CA Dijon, 2e ch. civ., 28 avril 2016, n° 13-02367
DIJON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Four banal (GAEC)
Défendeur :
AGCO finance (SNC), AGCO distribution (SAS), Matériel agricole Graillot (SA), Bobcat France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Ott
Conseillers :
M. Wachter, Mme Dumurgier
Avocats :
Mes Cotillot, Renevey, Bourron, Lecasble, Gromek, Gerbay, Legentil, Amiot, Selarl Sigrist, Associés
Faits et procédure
Le 5 mai 1998, la SNC Massey Ferguson Finance France, aux droits de laquelle se trouve désormais la SNC AGCO Finance, a donné à crédit-bail au GAEC du Four Banal un chargeur télescopique de marque Massey Ferguson type 8937 n° de série 4206 d'une valeur de 275 000 Francs HT, soit 41 923,47 euro HT.
L'engin, fabriqué par la SA Bobcat France, a été acquis par la société AGCO Finance auprès de la SA Matériel Agricole Graillot, qui l'avait elle-même acquis de la SAS AGCO Distribution.
Des difficultés de fonctionnement étant apparues sur l'engin, le GAEC du Four Banal a saisi le juge des référés du Tribunal de grande instance de Chaumont qui, par ordonnance du 17 février 2004, a ordonné une expertise technique confiée à M. M.
Par ordonnance du 25 mars 2005, le juge des référés a ordonné une nouvelle expertise et a chargé M. R. de son exécution. Celui-ci a été remplacé par M. D. puis par M. M., lequel a déposé le rapport de ses opérations le 6 mai 2011.
Entre temps, faisant valoir que le GAEC du Four Banal avait cessé de s'acquitter de ses loyers, la société AGCO Finance a fait assigner celui-ci devant le Tribunal de grande instance de Chaumont par exploit du 9 mars 2010 aux fins d'obtenir le paiement des loyers arriérés ainsi que la restitution sous astreinte du matériel loué.
Par exploits des 8 et 12 juillet 2011, le GAEC du Four Banal a fait assigner la société AGCO Distribution et la société Matériel Agricole Graillot en résolution pour vice caché de la vente intervenue entre ces deux sociétés, ainsi que de la vente intervenue entre la société Matériel Agricole Graillot et la société AGCO Finance, en constatation de la résiliation corrélative du crédit-bail à compter du mois d'avril 1999, date à laquelle l'usage correct de l'engin était devenu impossible, et en condamnation solidaire de ces sociétés à lui verser la somme de 36 465,80 euro correspondant aux loyers réglés à compter de cette date à la société AGCO Finance, outre 10 000 euro de dommages et intérêts en réparation des préjudices causés.
Par exploit du 30 août 2012, la société AGCO Distribution a fait assigner la société Bobcat France en jugement commun.
La jonction de ces diverses procédures a été ordonnée.
Dans le dernier état de ses conclusions, la société AGCO Finance a contesté la prescription de la demande relative aux loyers, et a sollicité la condamnation du GAEC du Four Banal à lui verser à ce titre la somme de 10 793,87 euro, ainsi que la restitution sous astreinte du chargeur télescopique. Elle a par ailleurs sollicité, dans l'hypothèse où la vente serait résiliée, la condamnation de la société Matériel Agricole Graillot à lui verser la somme de 50 559,71 euro.
Le GAEC du Four Banal a soulevé la prescription de la demande de la société AGCO Finance en paiement des loyers, a demandé que la société AGCO Finance ainsi que tous les autres intervenants soient condamnés solidairement à le garantir des vices cachés affectant la chose, et que les ventes successives soient résolues, les vendeurs lui devant paiement des sommes réglées au titre des loyers à compter d'avril 1999.
La société Matériel Agricole Graillot a sollicité le rejet de toutes les demandes formées à son encontre au motif que le vice était au final imputable au seul fabricant, subsidiairement a conclu à la garantie de la société AGCO Distribution. A titre reconventionnel, elle a réclamé la condamnation solidaire du GAEC du four Banal et de la société AGCO Distribution à lui régler la somme de 14 096,96 euro correspondant au coût de ses interventions sur l'engin.
