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Décisions

CA Paris, Pôle 6 ch. 3, 10 mai 2016, n° 14-06432

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Fresillon

Défendeur :

BFG Capital (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Fontanaud

Conseillers :

Mmes Vendryes, Nemoz

Avocats :

Mes Manes, Perel

Cons. prud'h. Paris, du 13 mai 2014

13 mai 2014

Un contrat d'agent commercial a été signé entre Monsieur Fresillon et la société BFG Capital, spécialisée dans le conseil en gestion de patrimoine, le 12 octobre 2010.

Ce contrat a pris fin selon un protocole de rupture transactionnelle signé le 13 septembre 2011.

Monsieur Fresillon a saisi le Conseil de prud'hommes de Paris le 20 décembre 2011 d'une demande de requalification du contrat d'agent commercial en contrat de travail.

Par jugement rendu le 13 mai 2014, le Conseil de prud'hommes de Paris a débouté Monsieur Fresillon de l'ensemble de ses demandes et la société BFG Capital de ses demandes reconventionnelles.

Monsieur Fresillon a interjeté appel de ce jugement (RG 14/06432 et 14/06434 )

Par conclusions visées au greffe le 8 mars 2016 au soutien de ses observations orales auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens, Monsieur Fresillon demande l'infirmation du jugement, la requalification de son contrat d'agent commercial en un contrat de travail, et la condamnation de la société BFG Capital à lui verser les sommes suivantes :

21 494,43 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive

7 164,80 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 716,48 euros à titre de congés payés incidents,

1 432,96 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

42 988,86 euros à titre de dommages-intérêts pour travail dissimulé,

2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions visées au greffe le 8 mars 2016 au soutien de ses observations orales auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens, la société BFG Capital demande, à titre principal, la confirmation du jugement, à titre reconventionnel sa réformation et la condamnation de Monsieur Fresillon à lui régler la somme de 6 000 euros correspondant à la commission qu'il a perçue de la vente au profit de Monsieur Witdoeck,

à titre subsidiaire elle demande de voir constater le caractère légitime de la rupture, le rejet des demandes de Monsieur Fresillon, à titre infiniment subsidiaire voir calculer les sommes dues sur la base d'un salaire annuel de 33 023 euros et en tout état de cause la condamnation de Monsieur Fresillon à lui régler la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS

L'appel ayant donné lieu à l'ouverture de deux dossiers, il convient pour une bonne administration de la justice de joindre les dossiers enregistrés sous les numéros RG 14/06432 et 14/06434.

- Sur la requalification sollicitée

L'existence d'une relation de travail salarié ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donné à la convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité professionnelle;

L'article L. 134-1 du Code de commerce définit l'agent commercial, personne physique ou morale, comme étant un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestations de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux.

La condition d'indépendance qui s'en déduit est déterminante, la reconnaissance du lien de subordination étant exclusive de la qualité d'agent commercial;

Le lien de subordination est, pour sa part, caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné;

En l'espèce, il résulte des pièces produites aux débats que la société BFG Capital demandait à l'ensemble de ses collaborateurs dont Monsieur Fresillon de participer dans ses bureaux à une réunion hebdomadaire, l'entreprise énonçant, par courriel, dont notamment celui produit par le salarié en date du 4 août 2011, l'ordre du jour et les points à examiner c'est-à-dire l'activité de chacun relativement aux semaines passées et présentes, les dossiers de financement, les objectifs à atteindre d'ici la fin du mois, les opportunités et les perspectives;

Le courriel adressé le 26 juin 2011 par Monsieur Oheix, consultant associé, mentionne à cet égard que l'agenda google de chacun était préparamétré en indisponibilité le mardi matin en vue de la réunion hebdomadaire ce, afin de pouvoir débriefer les expériences de la semaine, assurer une information générale et rencontrer de nouveaux partenaires, Monsieur Oheix demandant assiduité et ponctualité à cette réunion, sollicitant de chacun le retour d'un rapport d'activité complété et renseigné pour le lundi matin à 10 heures;

Ce même courriel justifie que l'intéressé était tenu d'actualiser cet agenda sur lequel étaient visés le nom de ses clients et le lieu des rendez-vous, Monsieur Oheix indiquant à cet égard que de telles mentions lui permettaient d'attribuer à chacun davantage de rendez-vous et précisant notamment que chacun de ces derniers devait être confirmé par texto et faire l'objet d'un retour dans un délai de deux heures maximum;

