CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 6 mai 2016, n° 14-04905
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Griebel, Megafibre (SARL)
Défendeur :
NC Numéricâble (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Birolleau
Conseillers :
M. Richard, Mme Prigent
Avocats :
Mes Meynard, Samuel, Guizard, Elkrief
La société Megafibre et Monsieur Griebel sont appelants du jugement prononcé le 25 février 2014 par le Tribunal de commerce de Paris qui a dit irrecevable l'action de Monsieur Griebel, débouté la société Megafibre de ses demandes à l'encontre de la société Numéricâble, débouté Numéricâble de ses prétentions au titre de la violation de la clause de non-concurrence, condamné in solidum la société Megafibre et Monsieur Griebel à payer à la somme de 4 000 en application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de l'instance.
Vu les dernières conclusions des appelants signifiées le 9 février 2016 qui demandent à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris dans l'ensemble de ses dispositions, hormis celles ayant débouté Numéricâble de ses demandes ;
Statuant à nouveau,
- constater que Numéricâble venant aux droits de la société Numéricâble a rompu de manière abusive le contrat partenaire signé entre les parties ;
- condamner en conséquence Numéricâble à verser à Megafibre à titre de dommages et intérêts les sommes de 614 874,02 ;
- condamner Numéricâble à payer à Monsieur Griebel :
77 198,56 à titre de dommages et intérêts pour préjudice financier ;
150 000 à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
Le tout assorti des intérêts au taux légal à compter du jugement ;
- débouter Numéricâble de l'intégralité de ses prétentions ;
- condamner Numéricâble à verser à la société Megafibre et à Monsieur Steve Griebel la somme de 5 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 9 février 2016 de la société Numéricâble qui demande à la cour de :
A titre liminaire,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit l'action de Monsieur Griebel irrecevable pour défaut de qualité et d'intérêt à agir ;
- rejeter au surplus par voie de conséquence les pièces n° 28, 30 à 34, 50, 52, 81, 82, 84 correspondant aux prétendus préjudices personnels allégués, ou à défaut les déclarer dépourvues de force probante ;
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a écarté des débats les pièces n° 17 à 25 produites par les demandeurs ;
- rejeter purement et simplement au surplus les pièces produites aux débats par Monsieur Griebel et Megafibre n° 29, 37 à 40, 47, 61, 79, 83, 84, 88, 91, 94, ainsi que la nouvelle pièce 121 communiquée en appel, et a minima les déclarer dénuées de valeur probante ;
A titre principal,
- dire que la société NC Numéricâble vient aux droits de la société Numéricâble ;
- déclarer irrecevables les demandes de Megafibre en ce qu'elles reposent simultanément sur l'article 1134 Code civil d'une part, et sur les articles 1382 et 1383 du Code civil et L. 442-6 I 5° Code de commerce d'autre part, et violent le principe de non-cumul de responsabilité délictuelle et contractuelle ;
- confirmer en tout état de cause le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Megafibre de l'ensemble de ses prétentions, notamment indemnitaires, au titre de la rupture du contrat du 1er avril 2011, signifiée le 28 septembre 2011 en application des dispositions de son article 13 ;
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Megafibre de l'ensemble de ses prétentions, notamment indemnitaires, au titre d'une prétendue rupture brutale de relations commerciales établies, fondées sur les dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ;
A titre subsidiaire, et dans l'hypothèse où la cour infirmerait le jugement dont appel en retenant la responsabilité contractuelle ou subsidiairement la responsabilité délictuelle de Numéricâble,
- constater que la société Megafibre est à l'origine et est seule responsable de la rupture des relations commerciales ;
- dire qu'aucun préjudice n'a été subi par la société Megafibre et en tout état de cause, ne peut être opposé à Numéricâble ;
- dire qu'en application des dispositions du contrat dit Tripod, la responsabilité de la société NC Numéricâble venant aux droits de Numéricâble à l'égard de la société Megafibre est strictement limitée à la somme de 133 426,01 euros correspondant au chiffre d'affaires hors taxe facturé par la société Megafibre à la société Numéricâble au titre de 2011, année contractuelle au cours de laquelle la société Numéricâble a résilié le contrat Tripod du 1er avril 2011;
A titre reconventionnel et par appel incident,
- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société Numéricâble de l'ensemble de ses prétentions au titre de la prétendue violation de la clause contractuelle de non-concurrence ;
- constater que Monsieur Griebel est employé en qualité de VRP pour proposer des services concurrents de ceux de Numéricâble dans une même zone géographique que celle couverte par le contrat en date du 1er avril 2011 ;
En conséquence,
- dire que ces agissements sont constitutifs de concurrence déloyale portant préjudice à Numéricâble ;
- condamner Megafibre à verser à Numéricâble la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, du chef des agissements de concurrence déloyale de son gérant, dont elle se porte fort ;
- prononcer la compensation des créances dans l'éventualité où par impossible Numéricâble se voyait condamnée à indemniser les appelants dans la limite du plafond contractuel.