La société AGCO Distribution, faisant valoir que l'expertise mettait en cause l'utilisation qui avait été faite du chargeur par le GAEC du Four Banal, a conclu au rejet des demandes formées à son encontre, subsidiairement a réclamé la garantie de la société Bobcat France, à laquelle elle estimait l'expertise opposable.
La société Bobcat France, considérant que l'expertise judiciaire lui était inopposable dès lors qu'elle n'y avait pas été appelée, a réclamé le rejet des demandes formées contre elle par la société AGCO Distribution.
Par jugement du 14 novembre 2013, le tribunal a considéré par application des dispositions de l'article 2224 du Code civil que la demande de la société AGCO Finance était recevable pour l'échéance de loyer du 20 avril 2005, mais prescrite pour les échéances antérieures. Rappelant que le contrat de crédit-bail était expiré puisque le dernier loyer était stipulé au 20 avril 2005, et considérant d'une part que l'éventuel prononcé de la résolution du contrat n'aurait pour effet de permettre la résiliation du crédit-bail qu'à compter du jugement, et d'autre part que le bailleur n'était au terme du contrat pas tenu des vices cachés envers le preneur, le tribunal en a déduit que l'échéance du 20 avril 2005 était due, que la demande de résiliation du contrat de crédit-bail était sans objet, et que le bien loué devait être restitué. Pour le reste, les premiers juges ont déclaré les demandes du GAEC du Four Banal irrecevables, rappelant d'abord que le contrat de crédit-bail faisait de l'autorisation du bailleur, qui n'avait pas été obtenue en l'espèce, une condition de recevabilité de l'action du preneur au titre des vices cachés, et constatant ensuite que la demande en résolution des ventes avait été formée alors que le contrat de crédit-bail était expiré, de telle sorte que le GAEC du Four Banal n'avait plus aucun droit sur la chose louée. Le tribunal a en conséquence :
- sur les demandes de la SNC AGCO Finance :
- déclaré l'action en paiement des loyers antérieurs au 20 avril 2005 atteinte de prescription ;
- dit que l'action en résolution de la vente ne peut qu'entraîner la résiliation du contrat de crédit-bail prononcée au jour du jugement ;
- constaté que le crédit-bail est expiré ;
- dit que la SNC AGCO Finance n'a pas commis de faute dans l'exécution du contrat ;
- condamné le GAEC du Four Banal à payer à la SNC AGCO Finance la somme de 7 293,16 euro augmentée des intérêts au taux de 16% l'an à compter du 20 avril 2005 ;
- dit que les intérêts échus depuis un an se capitaliseront ;
- ordonné la restitution du chargeur télescopique de marque Massey Ferguson type 8937 n° de série 4206 à la SNC AGCO Finance sous astreinte de 300 euro par jour de retard, courant à compter de l'expiration du délai d'un mois à compter de la signification du jugement et durant un an ;
- autorisé, à défaut d'exécution spontanée, la SNC AGCO Finance à appréhender le bien en quelque lieu qu'il se trouve avec le recours éventuel de la force publique ;
- condamné le GAEC du Four Banal à payer à la SNC AGCO Finance la somme de 2 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- sur la demande de dommages et intérêts du GAEC du Four Banal :
- débouté le GAEC du Four Banal de sa demande de dommages et intérêts à l'encontre de la SNC AGCO Finance ;
- sur la demande en résolution de la vente :
- déclaré irrecevable la demande en résolution de la vente formée par le GAEC du Four Banal ;
- condamné le GAEC du Four Banal à payer à la SA Matériel Agricole Graillot la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamné le GAEC du Four Banal à payer à la SAS AGCO Distribution la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamné la SAS AGCO Distribution à payer à la SA Bobcat France la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamné le GAEC du Four Banal aux dépens incluant les frais d'expertise ;
- autorisé la SCP Bocquillon-Boesch-Gromiek et la SCP Wilhelem-Bourron-Wilhelem à recouvrer contre le GAEC du Four Banal ceux des dépens dont elles auront fait l'avance sans avoir reçu provision.