Monsieur Oheix y précise que tout manquement entraînera un arrêt de l'attribution des rendez-vous;

Dans un courriel du 30 juillet 2011, Madame Gorzin, directeur exécutif, sollicite pour sa part de l'intéressé le compte rendu de rendez-vous fournis par la cellule, la nécessité d'indiquer s'il s'agit d'un rendez-vous ciblé ou non, ainsi que le planning de travail prévu avec le client avec la date, l'heure et le lieu tandis que par courrier du 1er juin 2011, elle rappelle à l'ordre Monsieur Fresillon pour ne pas avoir rendu son compte rendu d'activité;

La cour observe enfin que Monsieur Fresillon était détenteur d'une carte de visite à en tête de la société BFG Capital et délivrée par celle-ci, mentionnant sa qualité de consultant senior;

Il se déduit des éléments susvisés que Monsieur Fresillon était tenu d'une présence à des réunions hebdomadaires de travail dans les locaux de la société BFG Capital, que son agenda se voyait contrôler dans un but d'optimisation par l'employeur, que celui-ci lui attribuait des rendez-vous et en contrôlait l'effectivité, qu'un manquement de sa part dans l'information à retourner à la société BFG Capital concernant son activité entraînait un arrêt de l'attribution de rendez-vous, que l'intéressé était tenu de rendre compte de ces derniers, de ses objectifs, des plannings de travail prévus avec le client,

Il s'en déduit un dépassement du cadre normal de l'obligation de rendre compte imposé à un mandataire et l'existence d'un service organisé au sein duquel Monsieur Fresillon accomplissait son travail sous la direction et le contrôle de la société BFG Capital;

Pour s'opposer à la requalification du contrat, la société BFG Capital fait valoir que Monsieur Fresillon n'avait pas une relation de travail exclusive à son égard ayant continué à travailler pour la société Fidelium;

Le moyen ne développe pas précisément en quoi cette autre relation de travail implique l'impossibilité de prononcer la requalification sollicitée;

Il résulte en tout état de cause des pièces produites aux débats, que Monsieur Fresillon a été associé de la société Imagin en 2010, que par courrier du 13 septembre 2010, la société Fidelium mentionne qu'elle a cessé sa collaboration avec l'intéressé le 30 septembre 2010 tandis que la réponse à la sommation interpellative du 20 septembre 2012 produite par la société BFG Capital mentionne pour sa part que Monsieur Fresillon a travaillé début 2011 avec la société Fidelium en tant qu'auto-entrepreneur;

Aucun élément ne vient cependant justifier aux débats de la matérialité et du contenu d'une relation de travail de Monsieur Fresillon avec la société Imagin non plus qu'avec la société Fidelium entre le 12 octobre 2010 et le 13 septembre 2011;

Dès lors, le moyen ainsi soulevé par la société BFG Capital ne peut qu'être écarté et l'existence d'un lien de subordination étant établi, il convient de requalifier le contrat d'agent commercial en contrat de travail, le jugement du conseil de prud'hommes étant infirmé de ce chef.

- Sur la rupture de la relation de travail et les demandes en paiement

Aux termes de l'article 2048 du Code civil, les transactions se renferment dans leur objet : la renonciation qui y est faite à tous droits, actions et prétentions, ne s'entend que de ce qui est relatif au différend qui y a donné tandis qu'aux termes de l'article 2049, les transactions ne règlent que les différends qui s'y trouvent compris ;

En l'espèce, le protocole de rupture transactionnelle en date du 13 septembre 2011 vise à mettre un terme à la relation contractuelle issue du contrat d'agent commercial;

Elle n'a donc pas l'autorité de la chose jugée s'agissant des conséquences de la rupture de la relation de travail ici requalifiée ;

La société BFG Capital fait valoir que l'intéressé a détourné sa clientèle pendant l'exécution du contrat et après l'expiration de celui-ci et sollicite dans ces conditions de voir rejeter la demande visant à voir dire que la rupture de son contrat constitue un licenciement sans cause réelle et sérieuse;

Il convient cependant d'opposer à l'entreprise qu'en l'absence de procédure de licenciement et de lettre de rupture en développant les motifs, le défaut de caractère réel et sérieux de ce dernier ne peut qu'être constaté ;