En tout état de cause,
- condamner solidairement la société Megafibre et Monsieur Griebel à payer la somme de 25 000 euros à la société NC Numéricâble, en vertu des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
MOTIFS DE LA DÉCISION
Considérant que Monsieur Griebel, salarié de la société Numéricâble jusqu'en octobre 2010, a créé la société Megafibre qui a conclu, le 1er avril 2011, avec la société Numéricâble un contrat de partenariat ; que ce contrat a été conclu pour une durée de trois ans ; que Numéricâble, par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 28 septembre 2011, a notifié à Megafibre la fin de la relation contractuelle et indiqué que la résiliation prendrait fin moyennant le préavis contractuel de trois mois expirant le 31 décembre 2011 ;
Considérant que, par exploit introductif d'instance délivré le 28 février 2012, la société Megafibre et Monsieur Steve Griebel ont assigné la société Numéricâble devant le Tribunal de commerce de Meaux aux fins notamment de voir constater que la société Numéricâble avait rompu de manière abusive le contrat signé entre les parties ;
Considérant que la société Megafibre sollicite la condamnation de la société Numéricâble à lui verser la somme de 614 874,02 et Monsieur Griebel sollicite la condamnation de la société Numéricâble à lui verser les sommes de 77 198,56 au titre de son préjudice financier et 150 000 au titre de son préjudice moral ;
Sur la recevabilité de l'action de Monsieur Griebel
Considérant que Numéricâble soulève, non l'incompétence de la juridiction commerciale, comme l'insinue Monsieur Griebel, mais l'irrecevabilité des demandes de Monsieur Griebel pour défaut d'intérêt à agir ; que Monsieur Griebel conclut à la recevabilité de son action au regard des investissements qu'il a réalisés dans la société Megafibre ;
Mais considérant que le contrat a été conclu entre la société Megafibre et la société Numéricâble ; que Monsieur Griebel n'est intervenu à la signature de la convention qu'en qualité de représentant de la société Megafibre, et non à titre personnel ; qu'il ne saurait davantage invoquer les investissements qu'il a réalisés dans la société Megafibre, ce préjudice n'étant rien d'autre que le préjudice d'actionnaire dont les appelants principaux ne démontrent pas qu'il serait propre à Monsieur Griebel et distinct de celui de Megafibre ; que l'action de Monsieur Griebel est, dans ces conditions, irrecevable pour défaut d'intérêt ; qu'en conséquence, la cour confirmera sur ce point le jugement entrepris ;
Sur la demande principale de la société Megafibre
Sur la recevabilité des demandes de la société Megafibre
Considérant que Numéricâble conclut à l'irrecevabilité des demandes Megafibre en ce qu'elles reposent simultanément sur deux régimes de responsabilité contractuelle et délictuelle non-cumulables ;
Mais considérant que le principe de non-cumul de responsabilité ne prohibe pas la présentation de demandes à titre subsidiaire ; qu'en l'espèce, le dispositif des conclusions signifiées le 9 février 2016 par Megafibre fait état d'une demande présentée à titre principal au visa des "articles 1134 du Code civil et L. 442-6 du Code de commerce", et d'une demande formulée "subsidiairement au visa des articles 1382 et 1383 du Code civil et L. 442-6 I 5° du Code de commerce" ; que Megafibre n'invoque donc pas simultanément deux régimes de responsabilité, mais articule ses prétentions en une demande principale fondée sur la responsabilité contractuelle et en une demande subsidiaire fondée sur la responsabilité délictuelle ; que Numéricâble sera en conséquence déboutée de son exception d'irrecevabilité ;
Sur la nullité de l'article 13.1 § 2 du contrat du 1er avril 2011
Considérant que l'article 13.1 § 2 du contrat du 1er avril 2011 prévoit que " d'un commun accord entre les parties, la période initiale inclut une période probatoire de six mois qui permet à chacune des parties de s'assurer de l'adéquation de ses attentes avec la pratique du contrat. A l'issue de la période probatoire, chacune des parties pourra décider, par envoi à l'autre partie d'une lettre recommandée avec AR, de ne pas poursuivre le contrat et de résilier son engagement de plein droit et sans indemnité avec un préavis de trois mois " ;
Considérant que Megafibre soutient que l'article 13.1 § 2 du contrat du 1er avril 2011 encourt la nullité en application de l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce en ce qu'il crée un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, dès lors que :
- il confère à Numéricâble un droit arbitraire de résiliation sans justification d'un quelconque motif ;
- le fournisseur (Megafibre) ne peut apporter aucune correction à un quelconque manquement ;
- aucune compensation au déséquilibre ainsi créé ne peut être trouvée dans les autres clauses de la convention ;
Mais considérant que l'article 13.1 § 2 ouvre le droit de résilier unilatéralement le contrat de façon égale à chacune des parties, dans les mêmes conditions et offre à chacune la faculté de tirer les enseignements de la période probatoire ; qu'elle n'institue dès lors aucun déséquilibre entre les parties au sens de l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce ; que Numéricâble sera déboutée de sa demande de nullité de l'article 13.1 § 2 ;
Sur le caractère abusif de la rupture du contrat par Numéricâble