Le GAEC du Four Banal a relevé appel de cette décision le 24 décembre 2013.
Par conclusions notifiées le 14 mars 2014, l'appelant demande à la cour :
- de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré prescrite, au moins partiellement, la créance de la société AGCO Finance ;
Vu les dispositions des articles 1166, 1641 et suivants du Code civil, 1721 du même Code,
- de constater que le matériel litigieux était atteint de vices cachés et, dans ces conditions,
- de condamner in solidum AGCO Finance, AGCO Distribution et la société Graillot à payer au GAEC du Four Banal une somme de 36 465,80 euro à titre de dommages et intérêts, avec intérêts de droit ;
- de condamner in solidum les intimées à payer au GAEC du Four Banal une somme de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts pour les préjudices de tous ordres subis par le GAEC du Four Banal du fait du matériel défaillant (perte de temps, etc.) ;
- de dire qu'en cas de condamnation du GAEC du Four Banal au profit d'AGCO Finance, il y aura lieu de condamner AGCO Distribution et la société Graillot à garantir le GAEC du Four Banal de toutes condamnations qui interviendraient à son encontre ;
- de condamner in solidum les intimées à payer au GAEC du Four Banal une somme de 10 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, compte tenu de la procédure particulièrement longue et laborieuse ;
- de condamner les intimées in solidum aux entiers dépens, lesquels comprendront notamment les frais de référé et d'expertise.
Par conclusions notifiées le 2 mai 2014, la société AGCO Finance demande à la cour :
Vu l'article 1134 du Code civil,
- de débouter le GAEC du Four Banal de l'ensemble de ses demandes, fins, conclusions dirigées à l'encontre de la société AGCO Finance ;
- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a notamment été décidé de :
- condamner la GAEC du Four Banal à payer à la société AGCO Finance la somme de 7 293,16 euro, augmentée des intérêts au taux de 16 % l'an, à compter du 20 avril 2005 et avec capitalisation des intérêts ;
- ordonner la restitution du chargeur télescopique de marque Massey Ferguson type 8937, numéro de série 4206 et, à défaut, autoriser la société AGCO Finance à l'appréhender en quelque lieu qu'il se trouve avec le recours éventuel à la force publique ;
- débouter le GAEC du Four Banal de sa demande de dommages et intérêts dirigée à l'encontre de la société AGCO Finance ;
- condamner le GAEC du Four Banal à payer à la société AGCO Finance la somme de 2 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner le GAEC du Four Banal aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise ;
Y ajoutant,
- de condamner la société Matériel Agricole Graillot à payer la somme de 50 559,71 euro à la société AGCO Finance dans l'hypothèse d'une résolution de la vente ;
- de condamner le GAEC du Four Banal à payer à la société AGCO Finance la somme de 3 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- de condamner le GAEC du Four Banal aux dépens.
Par conclusions notifiées le 28 avril 2014, la société Matériel Agricole Graillot demande à la cour :
- de constater que l'imputabilité finale du vice caché ne saurait être faite à la société Matériel Agricole Graillot mais uniquement au fabriquant ;
En conséquence, si le jugement attaqué n'était pas confirmé en l'état,
- de débouter le GAEC du Four Banal et AGCO Finance de ses demandes à l'encontre de la SAS Matériel Agricole Graillot ;
A titre subsidiaire, en cas de condamnation de la SAS Matériel Agricole Graillot à régler la moindre somme,
- de dire et juger que AGCO Distribution lui devra intégralement garantie de toutes les sommes qui seraient éventuellement mises à sa charge ;
A titre reconventionnel,
- de condamner le GAEC du Four Banal solidairement avec AGCO Distribution ou l'un à défaut de l'autre, à payer à la SAS Matériel Agricole Graillot, la somme de 14 096,96 euro correspondant à son préjudice arrêté à octobre 2011 ;
- de condamner solidairement le GAEC du Four Banal et AGCO Distribution à payer à la SAS Matériel Agricole Graillot, la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- de laisser les entiers dépens à la charge d'AGCO Distribution et du GAEC du Four Banal et d'en prononcer distraction au profit de la SCP Bocquillon-Boesch-Gromiek, avocats aux offres de droit.
