CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 4 mai 2016, n° 13-22971
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Multimodal Transport Logistique et Service (SARL)
Défendeur :
Le Joint Français (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cocchiello
Conseillers :
Mme Mouthon Vidilles, M. Thomas
Avocats :
Mes Regnier, Gruber, Souchet
FAITS ET PROCÉDURE
Le 27 avril 2006, la SARL Multimodal transport logistique et services (MTLS) qui a pour activité les prestations de transport et la SNC Le Joint français (LJF) qui fabrique des pièces détachées pour automobiles, ont conclu un contrat de transport.
Vu l'assignation délivrée le 12 novembre 2009 par la société Multimodal transport logistique et service (MTLS) aux fins notamment de voir condamner la société Le Joint français (LJF) à lui payer la somme de 16 340,43 euros en réparation du préjudice résultant de la rupture sans préavis de leurs relations commerciales ;
Vu le jugement rendu le 10 mars 2011 par le Tribunal de commerce de Paris qui a débouté la société MTLS de l'ensemble de ses demandes, l'a condamnée à payer la somme de 2 000 euros à la société LJF par application de l'article 700 du Code de procédure civile et l'a condamnée aux dépens;
Vu l'appel relevé par la société MTLS et l'arrêt du 27 juin 2012 par lequel la Cour d'appel de Paris a :
- confirmé le jugement en ce qu'il a reconnu le caractère établi de la relation commerciale,
- l'infirmant pour le surplus et statuant à nouveau, condamné la société LJF à payer à la société MTLS :
* la somme de 16 340,43 euros au titre de la rupture brutale,
* la somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs autres demandes,
- condamné la société LJF aux dépens ;
Vu le pourvoi formé par la société LJF et l'arrêt du 13 novembre 2013 par lequel la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt du 27 juin 2012 et renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel de Paris autrement composée :
- au visa de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, la cour d'appel n'ayant pas recherché, ainsi qu'elle y était invitée, si eu égard à la nature de la prestation, qui dépendait des commandes obtenues par la société LJF auprès de différents industriels de l'automobile, la société MTLS pouvait légitimement s'attendre à la stabilité de sa relation avec la société LJF,
- au visa de l'article 455 du Code de procédure, la cour d'appel n'ayant pas examiné les éléments de preuve produits par la société LJF pour établir les manquements reprochés à la société MTLS avant la rupture de leurs relations commerciales ;
Vu la déclaration de saisine de la société MTLS en date du 29 novembre 2013 et ses dernières conclusions notifiées le 1er octobre 2015 par lesquelles elle demande à la cour, au visa de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, d'infirmer le jugement et, statuant à nouveau, de:
- dire que la société LJF a rompu brutalement les relations commerciales qu'elle entretenait avec elle depuis quatre ans,
- en conséquence, la condamner à lui payer, en réparation du préjudice subi, la somme de 16 340,43 euros avec intérêts au taux légal à compter du 23 juin 2009, date de la première mise en demeure,
- en tout état de cause, condamner la société LJF à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel ;
Vu les dernières conclusions notifiées le 31 mars 2015 par la société LJF qui demande à la cour de :
- confirmer le jugement,
- y ajoutant, condamner la société MTLS à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens ;
SUR CE,
Considérant que la société LJF, qui a pour activité la production de pièces détachées destinées à l'industrie automobile, a confié l'acheminement d'une partie de sa production à la société MTLS, qui a pour activité l'organisation et l'accomplissement de prestations de transport ; qu'il en est résulté pour la société MTLS un chiffre d'affaires de 197 321 euros en 2006, de 333 633 euros en 2007, de 335 310,77 euros en 2008 et de 62 705,89 euros du 1er janvier au 31 mai 2009 ;
Considérant que reprochant à la société LJF d'avoir rompu sans préavis toute relation commerciale en mai 2009, la société MTLS, par lettre recommandée du 23 juin 2009, l'a mise en demeure de réparer son préjudice en lui versant la somme de 16 340,42 euros calculée sur sa perte de marge pendant six mois ;
Considérant que la société Hutchinson, société mère de la société LJF, a répondu par lettre du 24 juillet 2009 en invoquant les manquements de la société MTLS dans l'exécution de ses prestations - raison pour laquelle le volume des commandes avait diminué progressivement à compter du mois d'octobre 2008 et jusqu'en mai 2009 - et en soutenant qu'aucune rupture brutale des relations commerciales n'était intervenue ;
Considérant que c'est à la suite de ces circonstances que la société MTLS a saisi le Tribunal de commerce de Paris aux fins d'obtenir réparation de son préjudice sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce; que pour la débouter de sa demande, le jugement déféré a retenu divers dysfonctionnements et manquements dans l'exécution de ses prestations et dit que la cessation des relations, au demeurant progressive, était prévisible pour elle ;
Considérant que la société MTLS, appelante, fait valoir en premier lieu qu'elle entretenait avec la société LJF des relations commerciales établies depuis plus de trois ans ; qu'elle souligne en ce sens :
- l'augmentation des chiffres d'affaires de 70 % en trois ans,
- sa croyance légitime que la relation allait se poursuivre dans le futur, la diminution de commandes fin 2008 pouvant n'être que passagère,
- l'absence de démonstration d'une dépendance de la société LJF à l'égard de l'industrie automobile,
- la circonstance qu'une relation commerciale puisse être impactée par des événements externes n'étant pas de nature à priver la relation de son caractère établi qui doit s'apprécier au regard de son ancienneté et de son intensité,
- le courant d'affaires ayant existé entre les parties qui exclut toute qualification de relations ponctuelles susceptibles de cesser à tout moment ;
