194 Cote 4254.

195 Cote 754.

196 Cotes 2651-2652.

197 Question 1 et 3 du questionnaire du 26 octobre 2015, cote 633.

198 Cote 753.

199 Questions 5 à 9 du questionnaire du 26 octobre 2015, cotes 633-634.

200 Cotes 2599-2602 et 4173-4174.

201 Cotes 2616, 3332, 4184 et 4197.

202 Cotes 2651-2652.

203 Cotes 72-74.

204 Cote 73.

205 Cote 72.

206 Cote 73.

207 Cote 73.

208 Cotes 4057 et 4066.

209 Cotes 4059-4060.

210 Cotes 4061-4062.

211 Cotes 3010, 3349 et 3012 et 4060.

212 Cotes 3349, 4059 et 4063.

213 Cotes 4275-4276.

214 Conseil de la concurrence, rapport annuel 2007, étude thématique sur les exclusivités et les contrats de long terme, p. 89 et s.

215 Cote 3108.

216 Cote 3008.

217 Cote 3117.

218 Cote 3008.

219 Cote 3108.

220 Cotes 3349, 4059 et 4063.

221 Voir par exemple, cote 4278.

222 Voir ci-dessus, §256.

223 Cote 4275.

224 Cote 3108.

225 Cotes 31 et s.

226 Cote 32.

227 Cotes 32-33, 3433-3434, 3507-3508.

228 Cote 3435.

229 Cote 3436.

230 Cote 4014.

231 Cotes 4015-4016.

232 Cote 4018.

233 Cote 4019.

234 Ibid..

235 Ibid..

236 Décision n° 14-MC-02 précitée, articles 4 à 9.

237 Cour d'appel de Paris, arrêt du 31 octobre 2014 précité, p. 21.

238 Voir par exemple, Autorité, décision n° 15-D-11 du 24 juin 2015 relative à une demande de mesures conservatoires concernant des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des produits bruns, en particulier des téléviseurs, paragraphes 20 et s.

239 Cour de cassation, arrêt du 8 novembre 2005, Neuf Télécom, n° 04-16857.

240 Voir Autorité de la concurrence, décision n° 14-MC-02 précitée, paragraphes 208, 209 et 276 ; décision n° 14-MC-01 du 30 juillet 2014 relative à la demande de mesures conservatoires présentée par la société beIN Sports France dans le secteur de la télévision payante, paragraphes 228 et 229 ; décision n° 13-D-16 précitée, paragraphe 163 ; décision n° 13-D-04 du 14 février 2013 relative à une demande de mesures conservatoires concernant des pratiques mises en œuvre par le groupe EDF dans le secteur de l'électricité photovoltaïque, paragraphe 179.

241 Cote 88.

242 Cote 3118.

243 Cotes 3010, 3012 et 4060.

244 Cotes 4275-4276.

245 Cote 4019.

246 Cote 78.

247 Cote 79.

248 Cote 78-79.

249 Cotes 3464 et 3425.

250 Cote 3464.

251 Cotes 78 et 3469.

252 Cotes 80-81.

253 Cote 4083.

254 Cotes 3027 et 4084.

255 Cotes 3034 et 4095-4096.

256 Cotes 3035 et 4097-4099.

257 Cotes 2755 et 4099.

258 Cote 3117.

259Décision n° 14-MC-02 précitée, paragraphe 216.

260 Cour d'appel de Paris, arrêt du 31 octobre 2014 précité p. 12.

261 Ibid.

262 CRE, Observatoire des marchés de détail, 3ème trimestre 2015 p. 29.

263 Ces données tiennent aussi compte des clients connectés au réseau de transport, lesquels sont toutefois marginaux compte tenu du très faible nombre de sites connectés.

264 Autorité, décision n° 14-MC-02 précité, paragraphe 215.

265 Cour d'appel de Paris, arrêt du 31 octobre 2014 précité, p. 12.

266 Ibid., p. 13.

267 Cote 3098.

268 Cotes 3673 et 3472 et s.

269 Cotes 3674 et 3474.

270 Cote 3475.

271 Cote 3475.

272 Voir ci-dessus, §142 et s.