Par conclusions notifiées le 7 mai 2014, la société AGCO Distribution demande à la cour :
- de donner acte à la société AGCO Distribution de ce qu'elle s'en remet à l'appréciation de la cour sur la confirmation du jugement relatif aux rapports entre la société AGCO Finance et le GAEC du Four Banal ;
- de constater que le rapport de M. M. met en cause l'utilisation du matériel par le GAEC du Four Banal ;
- de confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné le GAEC du Four Banal à payer à la société AGCO Distribution la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
En conséquence,
- de débouter le GAEC du Four Banal de l'ensemble de ses demandes de condamnation in solidum à titre de dommages-intérêts à l'encontre de la société AGCO Distribution ;
Subsidiairement, dans l'hypothèse où la responsabilité du fabricant du chargeur télescopique pourrait être mise en cause,
Vu l'article 16 du Code de procédure civile,
- de dire et juger le rapport d'expertise judiciaire opposable à la société Bobcat France ;
- de condamner la société Bobcat France à garantir la société AGCO Distribution de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre ;
En conséquence,
- d'infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné la société AGCO Distribution à payer à la société Bobcat France la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Y ajoutant :
- de condamner la ou les parties succombantes à payer à la société AGCO Distribution la somme de 3 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- de mettre les dépens, comprenant les frais d'expertise, à la charge de qui il appartiendra dont distraction au profit de la SCP W.-B.-W..
Par conclusions notifiées le 4 juillet 2014, la société Bobcat France demande à la cour :
Au principal,
- de confirmer le jugement déféré ;
Y ajoutant,
- de condamner l'appelant ou qui mieux d'entre les parties le devra, à payer a la société Bobcat France la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel ;
Subsidiairement,
- de constater l'inopposabilité du rapport d'expertise à la société Bobcat ;
- de débouter la société AGCO Distribution de sa demande de garantie à l'encontre de la société Bobcat ;
- de débouter la société AGCO Distribution de ses demandes de condamnation formées à l'encontre de la société Bobcat ;
- de condamner la société AGCO Distribution à payer à la société Bobcat la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel.
La clôture de la procédure a été prononcée le 26 novembre 2015.
Sur ce, LA COUR
Vu les dernières écritures des parties auxquelles la cour se réfère,
Sur les relations entre la SNC AGCO Finance et le GAEC du Four Banal
Il y a lieu à titre liminaire de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré prescrits les loyers antérieurs à l'échéance du 20 avril 2005, cette disposition n'étant remise en cause par aucune des parties.
Il n'est par ailleurs pas contesté que le GAEC du Four Banal a laissé impayée la dernière échéance annuelle de loyer du contrat de crédit-bail, à savoir celle du 20 avril 2005, pour un montant de 7 293,16 euro TTC.
L'appelant conteste cependant devoir cette somme, et réclame du crédit-bailleur, solidairement avec les vendeurs, le remboursement des loyers versés depuis le mois d'avril 1999, au motif que le matériel objet de ce contrat était affecté de vices cachés, en fondant sa demande à l'égard de la société AGCO Finance sur les dispositions de l'article 1721 du Code civil.
Le crédit-bailleur s'oppose à cette argumentation en faisant valoir qu'elle était contractuellement déchargée de toute garantie afférente au matériel.
L'article 1721 du Code civil dispose qu'il est dû garantie au preneur pour tous les vices ou défauts de la chose louée qui en empêchent l'usage, quand même le bailleur ne les aurait pas connues lors du bail, et que s'il résulte de ces vices ou défauts quelque perte pour le preneur, le bailleur est tenu de l'indemniser.