Sur la base de la rémunération perçue en vertu du contrat initial ici requalifié telle que se déduisant des éléments produits par le salarié et auxquels la société BFG Capital n'oppose aucune pièce, il est du à Monsieur Fresillon une indemnité compensatrice de préavis d'un montant de 7 164,81 euros outre congés payés incidents ainsi qu'une somme de 1 432,96 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement;

Compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération, de l'âge de Monsieur Fresillon, d'une durée d'emploi inférieure à deux ans et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il lui sera alloué une somme de 10 000 euros à titre d'indemnité au titre du défaut de cause réelle et sérieuse de la rupture;

L'article L. 8221-1 du Code du travail prohibe le travail totalement ou partiellement dissimulé défini par l'article L. 8221-3 du même code relatif à la dissimulation d'activité ou exercé dans les conditions de l'article L. 8221-5 du même code relatif à la dissimulation d'emploi salarié.

Aux termes de l'article L. 8223-1 du Code du travail, le salarié auquel l'employeur a recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 du même code relatifs au travail dissimulé a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

Toutefois, la dissimulation d'emploi salarié prévue par ces textes n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a agi de manière intentionnelle;

Or, en l'espèce, la signature par l'entreprise d'un contrat d'agent commercial ne permet pas d'établir son intention de dissimuler une activité salariée ;

La demande de ce chef sera donc écartée.

- sur la demande reconventionnelle de la société BFG Capital

La société BFG Capital sollicite ici le paiement d'une somme de 6 000 euros à titre de dommages et intérêts correspondant à la commission perçue par Monsieur Fresillon dans le cadre d'une vente conclue en septembre 2011 au profit de Monsieur Witdoeck, prospect provenant d'un de ses partenaires, la société Crinco, avec lequel l'appelant avait eu plusieurs rendez-vous à compter d'avril.

Il ressort d'un courriel de Madame Crepin, de la société Crinco, fournisseur de prospect de la société BFG Capital, que Monsieur Witdoeck a eu un rendez-vous avec Monsieur Fresillon le 15 avril 2011, qu'interrogeant ce client, elle a appris de sa part au mois de juin qu'il restait suivi mais ne souhaitait pas faire d'investissement, que cependant, le 22 septembre 2011, Monsieur Witdoeck lui a annoncé avoir signé un LMNP à Fréjus d'une valeur de 200 000 euros par l'intermédiaire de Monsieur Fresillon qu'il avait vu quatre fois avant de signer ;

Dans un courriel du 26 juillet 2012, Madame Rodriguo, de la société Nexity, confirme la vente au nom de ce client le 19 septembre 2011 ayant donné lieu à une commission d'un montant de 13 858,70 euros HT au profit de la société Select Patrimoine;

Étant relevé qu'un contrat de travail doit faire l'objet d'une exécution loyale, qu'il se déduit des éléments susvisés que la vente conclue par Monsieur Witdoeck trouve son origine dans la mission d'intermédiation de Monsieur Fresillon à une époque où celui-ci était contractuellement lié à la société BFG Capital et qu'en finalisant cette vente pour le compte de la société Select Patrimoine, le salarié a manqué à ses obligations de fidélité et de non-concurrence, il est fait droit à la demande de dommages-intérêts sollicitée par la société BFG Capital à hauteur de 6 000 euros.

Il est rappelé que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par la défenderesse de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes soit le 25 juin 2013 et que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter de la présente décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.

Par ces motifs : LA COUR Ordonne la jonction des instances enregistrées sous les n° RG 14/06432 et 14/06434 ; Infirme le jugement susvisé ; Prononce la requalification du contrat d'agent commercial de Monsieur Fresillon en un contrat de travail ; Condamne la société BFG Capital à payer à Monsieur Fresillon les sommes suivantes : 7 164,81 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 716,48 euros à titre de congés payés incidents, 1 432,96 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, 10 000 euros à titre d'indemnité au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse ; Déboute Monsieur Fresillon de sa demande fondée sur le travail dissimulé ; Faisant droit à la demande reconventionnelle, Condamne Monsieur Fresillon à payer à la société BFG Capital la somme de 6 000 euros à titre de dommages-intérêts au titre du manquement à son obligation de loyauté et de non concurrence ; Dit que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter du 25 juin 2013 et que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter de la présente décision ; Vu l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute la société BFG Capital de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ; Condamne la société BFG Capital à payer à Monsieur Fresillon en cause d'appel la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; Condamne la société BFG Capital aux dépens.