Considérant que pour démontrer la brutalité de la rupture, l'appelante expose ensuite :
- que les dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce sont d'ordre public et que l'absence de préavis écrit suffit à établir de façon automatique le caractère brutal de la rupture,
- qu'elle n'a jamais été informée de la fin imminente de la relation,
- que loin de constituer une rupture implicite, la diminution des commandes peut tout au plus s'analyser en une rupture partielle de la relation qui aurait dû être précédée d'un préavis écrit et suffisant,
- que c'est après la rupture de la relation que la société LJF, par lettre du 24 juillet 2009, a formulé des griefs à son encontre,
- que les menues récriminations qui lui ont été adressées avant la rupture ne constituent pas une inexécution suffisamment grave ou une faute lourde qui justifierait une rupture sans préavis ;
Considérant que la société LJF, intimée, prétend d'abord qu'il n'existait pas de relations commerciales établies; qu'elle en veut pour preuve :
- que la société MTLS savait qu'elle n'était qu'un sous-traitant dont l'activité de fabrication des pièces transportées pouvait cesser à tout moment à défaut de commande des donneurs d'ordre,
- que l'appelante ne pouvait donc légitimement croire que ses relations avec elle étaient stables et s'inscrivaient dans la durée ;
Considérant que la société LJF conteste par ailleurs le caractère brutal de la rupture aux motifs:
- que ce n'est pas l'absence de préavis qui définit la brutalité de la rupture, mais son caractère soudain et imprévisible,
- que si le cocontractant a eu connaissance ou conscience de la possibilité de rupture, celle-ci n'est pas brutale,
- que les relations commerciales avec la société MTLS ont été interrompues progressivement à compter d'octobre 2008 jusqu'en mai 2009 et non brutalement,
- qu'avant la rupture, elle a manifesté à plusieurs reprises son mécontentement à la société MTLS sur la qualité de ses prestations,
- qu'en raison de la concomitance entre la baisse des commandes et ses contestations, la société MTLS ne pouvait ignorer que ces dernières justifiaient cette diminution et traduisait sa volonté de ne plus travailler avec elle ;
Considérant que l'intimée soutient encore que la rupture est légitime en raison des défaillances de la société MTLS, notamment dans son obligation de livraison des marchandises qui constitue une obligation de résultat ; qu'elle précise que ces défaillances ont fait l'objet de réclamations de sa part, qu'elle en a parfaitement informé la société MTLS par deux lettres récapitulatives de janvier et juillet 2009 et que ces défaillances constituent un manquement suffisamment grave pour justifier la résiliation sans préavis de la relation commerciale, à la supposer établie ;
Considérant, cela exposé, que la société LJF, qui fabrique des pièces pour le secteur automobile, ne démontre, ni même n'allègue, avoir subi une cessation ou une diminution de commande de ses donneurs d'ordre ; qu'elle a entretenu avec la société MTLS une relation commerciale pendant plus de trois ans; que cette relation d'une durée significative, a présenté un caractère stable et continu, ce pourquoi la société MTLS pouvait raisonnablement s'attendre à ce qu'elle perdure ; qu'il s'agit d'une relation établie même si les commandes de la société LJF ont commencé à diminuer à partir d'octobre 2008, circonstance que la société MTLS a pu croire temporaire ;
Mais considérant que l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce prévoit que ses dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ;
Considérant qu'il ressort des pièces produites par l'intimée que la société MTLS qui faisait intervenir des sous-traitants :
- a effectué des livraisons avec retard : à 12 h au lieu de 9 h le 14 novembre 2008 et à 12 h au lieu de 9 h 30 le 20 février 2009,
- n'a pas livré des produits chez Fiat termini à la date prévue, soit le 25 septembre 2008,
- a procédé à des livraisons de cartons, de palettes et d'un fût abîmés les 26 et 27 mars 2009 ;
Considérant que par lettre du 27 janvier 2009, la société LJF a averti la société MTLS qu'elle n'avait pas reçu des bordereaux émargés de livraison LJF - faisant office de preuve pour le paiement définitif des marchandises - et lui a demandé de mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour lui fournir la preuve de la livraison des marchandises ou de leur reprise ; que par lettre du 5 mars 2009, elle lui a précisé qu'elle avait bien réceptionné une liasse de bons émargés Fiat, mais qu'un grand nombre de bons émargés sur la période 2008 ne lui avait pas été remis ainsi que la totalité des bons demandés sur 2007 ;
Considérant que le 20 juillet 2009, la société DG-Trans a écrit à la société LJF que la société MTLS lui avait confié plusieurs transports à destination de ses clients italiens, qu'elle ne lui avait pas payé la totalité des factures y afférentes, soit 10 308 euros et qu'elle souhaitait la tenir informée de ses démarches pour obtenir paiement de la société MTLS et éviter d'exercer l'action directe à son encontre ;
Considérant que l'ensemble de ces éléments prouve que la société MTLS a manqué à plusieurs reprises à ses obligations contractuelles ; que contrairement à ce qu'elle soutient, ces manquements, notamment ceux relatifs aux bons de livraison émargés et au défaut de paiement d'un sous-traitant exposant la société LJF à une action directe, sont suffisamment graves pour justifier une résiliation de leur relation commerciale sans préavis ;
Considérant qu'en conséquence, la société MTLS doit être déboutée de sa demande et le jugement confirmé ;
Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement en toutes ses dispositions, Y Ajoutant, Condamne la société Multimodal transport logistique et service à payer à la société Le joint français la somme de 2 500 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute la société Multimodal transport logistique et service de toutes ses demandes, Condamne la société Multimodal transport logistique et service aux dépens d'appel, en ce compris ceux de l'arrêt cassé.