La garantie posée par ce texte n'est pas d'ordre public, de telle façon qu'il peut y être dérogé par des conventions particulières.
En l'occurrence, les conditions générales du contrat conclu entre les parties le 5 mai 1998 comportent un paragraphe 3.5 intitulé "garantie du fournisseur", qui est libellé de la manière suivante : "Le locataire ne bénéficie d'aucune autre garantie que celle accordée par le Fournisseur, lequel s'est engagé à accorder directement au Locataire cette garantie en vertu d'une stipulation au profit du Locataire faite par le Bailleur dans le bon de commande au Fournisseur. En conséquence, le Bailleur est déchargé de toute responsabilité ou obligation à ce titre. Les recours seront directement assurés par le Locataire à ses frais et en son nom propre (...)".
Cette stipulation, qui décharge la société AGCO Finance de toute garantie au titre du matériel loué, et en fait supporter l'entière charge au fournisseur, à savoir la société Matériel Agricole Graillot, est dépourvue de toute équivoque quant à sa portée, peu important à cet égard qu'elle ne fasse pas expressément référence à l'article 1721 du Code civil.
L'appelant est dès lors mal fondé, pour s'opposer aux demandes du bailleur, à invoquer à son encontre la garantie des vices cachés.
Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'après avoir rappelé que le contrat était arrivé à expiration et qu'aucune faute n'était caractérisée à l'encontre du crédit-bailleur, il a condamné le GAEC du Four Banal au paiement du loyer arriéré non prescrit, avec capitalisation des intérêts, et à la restitution sous astreinte du matériel objet du crédit-bail, et rejeté la demande indemnitaire formée contre la société AGCO Finance.
Sur les relations entre le GAEC du Four Banal et les sociétés Matériel Agricole Graillot et AGCO Distribution
Le jugement déféré n'a pas examiné la demande du GAEC du Four Banal tendant au paiement par ces sociétés d'une somme équivalente aux loyers réglés au bailleur, outre une somme à titre de dommages et intérêts, dès lors que le GAEC appuyait cette demande sur la résolution préalable pour vice caché des ventes intervenues respectivement entre les sociétés Matériel Agricole Graillot et AGCO Finance, et entre les sociétés AGCO Distribution et Matériel Agricole Graillot, le tribunal considérant que cette demande de résolution était elle-même irrecevable comme étant contractuellement soumise à l'autorisation préalable du bailleur, qui n'avait pas été sollicitée.
L'irrecevabilité de la demande en résolution de la vente sera confirmée pour n'être remise en cause par aucune des parties.
A hauteur d'appel, le GAEC du Four Banal articule toutefois différemment sa demande à l'encontre des sociétés Matériel Agricole Graillot et AGCO Distribution, puisqu'elle ne poursuit plus la résolution des contrats de vente, mais sollicite la condamnation in solidum du fournisseur du matériel ainsi que de son vendeur originel à l'indemniser du préjudice qui est résulté pour lui du vice caché affectant le bien loué, ce dommage consistant dans le règlement depuis le mois d'avril 1999 de loyers de crédit-bail pour la mise à disposition d'un matériel qui, depuis cette date, était devenu impropre à son usage. Contrairement à l'action résolutoire, la recevabilité de cette demande n'est pas soumise par le contrat de crédit-bail à l'autorisation préalable du bailleur.
Cette demande est susceptible de prospérer à l'encontre de la société matériel Graillot sur le fondement de la garantie stipulée directement à son profit par le fournisseur, telle que précédemment rappelée, et à l'encontre de la société AGCO Distribution sur le fondement des articles 1641 et suivants du Code civil, la garantie contre les vices cachés pouvant être poursuivie par le sous-acquéreur, auquel doit être assimilé le GAEC du Four banal, contre le vendeur originel.
