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Décisions

CE, 10e ch. jugeant seule, 2 mai 2016, n° 375428

CONSEIL D'ÉTAT

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Rapporteur :

M. Paris

Commissaire du gouvernement :

M. Crépey

Avocats :

SCP Piwnica, Molinié

CE n° 375428

2 mai 2016

LE CONSEIL : - Vu la procédure suivante : - La SARL Alter Nego a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite, née le 10 octobre 2012, par laquelle le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a refusé de lui communiquer le rapport ou le procès-verbal faisant ressortir les conclusions de l'enquête portant sur les pratiques tarifaires de l'entreprise Euronext ainsi que l'ensemble des documents et témoignages recueillis lors de ces investigations et leurs éventuelles analyses, dont il avait demandé communication par courrier du 23 juillet 2012, et, d'autre part, d'enjoindre à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) de lui communiquer les documents sollicités.

Par un jugement n° 1218271/6-2 du 10 décembre 2013, le tribunal a fait droit à cette demande.

Par un pourvoi et quatre nouveaux mémoires, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 12 février 2014, 24 novembre 2014 et les 28 juillet, 3 août et 31 août 2015, le ministre de l'Economie et des Finances demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande de la SARL Alter Nego.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le Code du commerce ;

- la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 ;

- le Code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Timothée Paris, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la SARL Alter Nego ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que par un procès-verbal dressé le 24 novembre 2008 en application des articles L. 450-2, L. 450-3 et L. 470-6 du Code de commerce, un commissaire enquêteur des services déconcentrés de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a enregistré la plainte de M. X, représentant légal de la SARL Alter Nego, contre la société Euronext, pour pratiques discriminatoires et abus de position dominante. L'enquêteur s'est rendu à Paris le 20 février 2009 au siège d'Euronext pour entendre la directrice des affaires juridiques qui lui a transmis le 20 mars 2009 plusieurs documents en réponse à sa demande. Par courrier du 6 mai 2009, la DGCCRF à Lyon a fait savoir à M. X que cette enquête nécessitait des prolongements par le biais de services spécialisés. Mais, par lettre du 26 octobre 2009, le directeur du cabinet du ministre de l'Economie écrivait à M. X que " au vu des éléments recueillis lors des investigations menées par les services du ministère, les pratiques d'Euronext ne semblent pas contrevenir aux dispositions du droit de la concurrence. Par conséquent, la DGCCRF n'entend pas poursuivre les investigations à ce titre ". Par un jugement du 10 décembre 2013, le Tribunal administratif de Paris a, à la demande de la SARL Alter Nego, annulé la décision implicite de refus de communication de documents que l'Administration avait opposée à la société et enjoint au ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie de communiquer à la SARL Alter Nego le rapport d'enquête, le procès-verbal d'audition de la directrice des affaires juridiques d'Euronext et les analyses de l'enquêteur sur les documents transmis par Euronext. Le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie se pourvoit contre ce jugement du tribunal administratif de Paris.

2. Aux termes des dispositions de l'article premier de la loi de 1978 : " sont considérés comme documents administratifs, au sens des chapitres Ier, III et IV du présent titre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, directives, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions et décisions ". Aux termes des dispositions de l'article 2 de la même loi : " Sous réserve des dispositions de l'article 6, les autorités mentionnées à l'article 1er sont tenues de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande ".

3. En se bornant à soutenir, d'une part, que les seules pièces existantes dans le dossier, qui sont déjà en la possession de la SARL Alter Nego, seraient la plainte déposée par M. X et les documents transmis par Euronext et, d'autre part, que la DGCCRF n'a produit ni rapport d'enquête, ni procès-verbal de recueil de déclarations, et pas davantage de procès-verbal d'analyse et de synthèse des documents reçus, le ministre ne fournit aucun élément ni explication permettant d'apprécier comment l'Administration a forgé sa position, ni à l'issue de quel processus interne et sur quels fondements elle a décidé l'arrêt des investigations relatives aux pratiques d'Euronext. Dans ces conditions c'est sans entacher son jugement ni de dénaturation des pièces du dossier et ni d'erreur de droit au regard de l'article 2 de la loi du 17 juillet 1978, que le tribunal administratif a estimé que l'inexistence des documents sollicités ne pouvait être regardée, dans les circonstances de l'espèce, comme établie.

4. Par ailleurs, le tribunal administratif, pour estimer que des documents, parmi ceux dont la communication était sollicitée, avaient été établis au cours de l'enquête réalisée par la DGCCRF et pour en déduire, contrairement à ce que soutenait le ministre en défense, qu'ils existaient, a pu, sans commettre d'erreur de droit, se fonder, parmi d'autres circonstances, sur les dispositions de l'article L. 450-2 du Code de commerce qui prévoient que les enquêtes donnent lieu à l'établissement de procès-verbaux, et, le cas échéant, de rapports.

5. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'Economie et des Finances n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque. Ses conclusions doivent, par suite, être rejetées. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la SARL Alter Nego, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.

Décide :

Article 1er : Le pourvoi du ministre de l'Economie et des Finances est rejeté.

Article 2 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à la SARL Alter Nego au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'Economie et des Finances et à la SARL Alter Nego.