Considérant que la société Megafibre fait valoir qu'alors que la rupture d'un contrat à durée déterminée avant son terme est subordonnée à l'existence d'une faute grave du contractant justifiant la résiliation anticipée, les motifs de la résiliation en l'espèce avancés par Numéricâble ne présentent aucun caractère réel ni sérieux ;
Mais considérant que, si les conventions stipulées à durée déterminée doivent, en principe, s'exécuter jusqu'à leur terme, il est loisible aux parties de convenir d'une possibilité de rupture unilatérale avant l'expiration du contrat, sous réserve du respect d'un préavis, sans qu'il ne soit nécessaire de justifier d'un motif de résiliation ; que tel est le cas en l'espèce, dès lors qu'aux termes de l'article 13.1 § 2 du contrat :
- la résiliation pouvait intervenir, hors de la période probatoire, à tout moment, sous réserve du respect d'un préavis de trois mois ;
- durant cette période, la partie prenant l'initiative de la résiliation n'avait pas à fournir de motifs ;
- la rupture ne pouvait, en ce cas, donner lieu à indemnité ;
Considérant que le préavis contractuel a été respecté ; que la rupture est intervenue conformément aux prévisions de l'article 13.1 § 2 ; que c'est, en conséquence, de façon pertinente que les premiers juges ont dit que la résiliation à l'initiative de Numéricâble ne présentait aucun caractère abusif et ne pouvait donner lieu à indemnité ; que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Megafibre de ses demandes de ce chef ;
Sur la demande subsidiaire de la société Megafibre fondée sur l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce
Considérant que l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce dispose qu' "engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte, notamment, de la durée de la relation commerciale. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution, par l'autre partie, de ses obligations ou en cas de force majeure" ;
Considérant que l'application de l'article L. 442-6 I, 5° suppose l'existence d'un courant d'affaires suivi, régulier et d'une durée significative ; que tel n'est pas le cas de la relation de Numéricâble et de Megafibre qui, s'agissant du contrat Tripod, a débuté le 1er avril, ou, si l'on prend pour référence le début d'exécution du contrat boutique, en décembre 2010, pour s'achever le 28 septembre 2011 ; qu'une relation de seulement six mois, voire dix, est d'une durée trop brève pour présenter le caractère d'une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6 I, 5° ; que le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté Megafibre de sa demande de ce chef ;
Sur la demande reconventionnelle de la société Numéricâble du chef de concurrence déloyale
Considérant que Numéricâble sollicite la condamnation de la société Megafibre à lui verser la somme de 20 000 à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice subi du chef des agissements de concurrence déloyale de son gérant, Monsieur Griebel, dont Megafibre s'est portée fort ;
Considérant que l'article 16.2 du contrat du 1er avril 2011 stipule qu' " en cas de dénonciation, résiliation ou expiration du contrat, pour quelque raison que ce soit, le partenaire (Megafibre) (ainsi que ses sociétés affiliées, associées majoritaires et dirigeants) s'interdira, pour une période de 12 mois suivant l'expiration ou la résiliation, et dans la zone de diffusion, d'exercer, directement ou indirectement, en quelque qualité que ce soit, une activité commerciale similaire ou identique à celle exercée par le partenaire dans le cadre de ce contrat " ;
Considérant qu'il est constant que Monsieur Griebel, gérant de la société Megafibre, a été embauché le 10 janvier 2012 en qualité de VRP par la société DMP Sales and Marketing aux fins de proposer des abonnements de Canal + dans l'est de la France ;
Mais considérant que c'est à raison que les premiers juges ont retenu que l'activité de Monsieur Griebel n'était répréhensible :
- ni au regard de sa zone d'intervention, Monsieur Griebel n'étant intervenu que sur la ville de Strasbourg, alors que la zone de diffusion prévue par le contrat Tripod se limitait, dans le département du Bas Rhin, à sa partie sud, soit le secteur de Sélestat ;
- ni au regard de son activité, Numéricâble ne rapportant pas la preuve que Monsieur Griebel avait démarché ses clients, le raisonnement hypothétique développé par Numéricâble - aux termes duquel " il était loisible à Monsieur Griebel de conserver par devers lui la base de données d'abonnés de Numéricâble " - étant insuffisant à constituer une telle preuve ;
Qu'aucune violation de l'article 16.2 du contrat n'étant, dans ces conditions, établie, la cour, adoptant les motifs pertinents du tribunal, confirmera la décision déférée en ce qu'elle a débouté la société Numéricâble de ces demandes ;
Considérant que, sans qu'il y ait lieu de statuer sur la demande de rejet de pièces, le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions ;
Considérant qu'il sera fait application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que précisé au dispositif ;
Par ces motifs Statuant contradictoirement, Confirme le jugement en toutes ses dispositions, Condamne in solidum la société Megafibre et Monsieur Griebel à payer la somme de 4 000 à la société Numéricâble en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel, Condamne in solidum la société Megafibre et Monsieur Griebel aux dépens d'appel dont distraction au profit de Me Guizard.