L'existence d'un vice caché n'est pas contestée par la société Matériel Agricole Graillot, qui se limite sur ce point à faire valoir qu'elle n'était qu'un intermédiaire dans la vente du matériel, le vice caché étant imputable au seul fabricant. Cet argument est cependant dépourvu de toute pertinence, puisque c'est bien la société Graillot qui est tenue à garantie envers le GAEC du Four Banal en sa qualité de fournisseur du matériel. Au demeurant, il n'est pas inutile de rappeler qu'en matière de vice caché, chacun des vendeurs successifs est tenu à garantie, peu important à cet égard que le vice ne lui soit pas personnellement imputable.
La société AGCO Distribution fait valoir quant à elle que les dysfonctionnements affectant le chargeur télescopique ne résultaient pas d'un vice caché, mais d'une utilisation non conforme aux préconisations du constructeur de la part du GAEC du Four Banal.
L'intimée indique ainsi qu'il résulte des énonciations non contestées de l'expert judiciaire que l'engin a été employé à la limite de ses performances dans le cadre d'une utilisation non habituelle, à savoir le curage des stabulations avec le bras télescopique en position horizontale, ce qui induit sur celui-ci des efforts différents de ceux générés par les opérations d'empilage vertical auxquelles l'engin est normalement destiné.
Toutefois, l'expert judiciaire a pris position sur l'argument défendu par la société AGCO Distribution, et l'a écarté de manière parfaitement circonstanciée. Il a ainsi relevé en premier lieu que si l'utilisation faite par le GAEC du Four Banal n'était effectivement pas celle pour laquelle l'engin était originellement conçu, elle n'était néanmoins ni prohibée, ni même simplement déconseillée par le fabricant. Il a ensuite observé après démontage du mât et des patins de guidage que ces éléments étaient en parfait état de fonctionnement, et ne présentaient notamment aucune déformation induite par les efforts horizontaux non centrés générés par l'utilisation litigieuse. Il a surtout constaté que les désordres affectant le véhicule consistaient en un dysfonctionnement du réducteur des roues, résultant de la rupture des entretoises de fixation de la couronne dentée du réducteur, dont les morceaux sont ensuite venus abîmer la denture de la couronne crantée elle-même. Ce dysfonctionnement est survenu sur le réducteur de la roue arrière gauche, qui était cassé lors de l'expertise, et sur celui de la roue avant droite, qui avait déjà fait l'objet par deux fois d'un remplacement par la société Graillot. M. M. a précisé avoir fait procéder à une analyse métallographique du métal employé pour la réalisation des entretoises des réducteurs, et qu'il en résultait que ces éléments avaient fait l'objet d'un traitement de cémentation normalement destiné à en augmenter la résistance mécanique, mais que ce traitement était en l'espèce de mauvaise qualité, et qu'il avait au final abouti à un résultat diamétralement opposé à celui escompté, puisqu'il avait altéré les joint des grains du métal, faisant ainsi chuter fortement les caractéristiques mécaniques des pièces. L'expert ajoute encore avoir procédé à des calculs d'efforts prenant en compte l'utilisation qui avait été faite du chargeur par le GAEC du Four Banal, et qu'il en résultait que dans toutes les hypothèses possibles, à condition que les traitements des métaux soient de bonne qualité, les efforts dans les différentes pièces du réducteur pouvaient être repris sans que les contraintes atteignent les limites élastiques des matériaux, M. M. précisant par ailleurs que c'était vainement qu'il avait sollicité les parties pour qu'elles produisent le cas échéant des calculs divergents.
Il résulte donc sans ambiguïté de ces éléments techniques, dont les pièces produites par la société AGCO Distribution ne permettent pas de remettre en cause le bien-fondé faute d'élément nouveau non pris en compte par l'expert judiciaire, que l'origine des désordres affectant l'engin réside dans un vice de fabrication limitant la résistance mécanique intrinsèque d'une pièce pourtant destinée à encaisser les efforts fournis lors du fonctionnement, et non l'utilisation qui a été faite du matériel, laquelle n'était en elle-même pas de nature à provoquer la rupture de ces pièces.
Ce vice était incontestablement préexistant à toute vente, indécelable pour l'acheteur ou le locataire, et de nature à rendre l'engin impropre à sa destination, puisqu'entraînant son immobilisation.
