CA Aix-en-Provence, premier président, 22 avril 2016, n° 16-00147
AIX-EN-PROVENCE
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
Chaumet International (SA)
Défendeur :
L'Hermine (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Touvier
Avocats :
Mes Cherfils, Badie, Scheider Trupheme, Labi
EXPOSE DU LITIGE
Par jugement en date du 22 février 2016, le Tribunal de commerce de Marseille a, entre autres dispositions :
- ordonné à la SA Chaumet International de procéder à l'intégration de la SARL L'Hermine dans son réseau de distribution sélective dans le mois de la signification de la décision, sous astreinte de 1 000 euro par jour de retard ;
- condamné la SA Chaumet International à payer à la SARL L'Hermine la somme de 90 000 euro au titre de son préjudice financier consécutif au refus de l'exploitation de la marque Chaumet, la somme de 100 000 euro à titre de dommages-intérêts pour pratique anticoncurrentielle et la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;
- ordonné l'exécution provisoire du jugement excepté en ce qui concerne les condamnations au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
La SA Chaumet International a interjeté appel de ce jugement le 7 mars 2016.
Par acte d'huissier du 7 mars 2016, la SA Chaumet International a fait assigner la SARL L'Hermine en référé, devant le premier président de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, pour obtenir :
- l'arrêt de l'exécution provisoire du jugement du 22 février 2016, sur le fondement de l'article 524 du Code de procédure civile ;
- subsidiairement, la condamnation de la SARL L'Hermine à constituer une caution bancaire en garantie des condamnations pécuniaires prononcées à son encontre ;
- très subsidiairement, l'autorisation de consigner les sommes mises à sa charge ;
- que les dépens soient réservés.
A l'audience, la société Chaumet International a sollicité le bénéfice de son assignation.
La SARL L'Hermine a repris ses conclusions déposées à l'audience tendant :
- au débouté de la société Chaumet International de ses demandes ;
- subsidiairement, à ce qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle ne s'oppose pas à la constitution d'une garantie bancaire au profit de la société Chaumet International ;
- à la condamnation de la demanderesse au paiement de la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Il est fait référence aux écritures susvisées des parties pour l'exposé de leurs moyens.
MOTIFS DE LA DECISION
1- Sur l'arrêt de l'exécution provisoire
En application de l'article 524 du Code de procédure civile, lorsque l'exécution provisoire a été ordonnée, elle ne peut être arrêtée, en cas d'appel, par le premier président ou son délégataire statuant en référé, que si elle est interdite par la loi ou si elle risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives. Celles-ci sont appréciées au regard de la situation du débiteur de l'obligation, compte tenu de ses facultés et au regard de celles de remboursement de la partie adverse.
Il ne revient pas au premier président de porter une appréciation sur le mérite de l'appel ni sur le bien-fondé du prononcé de l'exécution provisoire. Les développements de la demanderesse sur le fond du litige et sur l'absence de motivation de l'exécution provisoire sont ainsi inopérants dans le cadre de la présente instance.
La société Chaumet International fait valoir que l'intégration forcée de la société L'Hermine générerait une profonde modification de sa politique commerciale entraînant des conséquences irrémédiables et constituerait une violation du principe essentiel de la liberté contractuelle.
Cependant, l'ajout d'un point de vente sur Marseille ne saurait remettre en cause l'ensemble de la politique commerciale de la société Chaumet sur le territoire français alors que c'est en raison de l'absence d'une politique claire de sélection de ses revendeurs que le tribunal de commerce a estimé que la société Chaumet s'était livrée à une pratique anticoncurrentielle à l'encontre de la SARL L'Hermine, pratique déjà sanctionnée par un arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence en date du 23 mai 2012. Si la société Chaumet devait être confrontée à des revendications de sélection d'autres commerçants, elle pourrait leur opposer le caractère non définitif du jugement l'obligeant à créer un point de vente supplémentaire à Marseille. Enfin, la société Chaumet qui distribue ses produits sur le plan international ne justifie pas d'une impossibilité de faire face à l'approvisionnement en bijoux d'un nouveau point de vente. Quant à la violation du principe de la liberté contractuelle, il s'agit d'une question de fond ne relevant pas de l'appréciation du premier président statuant en référé. Il n'y a dès lors pas lieu de faire droit à la demande d'arrêt de l'exécution provisoire de la disposition du jugement relative à l'intégration de la SARL L'Hermine dans le réseau de distribution sélective de la société Chaumet.
La société Chaumet International invoque également un risque de non-restitution des fonds par la SARL L'Hermine en cas de réformation du jugement. A l'appui de ses dires elle produit l'analyse des comptes de la défenderesse par un expert-comptable qui conclut à "une grande fragilité financière de la société, dont la pérennité est assurée par le soutien financier de ses associés dont elle est totalement dépendante, lesquels, au vu de l'activité en déclin et des résultats réalisés, ne peuvent pas à ce jour espérer un remboursement de leurs importants comptes courants".
Il ressort des comptes de la SARL L'Hermine pour 2014 que cette société a réalisé un chiffre d'affaires de 1 226 486 euro et un bénéfice net de 40 145 euro, et que ses capitaux propres s'élèvent à 515 059 euro. Elle est en outre propriétaire de son fonds de commerce en plein centre de Marseille et son droit au bail est évalué à 933 700 euro par un expert évaluateur inscrit sur la liste des experts près la Cour d'appel d'Aix-en-Provence. Il s'ensuit que la SARL L'Hermine est une entreprise florissante présentant des garanties de solvabilité en cas d'obligation de restituer la somme de 190 000 euro que lui aura versée la société Chaumet. La société Chaumet échoue ainsi à établir l'existence d'un risque de conséquences manifestement excessives et sera déboutée de sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire du jugement du 22 février 2016.
2- Sur l'aménagement de l'exécution provisoire
L'article 524 du Code de procédure civile prévoit que le premier président peut aussi prendre les mesures préues aux articles 517 à 522 consistant en la subordination de l'exécution provisoire à la constitution d'une garantie ou la suspension de l'exécution provisoire en contrepartie de la consignation des fonds pour garantir le montant de la condamnation.
Compte tenu de la solvabilité de la SARL L'Hermine, il est superflu d'imposer à cette société les frais de constitution de garantie bancaire. Il n'y a pas lieu non plus de différer l'indemnisation effective de son préjudice, qui perdure depuis plus de trois ans, en autorisant la consignation des sommes qui lui ont été allouées. La société Chaumet International sera en conséquence déboutée de ses demandes d'aménagement de l'exécution provisoire.
2- Sur l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens
L'action de la demanderesse n'étant pas fondée, il serait inéquitable de laisser à la charge de la société L'Hermine les frais, non compris dans les dépens, qu'elle a exposés pour la présente procédure. Il convient de lui allouer à ce titre la somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Chaumet International supportera en outre les dépens de l'instance.
Par ces motifs : Statuant en référé, après débats en audience publique, par décision contradictoire, Déboutons la SA Chaumet International de ses demandes d'arrêt et d'aménagement de l'exécution provisoire du jugement rendu le 22 février 2016 par le tribunal de commerce de Marseille ; Condamnons la SA Chaumet International à payer à la SARL L'Hermine la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamnons la SA Chaumet International aux dépens.