Le GAEC du Four Banal est dès lors bien fondée à solliciter de la société Matériel Agricole Graillot et de la société AGCO Distribution qu'elles l'indemnisent in solidum du préjudice qui est résulté pour lui de l'existence de ce vice caché. Force est cependant de constater qu'il réclame à ce titre la prise en charge des loyers depuis le mois d'avril 1999, alors qu'il résulte du rapport d'expertise que la première rupture de réducteur, celle affectant la roue avant droite, est survenue le 5 janvier 2000. S'il ressort de l'historique dressé par l'expert que plusieurs interventions étaient déjà intervenues avant cette date, il doit cependant être relevé qu'elles concernaient d'autres problèmes (freinage, fuite sur vérin, jeu dans le mât...) dont il n'est pas établi qu'ils soient en lien avec le vice litigieux. Surtout, M. M. précise qu'il a été remédié par deux fois à la rupture du réducteur avant droit, et que le GAEC n'a cessé d'utiliser le chargeur qu'à compter du mois de décembre 2002 à la suite de la rupture du réducteur de la roue arrière gauche. C'est donc à compter de cette dernière date que le locataire a réglé sans contrepartie les loyers au bailleur.
Etant rappelé que les loyers étaient payables annuellement à hauteur de 7 293,16 euro TTC à l'échéance du 20 avril, les sociétés Graillot et AGCO Distribution devront indemniser in solidum le GAEC du Four Banal des loyers correspondant à la période s'étendant de décembre 2002 au 31 mars 2005, qui s'établissent à la somme de 18 840,66 euro, soit (7 293,16 euro x 4/12) + (2 x 7 293,16 euro).
L'appelante sollicite en outre la condamnation des sociétés Graillot et AGCO Distribution à le garantir de toutes condamnations prononcées à son encontre au profit de la société AGCO Finance. Si cette demande est bien fondée s'agissant du loyer correspondant à l'échéance annuelle de loyer du 20 avril 2005, il en va différemment des condamnations accessoires, qui sanctionnent la carence du locataire dans le respect de ses obligations envers le bailleur, auquel il convient de rappeler que les vices affectant le bien loué étaient inopposables.
Il convient dès lors d'ajouter à la somme de 18 840,00 euro le montant de 7 293,16 euro correspondant à l'échéance annuelle du 20 avril 2005, de telle sorte que les sociétés Graillot et AGCO Distribution seront en définitive condamnées in solidum à payer à l'appelant la somme totale de 26 133,82 euro, qui portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Le GAEC du Four Banal réclame par ailleurs une somme complémentaire de 10 000 euro. Il est incontestable que les désordres affectant l'engin ont contraint le locataire à engager une procédure de référé-expertise qui s'est révélée particulièrement longue, puisqu'elle a vu se succéder quatre experts, et s'est conclue par le dépôt du rapport d'expertise plus de 7 ans après l'ordonnance, et qu'il en est nécessairement résulté pour le GAEC du Four Banal des pertes de temps et des tracasseries indépendantes du seul paiement des loyers. La cour dispose des éléments d'appréciation suffisants pour évaluer ces préjudices complémentaires à la somme de 3 000 euro, au paiement de laquelle les sociétés Graillot et AGCO Distribution seront condamnées in solidum.
Sur les relations entre les sociétés Matériel Agricole Graillot et AGCO Distribution
En sa qualité de vendeur d'un matériel affecté d'un vice caché, la société AGCO Distribution sera condamnée à garantir son acquéreur, la société Graillot, de toutes les condamnations prononcées à son encontre au bénéfice du GAEC du Four Banal.
Sur les relations entre les sociétés AGCO Distribution et Bobcat France
Il sera rappelé qu'en dépit de la durée particulièrement longue de la procédure d'expertise, et bien que l'hypothèse d'un vice caché ait été clairement invoquée dans le cadre de ces opérations, la société AGCO Distribution n'a pas estimé utile d'attraire à l'expertise la société Bobcat France, à l'encontre de laquelle elle n'a fait délivrer assignation que le 30 août 2012, soit postérieurement au dépôt du rapport d'expertise de M. M., et dans le cadre de l'instance au fond diligentée à son encontre par le GAEC du Four Banal.
Dans ces conditions, force est de constater que l'expertise judiciaire n'est pas opposable à la société Bobcat France.
Or, l'existence d'un vice caché fondant la demande de garantie formée par la société AGCO Distribution contre le fabricant du matériel n'est établie que par cette seule expertise judiciaire, à l'exclusion de tout autre élément suffisamment probant.
Dès lors que faute d'avoir été appelée aux opérations, il ne peut être tiré aucun argument de cette expertise contre la société Bobcat France, la demande de garantie est vouée à l'échec.
Sur la demande en paiement formée par la société Matériel Agricole Graillot
Cette demande avait été soumise aux premiers juges, qui ont cependant omis de statuer sur ce point.
La société Graillot sollicite la condamnation solidaire du GAEC du Four Banal et de la société AGCO Distribution à lui verser une somme de 14 096,96 euro HT correspondant au préjudice qu'elle estime subir, et qu'elle décompose de la manière suivante :
- facture de réparation du 30 juin 2002 : 5 352,71 euro HT
- enlèvement du chargeur en vue de l'expertise : 720,00 euro HT
- démontage des éléments en vue de l'expertise : 880,00 euro HT
- gardiennage du 4 décembre 2009 au 31 octobre 2011,
soit 697 jours à 10,25 euro : 7 144,25 euro HT
Il sera observé que la facture du 30 juin 2002 est relative au remplacement du réducteur avant droit, et qu'elle correspond donc à une intervention nécessitée par le vice caché affectant le véhicule. Il en est de même des autres postes, y compris s'agissant du gardiennage, qui est la résultante directe de l'immobilisation de l'engin.
La société Graillot est à l'évidence mal fondée à solliciter du GAEC du Four Banal l'indemnisation d'un préjudice causé par un vice dont elle a été elle-même reconnue responsable envers le GAEC.
La demande est en revanche fondée en tant qu'elle est formée à l'encontre de la société AGCO, qui doit garantie à la société Graillot des vices cachés affectant l'engin.
Le quantum de la demande est établi par les pièces versées aux débats, à savoir la facture du 30 juin 2002 et le devis soumis à l'expert relativement aux frais d'enlèvement, de démontage et de gardiennage du chargeur.
La société AGCO Distribution sera donc condamnée à payer à la société Graillot la somme de 14 096,96 euro HT.
Sur les autres demandes
Le jugement déféré sera infirmé s'agissant de l'article 700 du Code de procédure civile et des dépens.
Il n'est pas inéquitable de laisser à chaque partie la charge des frais irrépétibles qu'elles ont engagés pour leur défense.
Les sociétés Graillot et AGCO seront condamnés aux entiers dépens de première instance, qui comprendront notamment ceux de l'instance en référé et les frais d'expertise, et d'appel.
Par ces motifs, LA COUR : Statuant en audience publique et par arrêt contradictoire, Déclare le GAEC du Four Banal recevable et partiellement fondé en son appel ; En conséquence : Confirme le jugement rendu le 14 novembre 2013 par le tribunal de grande instance de Chaumont sauf en ses dispositions relatives à l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens ; Y ajoutant : Condamne in solidum la SA Matériel Agricole Graillot et la SAS AGCO Distribution à payer au GAEC du Four Banal les sommes de : - 26 133,82 euro avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ; - 3 000 euro avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ; Condamne la SAS AGCO Distribution à garantir la SA Matériel Agricole Graillot des condamnations prononcées à son encontre au bénéfice du GAEC du Four Banal ; Condamne la SAS AGCO Distribution à payer à la SA Matériel Agricole Graillot la somme de 14 096,96 euro HT ; Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la SA Matériel Agricole Graillot et la SAS AGCO Distribution aux entiers dépens de première instance, qui comprendront notamment ceux de l'instance en référé et les frais d'expertise, et d'appel.